my heart is gold and my hands are cold (ft. kira)

my heart is gold and my hands are cold

Do you tear yourself apart to entertain like me? @Kira Monteiro

◊ ◊ ◊

La musique résonne encore dans sa tête, des boum boum incessants et des pulsations dans les tempes – elle est pourtant sortie du bâtiment depuis un moment, déjà. Elle ne sait plus trop. Cinq ou dix minutes, tout au plus. Elle n'arrive plus très bien à lire l'heure sur sa montre, les chiffres dansent et les aiguilles se tordent, à peine arrangés par la vue qui se fait de plus en plus floue au fur et à mesure des pas qu'elle fait. Jade est dans un sale état, à n'en point douter.
Il faut dire que c'est déjà arrivé plus d'une fois, surtout à The Gallows.
Parfois, ce sont les vampires qui ne savent pas quand s'arrêter, qui perdent le contrôle de leur appétit à l'instant même où les globules rouges viennent chatouiller les papilles de leur langue. Généralement, elle le voit à leurs pupilles, qui se dilatent jusqu'à en avaler tout l'iris et leurs donnent un air d'animal sauvage en pleine chasse alors inarrêtable. Après trois ans à avoir affaire à ce genre d'énurgumènes – pourquoi parle-t-elle comme si elle était obligée de les côtoyer, alors que personne ne lui a forcé la main ? –, Jade sait plus ou moins comment les "gérer", bien que c'est de suite un très grand mot pour parler d'une pauvre humaine faisant face aux pulsions d'un vampire affamé. Il faut dire aussi que, pour la plupart d'entre eux, l'absence de contrôle est passager, alors les faire revenir à la réalité n'est pas mince affaire mais ce n'est pas impossible non plus.
D'autres fois, il arrive que ce soient même des vampires qui savent très bien ce qu'ils font – mais dont l'éternité a forgé un certain sadisme dans leur personnalité, expliquant pourquoi ils trouvent une telle satisfaction à sentir un corps perdre peu à peu ses forces dans leurs bras. Ils franchissent les limites, mais jamais la dernière ; celle qui pourrait être fatale. Sadiques sûrement, mais prudents dans tous les cas, le jeu n'en vaut pas la chandelle et il faut à tout prix éviter les scandales, d'autant plus dans le nightclub surveillé au peigne fin ou dans la bloodhouse fraîchement approuvée par le Conseil.
Jade y voit souvent un avantage, à connaître la façon d'agir des individus de cette espèce, du moins pour une grande majorité, et de savoir plus ou moins comment se conduire en cas... d'imprévus. Néanmoins, elle est loin d'être une experte – et puis, ce ne sont pas de simples animaux qu'on observe dans la nature, quand bien même ils la méprisent souvent, tous gardent une part d'humanité, splendide ou pourrie jusqu'à la moelle. Ils sont imprévisibles et c'est l'un des traits qui la charment depuis le début... enfin, pas quand elle fait  partie des dommages collatéraux.

Et pourtant, la voilà à tituber dans les rues comme une dépravée, pâle comme un linge, le taux d'hémoglobine ayant dramastiquement chuté suite à sa dernière rencontre. Celui qui se fait appeler Jess est un nouveau du coin, en tout cas elle ne l'avait encore jamais vu – elle l'a plus ou moins cerné rapidement, cependant, mais peut-être un peu trop tard. Appartenant certainement à la seconde catégorie des Incontrôlables cités plus haut, de ceux qui maîtrisent mais s'en fichent, préférant laisser des corps inconscients – vivants, néanmoins – dans leur sillage pour le plaisir des yeux et des sensations, Jess – elle est à quatre-vingt dix-neuf pourcent sûre que ce n'est pas son vrai nom – s'est enfilé bien trop de litres de sang en une soirée pour que ce soit vu comme "convenable dans la société".
Le problème étant que les vampires sont loin d'être des animaux, mais certains, donc Jess, se comportent tout comme. Une fois les crocs plantés dans la chair, pas moyen de se défaire de leur emprise, pauvre proie prise dans la toile d'une araignée donc l'estomac est sûrement semblable à un gouffre. Et le liquide coule, coule, s'échappe de l'organisme et la laisse impuissante et terriblement faible – elle a cru voir sa fin, pour la centième fois parce qu'au bout de trois ans ça devient récurrent, mais ça fait toujours drôle. Puis il l'a lâchée, a ricané, et elle a fui sans demander son reste, des vertiges mettant à mal son équilibre à l'instant même où elle s'est mise debout ; digne d'un mauvais film à suspens, elle a puisé dans ses dernières forces pour atteindre la rue sans encombre – sans remarquer que le videur n'était pas là, étrangement.
C'est à peu près comment elle s'est retrouvée là et, alors qu'elle longe les murs, que le sang coule encore jusque dans le creux de sa clavicule, qu'elle remonte la principale avenue de Victorian District, Jade se remercie elle-même de ne pas avoir bu d'alcool – elle ne remerciera pas le ciel car, si il avait vraiment de la pitié pour elle, il ne l'aurait pas mise dans une telle situation dès le départ. Et peut-être même qu'il aurait fait en sorte que le vampire plusieurs mètres derrière elle, qui la suit depuis qu'elle est sortie du nightclub, s'en aille avant de finir le travail de son congénère.

(c) oxymort