maybe i'm too much // maybe i'm not enough (qiumin#6)

La porte claque derrière lui, fort. Yasmin s'agite sur le banc de son camion, grimace lourdement en sentant, par le mouvement, les multiples attaches de sa perruque tirer sur son cuir chevelu. Un regard à la porte l'informe qu'une certaine partie de sa crinière est prisonnière à l'intérieur. Les doigts tremblant, il ouvre la porte et ramène sa crinière folle d'un côté seulement avant de refermer la porte. Le coeur est panique, dans sa poitrine. Il n'a pas pris de café, pourtant. Peut-être que Lola lui a donné un thé, par contre, vers la fin de son shift de travail, plutôt qu'une tisane. Il pourrait retourner à l'intérieur du Dragon Den et lui demander, prendre son sac de vêtements par la même occasion voire même se changer, mais Yasmin a cette impression, depuis quelque temps, que le temps manque, et que le monde va beaucoup trop vite. Chaque petite chose lui prend trop de temps. Il s'y prend à deux reprises, d'ailleurs, pour mettre sa ceinture, et jure un peu trop fort, peut-être, et avec trop d'intensité, quand elle ne clipe pas. Il est à vif. Le stress lui va bien, normalement, mais ces jours-ci, ces semaines-ci, certains moments sont plus difficiles que d'autres. Pourtant, il se sent bien, à l'université. Enfin, il commence à comprendre ses cours, à se sentir à l'aise, et à discuter avec d'autres étudiants plus régulièrement. Il y a eu un temps de pause, d'abord, en début d'année. Un temps d'arrêt, malgré lui, face aux changements de sa vie. Yasmin n'a pas l'habitude de ce genre de choses. Il fonce dans la nouveauté sans la moindre hésitation, sans penser à ses fautes, à ses échecs. Les dernières semaines l'ont laissé chambranler, pourtant. Un programme plus lourd qu'il ne l'aurait cru, plus difficile que prévu, surtout avec ses heures de travail qu'il ne désirait pas forcément diminuer et aussi, les moments qu'il désirait passer en compagnie de Qiu. Il s'en veut, un peu, de ne pas être capable d'organiser des rendez-vous même si, quelque part, Qiu n'en demande aucun. Il se sent ridicule d'aller chez lui uniquement pour étudier, la plupart du temps, et de s'endormir comme un idiot sur la table de sa caravane.
C'est surement ce qu'il va faire, ce soir, encore. Cette nuit, plutôt.
Il sent la fatigue, Yasmin, déjà. Entre son dernier cours et le travail, il n'a pu que ferme les yeux que vingt minutes, dans sa voiture. Il ne sait pas quand il a arrêté à l'appartement pour la dernière fois. Peut-être avant-hier. Ses vêtements sentent autant la sueur que le déodorant. C'est une bonne excuse pour porter encore son hanfu du travail, tandis qu'il se rend chez Qiu. Dans la voiture, la musique hurle. Yasmin la marmonne plus qu'il ne la chante. Elle l'aide à rester concentré sur la route, à avoir les yeux grands ouverts.
Dehors, les feuilles sont colorées, dans les arbres. D'ici quelques semaines, elles tomberont certainement. Il se demande s'il neige, à Savannah. Il n'a pas eu le temps de chercher, encore. Avoir un peu de temps, il aimerait bien faire une quelconque activité dans la neige avec Qiu. Peut-être louer un maigre chalet pour un weekend. Le rêve est un peu idiot ; il sait, aussi, qu'il ne fera que ses projets scolaires, peu importe où il se trouve. Thankgiving approche. Sa mère lui a demandé, déjà, s'il comptait venir à la maison en compagnie de Qiu. Il a déjà répondu non, de l'anxiété plus que du sang, dans les veines.
La voiture s'arrête, devant la caravane. Yasmin pince ses lèvres et éteint le moteur, laisse la musique finir tandis qu'il s'empare de son sac de cours et enfin, quitte le véhicule. Il sent ses muscles et ses nerfs, d'une épaule, qui tirent lourdement. Peut-être devrait-il s'acheter un véritable sac à dos plutôt qu'un de côté comme celui-ci. L'idée est dans son esprit depuis que la douleur est là, allant jusqu'à ses omoplates, mais il ne prend pas le temps d'y aller, de faire quelque chose. Sofia ne lui a pas proposé un massage depuis quelques jours. Entre ses études, son travail et la fréquentation qu'elle s'est faite dernièrement, elle n'a pas forcément le temps.
Il y a eu beaucoup de pluies, dans les derniers jours. Le sol est boueux, devant chez Qiu, et Yasmin peut sentir les pans de son hanfu se salir tandis qu'il monte les escaliers. Il n'a pas averti Qiu de sa visite, ce soir. Qiu connait son horaire mieux de lui. Entre suggestions et léger malaise, le vampire lui a proposé à quelques reprises d'aller à son appartement, plutôt, en finissant de travail. Il n'a pas besoin de venir aussi souvent. Quelque part, Yasmin sait qu'il a raison. Mais l'anxiété tord son ventre, vivement, et Yasmin a autant l'impression de déranger que de ne pas être assez présent. Il y a des souvenirs, venant d'anciennes relations, des cicatrices et des échos, qui le laissent plus fragile qu'il n'aimerait le croire. Il n'en parle pas, bien évidemment. Il sait être idiot, après tout, sur certaines choses, à l'occasion. L'intelligence ne fait pas tout, parfois. Alors, il se tait sur des choses qu'il devrait se prononcer, essaie plus qu'il ne faudrait, tandis qu'il garde ses tourments pour lui, et cherche à ce que Qiu communique tandis que, de son côté, il ne partage pas ses craintes. Nate n'aimait pas, après tout, lorsque Yasmin perdait son sourire et sa bonne humeur. Il était lourd. Yasmin s'en souvient, de ça. Il était lourd, qu'il disait, Nate.
Il remonte son sac contre son épaule, fine grimace à la gueule, avant de toquer à la porte. Yasmin a donné un double de l'appartement à Qiu, après le départ de l'un de ses colocataires. Qiu n'a pas fait la même, de son côté. Yasmin ne s'est pas posé de questions. Ça n'a pas vraiment d'importance, de toute manière. Ce n'est qu'une clé. Nate ne lui en a jamais donné. Et puis, il sait que la porte est ouverte, Il suffira d'ouvrir et de rentrer. Yasmin toque encore, pourtant, malgré les trois mois qui ont défilé. Il attend malgré la fatigue, malgré la douleur de ses épaules, que Qiu lui ouvre. Il y a toujours un délai, peu importe à quel point la caravane est minuscule. Comme si, à chaque fois, Qiu avait besoin de se faire à l'idée qu'il se trouve là.
La porte finit par d'ouvrir, dévoile un Qiu qui parait surpris, un peu hésitant. Yasmin voit un froncement, délicat, dans ses sourcils. Du jugement, peut-être. Le vampire lui a dit, la veille, qu'il ferait mieux de dormir un peu plus, Yasmin se doute que les cernes sous ses yeux ne sont pas disparus depuis hier. Avec l'anxiété, ses siestes ne lui apportent plus autant de repos qu'avant. Pourtant, il lui offre un grand sourire, vrai mais un peu forcé, tandis que son regard coule sur les habits de Qiu. Aw, Qiu. Il est rare de le voir porter quelque chose d'autres que des habits foncés. Ceux qu'il porte, pourtant, aborde un bleu ciel qui s'accorde merveilleusement bien avec sa crinière teinte il y a quelques jours, seulement. Sur le pantalon, une pluie de molang sautillent et, sur sweatshirt beaucoup trop large, un large molang dort profondément, un bonnet rose sur la tête, et piu piu sur son ventre. Je pensais pas que tu le mettais vraiment. Yasmin lui a acheté, après tout, il y a un peu plus d'un mois, pour vaincre le froid qui approche. Qiu n'en a pas spécialement besoin. C'est Yasmin, plutôt, qui avait le besoin de le voir dans le pyjama, dés qu'il l'avait vu sur internet.
Le sourire diminue, un brin, sur ses lippes. D'un autre mouvement d'épaule, agacé par le poids, il remonte son sac. Il hésite une seconde avant de contourner Qiu, enfin, et de se glisser dans la caravane. Il ne lui laisse pas la chance de lui refuser l'entrée. Ce n'est pas une chose que Qiu ferait. Pourtant, la pensée est dans l'esprit de Yasmin, comme tant d'autres. J'ai pas eu le temps de me changer en finissant le travail. 'fin, j'ai pas pris le temps, plutôt. Je voulais vraiment venir directement ici. J'me suis endormi tôt, hier, après tout, non ? Je sais même pas si je suis resté une heure réveillé après être arrivé ici, Qiu. Tu devrais pas me laissser dormir comme ça. Je viens pour te voir, moi. Les lèvres se tordent en une moue et il dépose son sac sur la minuscule table. Il y a deux travaux qu'il doit finir avant le lundi qui approche. L'un d'entre eux n'est pas commencé, encore. Yasmin sait qu'ils prendront plusieurs heures de travail. Pourtant, le sac est un instant abandonné. Je m'ennuie. Si j'viens et que je dors, je m'ennuie de toi en dormant. qu'il fait, plaintif, la moue encore là. Il se rapproche d'un pas, revient vers l'autre et l'observe une fine seconde avant de déposer un baiser sur sa joue, à défaut de ses lèvres. T'as lavé tes cheveux ? Tu sens la - Un baillement le prend, sur le coup, et Yasmin essaie de le contenir, une seconde, en secouant sa tête. Il rit, un instant. Pardon. La lavande. Tu sens la lavande. Tu sais à quoi j'ai rêvé, hier ? Que tu me prenais dans tes bras. Je pensais pas que mon esprit était aussi dévergondé que ça. Tu vois ce que tu m'fais, hm ? Il y a ce sourire en coin, minime, au coin de ses lèvres. L'envie de les poser sur les siennes, qu'il contient plus souvent qu'autrement, malgré lui. Yasmin s'impose encore des barrières par principe, pour Qiu, et pour ne pas être envahissant. On lui a dit, souvent, qu'il l'était. Qiu ne lui a jamais dit, pourtant.
Il se recule d'un pas malgré tout. Finit par se laisser glisser contre la banquette, et enfin, laisse un soupir, long, quitter ses lippes. La tête roule contre ses épaules à la recheche d'un craquement qui ne vient pas et, avec une lassitude et une fatigue qu'il parvient difficilement à contenir, Yasmin sort quelques ouvrages de son sac avant de ramener ses doigts à sa crinière pour se défaire des diverses attaches tenant sa perruque en place. Il est las juste à l'idée de devoir la retirer, mais les épingles à cheveux le font souffrir.

Le matelas est au beau milieu de la caravane, encore emballé, un coin du plastique arraché. Il a pris l’eau, un peu, et Qiu en est presque désespéré. La couette, les draps et les oreillers ont eu plus de chance, seuls les emballages sont trempés, imprégnant la moquette fatiguée. Qiu aussi, est trempé, mais ça n’a pas vraiment d’importance. Hank a essayé de le réconforter, même s’il ne pensait pas avoir l’air aussi triste. Sans doute qu’il a toujours l’air triste, aux yeux du patron du Dragon Den. Il s’en fait toujours trop pour lui, bien qu’il n’insiste jamais pour qu’il lui confie ses états d’âme. Heureusement. Qiu serait embarrassé de lui parler de choses personnelles. Il est déjà assez embarrassé comme ça d’avoir dû lui demander s’il pouvait venir le chercher au magasin de literie, parce que bien sûr, il n’aurait eu aucun mal à se balader avec un matelas sous le bras, mais c’est un peu crier à tout Savannah qu’il n’est pas humain. Ça se voit sans ça, mais Qiu préfère rester discret. Hank a tout de suite accepté, évidemment, et il a tout de suite compris pour qui était le matelas, aussi, sortant des sous-entendus qui ont poussé Qiu à fixer obstinément l’extérieur pendant tout le trajet. Une fois arrivés, il ne s’est pas trop attardé, prétendant devoir faire une course pour Jo en refusant le thé que Qiu lui offrait par pure politesse. Il ne peut que lui être reconnaissant d’avoir décliné.
Qiu est angoissé, à présent. Il l’est souvent, ces derniers temps. L’angoisse semble s’être substituée à sa mélancolie depuis quelques semaines, et il s’en veut. Il s’en veut de ne pas être capable de simplement apprécier ce qu’il a, d’accepter de vivre, enfin, après tant d’années à ne faire que survivre à ses propres idées noires. Mais il n’y arrive pas. Les craintes reviennent, dès que Yasmin s’en va, ou même lorsqu’il s’endort, parfois, sur la banquette inconfortable de la caravane. Il ne peut que le contempler et se dire qu’il ne fait rien comme il faut, et se demander ce qu’il peut bien voir en lui, dans les pires jours, parce que lui ne voit rien, dans le miroir. Un regard vide, un sourire absent. Il sait, pourtant, qu’il est son propre ennemi, qu’il ne doit pas s’écouter. Mais l’angoisse reste là, empoisonnant ses pensées, à chaque fois qu’il trouve une autre chose qu’il fait mal. Le jour où Yasmin lui a donné les clés de son appartement a peut-être été le pire, pour cela. Il n’a pas su quoi dire, quoi faire de l’information, et n’a pas trouvé le courage de lui faire un double de ses propres clés. Il ne sait pas pourquoi. Il laisse la porte ouverte, quand il est là, et il a dit à Yasmin qu’il pouvait entrer sans frapper. Mais Yasmin ne le fait pas. Il frappe, à chaque fois, et il attend qu’il vienne lui ouvrir. Et, à chaque fois, Qiu se fige et met un temps à se reprendre, avant d’aller ouvrir.
C’est peut-être pour compenser les clés, qu’il a acheté le matelas, et les oreillers, et tout le reste. Aussi parce qu’il voit bien que Yasmin dort mal, chez lui, et que sa fatigue ne fait que s’accumuler. Il a bien tenté de le ramener à son appartement, quelquefois, avant qu’il ne cède au sommeil, mais Yasmin se montre toujours têtu. Il se demande s’il viendra, ce soir, mais ça fait plusieurs soirs d’affilée qu’il vient, alors sans doute pas. Il faut bien qu’il rentre un peu chez lui, de temps en temps. Qiu déballe le matelas quand même, sèche le coin mouillé pendant une demi-heure au sèche-cheveux, puis fait le lit, n’y laisse absolument aucun pli. Il a pris des draps bleus, peu coûteux, le matelas lui a coûté le double de son salaire. Il voulait qu’il soit de bonne qualité, pour Yasmin. Pour qu’il puisse se reposer comme il le devrait. Ça fait longtemps qu’il voulait l’acheter.
Mais l’angoisse est toujours là, même après avoir tout installé, même alors que ce côté de la caravane revit un peu, maintenant qu’il est occupé par un vrai lit. Ses vêtements sont toujours trempés, et ses cheveux gorgés d’eau de pluie, alors il prend une douche, enfile le pyjama que Yasmin lui a offert, il y a des semaines de cela. Qiu l’aime beaucoup, il est large et confortable, mais il ne le porte jamais quand Yasmin vient. Ils n’ont pas encore franchi le cap de se voir en pyjamas. Enfin, lui n’a pas franchi le cap, Yasmin c’était déjà fait avant qu’ils soient ensemble. Qiu n’en avait pas, avant que Yasmin ne lui offre celui-ci. Il laisse ses cheveux sécher à l’air libre, sort son carnet à dessins pour continuer l’esquisse entamée la veille.
Absorbé dans son dessin, c’est un peu trop tard qu’il entend la musique et la voiture qui ralentit, les phares brillants à travers les rideaux. Yasmin est là. Et Qiu ne ressemble à rien. Les cheveux en bataille, un épi indompté à l’arrière du crâne, pas de maquillage, pas de chaînes, les doigts noirs de fusain. En pyjama. Lorsqu’il frappe, Qiu a déjà planqué son carnet et s’emploie à faire partir le fusain de ses mains dans sa minuscule salle de bains. Il se coiffe et applique du rouge sur ses paupières le plus vite possible, décide qu’il faudra bien composer avec le pyjama. Si Yasmin entrait sans frapper, il ne pourrait pas faire autrement, de toute façon. Et puis ça lui fera peut-être plaisir, lui mettra un peu de baume au cœur. Qiu s’inquiète pour lui, en ce moment. Yasmin est stressé, il le sait, par les cours sûrement, et les examens qui approchent, mais il semble déçu aussi, parfois. Qiu a peur d’être la raison de sa déception.
C’est toujours hésitant, alors, qu’il ouvre la porte. Pour tout oublier en découvrant Yasmin en hanfu, perruque comprise. Les sourcils se froncent un bref instant d’incompréhension. Le sourire est grand, pourtant, sur les lèvres de Yasmin. Grand mais fatigué. Aw, Qiu. Je pensais pas que tu le mettais vraiment. Qiu sourit, à peine, sans savoir quoi répondre, et il s’écarte un peu de la porte, pour le laisser entrer. Il aurait préféré un baiser, mais ne le dit pas. Il écoute Yasmin, les sourcils toujours un peu froncés. Il sait qu’il est inutile de protester, tout comme Yasmin doit savoir qu'il ne le tiendra jamais éveillé sachant qu’il a sommeil. Il ne croit pas qu’ils puissent s’entendre, à ce niveau-là. Yasmin a besoin de dormir et Qiu veut qu’il soit en bonne santé. Ça lui suffit de pouvoir le regarder dormir. Je m'ennuie. Si j'viens et que je dors, je m'ennuie de toi en dormant. Qiu sursaute légèrement, surpris par le baiser. Il aimerait ne pas avoir ces réactions, être moins tendu quand Yasmin le touche. Ce n’est qu’un baiser sur sa joue, même pas sur ses lèvres. Pourtant, il aimerait tant embrasser ses lèvres à chaque fois qu’ils se voient. Il ne sait juste pas comment faire, ni comment le dire à Yasmin. Que même s’il a l’air surpris ou gêné, il a envie d’être embrassé spontanément, sans que Yasmin hésite ou lui demande la permission. C’est pour ça qu’il prend tellement à cœur d’être présentable, au fond. Mais Yasmin fait attention à lui, il le sait, et il ne peut pas lui en vouloir pour ça. Ni pour quelque chose qu’il ne lui dit pas. T'as lavé tes cheveux ? Tu sens la – Bâillement, et l’inquiétude s’attarde sur ses traits, malgré le rire de Yasmin. Pardon. La lavande. Tu sens la lavande. Tu sais à quoi j'ai rêvé, hier ? Que tu me prenais dans tes bras. Je pensais pas que mon esprit était aussi dévergondé que ça. Tu vois ce que tu m'fais, hm ? Hm, qu’il fait, en se maudissant pour ça la seconde suivante.
Yasmin s’installe sur la banquette et commence à sortir ses livres. Qiu reste planté là un moment, à l’observer, avant de se retourner pour mettre la bouilloire sur le feu et lui préparer un rooibos comme il le fait toujours. Quand il a tout préparé et que l’eau n’a plus qu’à chauffer, il se glisse à côté de Yasmin en le voyant s’échiner sur sa perruque. Leave it to me. Délicatement, il retire les épingles à cheveux restantes, les alignant une à une sur la table jusqu’à enlever la perruque et la poser là, elle aussi, en prenant bien soin de ne pas l’abîmer. La bouilloire se met aussitôt à siffler, il se relève pour verser l’eau chaude sur les feuilles de rooibos et dépose la tasse devant Yasmin, reprend place près de lui. Here you are, simple réflexe de politesse, tandis qu’il cherche ses mots, le regard fixé sur un livre dont il ne comprend même pas le titre. Hm, Yasmin? Can we… Can we talk a bit? If you have time. Il se mordille les lèvres, un peu, se redresse et cherche encore, le regard perdu dans un coin de la pièce. I just… I’d like to know if we’re ok. Are we ok? Il croise ses prunelles, un court instant, sans trop savoir ce qu’il veut dire par là. Il espère que Yasmin comprendra.

Au bord des lèvres se trouvent un millier de mots. Des paroles qu'il pourrait prononcer et auxquelles Yaya pense continuellement. La fatigue les rend tanguant, étrange dans son esprit, et l'anxiété des derniers jours en fait quelque chose qu'il n'apprécie pas. Il y a une part des mots, alors, qui quitte sa bouche, et une autre qui reste enfouie quelque part et qui ne se défait pas de lui. Des paroles qui ternissent et qui prenent poussières, qui portent l'angoisse des non-dits et qui abordent un écho, à l'occasion, lorsqu'un bref silence se glisse et que le reste se pose sur le visage doux de Qiu. Yaya n'y pose pas ses yeux, alors. Il s'en détourne et laisse ses livres de cours sortir de son sac, place ses choses et se préoccupe de cette perruque, sur sa tête, qui lui donne horriblement mal à la tête. Quelque part, il sait que ce n'est pas l'unique raison de son mal. Quelque part, la douleur vient de l'intérieur, du coeur comme de l'angoisse, mais aussi de l'épuisement. Il est aisé d'uniquement se concentrer sur ce qu'il ressent, à l'intérieur, sur les maigres détails qui sont normaux, familiers. Un mal de dos et un mal de tête ne le dérange pas. Le sommeil non plus ; c'est l'anxiété, la panique face aux choses trop nombreuses qui lui donnent le tourni. Yaya a cette impression de ne pas être assez, de ne pas faire suffisamment et pourtant, une toute autre part de lui-même ne cesse de lui susurrer à quel point il peut être présent, envahissant et excessif. L'instant a été long, après tout, avant que Qiu ne lui ouvre la porte. S'est-il arrêté pour soupirer, se préparer mentalement ? Nate avait ce soupir, à l'occasion, au bord de ses lèvres, quand Yasmin parlait trop d'un sujet quelconque. Qiu n'a pas besoin de soupir ; le souffle n'a aucune raison d'être, entre ses lippes. Le geste peut pourtant être familier et lui apporter un certain soulagement. Ou alors, peut-être se contente-t-il de fixer le vide et de remettre ses choix en question.
Il lève les yeux. Il lève les yeux, quitte les cours et cherche Qiu. Un réconfort, une épaule, un baiser, une accolade. Les iris ne se posent que sur le dos du vampire, plus loin, occupé à préparer une tisane, certainement. Yasmin se garde de lui dire qu'il n'est pas forcément aimant du goût. Certes, il apprécie la saveur, mais d'autres breuvages sont plus appréciés par sa personne et demandent moins de préparation. Les minutes à s'occuper d'une tisane pourraient être passer coller contre sa chair, juste à lui apporter un peu de réconfort, de douceur. Mais Yasmin ; il exige un millier de choses, plaisante sur d'autres et fait l'enfant pour certains, mais d'autres restent sous silence par peur d'être trop, d'envahir et d'étouffer.
Il ne demande pas et attend. Sourit pleinement lorsque son petit ami vient enfin s'asseoir à ses côtés. La perruque est toujours horriblement inconfortable sur sa tête, mais qu'importe. La présence de Qiu lui suffit. Leave it to me. La moue danse sur les lippes mais Yasmin penche la tête et, docile, le laisse faire. such a good boyfriend. qu'il complimente et grimace comme un enfant dés qu'une épingle lui arrache une quelconque douleur. Il pense à quémander un baiser pour chaque petite blessure ridicule. Le désir reste enfoui entre ses lippes.
La perruque quitte sa tête. Qiu n'a plus de distraction. Il est aisé de demander un baiser. Un baiser ou un millier. La bouilloire hurle et Qiu se lève. Yasmin le suit ses yeux, la moue dansant sur ses lèvres, un soupir s'y glissant. Il se tourne vers ses livres qui l'attendent, toujours. Qiu revient et pose une tasse sur la table. Here you are thank you qu'il répond, cherchant au travers des pages le chapitre auquel il est rendu pour son cours. Il pourait sortir son téléphone pour voir ses notes, savoir la page exacte, mais Yasmin sait qu'il a oublié de le noter, trop occupé à répondre à un message envoyé par Qiu. Hm, Yasmin? Can we… Can we talk a bit? If you have time. Le regard quitte le livre et se pose sur Qiu. Quelque chose de lourd, dans ses trippes. Les sourcils se froncent, un brin, et la tête se penche sur le côté. Of course i have time qu'il dit, bas, doux, sans savoir. La peur au ventre. Il s'imagine déjà devoir remettre ses livres dans son sac et partir. Mais Qiu ne lui aurait pas fait une tisane, n'est-ce pas ? Qiu est poli, pourtant. Qiu est anglais. Ils sont portés à faire le thé par politesse, toujours. I just… I’d like to know if we’re ok. Are we ok? Le poids s'accentue brièvement et la main tendant le livre ne peut que serrer, fort, pendant une seconde. Ah - qu'il fait, sans contrôler le rire nerveux qui sort de ses lippes. Oui ? La réponse est une question, en même temps. Yasmin doute. Il angoisse. j'ai fait quelque chose qu'il fallait pas ? La question est brusque, empressée. Les questions tombent, les doutes aussi. Ah. Tu m'avais dit d'aller chez moi ce soir, non ? Je te dérange, c'est ça ? Tu - Qiu. tu peux me dire de partir, si tu veux pas que je sois là. Je sais que je suis - ah. trop. envahissant, parfois. tu peux le dire. Je sais que t'as besoin de ta bulle. de ton temps. je - je suis trop présent dernièrement ? Il grimace, ferme le livre. Les doigts tremblent, trop agitées. Il empille ses livres avant de continuer. évidemment que t'as besoin de ta bulle. je te laisse même plus souffler. La tête se secoue. Les doigts abandonnent le livre et passe dans la crinière libérée. Il rit, encore. Le rit n'a rien de bien joli. Désolé. J'aurais du envoyer un message avant de venir ? Qiu. am i too much ? sorry. La grimace sur les traits, la mine basse, presque, et un poids sur les épaules. Yasmin serait déjà en train de partir si Qiu n'était pas assis à côté de lui sur la banquette, lui bloquant le passage.

Sa question reste en suspens, pendant quelques secondes, comme perdue quelque part entre eux. Les mots sont mal choisis, sans doute. Bien sûr qu’ils le sont. Qiu ne sait pas ce qu’il doit dire, il n’a jamais été en couple avant et ses paroles sont souvent maladroites. Il n’a eu aucune illumination divine quant à l’art de se confier depuis qu’ils sont ensemble, et les silences ont eu le temps de s’entasser, ces derniers mois. Ce sont des choses qui s’apprennent avec les années, il suppose, mais peut-être qu’il est lent à comprendre, aussi. Il n’arrive pas à s’ouvrir, toujours à réprimer ses sentiments même après les avoir avoués. Mais il s’inquiète pour Yasmin, à présent. Il réalise de plus en plus qu’il y a des choses qu’il ne dit pas, lui aussi. Il ne sait pas quoi exactement, et s’il essaye d’imaginer, il ne fait qu’achever un animal déjà à terre ; lui-même. Il se demande si Yasmin se retient de lui dire qu’il ne l’aime plus, ou qu’il croyait seulement l’aimer, et plus le temps passe, et plus ça lui semble sensé. Et le rire de Yasmin prend un écho douloureux, au creux de lui.
Ce n’est pas son rire habituel, celui qui lui remplit le cœur, lui donne l’illusion de battre. Ce rire-là, Qiu veut le faire taire, ne plus jamais l’entendre. Il a peur, peur des mots qui vont le suivre et peur de perdre ce qu’il a de plus précieux aujourd’hui, même s’il sait qu’il n’aura aucun mal à s’y résigner. Peut-être que Yasmin s’est lassé de lui, et qui pourrait le blâmer, Qiu n’a jamais été la personne avec qui on a envie d’être. Il n’est qu’une coquille vide, abandonnée. Il déglutit, difficilement, l’impression que ses yeux brûlent, à fixer le visage de Yasmin comme s’il voulait l’imprimer à tout jamais sur sa rétine. Et s’il partait maintenant ? Et s’il ne le voyait plus jamais ? Mais il ne peut pas se battre, pas si Yasmin ne veut plus de lui. J'ai fait quelque chose qu'il fallait pas ? Il cligne des yeux, fort. Les lèvres esquissent le début d’un what?, mais aucun son ne sort et Yasmin poursuit sur sa lancée. Alors il écoute, la bouche entrouverte, les yeux écarquillés, figé de surprise à ne pas trouver le moyen de l’interrompre sans paraître impoli. Les pupilles dérivent sur les livres qui s’empilent, comme s’il allait les ranger, reviennent sur Yasmin lorsque le rire revient, le mauvais rire, celui qu’il veut faire disparaître. Désolé. J'aurais dû envoyer un message avant de venir ? Qiu. am i too much ? sorry. Pause. Yasmin évite son regard, et lui le garde sur ses traits, silencieux. Il réfléchit.
Au fond, il se préoccupait tant de ce qu’il faisait soi-disant de travers qu’il n’a pas vu que Yasmin avait ces mêmes sensations. Il le sentait stressé, épuisé, mais il pensait qu’il se sentait obligé de venir le voir. Pas qu’il avait l’impression de l’envahir quand il venait. Alright, souffle-t-il, après un moment, First of all, il n’ajoute rien de plus, pose ses mains contre ses joues et l’embrasse, un peu trop fort, un peu trop longtemps, peut-être, mais il attend d’être embrassé depuis qu’il est arrivé. Il se détache sans lâcher son visage, et ses prunelles s’accrochent aux siennes. That’s what you did wrong. You didn’t kiss me. And it’s not wrong, because I should’ve told you I’d like it if we’d kiss when we see each other? Like normal couples? I mean, if you want to, ok? Il caresse ses joues des pouces, doucement, laisse tomber ses mains sur ses épaules, au bout d’un moment. Second of all, you don’t have to text me, and you don’t have to knock. Although you can text me so that I don’t have to rush to do my hair every time you come by. Il se mordille la lèvre inférieure, gêné d’avouer ça. Also you should definitely kiss me when my hair is done. Le sourire est léger, sur ses lippes, mais bien présent, alors qu’il passe ses doigts dans les cheveux de Yasmin, encore à moitié aplatis sur son crâne à cause de la perruque. Les lèvres se pincent, un instant, et il reprend son sérieux. Is it something I’ve said that made you feel this way?, il scrute son visage à la recherche d'une réponse, l’air inquiet, détestant l’idée qu’il ait pu le faire se sentir ainsi sans le remarquer.

C'est une douleur sur le coeur. Un noeud lourd et bien serré, celui des inquiètudes, qui l'étouffe lentement. Il est là depuis un moment. Yaya n'a pas l'habitude d'être anxieux. Ce n'est pas un sentiment qu'il ressent sur une base régulière. Il n'est pas un surhumain, non plus. Il le sent, quand il est là, l'accepte et le creuse, essaie de le comprendre, et se réconforte. Mais le temps a manqué, dernièrement, et il n'a pas osé creuser, également. Il y a des peurs. Bien évidement qu'il y a des peurs. Chaque personne possède ses craintes. Celles de l'humain lui viennent de ses relations passées, de choses dites, assez puissantes pour le percuter. La relation de Nate a laissé des marques ; il faut qu'il y ait des marques, après tout, pour que Yaya ait mis fin à la chose. Il n'était pas bien, Il n'allait pas bien. Le déni a été évident pendant de longues semaines, caché entre les paroles blessantes et les sourires trop grands, mais il était là. Yaya a eu le temps, une fois défait de la relation, pour penser à tout cela. Il y a pensé et s'en est éloigné sans pouvoir la chose. La blessure était encore fraîche, après tout. Le déménagement lui prenait beaucoup de temps, de pensées. Il était bien, au final, Yaya, à s'éloigner de cela et se trouver des préoccupations différentes. Ce n'était pas la chose à faire. Il le sait, bien évidemment. Il n'a pas pris le temps de penser à chaque douleur, à chaque maux s'étant éveillé dans leur couple, chez lui. Les paroles de sa famille de ses amis, méprisantes envers Nate et enfin soulagés de voir la relation finie n'ont pas aidé. Il n'y avait personne pour discuter. Personne pour écouter les blessures de son coeur, et Yaya s'est dit, au final, qu'elles allaient guérir seules.
Elles dormaient tout simplement.
Chacune, doucement, s'est éveillée en même temps que l'angoisse, en lui. Elles ne dorment plus, maintenant. Yaya peut les sentir pleurnicher, murmurer à l'intérieur de lui. Elles hurlent, à l'instant. Elles hurlent tandis que les paroles sont folles, au bout de ses lèvres. Elles secouent son coeur, son corps. Il tremble, un peu. Il est aisé d'empiler ses bouquins, il est difficile de rester docile sur la banquette tandis que son coeur veut déborder de sa poitrine, fuir. Elles crient et lui disent ; lui disent qu'il avait raison, qu'elles avaient raisons, et que chaque doute, peu importe sa grandeur, était justifié. Ce n'était pas Nate, le problème. C'était lui.
Ce l'est encore. Alright. First of all La voix tombe, claque. Le ton de Qiu est un peu plus fort qu'à son habitude. Le corps se tend. Yaya s'attend à une liste longue de ses défauts, de ses problèmes. Nate le lui en avait offerte une, après tout.
Les mains sont froides, contre ses joues.
Les lèvres aussi, sur les siennes.
Le corps se tend un peu plus fort, un peu plus durement, et les yeux ne se ferment qu'au moment où, une éternité plus tard, Qiu se défait du baiser. Les doigts sont gelées contre ses joues. Les joues sont bouillantes. Aussi chaudes qu'un soleil. Qiu pourrait s'y bruler. Les iris s'ouvrent et Yaya le dévisage, surpris, incapable de comprendre. L'esprit s'était inventé une suite, une réalité cruelle, et il peine à s'en défaire. That’s what you did wrong. You didn’t kiss me. And it’s not wrong, because I should’ve told you I’d like it if we’d kiss when we see each other? Like normal couples? I mean, if you want to, ok? Les paroles frappent, comme le baiser, comme le contact de ses doigts, doux, contre son visage. Il y fond. Il fond contre la sensation, contre les paumes glissants jusqu'à ses épaules, s'y posant. Yaya n'a pas besoin de paroles supplémentaires. Le coeur est plus calme, déjà. Les yeux brillent, certes, mais il est calme. Plus qu'il ne l'a été dans les dernières semaines. Il ne désire que se presser contre lui, qu'ignorer le reste. Second of all, you don’t have to text me, and you don’t have to knock. Although you can text me so that I don’t have to rush to do my hair every time you come by. Also you should definitely kiss me when my hair is done. Il cligne des yeux. L'observe et le voit, entièrement. Qiu a ce sourire sur ses lèvres. Yaya a cet air perdu, dans ses traits. Il ne doit pas ressembler à grand chose pour que l'autre tente de le coiffer. Is it something I’ve said that made you feel this way? Déjà, il secoue sa tête. Non. Non Qiu. qu'il s'empresse de dire, secouant encore sa tête. Il renifle, un peu. Il renifle et se rend compte, au travers du mouvement, que ses yeux sont inondés de larmes et qu'elles coulent le long de ses joues. La chose lui arrache un rire. Un vrai, cette fois. Un rire léger, doux, délicat. Petit et vrai. Pur. Yasmin n'essuie pas ses larmes. I love you. qu'il dit, les mots accompagnés de son plus beau sourire. I love you so much. qu'il répête, car il a besoin de le dire. J'ai mis des mots sur ton silence. J'suis désolé. Il sait, après tout, comment fonctionne Qiu. Du moins, il le connait suffisament pour savoir que les silences de Qiu ne portent pas ses doutes. UGH QIU. Les lèvres se tordent en une grimace enfantine et les bras se lèvent, se glissent autour de lui, le pressent contre lui. Yasmin l'englobe d'une étreinte excessive. i'm SO SORRY. Il renifle, encore, sans grande tristesse. Le coeur est léger. Soulagé. Il se trouve bête et il en rit, encore. tu fais tes cheveux pour moi ? quand je toque ? je pensais que tu - na, c'est pas important. tu te mets joli pour moi ? QIU. Il hurle presque dans ses oreilles, le coeur qui déborde. Yaya éloigne son visage du sien pour l'observer, le dévisager. Le sourire est là, encore. Il retire une main d'autour de son corps pour placer ses cheveux. so cute. qu'il fait, tout bas, à le dévisager. Les iris lorgnent sur son visage. oh. t'as mis du maquillage aussi ? Douce, petite moue sur ses lèvres. Les yeux brillent encore. Ugh. I love you. Et il l'embrasse, car il le peut, car Qiu a demandé, car Qiu veut des milliers de baisers et Yasmin désire lui en offrir plus que cela.

Les yeux de Yasmin sont remplis de larmes, pourtant Qiu le sent plus calme, sous ses doigts. Les épaules ont perdu de leur tension, et le rire s’est adouci, débarrassé de la nervosité qui le rendait si triste à écouter. Il tinte joliment aux oreilles de Qiu, son rire, et le vampire se remet à sourire, doucement, caressant les cheveux de Yasmin, essuyant une larme du pouce, délicatement. Les mots sont tendres, aussi, et son sourire s’agrandit, miroir de celui de l’humain. Et Yasmin le prend dans ses bras sans crier gare, brusquement, librement, simplement. i'm SO SORRY. Qiu a l’impression d’en avoir le souffle coupé, un instant, il se tend, légèrement, avant de s’appuyer un peu plus contre lui, de caler son visage dans son cou. Pour se détester au moment où l’odeur du sang lui paraît trop forte. Il tourne la tête et serre les dents, ne s’éloigne pas pour autant. Don’t be, qu’il murmure contre son hanfu, en passant ses bras autour de ses épaules, au-dessus des siens. Des mots sur son silence, il comprend ce que Yasmin veut dire. Il ne parle pas assez, souvent il retient les paroles qu’il aimerait dire, il ne lui suffit que d’une pensée, d’une seconde de doute, pour cela. Pour perdre courage et se taire, en se disant que ce n’est pas important. Cela fait longtemps qu’il vit comme ça, à reléguer ses sentiments au second plan, comme si personne ne s’en souciait. Il pensait que ça ne blessait que lui. tu fais tes cheveux pour moi ? quand je toque ? je pensais que tu - na, c'est pas important. tu te mets joli pour moi ? QIU. La phrase en suspens lui pince le cœur, il croit en connaître la suite. Et il ne peut s’empêcher de penser que c’est de sa faute, si Yasmin s’est senti mal. Parce qu’il est parfois un peu trop absent, quand ils sont ensemble, parce qu’il tarde à vaincre ses doutes pour répondre, ou pour ouvrir la porte, tout simplement. Mais les doutes ne concernent pas Yasmin, ni son amour pour lui, les doutes s’accrochent à lui-même, tailladent son cœur déjà faible. Après tout, il ne pourra jamais être assez bien pour Yasmin. Il ne pourra pas vieillir avec lui, il aura toujours ce corps froid, cette envie de sang et ce cœur mort. Et ces émotions néfastes qui ne disparaîtront pas avec le temps, ancrées en lui depuis trop d’années.
Il sourit encore, pourtant, lorsque Yasmin s’écarte de lui pour le regarder et lui murmurer des mots doux. Il y a peut-être un rien de tristesse, dans ses prunelles, avant que ses lèvres ne se posent sur les siennes et qu’il perde pied, un moment. Tout va bien tant qu’il ne pense pas, il le sait. Tant qu’il oublie qui il est, ce qu’il est. Mais il y a toujours quelque chose pour le lui rappeler. Ses sens qui perçoivent un peu trop bien les pulsations du cœur de Yasmin, et l’odeur sous le parfum de sa peau ; ou ses crocs qui sortent pour un rien. Il a appris à les accepter, un peu, au fil des baisers, ou en tout cas à ne plus leur accorder tant d’importance quand il est avec Yasmin. Il lui arrive encore de paniquer, à l’occasion, lorsque tout semble trop vif, qu’il a l’impression qu’il pourrait basculer même si ça n’est jamais arrivé, même s’il sait qu’il interprète mal certaines sensations, une chaleur dans le ventre ou l’air qui vient à manquer alors qu’il ne respire pas. Il est amoureux de quelqu’un qui l’aime en retour pour la première fois et il ne sait pas quoi faire de tout ça. Alors il prend peur, parfois. Il se crispe et il rompt le baiser, un peu trop vite, trop brusque, et ce n’est pas si grave, au fond, Yasmin a besoin de respirer, après tout. Bien qu’il ne soit pas si convaincu lui-même, en l’observant, les lèvres pincées. I forgot to eat. Et la réalisation le frappe, tandis qu’il se libère de ses bras pour se lever. Il serait sûrement rouge de honte s’il y avait une once de sang synthétique dans son organisme. Il fait attention, souvent, à se nourrir avant que Yasmin n’arrive, mais les mauvaises habitudes ont la vie dure. Il y a encore quelques mois, il repoussait l’échéance pendant des jours, parfois des semaines. Avec une bouteille de Blüd par jour, il a de vagues nausées, des souvenirs de ses séjours à l’hôpital et de leurs dix gélules chaque matin. I’m sorry, qu’il souffle en ouvrant le frigo pour en sortir l’unique bouteille encore là. I think it’s on me. Not something I’ve said but… the way I act, right? I don’t talk enough. Il verse le sang dans son autre tasse Molang, place le tout au micro-ondes pendant trente secondes avant de se retourner, un brin d’hésitation dans le regard, dans la voix. It’s just… I love you, and somehow I can’t stop thinking I’ll lose you sooner or later, and it feels awfully right. Il parle doucement, les derniers mots presque inaudibles tant il se hait de les prononcer. Il s’est promis d’essayer d’aller mieux, pour Yasmin, et il n’arrête pas de s’en vouloir à chaque fois que ce n’est pas le cas. Sorry, nouveau murmure, couvert par la sonnerie du micro-ondes.

Des baisers ont été posés sur les lèvres de Qiu, dans les dernières semaines. Yasmin les a contenu certes, par respect et par incertitude, mais ils sont tombés sur ses lèvres malgré tout. Car le coeur déborde et que l'affection ne peut que s'écouler de son corps, et Yaya ne possède qu'un faible contrôle sur les élans de son coeur. De baisers brusques, un peu trop vifs. Des baisers qui ne prenaient pas le temps d'être, vraiment, parce qu'il essayait de se limiter, quand il se rendait compte qu'il n'avait pas demandé ou encore, qu'il l'agressait brusquement dans sa bulle. Il y a cette difficulté, pour lui, avec les barrières. Qiu est délicat. Non pas fragile, car Yaya sait qu'il est fort, en dedans, et qu'il possède de nombreuses qualités et qu'il est formidable. Mais il es tdélicat ; il y a des nouveautés, pour lui, un millier. Le premier baiser a été fait par ses lèvres et Yasmin prévoit le lui offrir son dernier, aussi, même s'il n'a pas partagé la chose avec Qiu, encore. C'est un rêve qui semble plutôt être un cauchemar, pour l'autre, alors il ne le lui dit pas, pour l'instant. Yaya sait attendre, peut-être trop, selon la tournure des événements. Peut-être devrait-il prendre un temps pour réfléchir, respirer et penser à la situation, réévaluer sa manière de faire. Ouvrir la conversation avec Qiu, simplement, sur ces choses simples qui sont importantes malgré tout. Peut-être ne devrait-il pas l'embrasser autant, à l'instant, et plutôt continuer sur la lancée offerte, sur la conversation mise en place. Mais les lèvres de Qiu sont douces, son corps est froid et ses bras sont confortables, sur ses épaules. Et Qiu a demandé un million de baisers, aussi, et Yaya, il est fragile à sa manière, aussi. Fragile face aux émotions et aussi aux démonstrations. Il a ce besoin de montrer, de prouver, et il s'est contenu un peu trop, entre la fatigue et la peur de déranger, dernièrement. Le coeur est trop plein, les lèvres aussi. Si pleines de Qiu, toutes les deux.
Mais les lèvres se dérobent. Qiu se dérobe de ses lippes, de ses bras, de son coeur.
Il y a un pincement dans son coeur, dans sa poitrine. I forgot to eat. Les paroles justifient. Yasmin peut comprendre. Il devrait comprendre. Pourtant, il a envie de lui dire que ça ne lui importe pas. Il a envie de le garder dans ses bras. Les mots restent dans la gorge. Les révélations douces ne changent pas comment il se sent, et le blocage reste encore là, dans sa gorge, malgré le je t'aime. Malgré les douces paroles. Qiu s'éloigne et le simple mouvement éveille la peur en lui, et Yasmin sait, forcément, que la chose est terriblement stupide, mais le sentiment reste en place malgré tout. Le soupir est doux, entre les lèvres, comme le corps se fait petit, sur la banquette. Les épaules un peu serrées, tendues, Yaya le suit des yeux sans piper mot. I’m sorry Le sourire est là, les dents se dévoilent. Oh, pas d'problèmes ! Mais il y en a un, de problème. Peut-être d'autres, aussi. Rien n'est parfait dans le monde, Yasmin est le premier à le dire. Mais il faut toujours parler, communiquer. Pourtant, il sourit et il se fait petit, sur le banc, tandis qu'il sent encore ses baisers contre ses lèvres, tandis que son corps se réchauffe doucement, loin de lui. I think it’s on me. Not something I’ve said but… the way I act, right? I don’t talk enough. Il est surprenant, alors, de voir Qiu ouvrir la conversation. Lui donner vie. Yaya ouvre les yeux un peu plus grand, à l'entendre prendre ainsi la parole face à ces choses. Le coeur se enfle, délicatement, d'un amour qu'il ressent toujours, en permanence. Il grandit un peu plus, juste là dans son coeur, à voir Qiu faire un pas vers lui. À voir Qiu faire un effort dans quelque chose qui le rend terriblement inconfortable. It’s just… I love you, and somehow I can’t stop thinking I’ll lose you sooner or later, and it feels awfully right.. Sorry Yaya reste silencieux, une petite seconde. Les yeux sont humides, encore. Les lèvres se tordent de nouveau, sous l'émotion. Puis, il se lève et quitte la petite banquette en secouant sa tête. don't be sorry silly. qu'il commence, s'approchant du micro-onde pour en sortir la tasse qu'il lui tend. La tête légèrement penchée, Yaya le dévisage une petite seconde avant de sourire un peu plus, doux, et de passer une main dans ses cheveux bleus. i love you. i didn't talk enough either. i - Un soupir quitte ses lèvres, doux. Il les pince brièvement avant de continuer. j'suis ici, Qiu. j'suis juste là. La main glisse de la crinière à sa nuque, qu'il tient, qu'il masse délicatement. we talk about wedding, no ? Des paroles dites lors d'une première confession, des paroles qui n'ont pas été prononcés depuis. je disais pas ça pour faire joli. tu sais que c'est important, pour toi. et pour moi aussi, ça l'est. je prévois pas partir. Il y a certes une part de non-dits dans les paroles, et peut-être que Qiu la comprend. Qu'importe ; Yasmin ne la relève pas, pour l'heure. C'est une chose qui se fera avec le temps. La main quitte sa nuque et il laisse ses bras se glisser contre sa taille. Yaya le tient contre lui, ne l'enlace pas complètement. Il le tient juste entre ses doigts, entre ses bras. moi aussi j'ai peur que tu partes, qiu. j'ai peur de faire quelque chose, de dire quelque chose de trop - i want to be good for you, you know ? the best. Le sourire reste doux, sur ses lèvres. Le regard, toujours humide. i really really want to be the perfect husband for you someday. and every day after that. Pour aussi longtemps qu'il le voudra. L'éternité ou un peu moins, qu'importe.

Il y a des moments, souvent, où il se demande s’il n’est pas qu’une cause perdue. Où il se demande pourquoi les gens passent leur temps à essayer de le rendre heureux, puisqu’il ne le sera jamais. Pas en étant lui-même. C’était ainsi, à l’hôpital. Ses parents, sa sœur, les infirmières, tout le monde essayait de lui remonter le moral, de lui dire que tout s’arrangerait un jour. Alors que lui avait déjà baissé les bras depuis longtemps, il ne se battait pas vraiment. Il n’a jamais eu l’impression de valoir la peine, de mériter les mots de réconfort ou les cadeaux, comme si c’était sa faute s’il était tombé malade. Il y avait tous ces enfants qui allaient bien, autour de lui, alors il avait dû faire quelque chose de travers, il avait dû provoquer cela. Il ne pouvait pas penser que cela aurait pu être quelqu’un d’autre de son entourage, à sa place, il se serait senti trop coupable de cette simple pensée. Et il est resté cette cause perdue, en grandissant. L’adolescence ne lui a apporté aucune confiance en lui, elle n’a fait que le ronger un peu plus, jusqu’à ce que la dépression engloutisse le meilleur de lui-même. Il n’a pas pu se battre, même pas pour sa famille, et il s’en veut encore, pour ça. La blessure est toujours ouverte, à jamais, parce qu’il ne les reverra jamais. Il a fait la même chose, à Gage. Gage lui a donné une chance et il a craché dessus, il n’a jamais pris la peine de voir le bon côté des choses. Il ne le voit toujours pas, même alors qu’il est avec Yasmin et que son amour réchauffe un peu son cœur mort. Il ne peut pas se dire que s’ils sont ensemble, c’est grâce à Gage, grâce à ce qu’il a toujours considéré comme une malédiction. Lorsqu’il pense à sa condition de vampire, il ne voit que la tristesse de l’éternité et les jours de Yasmin qui sont comptés, il ne voit que sa solitude qui reviendra le frapper un jour.
La mine est triste, les yeux restent secs, pourtant. On dit que les vampires ressentent plus fort que les humains, ça ne l’empêche pas de tout garder en dedans. Il lui est difficile de soutenir le regard encore humide de Yasmin, en sachant que le sien est vide et froid. Il ne se rappelle plus quand il a pleuré, la dernière fois. C’était il y a longtemps, maintenant. Yasmin se lève et il est proche, à nouveau. Si proche, si tangible, dans sa caravane trop petite pour deux, et pourtant il ne cesse de le voir partir. De l’imaginer, dans sa mélancolie. Qiu accepte la tasse tendue avec un merci prononcé à demi-mot, observe un instant le sang synthétique qui tournoie, la légère fumée qui s’en échappe. Il frissonne presque, en sentant la main dans ses cheveux. Même après trois mois, il a toujours ces réactions, il ne s’habitue pas. Mais peut-être est-ce seulement parce qu’il l’aime, que chaque contact est précieux, important. j'suis ici, Qiu. j'suis juste là. Le sourire est un peu triste, mais doux, mêlé à un soupir. Les yeux quittent la tasse, se posent sur son visage et il acquiesce, délicatement. Il le sait. Il sait que Yasmin l’aime, ce n’est pas quelque chose qu’il peut nier, même quand il tente de se convaincre du contraire. Il suffit qu’il soit là, et il rayonne, et il inonde la pièce de son sourire, de son bonheur. Qiu s’en voudrait de le ternir. Il se le fait croire, parfois. Se dit qu’il n’est pas assez bien, qu’il n’est pas celui qu’il lui faut. Quelqu’un d’aussi généreux et enjoué que Yasmin, avec lui. Mais il suffit que Yasmin le touche, qu’il lui sourie, et il oublie tout, pour simplement l’écouter.
Le sourire grandit un peu sur ses lèvres, même s’il le retient, au souvenir des mots qu’ils ont échangés en avouant leurs sentiments. Qiu n’aurait jamais imaginé être aussi sincère avec quelqu’un, aussi bêtement heureux au point de parler de mariage, comme si c’était naturel. Ils n’en ont plus parlé depuis, il croyait que Yasmin regrettait peut-être ces paroles, n’osait pas le mentionner à nouveau. Passée la joie de l’instant, il se sentait embarrassé d’en reparler. Parce qu’il n’est pas aveugle, il est clair que les jeunes de son âge ne sont plus pressés de se marier, qu’ils ont des relations sans se promettre d’être toujours ensemble. Il sait que Yasmin a déjà eu un copain avant lui, au moins un. Avec toute l’innocence dont il est capable, il doute qu’ils soient restés chastes. Il grimace rien qu’à l’idée, plongeant le nez dans sa tasse pour enfin en avaler une gorgée. Il était gêné, au début, de boire devant Yasmin, mais il a fini par comprendre que pour l’humain, qu’il boive du thé ou du sang, ça revenait au même. A présent, il peut boire entre ses bras et se sentir rougir un peu plus à chaque gorgée et chaque mot qui quitte les lèvres de Yasmin. Il pose la tasse à moitié vide sur le comptoir, essuie sa bouche du revers de la main avant de se laisser aller tout contre lui, un soupir au bord des lèvres. I’ll never have too much of you, qu’il murmure dans son cou, of course you’ll be. You’re already the perfect boyfriend, coming here every day even though it’s so uncomfy. Il passe ses bras autour de sa taille à son tour, pose son front contre son épaule. I’d like to shut my brain off sometimes. Il ferme les paupières, quelques secondes, s’autorise à apprécier l’instant, sans penser à rien d’autre, pour une fois. Oh, I… Il rouvre les yeux et pince les lèvres avant de continuer : It’ll probably sound weird, but I’ve bought you a bed. Les sourcils se froncent, et il pousse un soupir à mi-chemin entre la gêne et le rire face à son propre embarras.

La tempête n'est pas finie. Il y a toujours des perturbations dans son coeur ; pourtant, l'instant se glisse dans un calme particulier, confortable. Yasmin ferme les yeux, brièvement. Il ferme les yeux, inspire et expire, Qiu dans ses bras. L'autre boit son breuvage et Yaya le laisse faire, accroché à lui pour toutes les fois dernièrement où il en a ressenti le besoin et qu'il s'est empêcher ou, plutôt, qu'il s'est contenté de sa main ou d'un baiser léger au bout de ses lèvres. Il est difficile de rester immobile ; de ne pas avoir la tête allant dans tous les sens, de ne pas se demander s'il est envahissant, trop, tandis que Qiu s'est éloigné justement pour boire à cause d'un malaise certainement lié à l'odeur de son sang. Yaya n'est pas stupide ; il sait, encore, que QIu a du mal avec ces choses là. Il aimerait bien lui poser des questions, creuser le sujet et comprendre un peu mieux. Peut-être, aussi, lui parler de ses origines, des informations qu'il a découvert, sur la chose. Il y a des questions, depuis des semaines, dans sa tête. L'humain envisage, après tout, de le rejoindre un jour. Il espère que Qiu voudra de lui dans une vie, non pas éternelle, mais qui aura simplement la longueur qu'ils voudront. Il aimerait avoir cette liberté avec lui. Yaya n'a jamais pensé à la vieillesse. Sofia parle parfois de finir dans la même maison de personnes âgées ou encore, de voir ses petits enfants courir avec ceux de Yasmin, mais l'asiatique n'a jamais eu ces réflexions. Certes, il pense à être oncle, à voir Sofia avec un mari, des enfants. Mais il ne s'est jamais attardé sur sa propre vieillesse sauf peut-être, à l'occassion, en compagnie d'une autre personne. Il n'a pas besoin de cheveux gris, de rides et de marques du temps, sur ses traits, pour voir le temps passer. Depuis un moment, Yaya se dit qu'il a uniquement besoin de Qiu à ses côtés et, s'il envisage le rejoindre dans son mode de vie, il se tait. Il se tait sur cela et sur le passé, le sang dans ses veines, car les réponses lui font peur, un brin. Il est né humain, n'est-ce pas ? Alors techniquement, il pourrait être transformé. Les informations qu'il a cherché à ce sujet lui ont donné cette réponse, dans tous les cas.
Il a effacé son historique même si, en vrai, il sait que Qiu ne regarderait jamais ces choses là.
La tasse est abandonnée sur le comptoir ; Yaya juge aisément qu'elle n'est pas vide, encore. Bien que Qiu boit plus souvent qu'autrefois, il ne finit jamais entièrement ses breuvages. Yaya ne fait pas de commentaires, sur la chose. Il est fier de lui, déjà, à le voir se nourrir autant sous ses yeux. Il n'y a rien qui le dérange, dans la chose, uniquement le fait que Qiu oublie si souvent, encore, lorsqu'il est seul. Yasmin n'aime pas l'idée qu'il se blesse indirectement de cette manière. Le vampire revient contre lui, et Yasmin l'englobe de nouveau de ses bras, un peu plus fort. Il ne désire pas l'étouffer, non plus. Il veut sentir la fraicheur de sa peau contre la sienne. On pourrait presque croire que Qiu revient de l'extérieur. L'automne colle à la température de sa peau. I’ll never have too much of you. of course you’ll be. You’re already the perfect boyfriend, coming here every day even though it’s so uncomfy. D'eux-même, les doigts de Yasmin retournent dans les cheveux de Qiu. Il les caresse longuement, sans un mot. Il pourrait en dire un miliers, parfois. Ils ne suffisent pas. Qiu a besoin de gestes, parfois. Alors, il le garde contre lui et essaie de lui faire comprendre qu'il n'y a rien d'inconfortable. Oh, I… Il ouvre les yeux, fixe par la fenêtre. hm? what ? De là, il voit le cimetière. La vue lui rappelle des souvenirs et le fait sourire. Le sourire est bête, sur ses lèvres. Il est heureux, comblé par les moments passés. It’ll probably sound weird, but I’ve bought you a bed. Les caresses cessent dans la chevelure. Yasmine fixe la fenêtre, quelques secondes supplémentaires. you did what ? Déjà le tour se tord pour observer en direction de la chambre. Il n'y a jamais eu de matelas. Il semble y en avoir un, maintenant. you did - a bed ? qu'il redemande. Et, sans lâcher Qiu, il recule de plusieurs pas vers la chambre pour mieux voir le lit. Il y a des draps. and sheets ? qu'il fait, ébahi. Le regard reste fixé sur le cadeau, sans comprendre. Puis, lentement, les lèvres se tordent. oh my god Qiu. qu'il se lamente, tel un enfant, en le serrant contre lui fort quelques secondes. Puis il se défait de son étreinte et saute sur le lit. OH MY GOD La voix est brisée par les rires. it's so confy ! omg qu'il s'exclame, encore, avant de se redresser pour s'emparer de sa main. come on ! come ! Le sourire est immense, sur ses lèvres. Les yeux brillent. Yasmin le tire vers lui sur le lit, se recule vers le fond et l'oblige à monter à son tour. aw qiu. tu veux refaire des soirées devant netflix, c'est ça ? Le ton est espiègle, un brin. Yasmin le regarde, les yeux si brillants. C'est tout son coeur qui se trouve dedans. you're so cute. gosh. La tête se secoue, lentement, tandis que les bras retournent autour de lui. Et le tenant dans ses bras, Yasmin se laisse tomber vers l'arrière, contre ses nouveaux oreillers. i love you qu'il dit, avant un simple, léger, baiser.

Il aimerait que chaque instant se prolonge, rester entre les bras de Yasmin, immobile, les yeux fermés. Combien de fois cela lui est arrivé, depuis qu’il est un vampire ? D’abandonner son corps sur une chaise et de perdre son esprit dans le néant, à fixer le vide. Vide, son existence l’a été pendant trop d’années. Comme un vieux vampire qui se serait lassé de l’éternité. Pourtant, lui n’a pratiquement pas eu d’enfance, encore moins d’adolescence. A-t-il vécu pleinement, avant d’être malade ? Il n’en a presque aucun souvenir, et pourtant, il n’a jamais essayé de rattraper le temps perdu. Il s’est contenté de l’arrêter, le temps, le jour où son cœur s’est arrêté. Sans voir que le monde autour de lui tournait encore. Sans voir qu’il pouvait décider d’en faire partie, si le cœur lui en disait. Mais son cœur s’est tu, bien avant sa mort. Corey lui avait redonné un peu de voix, mais elle l’a emportée en partant, avec un simple mot ; monstre. Il a peur, parfois, que Yasmin ne réalise pas ce qu’il est. Bien sûr, il a vu ses crocs, et il l’a vu se nourrir, un rien de sang qui reste souvent accroché à ses lèvres quand il ne fait pas attention. Mais qu’en sera-t-il quand les années passeront et qu’il n’aura toujours aucun cheveu blanc, aucune ride au coin des yeux ? Que son corps demeurera intact, figé dans une jeunesse qu’il n’a jamais aimée ? Ou pire, qu’arrivera-t-il si Yasmin se blesse devant lui, sera-t-il capable de s’occuper de lui ? Il est déjà si angoissé d’être proche de lui sans s’être nourri auparavant. Il n’est pas sûr qu’elle disparaîtra un jour, cette peur, celle de ne pas être celui qu’il faut. Il faudrait qu’ils parlent davantage, qu’il ose partager ses angoisses au lieu de les enterrer quelque part dans sa tête, là où elles n’attendent que de ressurgir.
Pour l’heure, il n’est pas prêt. Elles resteront enterrées encore quelque temps, ces angoisses-là. Il y en a d’autres, peut-être moins compliquées à aborder. Quoique, il n’est pas certain de trouver un angle d’approche face à la joie de Yasmin pour le lit. Il le regarde sauter dessus comme un enfant et peine à contenir le sourire qui s’empare de ses lèvres. Il voudrait le retenir, juste parce que ses crocs sont sortis et que ça l’embarrasse encore, malgré tout, mais il ne peut pas. Il ne peut pas, quand Yasmin est heureux pour un matelas et des draps, qu’il a froissés en dix secondes alors qu’il avait pris tant de soin à les lisser. Et tout ce qu’il pense, à l’instant, c’est Gosh, I love him. Alors il se laisse entraîner sur le lit, un peu parce qu’il ne pourrait pas résister une minute entière, et aussi parce qu’il serait de toute façon vain de résister à Yasmin. Il le connaît. aw qiu. tu veux refaire des soirées devant netflix, c'est ça ? Il se sent rougir. Maudit sang. Maybe, qu’il marmonne un peu, gêné, avant de se sentir partir en arrière, emporté par la tornade Yasmin, les têtes amorties dans la chute par les oreillers. Tant pis pour ses cheveux bien coiffés. i love you, et le sourire s’accroche à ses lèvres, encore, même s’il fait de son mieux pour se concentrer sur le baiser. I love you too, murmure alors qu’il s’est à peine éloigné, les yeux rivés aux siens. Il a chaud, soudain. I feel like we’re a bit close to indecency right now, hm… Il ne se redresse pas, pourtant, garde ses bras autour de la taille de Yasmin. Il est à peu près sûr que ses joues sont brûlantes, à présent. Et il n’a bu qu’une demi-tasse. Ridicule, vraiment. About the wedding, er… I know I’m old-fashioned. I mean, I didn’t think I would even only kiss someone one day? Heureusement qu’il a ce pyjama pour le cacher, parce qu’il doit être rouge de la tête aux pieds, maintenant. You’re sure it’s okay? Non pas qu’il saurait quoi faire s’il répondait non. Il a déjà interrogé internet à ce sujet, seulement pour confirmer qu’il était bizarre à vouloir se marier avant… Avant. C’est mieux de considérer qu’il y aura un fond au noir comme dans les vieux films. Et puis il n’y a pas que ça, il y a la religion, aussi. Il sait que la famille de Yasmin est croyante, mais bien moins pratiquante que la sienne. Ils peuvent se marier uniquement au regard de la loi, même s’il a envie d’un mariage à l’église. Encore faut-il que le prêtre de la sienne accepte de marier deux hommes, un humain et un vampire, qui plus est. Il n’a pas encore demandé. Ça lui semble bien plus compliqué que de simplement choisir un joli costume et dire oui dans un sourire.