You’re nothing but a traitor ◇ Awspy

Un mépris qu'elle ne prend pas vraiment la peine de dissimuler dans le regard, Poppy fend la foule à la recherche d'un visage en particulier. Elle est persuadée qu'il est là, après tout elle a croisé tous les autres membres de son groupe depuis qu'elle est entrée dans ce manoir du quartier victorien. Evidemment qu'elle a cherché leurs visages à tous sur le net après avoir découvert qui était ce type louche qui tournait un peu trop aux yeux de sa sœur. Après avoir vu son visage et l'avoir reconnu : Brett Danton. Le chanteur des Hell Bright, ni plus ni moins le groupe dont était fan la mère Wilkes lorsqu'elle était adolescente. Et si certains seraient ravis de savoir que le chanteur est encore de ce monde pour produire de nouvelles chansons, tout ce que Poppy voit c'est que cet effronté a défié les lois de la nature et est encore de ce monde. Qu'il est un monstre, un monstre aux longues dents et à la vie sans fin, un monstre qui tourne autour de Bluebell. Qu'importe alors que leur relation n'ait plus grand chose de sororal depuis des années, il est hors de question que la benjamine laisse les choses se passer ainsi. Hors de question qu'elle prenne le risque que ce suceur de sang touche un seul cheveux d'une Wilkes, même si c'est Bluebell – il y a sûrement une histoire de fierté là-dedans, qui plus est.

Les muscles tendus à cause de la proximité de tous ces indésirables autour d'elle, Poppy entre dans une deuxième salle qui est à peine moins remplie et doit même jouer des coudes pour progresser. Insultant intérieurement la décoration sans trouver d'autre manière d'exprimer l'agacement qui fait vibrer chacune de ses cellules, elle ne perd cependant pas de vue son objectif. Elle en a marre, répugnée par l'idée de se trouver dans une soirée où autant de buveurs de sang sont agglutinés autour d'humains qu'ils prennent pour des garde-mangers. Ils ne devraient pas avoir le droit de planter un seul de leurs immondices de crocs dans le cou d'un de ses semblables, mais le Conseil de plus en plus laxiste leur offre de plus en plus de droits à ce sujet – un scandale, si vous voulez l'avis de Poppy. Elle en a marre, en rogne à l'idée que parmi ces humains que ces monstres considèrent comme des poches à sang, il y ait sa sœur. Elle pensait avoir un allié dans cette quête, pourtant ce soir elle a bien vu le chef des brand new saints tourner autour de sa sœur avec un regard digne d'un prédateur affamé. Cela ne signifie qu'une chose : le batteur de ce groupe est un idiot, un lâche et un traître. Peut-être que la blonde aurait dû s'y attendre, en réalité – les vampires ne sont pas dignes de sa confiance. Aucune de ces créatures ne l'est, pourtant ce soir elle est bien décidée à en découvre. A le convaincre à nouveau, après tout si elle a réussi une fois, pourquoi pas deux ? Et puis, pourquoi aurait-il changé d'avis ? Silhouette aperçue, la jeune femme la rejoint sans tarder, souhaitant au plus vite en finir avec cette soirée où rien ne va. « Awsten, je te trouve enfin, » le salue-t-elle, petit sourire poli aux lèvres, mélange entre la satisfaction d'en avoir fini avec sa fouille des lieux et l'envie de lui enfoncer un pieux dans le cœur – ce qui n'est pas du tout cliché – pour lui faire payer sa trahison. « Pourquoi tu les laisses se tourner autour comme ça ? » qu'elle demande en désignant d'un vague mouvement de tête la porte donnant sur la pièce où elle a croisé Bluebell et l'abomination. « Je croyais que tu voulais protéger ton ami ? Tu t'en moques, finalement ? » La provocation est voulue, après tout ils étaient mis d'accord sur le fait que ces deux-là n'avaient rien mais alors rien à faire ensemble et que plus ils étaient loin l'un de l'autre, mieux c'était. Alors Poppy ne voit aucune raison d'expliquer le changement de comportement d'Awsten autrement que par l'inconstance de sa race. Et ça l'agace, évidemment.

Sans avoir une idée exacte de l'heure à laquelle elle est arrivée ici, Poppy juge que retrouver Awsten dans cet immense manoir a été trop long. Trop de minutes perdues pour ces créatures qui pullulent dans la ville et qui ne méritent pas son temps si précieux. Elle aurait mille fois préféré passer la soirée avec Scarlett avec qui elle a toujours mille sujets de discussion, à se vernir les ongles et à tenter du nail art en s'inspirant ses instagrameuses préférées. Ou aller chez sa grande sœur, lui raconter les derniers compliments que lui a faits Diane, embrasser ses neveux qui lui mettent des étoiles dans les yeux tant ces petits anges sont adorables et lire au plus grand une histoires. Ou dîner avec son petit-ami, se laisser enchanter par les belles paroles auxquelles elle a toujours le droit avec lui, déballer un énième cadeau, ne se lassant jamais de toute l'attention qu'il lui offre – trop amoureuse pour remarquer ce qui cloche, ce qu'il cache. Des plans pour ce soir, elle aurait pu en avoir plein d'autres. Des plans sympathiques, avec des personnes qu'elle aime, des activités qui lui plaisent.

Au lieu de ça, elle est ici. Dans ce manoir décoré avec mauvais goût, oppressée par l'ambiance de cette soirée, par la présence de crawlers, par le danger qui menace les humains naïfs qui sont venus ici pour expérimenter un frisson. Ce même frisson que doit sûrement vouloir connaître Bluebell pour être idiote au point d'être en train de se rapprocher d'une de ces immondices alors même que sa cadette tente de la protéger – ou plutôt de sauver l'honneur de la famille, s'il fallait être honnête. Vampire. Le mot dégoûte la benjamine Wilkes, pourtant c'est bien l'un d'eux qu'elle cherche en cet instant, son regard dédaigneux fouillant la pièce alors qu'elle doit jouer des coudes pour ne pas se faire bousculer à tout bout de champ. Seigneur, que ces personnes manquent de classe. Les yeux méprisants finissent par accrocher la silhouette qui l'intéresse, et aussitôt la blonde progresse dans cette direction, bien décidée à en finir au plus vite avec cette soirée qui a déjà trop duré. Aussitôt le brun atteint, un semblant de soulagement s'empare d'elle. Celui de ne plus avoir à fouiller cet endroit, la perspective de pouvoir bientôt quitter ce manoir qui héberge quelque chose qui devrait être interdit. Pourtant, l'émotion est de courte durée, et même si le sourire hypocrite demeure sur les lèvres de Poppy, son regard s'assombrit dès les premiers mots du crawler. « Hm ? Qui ça ? » Yeux qui lancent des éclairs, pas franchement amusés par la fausse innocence qu'il feint. L'immortalité lui fait vraiment croire qu'il peut la prendre pour une imbécile comme si de rien n'était ? « Ne me prends pas pour une idiote, tu sais de qui je parle. » Il le sait très bien, fait seulement semblant parce que ça l'amuse, sans doute. Et pendant ce temps, le voilà qui attrape une poche en plastique contenant un liquide sombre qui s'avère rouge lorsqu'il est versé dans le verre du vampire. Du sang, évidemment, si bien que la jeune femme fronce le nez avant de relever les yeux pour croiser ceux de son interlocuteur.

L'air qu'Awsten se donne agace profondément la blonde, pourtant elle tente de rester impassible et de ne pas s'emporter. Ce n'est pas digne d'elle, elle vaut mieux que ça, mieux que lui – il ne mérite pas qu'elle abîme son image et s'abaisse à son niveau de médiocrité. Alors même si l'agacement point dans son regard, le sourire reste en place, beaucoup moins sincère cependant que celui presque satisfait qu'elle avait en le rejoignant. Et pour le rictus n'est pas négligeable pour provoquer, après tout elle veut bien faire comprendre au crawler qu'il fait une erreur. Tenter de le convaincre, parce que si ces créatures sont inférieurs aux humains, ça n'empêche qu'elles peuvent être utilisées comme des outils. Ça leur donnerait au moins un intérêt. « Oh je t'en prie, pas de ça entre nous, miss Wilkes. Tu me connais assez maintenant pour savoir que les mélodrames culpabilisateurs ne fonctionnent pas sur moi, non ? » « Je ne crois pas non, j'ignorais que ta parole n'avait aucune valeur, » rétorqué calmement malgré la froideur et le mépris qui perce dans ta voix. Tes yeux dérivent un peu vers le verre qu'il porte à ses lèvres, les tiennes se pinçant instinctivement, puis croise à nouveau les siens. « Qu'est-ce qui t'amène ici ? Tu t'ennuyais trop chez toi ? » Ton regard un brin dédaigneux balaye la partie de la salle que tu peux voir d'ici avant de se reposer sur Awsten. « Honnêtement je me serais bien passé de ce... rassemblement. » Le mot est prononcé avec un froncement de nez, utilisé à défaut d'une insulte. Elle a beau méprisé au plus haut point ces créatures, Poppy n'est pas stupide : elle sait quelles sont les capacités inhumaines du monstre qui lui fait face et n'a que très peu envie de goûter à la force surnaturelle qu'il doit avoir. « Mais je voulais ta version de l'histoire. Après tout, je suppose que tu les laisses fricoter pour une raison, puisque tu ne culpabilises pas de le faire. » Tu remets naturellement en place tes cheveux sur tes épaules tout en continuant. « Loin de moi l'idée de vouloir te culpabiliser, mais si tu les laisses se rapprocher sans autre raison que ton envie de divertissement, c'est que tu es un très mauvais ami. » Comme pour confirmer qu'elle ne voudrait en aucun cas qu'il s'en veuille pour ses décisions immatures et stupides – ce qui est faux, évidemment –, Poppy ajoute à ses paroles un haussement d'épaules d'une nonchalance contrebalancée par sa tête haute et son dos droit. Pas qu'elle s'en soucie réellement, des capacités d'Awsten à être un bon ami – après tout il n'est assurément pas le sien –, mais elle tente de jouer sur les cordes qu'elle peut. Et il n'y en a pas tant que ça, au fond, alors elle fait ce qu'elle peut.