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 my eyes have seen you, free from disguise. (acid#3)

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Alec Musgrave
Alec Musgrave
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— let me see you stripped down to the bone

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moonchild
MessageSujet: my eyes have seen you, free from disguise. (acid#3)   my eyes have seen you, free from disguise. (acid#3) EmptyJeu 12 Nov - 22:46

My eyes have seen you, let them photograph your soul, memorize your alleys on an endless roll - -

— dim. 28 juin / thunderbolt
Quelque part dans la pièce d’à côté, les vibrations d’un téléphone se réverbéraient bruyamment sur une surface plane, rappelant le décollage du petit hélicoptère télécommandé que Sally et lui s'amusaient à faire voler à travers toutes les pièces de la baraque dans ces rares moments où leurs parents n’étaient pas là pour brailler après leurs conneries. Le jouet, si c’en était un, leur avait été offert par un de leurs oncles à l’occasion d’un des derniers Noëls passés dans la maison du lac (les White Christmas si chers à Ruth où la smala au grand complet se réunissait pour une épuisante semaine de festivités hypocrites) et avait suscité autant de cris d’enthousiasme chez les gosses que de désapprobation muette chez leurs parents. L’hélicoptère — une reproduction fidèle d’un Sikorsky R-6 que son père n’avait pu s’empêcher de lorgner sous toutes les coutures malgré lui — avait disparu un ou deux ans plus tard, emporté par le vent. Sally l’avait vertement insulté en voyant filer l’engin au dessus de la cime des arbres, et ils n’en avaient plus jamais reparlé. Mais il l’entendait de nouveau clairement, le vrombissement des pales télécommandées surgissant du passé avec la logique absurde des rêves jusqu’à ce que le téléphone, dans ses vibrations syncopées, ne glisse de la table et se casse la gueule dans un bruit sourd. Alec se réveilla en sursaut, tiré des limbes comme on se sortirait de sables mouvants — en rampant vaille que vaille hors de la mélasse ensommeillée qui s’accrochait à lui comme des graines de bardane, les membres courbaturés, plombés par un épuisement chimique, une plénitude morphinique n’ayant rien à envier à l’ecsta. Il ne se rappelait pas avoir sombré. L’autre s’était endormi vite ; dans le silence de la piaule, il se souvenait avoir redessiné du bouts des doigts les contours du drapeau américain s’étalant entre ses omoplates, étiré par le balancement profond et régulier de sa respiration, avoir tracé ensuite les quatre lettres grignotant l’épine dorsale. USMC. L’armée dans la peau, plus profondément que ce qu’il en paraissait.
Sidney n’avait pas bougé depuis tout à l’heure, et il paraissait plus serein dans le sommeil qu’il ne le serait jamais le reste du temps. Rien ne bougeait à la surface de son corps. Dans la pièce d’à côté, le portable s’était tu. Alec s’extirpa du lit et récupéra son jogging sur le chemin du salon, où il échappa un soupir excédé en avisant le ventilo décapité gisant aux pieds de la gazinière, au milieu de leurs fringues. Il le repoussa du bout du pied et récupéra son portable, sous la table où s’était tenu le chat un peu plus tôt — il avait décampé sans demander son reste au premier claquement de porte, jetant au sol le carton de la piscine gonflable dans sa précipitation.
Scott avait appelé trois fois au cours de la dernière heure sans laisser de message vocal, ni de texto, et le constat fut suffisamment déconcertant pour qu’il claviotte rapidement un « what’s wrong » concis sans pour autant envisager de le rappeler. Chassant d’une main le sommeil qui froissait encore ses traits, il enclencha la machine à café et entreprit de déblayer le plus gros du bordel qui jonchait le sol — enfila le t-shirt de Sid par inadvertance, et loucha d’un air mauvais sur son téléphone lorsqu’une nouvelle salve de vibrations le secoua. Scott, encore. Il laissa sonner quelques secondes et finit par décrocher d’une voix rauque. « What ?What the fuck man, I was this close to come at your place to see if you weren’t dead, » et puis quoi encore. Un paquet de Newport tomba des poches de Sid en même temps que son téléphone. Coinçant l’appareil contre son épaule, il subtilisa une cigarette, posa le futal sur le dossier d’une chaise, le portable près de l’évier, et sortit dans l’air lourd et moite du dehors. Une énorme masse nuageuse menaçait à l’horizon. La conversation s’en tint au babillage de Scott, Alec se contentant de réponses monosyllabiques bougonnes crachées entre deux ronds de fumée. Oui, tu peux passer. Non, pas tout de suite. Je sais pas — donne moi une heure. Et ramène à bouffer, je crève la dalle.
Il raccrocha et jeta le mégot dans le pot de fleurs et, à l’intérieur, tomba nez à nez avec Farrow, dont le regard aqueux lui parut vaguement halluciné. Un sourire frondeur étira ses commissures tandis qu’il éteignait la cafetière et la vidait de son contenu dans deux tasses ornées d’hideux motifs vintage. Ils avaient déjà joué cette scène, il l’avait déjà désapé à l’entrée de cette chambre ; et le même malaise confus le saisit à la gorge lorsqu’il leva les yeux vers lui — car rien n’était jamais évident, avec Sid. « Well, hum... » Il glissa la tasse vers lui. Son épaule vint prendre appui contre le chambranle de la porte d’entrée. « Scott’s dropping by in less than an hour, so you can’t stay long, I’m sorry » L’autre avait remis la main sur son téléphone et paraissait distrait par ce qu’il y lisait. Un flottement désagréable remplit l’atmosphère et dehors, un grondement sourd se fit entendre, annonçant l’orage. « I still have your gun by the way. And your fucking underwear, » le dernier mot se perdit dans un rire bref et irrépressible, promptement noyé dans le fond sa tasse — difficile de ne pas se marrer devant l’ironie de la situation, malgré qu’une pesanteur résiduelle persistât encore. Le ratage de l’autre nuit l’accablait, et s’il aurait été de bon ton de crever l’abcès sans tarder, quelque chose le retenait encore d’aborder le sujet. La prudence, peut-être, car l’instant lui paraissait aussi fragile qu’une bombe et en dépit des griefs, il craignait de laisser filer la moindre chance que quelque chose perdure entre eux, qu’importe quoi. Ce dérapage ne garantissait rien. Aussi garda-t-il le silence, sirotant son café en baladant son regard sur le décor insipide du mobile home, non sans revenir continuellement à Sidney, dont les sourcils légèrement froncés trahissaient sinon l’embarras, du moins une incertitude partagée. « Your stuff’s in the bedroom wardrobe, top shelf. But seriously though, don’t come over here with a gun ever again, this shit makes me fucking nervous. » Les propos s’ourlèrent d’un accent caustique involontaire. Se décollant de son support, il reposa la tasse dans l’évier, « you’re a real piece of work Farrow, you know that ? » et après un instant d’hésitation, plus frustré encore qu’à son arrivée, fit un geste en direction du ventilateur. « And you owe me a fan. »
Today, 11pm -
fuck it
was it a one time thing or ?...
— sam. 4 juillet / tybee beach
Il aurait voulu lui parler ; dégueuler les pensées qui s’amassaient, si nombreuses, si bruyantes, que seul le surmenage imposé par les préparatifs de la fête nationale entravait suffisamment pour lui éviter de les ressasser à l’infini. Tous les propriétaires d’embarcation — du vulgaire canot à l’imposant deux mâts — semblaient s’être passés le mot pour sortir leurs engins à moteur, à voiles ou à rames ce week-end là et si Josh lui avait accordé une semaine de récup inespérée, la suractivité de la marina contrecarrèrent les vagues ébauches de plans qu’il aurait voulu lui proposer. La communication s’en tint aux textos, aussi succincts que frustrants ; car quelles que fussent les barrages explosés dimanche dernier, la perte de leurs rituels et des misérables repères érigés entre eux le laissait démuni, sans ressources quant à la suite, si suite il y avait, et rien n’était moins sûr. Maintenant quoi ?
« Who were you with the other day ? » Au moins les choses paraissaient-elles avoir retrouvé un semblant de normalité avec Scott. Il s’était pointé peu après le départ de Sidney, sous une pluie torrentielle, chargé d’un sac de fish and chips suffisamment gras et salé pour adoucir les griefs dont Alec aurait été plus que disposé à l’accabler s’il ne les avait pas étouffé en se jetant sur la bouffe comme un affamé. Scott avait balayé un regard circonspect sur le mobile home, comme conscient d’être le témoin involontaire d’une scène honteuse qu’on aurait grossièrement cherché à maquiller, mais s’était abstenu de commenter. Vautré dans le fauteuil en cuir râpé, il avait concédé ses torts, point par point, avec une mauvaise foi si évidente que seul le plaisir de le voir cracher des excuses qu’il ne pensait pas était parvenu à le faire baisser sa garde. C’est que la rage l’étranglait en songeant que cette ordure de Farrow s’en était sorti avec une putain de remise de peine, après cinq misérables années au mitard pour avoir tué l’un des leurs, et il avait ajouté : « It fucks me up everytime I see their ugly faces going down the streets you know. Did I tell you I saw the second guy just yesterday ? The son ?What ? What happened ?Nothing, this motherfucker just flipped me. Trust me, I was reining it in. » Ils s’étaient marré, les choses en étaient restées là, et c’était mieux que rien.
Après son départ seulement, Alec avait remarqué les deux tasses dormant près de l’évier, au fond desquelles un fond de café trop léger refroidissait. Le détail ne lui avait pas échappé, en fin de compte, et il le matait désormais avec insistance par dessus son assiette, aussi propre qu’après le passage d’un chat. « Come on, I smelled it, you weren’t alone before I arrived and you were acting kinda weird, actually. Was it the girl from the other day ? » Alec tritura son paquet de clopes, réprimant l’envie d’en griller une nouvelle alors même que son dernier mégot n’avait pas fini de fumer dans le cendrier posé devant eux, maudissant ses semblables pour cette tare qu’était leur odorat surdéveloppé et qui n'omettait aucun détail, ne permettait aucun secret. « You’re a nosy motherfucker. I’m taking off anyway, ‘have shit-ton of work to do. » Il se levait déjà, tandis que Scott se renversait contre son dossier, lippes tordues en un rictus moqueur, pas dupe le moins du monde. « Whatever, you’ll spit it out at one time or another. I’ll see you at the pier tonight ?Sure. » Une brève poignée de mains, et Alec décolla de la terrasse où ils lambinaient depuis plus d’une heure.

Tybee Island bourdonnait comme une putain de ruche depuis le matin ; de la plage, il voyait le ponton hérissé de cannes à pêche parquées contre les rambardes, derrière lesquelles les pêcheurs attendaient, le cul posé sur de minuscules tabourets, canettes à la main, et à ce stade, le pavillon s’apparentait plus ou moins à un gros oursin grouillant de monde. Une foule inhabituelle se rassemblait sur l’île. Des troupeaux d’ados armés de leurs packs de bières, des touristes de leurs appareils photos, des familles de leurs piques-niques, certains affublés de drapeaux américains ficelés au bout d’un mât de fortune, se déplaçaient en masse vers les plages d’où ils admireraient les feux d’artifices une fois la nuit tombée. Les parades, les concerts improvisés à tous les coins de rue, les foules. Tout ce foutoir lui mettait les nerfs en vrac — sans compter l’imminence de la pleine lune, et il ne portait guère attention à sa trajectoire, distrait par l’effervescence qui agitait la jetée. « Hey you’re the tattooed guy from Target ! » Un gamin d’une dizaine d’années le talonnait de près et le zieutait fixement, planté à sa gauche, si barbouillé de sable qu’il en avait le teint gris. Son short de bain vert pomme tranchait sur ses jambes maigrichonnes brunies par le soleil, et la languette d’une casquette Batman était accrochée autour de son poignet. Avec un infime délai de réflexion, il replaça finalement le gosse : le neveu de Sidney. « Affirmative, sir. And you’re Jesse right ? » Le minot opina fièrement du chef, et pointa du doigt le paquet de Starburst qu’Alec dégommait avec application depuis son crochet par une échoppe de plage, deux minutes plus tôt. « My uncle says they bad for me. » Le ton était un comique mélange de déception et de fierté à l’idée de se montrer si raisonnable, si à l’écoute des consignes des adultes, et un rire lui échappa malgré lui. « Well he’s probably right but that’s the thing in being an adult, you can do whatever the fuck you want without hearing anybody say it’s bad for you. » Il lui colla le paquet dans les mains et Jesse n’eut qu’un instant d’hésitation avant d’y plonger ses doigts pleins de sable. « Is your uncle here ? » La question jaillit dans un battement de coeur coupable. « Yeah he’s right there, — il tendit un index en direction de l’eau, au bord de laquelle la silhouette de Farrow se détachait sur un canevas de bleu aveuglant en dépit de ses verres teintés — and my brother, Austin, he was supposed to come with us too but he’s, like, twelve, so he thinks the beach is lame. I love it. » L’enthousiasme du môme ne semblait avoir d’égale que son débit de parole ; il embrayait à toute vitesse, changeant de sujet sans attendre de réponse à ses questions, mâchonnant ses mots en mêmes temps que les sucreries, qu’il engloutissait deux par deux tout en fourrant les emballages colorés dans le fond de ses poches. Les traits de Farrow se précisèrent et un fracas familier battit la chair tendre de son estomac lorsqu’il s’arrêta à sa hauteur, alors que le paquet de bonbons lui revenait dans les pognes, la casquette Batman en bonus. « Sid, look ! » Jesse fonça vers la mer en manquant de percuter un couple sur son passage, et plongea tête la première au milieu des vagues. « How come you not talk with a nephew like that ? » La truffe humide de Sadie lui effleura les mollets et lui donna une excuse valable pour concentrer son attention sur autre chose. Cajolant distraitement l’espace velouté derrière les oreilles de la chienne, Alec chercha brièvement ses mots. « I was thinking… Let’s lay all cards on the table. Tomorrow. No bullshit. » Il se redressa lorsque Sadie s’éloigna, fouettant l’air de sa queue. « Might not be the best moment ever because of, you know, the full moon. But you should come anyway. » Il lui rendit la casquette du môme, s’autorisa dans le même temps à retenir ses doigts, à peine une fraction de seconde. « I need to get back to work, so hum, just let me know ? »

— dim. 5 juillet / thunderbolt
Les nuages bas filtraient les rayons du soleil et diffusaient une lumière aveuglante sur le trailer park. Il faisait moins chaud que d’ordinaire mais il manquait d’air pour rendre la baisse de température tout à fait satisfaisante. Des relents de gueule de bois de la veille se mêlaient à l’irritabilité de la pleine lune, qu’il sentait sans voir, oeil pâle et sans paupière musant à la surface du monde. Il avait finalement gonflé la piscine de Paul, et elle trônait, vide, puant le plastique industriel, au milieu de la terrasse inachevée. Leurs flamants roses s’étalaient sur le fond criard et il les contemplait sans les voir, grattant un arrangement imprécis sur les cordes oxydées de sa vieille Strat, perdu dans une attente fébrile — Farrow, la pleine lune. Il n’aimait pas l’idée que les deux événements soient si proches. L’air était électrique lorsque le vélo de Sid freina devant son trailer. Son agitation progressa d’un niveau et il se leva à son approche, reposant la guitare contre le mur derrière lui. « Hey. » Un silence. II le toisa, incertain. « Beer ? » lança-t-il et, sans attendre de réponse, il fila à l’intérieur et tira deux cannettes suintantes du frigo. Les capsules s’ouvrirent dans un chuintement. Il revint à lui et depuis le salon, ils pouvaient entendre les Doors tourner en sourdine, ravivant le souvenir des soirées passées à décomposer note par note le génie de Strange Days.
De retour sur la terrasse, il s’enfonça dans le fond de son siège de camping, allongea les jambes. Il avait réfléchi pendant des heures. S’était refait la scène de l’autre nuit comme on rembobinerait une cassette sans trouver ce que l’on cherchait, jusqu’à le trouver, ce foutu détail qui nous avait échappé jusque là et que l’on se mettait à repasser en boucle, encore, et encore, et encore, au point de s’en coller la migraine. Il avait vu sa peur sans la comprendre, et si l’objet de son propre effroi n’avait rien de plus complexe que la peur de se faire buter devant chez lui, celle de Farrow restait obscure. Mais il n’avait pas besoin de piger — l’autre ne s’était pas enfilé la route comme un furieux pour le descendre, et les choses étaient compliquées, et il allait falloir composer avec ce fatras d’incertitudes.
My eyes have seen you, free from disguise.
Alec s’en remettait rarement aux autres. Il les intégrait volontiers à son quotidien, se fiait parfois à leurs jugements, mais au bout du compte, seules ses décisions importaient, seuls ses intérêts primaient. C’était l’unique constante de son univers, la seule certitude — tout finissait par disparaître, dans un perpétuel recommencement, et c’était pourquoi il n’avait jamais donné la moindre chance à ses relations (aussi nombreuses qu’insignifiantes) d’évoluer de manière tangible. Aussi l’insistance avec laquelle il avait continué de le voir, semaine après semaine, déclarait-elle d’elle-même l’exception à la règle que Farrow était devenu, quand bien même celui-ci ne s’en rendît-il pas compte. « I’m sorry I said you weren’t worth the shit, you know I didn’t mean it. » Une cigarette s’embrasa et il tira dessus si fort que l’extrémité partit en carotte. De la cendre tomba entre ses pieds nus. Cette sincérité d’un autre genre exacerbait sa nervosité. Ou était-ce seulement la lune, il n’en savait foutre rien. « It’s just… You can’t call me in the middle of the night to pick you up and blow me off the very next day, not to mention show up at my place with a fucking gun. » Une nervosité inusitée faisait tressauter son genou et il se bouffait les joues sans s’en apercevoir. Le truc, une fois qu’on s’était résigné à ne compter que sur soi-même, c’est qu’on finissait par perdre l’habitude de lâcher du leste sur le reste de sa vie. Sidney, dont l’approche était si difficile, si compliquée, n’en finirait de le ramener à lui tout en oscillant à la lisière de tout ce qui n’était à portée de son contrôle, et c’était terrorisant. Alec descendit la moitié de la canette en deux gorgées avant de lâcher l’aveu. « I like you. I don’t want to mess this shit up but I need to know where your head’s at. » Il avait juste besoin d’une assurance - n’importe laquelle.
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Sidney Farrow
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MessageSujet: Re: my eyes have seen you, free from disguise. (acid#3)   my eyes have seen you, free from disguise. (acid#3) EmptyDim 15 Nov - 18:42

There are things I thought I could rise above, And all the things I thought I was better than, And a coward might call it a conscience, And a liar might call it the truth, Nothing could ever make me more frightened, Than the thought of hurting you

— dim. 28 juin / thunderbolt
Il n’aurait pas su dire à quand remontait la dernière fois où on l’avait touché comme ça. À tel point qu’il en avait presque hoante, quand tout dans sa communauté se mesurait aux alliances, mariages, gonzesses ramassées au bar, infidélités sciemment cautionnées, vannes graveleuses échangées par-dessus plusieurs bières bon marché. Quinn, par exemple, était toujours entouré de nanas en rut – et c’était normal, dans leur milieu. Acceptable qu’elles soient traitées tour à tour comme des salopes (sa sœur) ou des poules pondeuses (sa mère) dépendant du comportement ou de l’âge. Il y avait eu Wayne, et depuis, personne. Il ne s’était pas prêté au jeu des rencontres fortuites à l’ère des applications, ne se pointait pas dans un rade quelconque pour se faire sucer dans des chiottes insalubres ou derrière la portière d’une bagnole. Une nervosité palpable s’était emparée de lui malgré une frénésie évidente l’empêchant – fort heureusement – de trop réfléchir. Retirer les fringues, s’habituer aux frottements de cette nouvelle peau contre la sienne, aux lèvres qu’il s’était contenté de fixer connement pendant des semaines sans vouloir les imaginer frôler son épiderme. Il s’était dit qu’il ne serait pas à la hauteur, s’était préparé à un rejet – toutes les hypothèses lui avaient traversé le crâne, tant et si bien qu’il mit un moment – encore – à situer le mur face auquel il était tourné. Il ignorait quelle heure il était mais entendit le bruit caractéristique d’une machine à café et une voix, vraisemblablement au téléphone. À ses côtés, seul un creux tiède témoignait d’une présence.
Il dut prendre sur lui quand il se décida à se lever, la gueule en vrac. Alec était dehors, de dos – à en juger le ton monotone de sa voix, il avait la tête dans le cul. Il enfila rapidement son jogging, sans remettre la main sur son t-shirt. « Scott’s dropping by in less than an hour, so you can’t stay long, I’m sorry. » Le cerveau abruti d’endorphines, il s’empara de son telephone où un nombre inquiétant de notifications s’accumulait sur l’écran d’accueil – Callum, Nickie, Callum, Callum, Jax. Les appels manqués se mêlaient aux textos impatients de son père et au « pa’s asking where u at » flegmatique de Nickie. « I still have your gun by the way. And your fucking underwear. » Préoccupé, il manqua le rire (pourtant communicatif) de son vis-à-vis et avala une gorgée de café, « I—I have to go anyway, what did you say? » Alec ne sembla pas lui tenir rigueur de son manque flagrant d’attention ou de reaction quant à l’évocation du malheureux épisode de l’autre soir. « Your stuff’s in the bedroom wardrobe, top shelf. But seriously though, don’t come over here with a gun ever again, this shit makes me fucking nervous. » La mâchoire se contracta, tandis qu’il partait récupérer les affaires, fourrées à la hâte sur une étagère. En gage de bonne volonté, il déchargea l’arme sous le nez de l’autre, fourra les munitions dans sa poche. « D’you have like, a plastic bag or something? » Alec tira un sachet kraft d’un placard sans manquer un battement. « You’re a real piece of work Farrow, you know that ? » Il aurait pu décocher un sourire gêné, mais l’heure n’était pas à la plaisanterie – et il n’était pas certain que ce soit un compliment. Il enfila le premier t-shirt qu’il aperçut traîner sur une chaise, celui-là même qu’il avait pratiquement arraché de son propriétaire quelques heures auparavant, et roula les bords du sac. « And you owe me a fan. »
Et là – dieu seul savait pourquoi il choisit cet instant – alors qu’il s’apprêtait à passer le perron, il le gratifia d’une espèce de grimace narquoise.

Nickie clopait sur un transat défoncé, les nibards à l’air. « Jesus Christ, really? » Leur voisin était probablement en train de se rincer l’œil, en dépit de la dernière visite musclée de Quinn, qui n’avait pas hésité à défoncer la foutue longue-vue qu’il utilisait en toute impunité à chaque fois que leur sœur se baladait à poil dans le jardin. La cadette du clan se redressa légèrement avant de froncer le nez. « At least I showered. » Le détail lui avait échappé. Il se recula d’un pas, le regard bloqué sur la voiture familiale (mal) garée dans l’allée. « Where were you anyway? Pa been looking for ya.Avery’s. Had to pick up Sadie.Where’s she? » Il avait oublié son putain de clebs. « I was– il aurait pu se gifler. – Ain’t the police, Sid. Chill out. » Douche d’abord, la chienne ensuite. Profitant d’un apparent silence, il se faufila à l’intérieur de la baraque, uniquement pour être épinglé par une apostrophe paternelle. « There he is. » Callum avait surgi de la cuisine, un cendrier dans une main, Jean le talonnant, sapée de ses habits de messe. Cependant, quoique suggèrent les lunettes ou le chandail couvrant sa poitrine, elle n’avait pas l’air moins plouc que d’habitude. « Gotta take a shower, il marmonna en passant près de son père, qui le rattrapa brutalement par l’épaule (la mauvaise – une grimace de douleur froissa ses traits). – Where were you? Out. Running.You were supposed to help with your gran’s shelves. We talked about it on Thursday. » Ses traits se décomposèrent à mesure qu’il se remémorait le dîner de jeudi soir et les travaux prévus dans la bicoque de la vieille Nana May, le cognac à portée de main pendant qu’elle allait et venait entre sa cuisine et le séjour, vitupérant contre cette famille qui ne lui témoignait plus aucun intérêt. Ne trouvant rien à répondre, il bafouilla un « I forgot » faiblard. « Take your shower and hurry to May’s, fucktard. Les naseaux du père frémirent. Smells like wet dog here. »
yesterday, 11pm –
fuck it
was it a one time thing or ?...

today, 7:35am –
hope not.
— sam. 4 juillet / west savannah, tybee island
« Gimme the wrench. » Allongé sous l’évier de la cuisine, il bricolait adroitement un tuyau défaillant et de l’extérieur, seule une partie de son torse dépassait du meuble bas. Il s’esquintait le dos, vautré comme il était, à suer à grosses gouttes dans cet espace étriqué où ne circulait plus l’air, compte-tenu de la moiteur infernale d’un été trop chaud. Ça puait l’humidité, la moisissure, le renfermé, et il s’échinait à réparer ce bordel pour la simple et bonne raison qu’on lui foutait la paix dès lors qu’on le voyait monter ou casser des trucs, son impressionnante caisse à outils à ses côtés, Sadie roupillant pas loin (à défaut de monter la garde) – et Jesse, qui s’emmerdait ferme sur la table. La maison fourmillait de Farrow, comme il était de coutume pour la fête nationale, et un de ces connards avaient niqué l’évier en milieu de matinée.
Sid abhorrait – ou redoutait – le 4 juillet. La famille se réunissait au grand complet, célébrant leur amour pour l’Amérique avec des casquettes MAGA vissées sur le crâne, les cousins apportaient des pétards, ils se bourraient la gueule dès onze heures du matin et généralement, les premiers esclandres éclataient aux alentours de midi. Ils ne célébraient aucune valeur et se tamponnaient le coquillard des feux d’artifice ou du fait que l’un des leurs avait servi sous la bannière étoilée pendant près d’une décennie. Rien à foutre que Sid se terre dans sa piaule, un casque anti-bruit sur les oreilles, à attendre que les festivités se taisent enfin. Au bout d’une heure de labeur, il demanda à son neveu d’ouvrir le robinet. « It works. Can we go now?Where?You told me we would go to the beach today. » Right. File te changer alors.

Le cul sur une serviette de plage, légèrement à l’écart, il observait le môme et Sadie chahuter dans l’eau en tirant sur une clope, une cannette de coca plantée dans le sable. La peau diaphane rosissait déjà, ses taches de rousseur plus apparentes que jamais, comme à chaque fois qu’il traînait trop longtemps au soleil. Jesse trottina jusqu’à lui, trempé, braillant qu’il avait faim maintenant. « Austin’s stupid anyway, il planta ses dents dans un beignet au Nutella. – He’s just older. He wants to see his friends. Doesn’t make him stupid.You told Quinn he was stupid the other day.I didn’t mean it. He just did a dumb thing. Happens. » Il parlait si peu à son frère que l’insulte n’en était que plus virulente — t’es con putain, voilà à quoi se résumaient leurs rares conversations. Qui plus est, Quinn était aux abonnés absents et personne n’avait daigné lui expliquer pourquoi. « Do you like Quinn as a brother? (Une pause. Il alluma une cigarette avec difficulté, le menton presque collé à sa clavicule, sa main en coupelle autour de la flamme malmenée par le vent marin.) – ‘Course I do, il secoua son briquet. He’s my brother. You like Austin.He’s mean to me sometimes.It’s a big brother thing. » L’estomac rempli, son neveu repartit à la charge, docilement suivi par Sadie (qui l’avait arrosé en se séchant). Sid reprit son bouquin, un Cormac McCarthy, les épaules désormais rouge vif.

Jesse reparut aussi vite qu’il s’était volatilisé – flanqué d’Alec. Les paupières papillonnèrent afin de s’assurer que le soleil et la chaleur n’avaient pas brouillé sa vision défaillante, mais il s’agissait bien de lui, plus bronzé encore qu’il y a quelques jours. Il se hissa sur ses jambes, perturbé, le cœur battant à tout rompre bien que son calme olympien n’en montrât rien. C’était plus facile de soutenir son regard lorsqu’ils étaient seuls — maintenant que les barrières érigées entre eux s’étaient effondrées, il avait l’impression d’avancer sur un champ miné, ignorant où poser le pied au risque que quelque chose lui explose à la figure. Jesse ne s’attarda pas, prêt à conquérir les vagues, « Sid, look ! » Il lui adressa un signe de la main et tendit un pouce en l’air. « How come you not talk with a nephew like that ?Ever crossed your mind that you talk more than the average? » L’ombre d’un demi-sourire réservé traversa son visage, ou fut-ce seulement la visière de sa casquette alors qu’il pivota. « I was thinking… Let’s lay all cards on the table. Tomorrow. No bullshit. » Impassible, il hocha la tête en guise de réponse, le regard vagabondant entre la surface de l’eau, où il repérait parfois la tête de Jesse, et le visage d’Alec. « Might not be the best moment ever because of, you know… the full moon. But you should come anyway. I need to get back to work, so hum, just let me know ? » Il lui rendit les effets du gamin, et pendant une seconde, ils retrouvèrent une intimité fugitive, trop brève à son goût. Au milieu de cet essaim bruyant, qu’étaient-ils sinon deux anonymes parmi d’autres, et aurait-on vraiment remarqué sa main presser le poignet de son vis-à-vis ? Sans doute pas, mais il ne courut pas un risque inutile. « Alright, » à un autre endroit, à un autre moment – dans une autre vie –, il ne l’aurait pas quitté ainsi, sans manifester la moindre émotion, bien que le regard apostrophât un instant la silhouette creusant une tranchée parmi les serviettes étalées sur le sable, les gosses survoltés et les badauds amassés près du rivage.
« Who is he? A friend. Nickie says you don't have any friends because you have a stick up your ass. » Sid réprima un ricanement avant d’ébouriffer le crâne trempé de son neveu, « What’s his name? Alec. – If he’s your friend then why doesn’t he come to the house? Quinn and Nickie’s friends are always around. Jax too. Quinn’s friends are weird though, » remarqua le gamin, songeur. « And Quinn’s girlfriend is rude. » Jesse embraya rapidement sur la fameuse Dee sans lui laisser le temps de répondre.

— dim. 5 juillet / thunderbolt
Cette fois-ci, il avait prétexté que Kitty l’avait appelé – et dans la foulée, il lui avait envoyé un texto afin qu’elle corrobore sa version si jamais Callum jouait aux inspecteurs du dimanche. À croire qu’il préférait monter ses rejetons les uns contre les autres plutôt que se satisfaire du semblant d’équilibre régnant entre eux. Un t-shirt blanc sur le dos, il pédala jusqu’au trailer park sans chercher à calmer l’impatience lui rongeant les jambes – toutefois, une pointe de panique subsistait au fond du ventre. Contrairement à une idée reçue, Sid n’était pas si con, et il avait une idée assez précise de l’entrevue qui se profilait sans pour autant s’y être préparé. Il ignorait où ils allaient – il ne s’était rien passé depuis la dernière fois, sinon quelques messages et l’épisode de la plage.
Il observait la piscine, sourcils froncés et bras croisés. Les Doors jouaient à l’intérieur, mais il n’arrivait pas à se concentrer sur autre chose que ces flamants roses décorant la pataugette. Il réceptionna machinalement la bière, une question au bord des lèvres, mais avant même qu’il amorce le « the hell are you gonna do with that », Alec l’avait devancé. « I’m sorry I said you weren’t worth the shit, you know I didn’t mean it. » À son tour, il cueillit une cigarette de son paquet, la pogne serrée autour de la canette fraîche. « It’s just… You can’t call me in the middle of the night to pick you up and blow me off the very next day, not to mention show up at my place with a fucking gun. » Le menton baissé, il embrasa le bout de la tige à l’aide d’un briquet agonisant tandis que se rejouait la scène dans un coin du crâne. La voiture de Quinn, les phares éclairant la silhouette d’Alec, le métal tiède contre ses reins – le sentiment d’aliénation. Encore aujourd’hui, il s’observait de loin, sans avoir l’impression d’avoir été en pleine possession de ses moyens cette nuit-là. Comme catapulté hors de son corps. « I like you. (Il se figea.) I don’t want to mess this shit up but I need to know where your head’s at. » La bouche était sèche. Alec était un livre ouvert – il avait appris à le connaître à travers les histoires interminables qu’il racontait, ouvrant parenthèse sur parenthèse, à évoquer une vie nomade, truffée d’imprévus et de rencontres improbables, ou une existence ne lui ressemblant plus – la sœur, la famille, le déracinement. Il l’avait écouté des heures durant, sans vraiment se lasser de ce quotidien jalonné d’épopées, bien loin du sien, presque emmerdant s’il comparait ces dernières années aux péripéties d’Alec. Il disait les choses – il les disait. Il n’avait jamais eu à deviner ce qui se tramait derrière son regard. « I don’t know where my head’s at, » il lâcha d’une voix blanche. L’ongle de son pouce râpait distraitement sa mandibule. Vérité aussi simple qu’insuffisante. Sid ne savait pas – ne savait jamais. Il se raccrochait à ce qui était tangible : Alec, la piscine gonflable, sa clope coincée entre ses doigts. « Sorry. » L’économie des mots, toujours. Il scrutait la moustiquaire de la porte, abîmée par endroit. « You, huh—, il trébuchait sur les mots, et l’agacement que ses propres bégaiements provoquaient le décidèrent à se taire plutôt que s’enliser dans des justifications qui n’en étaient pas – ou ne cherchaient pas à en être. De dépit, il se massa la nuque, I shouldn’t have done that. » Il répétait les baragouinages confus de ses neveux interrompus en plein méfait et n’en menait pas large – merde, il avait conduit jusqu’ici, armé. Un pilote automatique s’était enclenché jusqu’à ce qu’il croise les prunelles furibondes d’Alec, à moitié vautré sur le capot de la bagnole. Il avait compris à ce moment, quand la déception s’était mêlée à la colère, quand la pupille avait bouffé l’intégralité de l’iris, que toutes les excuses du monde ne laveraient pas l’affront commis. Sidney avait des choses à dire – il ignorait juste comment. Sans doute parce que personne n’accordait véritablement d’importance aux mots, chez lui. Les rats sous-éduqués ne communiquaient pas leurs sentiments – les infamies se réglaient à coup de carabine, les provocations répondaient à d’autres provocations et à la fin de la journée, les querelles anodines du matin s’étaient muées en violentes altercations, parfois armées. Il avait déjà vu ses aïeux, le fusil à l’épaule, se fixer dans le blanc des yeux en attendant que l’autre baisse sa garde, ou même son père pointer un canon de flingue sur le visage décharné de son frangin. Et à son tour, il avait menacé Quinn – avec son Colt 1911 fétiche, récupéré par Callum après son incarcération. « I feel better when you’re around. That’s one thing I know. » Les billes s’accrochèrent au visage du lycan puis retombèrent par terre, là où la cendre de sa cigarette s’était écrasée. Il n’avait pas bu une seule gorgée de bière depuis son arrivée. « Don’t go near the refuge tonight. Tell your friends. Ain’t safe. » Il fixait un point imaginaire, quelque part au-dessus de l’épaule d’Alec, conscient que cet avertissement laconique était un acte de trahison vis-à-vis du clan. Ça faisait déjà quelques semaines que les siens reprenaient du poil de la bête – ils renouaient avec les habitudes d’antan et parcouraient le voisinage en caisse, le moteur ronronnant et les phares éteints, à l’affût de cabots errants. « Call me if you need to. » Il reposa la canette encore pleine et frotta sa main contre son jean troué au genou. À peine la semelle de sa pompe se posa-t-elle sur la première marche de la terrasse qu’il rebroussa chemin, ou du moins, le pauvre mètre le séparant d’Alec, le cul enfoncé dans son fauteuil pliant, et conclut la conversation d’un baiser gauche au coin des lèvres, à l’image de sa réserve. Ça suffirait pour le moment. Le cœur tambourinant, il se retrouva sur la selle de son vélo avec une sensation d’inachevé – sûrement les réponses, encore, qu’il n’était pas en mesure d’offrir.

— lun. 6 juillet / thunderbolt
« Oh c’mon, » Jax posa la carabine sur une table où s’amoncelaient des boîtes de munitions tandis qu’à deux mètres de là, des bouchons d’oreille fluo plantés dans les esgourdes, Sid terminait d’abattre ses cibles – des silhouettes métalliques éparpillées sur une parcelle de terrain vague au beau milieu de bidons et de parpaings. Les tirs étaient habiles, d’une précision dérangeante, lorsqu’on s’amusait à compter les impacts de balle. En théorie, il n’était plus autorisé à se rendre dans un stand quelconque, encore moins s’adonner à des exercices d’entraînement. « Fuck, just tell me what’s going on. » Sid ôta ses lunettes de tir sans se séparer de son arme, qui avait rendu un semblant d’utilité à ses mains. « I was out. Stop fucking around, you take a twelve-hour nap on Sundays. You ain’t out. » Jax retira les cartouches de son fusil puis la casquette estampillée USMC, épongeant d’un revers de main le film de sueur moite qui lui collait au front. Il attrapa sa gourde, « listen, I know, alright, » une gorgée d’eau plus tard, sa voix parut plus claire, « it’s not… ils échangèrent un regard furtif, et sans avoir à en dire davantage, ils surent ce que ces paroles tâtonnantes suggéraient. Seulement, il y avait une différence entre les formuler, comme deux individus doués de langage, et les deviner, à l’instar de deux handicapés émotionnels préférant bomber le torse plutôt qu’avouer leurs troubles intérieurs. (Et Dieu qu’ils étaient nombreux.) Y’know. » Jax et Sid, ça remontait au vieux tapis dégueulasse sur lequel les posaient leurs mères avant de se vautrer sur le canapé avec un substitut de Margarita mal dosée. Couchés sur le dos ou à plat ventre, ils rampaient autour de leurs jouets et avant même d’être capables de parler, ils avaient inventé leur propre langue : des babillages, des sons, des gestes, formant une espèce de système sémiotique étrange. Depuis, le temps et les épreuves avaient achevé de vitrioler leurs rêves de gosses, et ils étaient exactement là où ils avaient espéré ne pas finir – au stand de tir que Callum leur avait fait découvrir dès qu’ils furent en âge d’accuser le recul d’une arme. Ils avaient engendré une descendance à leur tour, côtoyaient les mêmes imbéciles, et malgré tout, certaines choses demeuraient indicibles. « I’m seeing someone, il posa le rifle. – There you go. Fucking is the only excuse to be out on a Sunday. Alright, Jax lui tendit son briquet. Do I know the unlucky motherfucker? Nope.Heh. I’m curious now, I wanna meet whoever is able to put up with your sorry ass. »

Jax eut beau insister, il se tapa les kilomètres nécessaires à vélo vers Thunberbolt — le trajet était devenu si familier qu’il prêtait de moins en moins attention aux possibles dangers de la route. L’après-midi touchait à sa fin, et les badauds rentraient du boulot. Il avait sanglé un carton de taille moyenne sur le porte-bagages, un ventilateur qu’il avait récupéré à la va-vite avant de partir au stand de tir. Il n’avait pas annoncé son arrivée et ça lui parut un peu con de se pointer à l’improviste, le lendemain d’une pleine lune — toutefois, il n’était pas moins humain que son prochain, et l’attente insoutenable entre leurs réunions éphémères, presque volées tant elles étaient courtes, l’avait poussé à prendre une initiative spontanée. Histoire d’échanger les rôles. Le mobile-home était silencieux mais la porte entrebâillée de la chambre donnait sur une masse amorphe, étendue sur le lit.
Il s’était habitué à ce décor sobre et à ces quelques mètres carrés. Il enclencha la cafetière et laissa sa curiosité le guider vers les quelques bouquins d’Alec. Il tira un exemplaire au hasard, parcourut la quatrième de couverture. Sa vision déclinait. À une époque, il était capable de percevoir une ombre d’enfant au beau milieu d’une tempête de sable – désormais, il relisait la même ligne trois fois en plissant les yeux et songeait à se procurer ces lunettes de lecture à quinze dollars qu’il avait aperçues à Target, sans savoir si elles parviendraient à améliorer quoique ce soit. Au moins, peut-être lui éviteraient-ils les infâmes migraines qui lui sciaient le crâne en deux. Il replaça correctement le livre sur l’étagère et revint sur ses pas pour déballer le ventilateur made in Target. Il n’aurait même pas eu à débourser ces pauvres vingt dollars s’il en était remis à l’expertise de ses cousins véreux – voire de son beau-frère –, qui planquaient dans leurs garages une tonne d’objets volés ou reconditionnés au beau milieu de toutes les conneries obtenues grâce à des coupons. Chez lui aussi, ça servait à entreposer tout ce que Jean achetait en gros – des packs familiaux par quinzaine, allant de vulgaires denrées alimentaires aux lessives alignées les unes à côté des autres. Pas besoin d’être un as du bricolage non plus avec ce ventilo. Il perçut du mouvement provenant de la chambre, le froissement d’un couverture.
Putain qu’il se sentait con.
« Hey, » il posa une tasse de café à côté du lit, et une fesse sur le bord du matelas. Son genou gigotait nerveusement. « Hope you don’t mind, I just— » la main affublée d’une orthèse à scratch, il grattait distraitement le creux de son bras. « You alright? » Le bourrage de crâne l’avait contraint à penser ces êtres comme monstrueux, mais tandis qu’il examinait un Alec passablement ensuqué, les remords chevillés à l’âme, il ne remarqua aucune différence entre sa propre fatigue et celle de son voisin.
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Alec Musgrave
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MessageSujet: Re: my eyes have seen you, free from disguise. (acid#3)   my eyes have seen you, free from disguise. (acid#3) EmptyMar 15 Déc - 23:26


— lun. 6 juillet / thunderbolt
Le ronronnement d’une machine à café l’extirpa d’un sommeil sans rêve — qui aurait aussi bien pu ne pas exister, tant il était crevé —, le propulsa dans une réalité confuse où se perdait toute notion de temps et de lieu, mêlé à la surprise de ne pas être seul. Le matelas bougea à peine lorsque Sid s’y installa. « Hey, » Ouvrant un œil sur la silhouette le surplombant, il replaça lentement le contexte de cette journée interminable sans parvenir à déterminer l’heure qu’il était — le radio réveil à côté de son lit était mort depuis longtemps, mais des restes de jour s’infiltraient encore à travers les rideaux. Ses souvenirs de la veille semblaient remonter à une éternité. L’avertissement fumeux de Sidney, balayé par le baiser gauche et inattendu délivré en guise de réponse à ses interrogations maladroites. Don’t go near the refuge tonight. Tell your friends. Ain’t safe. Il n’avait rien dit à personne, car où seraient-ils allés sinon là-bas ? Qu’aurait-il eu à répondre aux évidentes questions qui en découleraient, qu’est-ce que tu sais, qui t’as dit ça, bordel, et où veux-tu qu’on aille ? Il ne s’était rien passé, cette nuit-là. Rien que les sons et les odeurs et les présences vagues de ses congénères à ses côtés, dans un débordement de sensations à la fois grossières et riches de mille détails. Le jour s’était levé, la meute s’était rhabillée en silence, par gestes lents, empesés par les efforts de la nuit — et après ça, le brouillard. Une suite suffocante d’heures où, à la manière d’un zombie rôtissant sous un soleil implacable, il était allé bosser, répondant aux demandes des clients avec la vivacité d’une huître. Deux (ou trois) comprimés de Dexedrine fondus contre ses joues l’avaient maintenu dans un éveil approximatif, un Oxy l’avait expédié dans les limbes après une douche interminable, et qui sait  combien de temps il aurait écrasé sans la présence de Sid. Il était revenu, sanglé d’une retenue poignante, et ça valait bien tous les mots — ça suffisait, bien sûr que ça suffisait. « Sorry, I wasn’t expecting you. » Alec remua péniblement, une paume lasse glissant sur son visage, le corps pareil à une enclume enlisée dans un sol meuble. Les lunes avaient beau devenir plus tolérables au fil des ans, le temps et l’expérience réduisant de peu les douleurs liées aux transformations, les lendemains n’en demeuraient pas moins éreintants et lui laissaient toujours l’impression d’être passé sous un bus au cours de la nuit. « Hope you don’t mind, I just— - I don’t, of course I don’t. » Il se redressa sur un coude, aperçut la tasse de café. L’attention lui fit l’effet d’un instant de grâce. « You alright? Il coula vers lui un regard étrange, chargé d’une émotion mal contenue. Nothing I can’t handle. You ? » Il désigna son bras d’un geste du menton, palpa les contours rigides de l’attelle et, d’une pression au creux du coude, l’attira à lui en l'entraînant dans une chute languide. Une chaume rugueuse lui écorcha les lèvres lorsqu’il effleura les siennes et se laissa glisser le long de sa mâchoire, vaincu par une ferveur vieille comme le monde. « You smell like gunpowder. » Le nez contre son cou, il coula une main sur son torse et respira l’odeur sulfurique émanant de sa peau, des relents de métal chauffé et de rouille rappelant bizarrement le goût et l’odeur du sang. « Since you’re here, » sous ses doigts, ses côtes se déclinaient en une myriade d’indentations aux bords émoussés. Sa fatigue disparut, céda la place à une vague de chaleur familière à mesure que son flanc se dessinait sous sa paume, jusqu’à la dépression de l’aine creusée par les muscles de son ventre. « I know what you could use your time for. We’ll do with your splint, » qu’il ajoute, un rire coincé derrière les cordes vocales.
Tout ce temps passé à se demander ce que c’était, ce que ça voulait dire. La réponse coulait contre leurs peaux, indifférente à la descente du soleil et à la montée de la lune, si ronde qu’elle en paraissait encore pleine.

— mer. 22 juillet / thunderbolt
« You have a pool! » Jesse avait presque arraché le casque de sa tête en sautant de son vélo, qu’il avait laissé sur place, couché sur le côté, et s’était précipité ventre à terre vers la pataugeoire remplie d’eau. Elle était à peine fraiche, mais le gamin avait ôté son t-shirt moite de sueur et s’était jeté dedans avec bonheur. Sidney l’avait déposé en vitesse, délivré des consignes que Jesse n’avait pas écoutées, et à peine avait-il eu le temps de lui demander si ça allait que l’autre repartait, sa réponse se perdant dans les appels enjoués de son neveu.
La langueur ouatée d’un jour sans fin. Echo and The Bunnyman, s’élevant d’une enceinte portable posée derrière eux. Le bazar plein de vie dispersé un peu partout dans le sillage du môme. Le gazouillis d’une conversation allègre, les méfaits des cours d’école racontés sur un ton bravache, que l’on ne se permettait qu’en présence d’un adulte extérieur à la famille. Et la litanie des questions pleines d’étonnement, jaillissant d’une source de curiosité apparemment inépuisable. Les fesses dans l’eau, la bouche pleine de gâteaux, Jesse voulait tout savoir, tout comprendre, s’enquérait autant de son enfance que des villes qu’Alec avait vues, traversées, des personnes rencontrées au fil de ses pérégrinations, à la manière candide et joyeuse des mômes à qui l’on conte une histoire qui finit bien. Il avait cette façon comique de répéter le nom de chaque ville comme pour en savourer la nouveauté sur sa langue, les yeux brillants comme des zircons. Alec s’en tenait au meilleur, quitte à faire miroiter une réalité inexistante — mais l’enfance n’était-elle pas faite des rêves tombés des lèvres des adultes ? Nombre d’épisodes disparurent dans son silence ; les souterrains sordides sillonnés du temps de New-York, à hanter les fights illégaux et les bas-fonds de la ville pour gratter quelques malheureux dollars après la perte d’un énième boulot. Les nuits d’angoisse à veiller dans l’ombre d’un bâtiment désert en se demandant s’il verrait de nouveau le jour se lever. Reyes, les drogues de toutes les sortes et de toutes les couleurs, les descentes d’acide à s’en faire sauter le caisson. Son père, dont le souvenir terni par le temps conservait malgré tout les détails de la fin de sa misérable vie : les mains inertes sur les bras élimés de son fauteuil, les lunettes à oxygène, l’oeil hagard dans lequel ne brillait aucune lueur de reconnaissance lorsqu’il était enfin revenu, si longtemps après son départ. Un vieillard en train de se décatir aussi sûrement que les maisons fantômes entourant la baraque de son enfance, des vestiges de richesse agonisant sous les planches pourries des façades, trouées de fenêtres sombres derrière lesquelles plus personne ne vivait. Une vision terrible à vous flanquer la chair de poule, des années après.
Il regardait le gosse, et cette insouciance lui manquait. Sa propre enfance se déroulait au fil des anecdotes, des souvenirs pavés de nostalgie, car jamais plus il ne retrouverait cette confiance sans bornes à l’égard du monde et de la place qu’il y occuperait. Il entendait dans le babillage de Jesse ses propres tracasseries enfantines, le ramenant à une époque où ses plus gros problèmes se résumaient à la perspective de devoir copier les devoirs sur Sandy pour la troisième fois consécutive, ou de savoir si Ruth le laisserait aller au goûter d’anniversaire de Mason le week-end suivant, bien qu’il eût massacré ses plates bandes et manqué de tuer le chat à deux reprises —Joey, ce gros sac— en conduisant le tracteur tondeuse sans en avoir eu la permission. C’était un temps où Warren entamait tout juste son déclin dans cette Rust Belt à l’agonie, le temps des pelouses vertes, des aciéries pleines de promesses et des clôtures blanches, éclatantes comme des sourires de politiciens — celui de l’indolence et des goûters d’anniversaire. Ruth, étrillée par la séduisante perspective de faire valoir ses talents de cuisinière, les avait finalement accompagnés chez Mason. La moitié des élèves de son école étaient présents, accompagnés de leurs mères, des copies de copies de femmes au foyer aux bras chargés de cookies, des sourires postiches étirant leurs lèvres maquillées. Il y avait eu des ballons, une quantité absurde de cadeaux pour un gamin aussi chiant que Mase, et même un château gonflable, de ceux dans lesquels une nuée de moutards en sueur se ruaient en hurlant à s’en casser la voix, jusqu’à ce que quelqu’un finisse inévitablement par se fouler une cheville. Il n’avait aucune idée de ce qu’il était, alors, et son avenir ressemblait encore, à quelques variations près, à celui de tous les gamins présents à cette fête. Une scolarité sans éclat dans les mêmes établissements que leurs parents, des conneries adolescentes qui resteraient gravées dans la mémoire des adultes désenchantés qu’ils seraient voués à devenir, et un billet sans retour pour n’importe-où-ailleurs-qu’ici, car les usines fermaient, la ville se vidait, et tout ce que Warren comptait de jeunesse pleine d’espoir décanillait de ce trou où rien ne leur permettrait jamais de rembourser leurs dettes étudiantes. Aujourd’hui, la ville ne pouvait se targuer d’autre renommée que celle d’avoir vu naître Dave Grohl, à supposer que quelqu’un quelque part en ait eu un jour quelque chose à foutre. Mais bon, qu’est-ce qu’il en savait. Rien ne s’était passé de cette façon, et ces horizons insipides ne valaient pas un clou une fois qu’on les comparait à la tournure réelle des événements.
Quand même, cette insouciance lui manquait, lui manquerait toujours. « You’re not listening to me, » Jesse s’impatientait, un soupçon de reproche dans la voix. Ses sourcils se fronçaient drôlement sous le rebord de sa casquette délavée. « Sorry bud’, you know what we should do ?What ?Boats.How ?! » C’était curieux, les choses qui vous amenaient à repenser votre vie, à y chercher un sens inexistant, des explications que personne ne serait en mesure de vous donner. Plier des bateaux en papier, remplir une piscine gonflable, rencontrer la sœur ou le neveu de quelqu’un quand les vôtres étaient si loin, depuis si longtemps. Absorbé par la confection de ses bateaux, il écoutait Jesse raconter la vie et les aventures de leurs occupants imaginaires lorsqu’un véhicule s’arrêta devant chez lui, et quand Sid et sa sœur en descendirent, une flotte d’une trentaine de petits navires jonchait le sol de la terrasse et filait jusqu’à l’intérieur du mobile home. Jesse bondit sur ses pieds et cueillit sa mère à la volée. « Mom ! Look, we built boats! » Il se redressa, dégagea une mèche de son front, surpris par la présence de Kitty. Son regard s’attarda sur Sid, sans qu’il osât lui adresser autre chose qu’un sourire éloquent. « Waw, really ? Hi, Kitty, » Elle avait les cheveux d’une couleur indéfinissable, plus longs que la dernière fois qu’il l’avait aperçue, perchée sur la scène de ce bouge infecte dont il ne se souvenait plus du nom. Elle retira ses lunettes de soleil et osa un sourire prudent, lui donnant l’impression fugace de passer au scanner. « Alec. » Une lueur indéfinissable brilla au fond de son regard. Toute velléité de conversation mourut dans le bavardage du môme, qui déballait son après-midi comme s’il craignait que le temps lui fût compté, ou qu’on lui ôtât les mots de la bouche, s’adressant tantôt à sa mère, tantôt à son oncle, levant parfois le regard vers Alec dans l’attente d’une confirmation de sa part. « Jesse slow down. Take your stuff, we need to go.Will we come back ?I don’t know honey, c’mon pack your things, don’t make me repeat it. Le gamin haussa une épaule et partit rassembler ses affaires. Alec le vit fourrer deux bateaux dans son sac à dos avant de caler son casque sous le bras. Thanks for watching him, I mean it. Un geste de la main. It’s nothing.Sid, you coming ? »

Ils auraient pu être ailleurs, dans une autre dimension, qu’Alec ne se serait pas senti plus changé. Métaphoriquement, il évoluait dans une réalité parallèle où les six misérables mètres carrés de sa piaule s’érigeaient en point de chute prédéterminé d’un quotidien jalonné d’habitudes aussi nouvelles qu’euphorisantes — le sexe à toute heure du jour et de la nuit, une main passée dans le dos, sur la nuque, l’envie d’y laisser traîner les lèvres, de semer quelque connerie à son oreille, lui arracher un fuck off qu’un sourire en coin démentirai. Une routine naissante — un pied de nez inattendu à sa solitude chronique. Il se prenait la tête pour des questions triviales et restait encore surpris lorsque son regard tombait sur la deuxième brosse à dents, ou sur un t-shirt oublié sur le dossier d’une chaise. Mais Sid n’était pas difficile, se satisfaisait de peu. Il ne semait pas de bordel, n’empiétait qu’à peine sur son espace personnel, et le simple confort de sa présence valait bien les maigres désagréments qu'amenaient ce semblant de vie commune.
La nuit était déjà là depuis longtemps lorsqu’il s’était levé du lit — un fatras de draps froissés ne tenant plus au matelas que par un coin, le reste se répandant sur le sol au milieu des fringues tirées à la hâte. Deux steaks frémissaient dans le fond d’une poêle. Il avait ouvert toutes les fenêtres à défaut de pouvoir enclencher une hotte digne de ce nom, et l’air balayé par le ventilo flambant neuf dispersait laborieusement les odeurs de bouffe. (Il s’était marré, en découvrant l’engin trônant dans la pièce, deux semaines plus tôt.) « You can say I talk more than the average but fuck, your nephew’s the worst. » Assis sur une chaise, une jambe tendue devant lui, Sid massait distraitement un genou en bouquinant. « He worships you so much. He couldn’t stop talking about how amazing his uncle Sid was — he’s a nice kid, though, your sister’s lucky. » Sa main balaya l’intérieur d’un placard à la recherche du poivre — il écarta un paquet de galettes de riz, que seul Farrow savait apprécier ; Alec n’en démordait pas, ce truc infâme avait une texture de papier mâché, de la bouffe de ruminant. Il récupéra le moulin à poivre, retourna les steaks en évitant les projections de gras qui explosèrent dans la manœuvre. « Sally called yesterday, for the second time this week. She’s not doing so fine. Asked me again when I’d come to see her. » Elle avait appelé pour prendre de ses nouvelles, mais quelque chose dans le ton de sa voix avait laissé entendre qu’elle appelait davantage pour elle-même que pour s’inquiéter de lui. Une drôle de tristesse trahie par des questions quasi neurasthéniques, des réponses évasives lorsqu’il l’interrogeait en retour : David était parti à Zagreb la semaine dernière, Teddy allait bien, oui, le resto aussi, c’était gentil de demander, et elle ? Non, ça allait aussi. Évidemment que ça allait, malgré qu’elle se sente plus seule que jamais après sa dernière visite à sa mère, malgré l’épuisement du boulot, des rencontres avec des commerciaux qui ne comprenaient rien à rien à la cuisine gastro, ou des demandes d’interview redondantes qu’elle continuait de recevoir, plusieurs semaines après l’acquisition de son étoile. Toutes ces choses qu’elle n’avait fait que sous-entendre tout en trouvant la façon de détourner les efforts de son frère pour approfondir la question, cette manière bien à elle de ne jamais vouloir trop en dire, ou d’avoir l’air de s’apitoyer sur son sort. Il savait comment elle raisonnait. Sally estimait que sa vie était tout ce qu’elle avait toujours voulu, ce à quoi beaucoup aspiraient, et elle y était parvenue : qui était-elle pour oser être malheureuse. Quel genre de sentiment d’ingratitude la saisissait lorsqu’elle osait se plaindre d’un problème qui devait paraître futile aux oreilles de ceux pour qui la vie était loin d’être aussi tendre qu’avec elle ? La conversation avait duré près d’une heure, ils avaient plaisanté sur des choses et d’autres, le nom de Sid était sorti à un moment donné, elle était contente qu’il ait quelqu’un, depuis le temps ; et après quelques questions plus vives (combien de temps ? A quoi il ressemble ? Qu’est-ce qu’il fait ?), un bruit de chute et les pleurs d’un gamin avaient mis fin à l’échange. Call me soon, alright ? I miss you, asshole. Il picora dans un paquet d’amandes grillées que Sid avait laissé traîner sur la table, sondant le malaise qui persistait en lui depuis l’appel. Les steaks glissèrent dans deux assiettes, qu’il déposa devant Sid. Il jeta deux couverts dans la salade improvisée et s’assit, regrettant de ne pas avoir pris le temps d’en griller une avant. « By the way, will you be around tomorrow ? Josh’s putting me to work till late, but I can leave the trailer open. Or you could keep the spare key, if you want. » Une question de pure forme qui ne lui épargna pas pour autant la sensation d’avoir glissé en terrain accidenté. « Standing offer for whenever, il conclut, et embraya après un court délai de réflexion. Where were you this afternoon ? »
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Sidney Farrow
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MessageSujet: Re: my eyes have seen you, free from disguise. (acid#3)   my eyes have seen you, free from disguise. (acid#3) EmptyDim 20 Déc - 20:40

— lundi 6 juillet / thunderbolt
« Nothing I can’t handle. You ? » Il suivit du regard les doigts qui tâtèrent la sangle transversale entourant son pouce, « s’alright. » Tu parles – sa main gauche avait trop souffert de ses conneries. Cassée pendant l’enfance, fracturée à l’adolescence, coupée en Afghanistan, récemment pulvérisée sous la semelle dégueulasse d’un cabot de mauvais poil et broyée dans la poigne puissante d’Alec : c’était à se demander comment ses phalanges n’avaient pas été réduites en poussière depuis le temps. La première fois, il avait sept ans, et le médecin s’occupant de son plâtre lui avait assuré que les os brisés devenaient plus solides. Aujourd’hui, il redoutait ce qu’une radio révélerait. En l’accompagnant chercher une énième attelle, Nickie s’était fendue d’un commentaire qu’il avait jugé préférable d’ignorer, « you gon’ lose that hand at some point », et elle avait promené ses fesses entre les rayons, comme une gamine se baladerait dans une boutique de bonbons pendant qu’il récupérait une prescription. Il pressentit la suite des évènements dès qu’un éclair espiègle traversa furtivement le regard d’Alec et prévint sa chute – ce qu’il faut pour ne pas s’écraser mollement sur le mauvais bras. La bulle se reformait alors, d’autres murailles s'érigeaient alors qu’il s’agissait seulement d’une étreinte, les préservant du reste – de la réalité, plus terrible à l’extérieur qu’ici, entre ces quatre murs trop rapprochés. Les doigts en mesure de remuer se frayèrent un chemin jusqu’à son cou, effleurèrent la mandibule râpeuse, se suspendirent un instant. « You smell like gunpowder. » Bonne ou mauvaise chose, il aurait été incapable de tirer une conclusion quelconque du commentaire – les armes, l’odeur qu’un humain lambda n’aurait pas remarquée, cette observation dont il ignorait la teneur, les armes encore. Sidney se repérait à peu : un sillage de tabac froid, gel douche bon marché, poudre, sang, spleen et idées inquiétantes. Les naseaux frémirent dans le creux de son cou, et plus bas, l’une de ses chevilles s’échinait à virer une pompe récalcitrante. « Since you’re here, I know what you could use your time for, une main tiède coula sous l’élastique détendue du survêtement. We’ll do with your splint. » Il acheva de lui grimper dessus, le surplombant d’une hauteur moindre. « Ain’t you sore enough? » Visiblement pas – et il ne s’en plaindrait pas. Le t-shirt passa par-dessus sa tête. Tant pis pour le café.

— mercredi 22 juillet / thunderbolt, ralph h. johnson va medical center
Les enculés.
Il raccrocha et écrasa son mégot dans un cendrier. Onze heures vingt-huit, indiquait l’horloge digitale du four. Les Veterans Affairs avaient le don de lui plomber l’humeur, surtout lorsqu’ils l’appelaient après des mois de « it might take some time » pour lui annoncer qu’un créneau avec l’orl s’était libéré, qu’on l’attendait à seize heures trente, et il nous faudra tel papier aussi, merci au revoir. Il était supposé garder Jesse aujourd’hui. Le gamin traînait dans les pattes de sa grand-mère, qu’il aidait à plier le linge de la semaine avec une bénévolence certainement pas héritée de son géniteur. La semaine dernière, on l’avait licencié – trop de personnel, pas assez de moyens, la rumeur courait depuis assez longtemps pour qu’il se prépare à l’éventualité de plier bagages et réclamer ses allocs. C’était un collègue qui avait lâché le morceau au cours d’une pause clope, tard le soir – fait chier, fait chier, il avait répété en triturant son filtre, j’ai des mômes, une pension alimentaire, t’as des mômes, il avait répondu que non. Une fois son casier vidé, il avait appelé Marcus pour un boulot au noir sur l’un de ses chantiers, à l’entrée de Tybee Island. De quoi tenir l’été, et il aviserait. Callum n’avait pas réagi mais moins de cinq minutes plus tard, s’était mis à râler contre ce système de merde. Il traversa le rez-de-chaussée et appela son neveu, qui se hâta de trottiner à sa rencontre, loin des esgourdes curieuses de Jean. « I gotta do something and you can’t come with me so I’ll drop you off at Alec’s for the afternoon, okay? » Le petit fronça les sourcils avant de replacer le fameux Alec – oh le grand type tatoué de Target, de la plage. Curieux à l’idée de découvrir l’énergumène de plus près – un ami de Sid, soit une espèce en voie d’extinction –, le gamin ne protesta pas, au contraire, sa journée prenait une tournure inattendue et donc excitante.

« I’m coming back with Mom around 6. Jesse? You have a pool! » Whatever. Il aurait pu lui crier qu’il retournait à la guerre et ne reviendrait probablement pas cette fois que le gosse aurait à peine réagi, fasciné par cette foutue pataugeoire jurant avec le décor alentour. Il avait dépassé la taille limite mais qu’à cela ne se tienne, Jesse se contentait d’un rien – et il avait eu raison de l’obliger à glisser un short de bain dans ses affaires. Il s’empressa de décoller s’il souhaitait arriver à l’heure, pédalant à toute berzingue dans les rues de Savannah, à emprunter mille et un raccourcis – des zones piétonnes aux bords de route où il dépassait des files de bouchons –, avant de voir s’élever au loin l’imposant Ralph H. Johnson VA Medical Center. La bannière étoilée flottait lourdement du haut de son mât, alanguie par la chaleur. Il suait sous son t-shirt. Un antivol à la main, il rangea la bicyclette en tête-bêche sur un râtelier, vérifia une dernière fois qu’il avait embarqué la paperasse nécessaire en plongeant une main impatiente dans son Eastpak puis s’engouffra à l’intérieur d’un hall climatisé. Le souffle d’air frais manqua de le surprendre. Comme d’habitude, il se présenta à l’accueil ; attrapa un papier ; attendit sur un siège en plastique ; se rongeait l’ongle à défaut de cloper ; passa à l’autre ongle quand il n’y eut pus rien à grignoter ; s’acharna sur un cuticule ; réalisa que son pouce saignait ; merde ; enveloppa la minable blessure dans un mouchoir en papier ; fouilla son sac à dos, parce qu’il gardait une véritable trousse à pharmacie étant donné que Jesse se cassait la gueule partout où il allait ; remplaça le kleenex par un pansement Ant-Man, rouge vif, terriblement remarquable. On l’appela avant qu’une autre idée autodestructrice germe dans son esprit. Étage machin, escalier truc, porte numéro quelque chose.

Le spécialiste avait d’abord examiné son oreille avec plusieurs instruments et, assis comme il était, les pieds dans le vide, les mains agrippées sur le rebord du matelas noir couvert d’un drap en ouate, il avait l’impression d’être un môme en pleine visite médicale – impression qui n’était pas forcément si éloignée de la réalité, alors que se dressaient face à lui des affiches sur l’appareil auditif, les différents canaux internes, des profils humains évidés, parcourus de lignes rouges, roses, oranges, légendées pour la clarté. Il avait du mal à lire de loin mais les annotations, même les plus indéchiffrables, lui permettaient de se concentrer sur autre chose que les manipulations précautionneuses du toubib. Un homme d’une cinquantaine d’années, avec un crâne dégarni, tant et si bien qu’à la lumière du plafonnier, les cheveux grisonnants, probablement bruns à une autre époque, semblaient former une couronne pileuse autour d’une surface de chair lustrée. « Alright, » il lui fit signe de descendre et lui indiqua une espèce de renfoncement, au fond de la pièce – une cabine d’enregistrement. « You are going to put on headphones, and we are going to test both your ears with a few simple exercises. » Il s’exécuta sans mot dire, s’installa derrière une vitre de plexiglass, tandis que l’orl tirait la chaise se trouvant face à lui, de l’autre côté, avec ses feuilles et un stylo. D’abord, les deux oreilles – ensuite, la gauche, puis la droite. Des sons à écouter, des mots à répéter ; il avait déjà subi une batterie d’examens du genre, quelques années auparavant, au moment où son ouïe aurait pu être une raison d’invalidité. Il se souvenait qu’il avait flippé à l’idée d’être déchargé pour si peu – la chance avait dû lui sourire, car le professionnel avait jugé qu’il était en mesure de retourner sur le terrain. Les deux premières parties se déroulèrent sans encombre, même si une envie de fumer lui taraudait l’esprit. L’oreille droite, en revanche, ce fut une autre paire de manches. « Boat.Bet ?Please.Praise.Pants.Chance.Five. … spy? » Sans savoir pourquoi exactement, il avait l’intime conviction qu’aucun de ces mots n’était juste. Ses ongles s’enfonçaient à travers le tissu de son bas de survêtement, imprimant sur son genou cinq traces fines et distinctes. Malgré une contenance apparente, il perdait ses moyens, convaincu en son for intérieur que quelque chose ne se passait pas comme prévu – au début de l’exercice, le toubib avait acquiescé à plusieurs reprises, et les notes qu’il prenait étaient brèves. Maintenant qu’on touchait à son oreille défectueuse, il ne lâchait plus son stylo, ajoutait des commentaires, émargeait, fronçait les sourcils. « Okay Sidney, » ils avaient rejoint le bureau, à côté d’une fenêtre, derrière lequel les diplômes de grandes écoles étaient placardés contre le mur. « The capacities of your right ear have deteriorated. I think you like listening to music, for example? Do you turn it up when you can't hear?Sometimes. I try to listen with my left ear only.Okay. Do you shoot guns?At the shooting range, from time to time, but I have noise-cancelling headphones. » L’autre afficha une mine soucieuse, « I’d advise you to stop. See, you won’t likely go completely deaf but–Can it get worse? It could, actually. » Il lui indiqua l’adresse d’un cabinet d’audiologie du côté de South Garden, pianota sur son clavier d’ordinateur, délivra une ordonnance à présenter à une collègue dont il ne tarissait pas d’éloges. Encore des tunes à balancer dans les poches du complexe médico-pharmaceutique, au moment où son compte en banque agonisait et rechignait à lui cracher vingt dollars au distributeur.

Kitty clopait à côté de sa voiture, le nez en l’air. La jupe en jean révélait la blancheur des gambettes – les aînés n’étaient pas plus foncés qu’un cachet de codéine – et elle avait dû piquer son débardeur à Nickie. En l’apercevant, elle écrasa sa cigarette sous la semelle de sa vieille converse autrefois pourpre et s’installa derrière les volants, tandis qu’il rangeait son vélo dans la benne du pick-up. Du côté passager, il baissa la vitre. La caisse de sa sœur n’était plus de toute première jeunesse, et une odeur de menu Burger King avait imprégné l’habitacle. Un gobelet Starbucks, où quelqu’un avait griffonné « Kitty » en majuscules, avait été transformé en cendar à côté du levier. Elle avait pour habitude de jeter pêle-mêle ce qui l’encombrait devant sur les sièges arrière, à l’instar de ses fils, qui oubliaient la moitié de leurs affaires par terre. Un grigri pendouillait au rétroviseur – c’était un collier qu’il lui avait ramené d’une mission, parmi les cadeaux piochés dans un souk de Bagdad, qui s’appelait Safafeer si sa mémoire ne le trompait pas. Il aimait bien ces marchés – ils n’y allaient pas souvent, seulement pour des patrouilles, mais ne repartaient jamais les mains vides. Surtout Graves, dont la femme était couturière – il avait ramassé tellement d’étoffes que leur lieutenant lui avait dit de se calmer, que c’était pas le Black Friday. « What did they say? Not much. I’m meeting with an audiologist next month. » Il n’épilogua pas, et Kitty embraya immédiatement, « So, that Alec guy… sa sœur lui décocha une œillade amusée, par-dessus sa paire solaire. Et parce que c’était elle, il répondit à son sourire en coin. Right. Maybe you won't end up an old spinster after all. » Peut-être pas. Ils n’en étaient qu’aux débuts, aux balbutiements d’une histoire qui avait démarré des mois auparavant, sans que ni l’un ni l’autre ne se décide à outrepasser une frontière imaginaire – et plus il y songeait, plus il passait et repassait ce film jalonné de souvenirs futiles ou amers, moins il en voyait la cohérence. S’était-il réveillé un matin, les préjugés envolés, ou avait-il décidé qu’il serait une exception ; avait-il seulement ressenti une haine aussi virulente que celle de ses aînés, ou n’était-ce au contraire qu’une gangue d’intolérance fourrée dans le crâne, grossissant à mesure que les discours proférés se bousculaient à l’intérieur d’une caboche trop étroite. Il sortait des énormités plus grosses que lui, entendues sur Fox News ou dans les bouches d’un entourage pas plus éduqué, répétait les mêmes conneries sans vraiment chercher à réfléchir plus de deux minutes. Ils l’avaient lâché à des moments cruciaux de son existence, et le mépris qu’il nourrissait à l’égard d’étrangers qu’il ne connaissait ni d’Ève ni d’Adam se retournait maintenant contre ses proches. « Y’know, you should say something to Quinn and Nickie. So we can get our stories straight, » comme s’ils n’avaient pas déjà eu cette conversation. Silencieux, il se contentait de suivre le paysage défilant devant lui. « You heard Earl as well as I did, and you know he’s not the first person to say things like that.What’s your point? » Kitty insulta la voiture qui la précédait, pillant à temps au feu rouge. « Ain’t nothing wrong with you is what I’m saying. » Il aurait préféré parler d’une coloscopie ou en subir une. « ‘Cause Quinn would have this conversation, huh? He’s a dumb–Shut the fuck up Sid. » La réprimande s’abattit tel un couperet, et le ton avait monté d’un cran. « Quinn’s a kid. He doesn’t care about anything ‘cause it makes him feel safer. (Putain, la voilà psy maintenant.) He can’t rely on any of us. When you left–So now it’s my fault? » Elle leva les yeux au ciel, les mains cramponnées au volant comme si elle se retenait de lui en foutre une. « You just… elle se pinça les lèvres, you’re like Callum. Nothing he does is good enough, you act annoyed whenever he shows up and now obviously–Quinn’s immature.Why? Why do you think he’s immature? » Il n’avait pas la réponse, bien sûr, mais dans un élan de mauvaise foi le préservant d’une remise en question, il s’emporta à son tour, « why the fuck are we talking about Quinn? He’s a grown-up–He’s stuck to an age where it was easier for him. » Un ricanement aigre lui tomba des lèvres. « That's right, keep defending him and making excuses for him. » L’échange gagnait en intensité, flirtait avec les prémices d’une dispute qu’ils n’auraient pas dans cette voiture, ou tout du moins, ainsi l’entendait Kitty lorsqu’elle conclut sèchement, « I don’t wanna fight with you. »

Ils se garèrent devant le trailer d’Alec après avoir vaincu deux embouteillages. « Mom ! Look, we built boats! » Une flotte d’origamis encombrait la terrasse. Kitty dissimula son amertume derrière son masque de mère bienveillante. C’était le truc avec les mômes : prétendre que leurs œuvres surpassaient toutes les merveilles du monde, ouvrir de grands yeux ébahis devant un dessin aux traits grossiers ou le pot à crayon confectionné pendant un cours d’arts plastiques, leur assurer que oh moi je saurais pas faire ça. Une hypocrisie saine, pas méchante, voire nécessaire quand l’on considérait l’indifférence blessante de leur propre père, à qui ils avaient offert bon nombre de babioles en papier mâché pour Father’s Day ou Noël et qu’ils retrouvaient dans la benne à ordures, quelques jours après. « Waw, really ? Hi, Kitty. » Ils n’eurent pas l’occasion d’approfondir les présentations, interrompus par les incessants babillages de Jesse, tirant tour à tour sur son bras ou celui de sa mère, parlant d’Alec comme de son nouveau meilleur ami ou de la personne la plus importante que la Terre ait jamais portée, et on a fait ça, et Alec a fait ci, et après, et puis, et – il promenait ses phalanges sur sa nuque, hochant systématiquement la tête à chaque nouvelle péripétie, « really? » répétait-il en boucle. Cependant il était temps de rentrer, décréta sa cadette, au grand désarroi du bonhomme. « Sid, you coming ? » Le regard qu’il lui adressa lui suffit. (Le « good cuz the nanny's waiting to get laid » n’était pas tombé dans l’oreille d’un sourd.) « I wanna stay too.Nope little man, we gotta get home, » le môme grimpa à l’arrière, dépité. Le pick-up s’éloigna dans un crissement de pneus, et Farrow ramassa l’un des bateaux sans dissimuler un demi-sourire amusé. « I owe you one. » Il balaya les environs d’une œillade expéditive, à la recherche d’une autorisation imaginaire, et d’un geste timide, presque craintif, emporta entre ses doigts plusieurs mèches blondes qu’il replaça derrière l’oreille de leur propriétaire.

L'intimité était une chose étrange. Il avait investi les lieux à sa façon, discrètement, en semant derrière lui quelques objets sans valeur – une brosse à dents dans le gobelet d’Alec, une serviette suspendue à la porte, un bouquin en cours de lecture sur la table, des fragments de son quotidien dans un espace qu’il apprivoisait encore. Il avait bourlingué d’une communauté à une autre où le personnel se mélangeait à celui du voisin – la famille qui ne respectait pas les portes fermées, les frères d’armes désordonnés, le complexe carcéro-industriel où on chiait ensemble. Une parenthèse de deux ans au milieu de nulle part, Arkansas. Deux mois à s’habituer à un nouveau « chez lui », provoquant les moqueries attendries de Wayne, « it’s your house too » sans parvenir à le convaincre de la réalité des faits. Il avançait à tâtons, veillant à ne pas déranger les habitudes d’Alec, à ne pas empiéter sur ses plates-bandes. Il dormait mieux, c’était certain, sombrait au beau milieu d’un conciliabule nocturne, se réveillait un bras passé sur la masse sommeillant à ses côtés, les jambes enchevêtrées à d’autres. Du silence et du bruit, de la musique relayant leurs conversations triviales, et tout un putain d’univers se contenant dans ce mobile-home parce que c’était tout ce dont il avait besoin. C’était con de ne pas se lasser – de désirer avec une ardeur qui gommait quoi, cinq ans d’abstinence et de manières monacales, et s’il osait moins, il gagnait lentement en aisance. Frôlait la taille, la mane du bout des doigts, cherchait le contact de sa peau, et l’humeur, un peu meilleure qu’à l’accoutumée, se ressentait jusqu’à West Savannah.
L’air du soir était lourd. Il s’était levé pour un verre d’eau et n’avait pas résisté à l’appel de la nicotine, s’éclipsant momentanément à l’extérieur. La plante de son pied nu avait aplati deux bateaux en papier, les rares survivants jonchant encore les planches de la terrasse. Deux clopes plus tard, il avait repris The Road avec un café, le ventilateur orienté dans sa direction. Il cornait même les pages des livres de la bibliothèque. Suffisamment éloignés de lui, les paragraphes s’imprimaient sur la rétine, et une ridule concentrée creusait la glabelle. Il entendit Alec s’affairer près de la plaque de cuisson. « He worships you so much. He couldn’t stop talking about how amazing his uncle Sid was — he’s a nice kid, though, your sister’s lucky. » Il interrompit sa lecture et posa le bouquin à côté de sa tasse vide.  « His father’s a piece of shit, but she’s a great mom. » Le constat lui avait naturellement filé du gosier, mais il s’en tint à ce seul aveu, sans préciser qu’Ace Sinclair était un tocard de première qui hantait le paysage des Farrow depuis si longtemps qu’il imaginait mal le virer du tableau un jour. Jesse ressemblait davantage à Kitty – le même visage allongé, le même sourire d’angelot malicieux, les mêmes grimaces, mais par moment, il décelait les expressions de son père. De tous les enfants Farrow, Kitty était la seule à réussir là où ses aînés avaient échoué : c’était une bonne mère. Une bonne mère traînant ses propres casseroles si l’on chatouillait de trop près le traumatisme de la maternité. Et lui aussi aurait pu prétendre à ce compliment. Dix-huit berges et la jeunesse condamnée, un nourrisson braillard dans les bras alors que son acné se dissipait à peine. Les yeux dans le vague, le menton échoué contre un poing fermé, il écoutait d’une oreille ce qu’Alec racontait. « Sally called yesterday, for the second time this week. (Sally – sa sœur. Il l’avait transformée en note mentale. Sally – New York – neveu – cuisine.) She’s not doing so fine. Asked me again when I’d come to see her. » Un ange vola. « Shit. » Pas franchement la personne à égrener des conseils, le Farrow. La pause dura plus longtemps que nécessaire et il crut que répondre « why can’t you? » résoudrait le problème. Dans le sud, chez lui tout du moins, on ne tournait pas le dos à sa famille – on ne partait pas sur les routes en se contentant d’appels épisodiques lorsque les anniversaires ou les fêtes justifiaient le dérangement. Il avait toutefois compris que le frère et la sœur Musgrave étaient en bons termes, que c’était la faute aux trop nombreux kilomètres et à des styles de vie radicalement différents, qu’il n’y avait pas anguille sous roche. Il se rappelait le poids de l’absence des siens, une fois parti. Skypait souvent Kitty, et en 2008, tandis qu’il découvrait les bases américaines encerclant les provinces afghanes, il se réjouissait qu’elle lui dévoile son ventre enflé – il lui disait qu’il avait hâte de rentrer, qu’il rapporterait un truc pour le bébé, et apprendrait plus tard qu’Austin n’était pas d’Ace. « By the way, will you be around tomorrow ? Josh’s putting me to work till late, but I can leave the trailer open. Or you could keep the spare key, if you want. Standing offer for whenever. » Il coupa une partie du steak, en plein milieu – sa façon de dire qu’il ne finirait pas son assiette, une hésitation empruntée coincée au fond de l’estomac, que le morceau qu’il avala n’aida pas à faire passer. Il bossait aussi. Passerait sans doute une nuit ou deux chez lui. « Where were you this afternoon ? » Un haussement d’épaule. Les tatouages encombrant son torse suivirent le mouvement avant de reprendre leur forme initiale. « VA Clinic. It's in the area of Wilshire Estates, il précisa, bien que le détail soit futile. They called me out of the blue for an appointment I've been waiting for six fucking months. » Il embraya brièvement sur son oreille, en la pointant des dents de la fourchette mais ne s’appesantit pas. Pas forcément envie de se souvenir du jour où il avait cru passer l’arme à gauche. « I found work, might be busy ‘till Saturday. » La vie ne s’arrêtait pas au seuil du trailer – il lui faudrait montrer sa face à la maison, saluer Callum, trouver une excuse, et Ally lui avait dit, si tu manques la réunion de jeudi, tu vas en chier, Farrow, tu vas en chier.
Songeur, il fixait Alec engloutir le steak, détaillait ses traits, de peur qu’ils disparaissent un jour de sa mémoire, les mèches blondes rebelles que sa main recoiffait parfois en arrière, les pattes foncés se fondant avec la barbe mal rasée qui lui chauffait l’épiderme. Il leur était impossible de terminer la vaisselle sans sentir la main savonneuse d’Alec le taquiner, « stop it ». Ils partagèrent une clope dehors – et c’était ordinaire, si ordinaire que la tension amassée entre ses omoplates s’était volatilisée.
Dieu seul savait quelle heure il était. Dressé sur un coude, il promenait ses phalanges sur les lignes d’un tatouage ornant le pectoral du voisin. Ils avaient viré la couverture et rapproché le ventilateur. Pourquoi lui. Pourquoi c’était lui – le pouce s’égara sur la pulpe de ses lèvres – pourquoi pas un autre. Sid avait quelque chose d’indécelable, dans le fond du regard, comme s’il hésitait à confesser les mille et une vies vécues avant lui, mais à trop s’être tu, il ne trouvait plus les mots – et il effleurait, touchait, grignotait un lobe, le cou, l’épaule, s’en tenait aux banalités tombant sur l’oreiller que leurs profils se disputaient. Sans déroger à leurs règles tacites, il était attentif à ses anecdotes, à ses plaisanteries ensuquées, et certes, il était aussi présent qu’on puisse l’être – mais il faudrait apprendre, un jour, à se livrer à son tour plutôt que semer des informations d’une futilité consternante, qui n’élucidaient aucunement les ambigüités de son comportement.

— vendredi 31 juillet / west savannah, thunderbolt
Le trajet avait été silencieux – son père conduisait mal, et profitait de son mutisme pour lui rappeler des conneries passées. Mâchoire serrée, il répondait par monosyllabe, attisant les impatiences paternelles, « I’m talking to you.I’m listening. » Il se gara sur deux places, comme un salaud. Désormais, il plongeait la main dans sa poche et frôlait la clé que lui avait laissée Alec, « just in case », ou en pressait les dents contre son pouce.
Callum n’était toujours pas descendu de la voiture. La main sur le volant, il observait trois silhouettes que le soleil l’empêchait de voir correctement et plissait les yeux en baissant la monture de ses lunettes sur son nez. « Pops? » Sid se posta près de la vitre descendue puis jeta un œil par-dessus son épaule afin de comprendre ce qui obnubilait son père. Il coupa le contact, « I know ‘em, qu’il lança alors, sans cesser de fixer ces corps dépourvus de visages, they’re the ones who messed with us. » Son sang ne fit qu’un tour et bien qu’il vérifiât par automatisme, il savait qu’il pouvait seulement s’agir d’une poignée de potes d’Alec – il travaillait, aujourd’hui. Il commença à ronger l’intérieur de sa joue en surveillant attentivement l’expression revêche du pater, si abordé par ses pensées qu’il ne l’écoutait plus. Callum caressait distraitement la mouche poivre et sel qui avait poussé sous sa lèvre inférieure, « You’re being paranoid, » marmonna Sid, même s’il ne doutait pas de la mémoire de son père. Quand celui-ci prenait quelqu’un en grippe, les idées revanchardes le suivraient jusqu’à la tombe. « Am I now? » Il entendit une boîte à gants s’ouvrir et se refermer dans un claquement sec, devinant sans peine de quoi l’autre avait dû s’emparer, déterminé à laver l’affront d’une nuit dont personne ne se souviendrait. La fierté mal placée des Farrow ne connaissait aucune limite, et lorsque Callum se résolut à s’extraire du véhicule, mû par ses délires de vendetta personnels, le fils aîné bloqua son avant-bras, cachant aux yeux d’un quidam trop curieux le Sig fétiche de son vis-à-vis. « Are you fucking serious? Ain’t gonna shoot ‘em. Just wanna get a message across, damn it.That’s a bad idea.So Randy was right–Randy’s a dumb motherfucker and you’re no better right now. » Ses lèvres remuaient imperceptiblement, et il sifflait davantage entre ses dents qu’il causait, n’ayant cure des ombres menaçantes voilant les yeux clairs de son père. Il obtint gain de cause – le P320 disparut sous son t-shirt, calé entre ses reins, et ils prirent la direction opposée sans échanger le moindre mot. Et Sid comprit qu’il avait fait une connerie.
Au retour, en effet – ça se compliqua.

La crosse de l’arme de poing s’écrasa contre son visage avec une telle violence qu’il en perdit l’équilibre. La force de l’impact l’envoya valser contre la portière à peine refermée, et Callum l’empêcha de glisser en le harponnant par le col de son t-shirt, enrayant ses velléités de tentative de fuite. Ils rejouèrent une scène familière, survenue quelques temps auparavant, alors qu’il plaquait Quinn contre une bagnole pratiquement désossée, l’écume aux lèvres, à lui mollarder ses réprimandes hargneuses à la gueule. Les rôles s’étaient presque inversés, et le voilà les sinus pissant le sang, à fixer la tronche paternelle dans laquelle on retrouvait ses propres expressions. « Listen to me very carefully son, son père avait rapproché son visage marqué du sien, ses doigts pareils à des serres de rapace comprimant sa trachée, I don’t like what I’m hearing and I don’t like what I’m seeing. I don’t know what you think you’re doing but that ain’t about prison for sure. » Il observa une pause, et l’affrontement se passa de paroles – la défiance qu’ils nourrissaient l’un envers l’autre valdinguait entre leurs deux regards terriblement semblables dans un silence percutant, observé de loin par une Nickie abasourdie (ou l’était-elle, compte-tenu du nombre de fois où l’aîné de la fratrie avait essuyé une raclée). Un liquide poisseux lui coulait sur les lèvres. « Get the fuck off me, il marmonna, en enroulant ses phalanges endolories autour du poignet de son père. – Who the hell d’you think you are, huh? » Callum le secoua, et il en avait foutrement sa claque d’être relégué à ce rang de sous-merde dont on parlait comme s’il était toujours au front ou en prison, qu’il soit en face ou à un mètre de là. Son poing se serra, à la manière d’une arme qu’on charge, avant de s’ouvrir à nouveau, et il brisa l’emprise en tordant les doigts de Farrow père. Technique d’autodéfense de base, apprise et réapprise au cours de ses entraînements – utiliser sa main libre. L’autre étouffa un grognement et, dans un retournement de situation dont leur seule et unique spectatrice ne perdait pas une miette, le fils avait récupéré son avantage. Sid réfléchissait à peine. Ne comprenait pas pourquoi Callum se tortillait, parce qu’il lui cramponnait le bras, ni pourquoi Nickie finit par s’interposer, sortie de nulle part. N’entendit pas les « let him go! Sid! » aigus qu’elle glapissait, ses faux-ongles plantés dans son biceps. La pression se relâcha d’elle-même ; peut-être était-ce la lucidité, mais toutes les limites avaient été transgressées. Entre sa rage contrôlée et ses rêves de revanche fantasmés, il avait enfin osé saisir l’opportunité que ses peurs invétérées de gamin avaient fait capoter dix ans auparavant, quand lors de son retour, la main lourde sur l’alcool, il avait hésité à braquer le canon d’un fusil de chasse sur la tête de Callum. Il avait aussi songé à la lui fracasser sur la table de la cuisine. Il voulut reculer mais se heurta à la portière – les taches de sang maculant son t-shirt avaient pris une couleur rouille. Acculé, il ne put éviter le crochet traitre fendre l’air et sentit le contour d’une alliance s’imprimer sur sa pommette tandis qu’il partait sur le côté pour terminer sa pathétique trajectoire près d’un pneu arrière, à s’égratigner les paumes sur le gravier dégueulasse de l’allée, toussant et crachant sur ses jointures abîmées. Le pied de son père vint saluer ses côtes et lui rappela le goût de ses tripes et d’un café avalé plus tôt. « You fucking piece of shit… » Le souffle court (inexistant), il distingua simplement les pompes de sa sœur et du pater se livrer à une danse alambiquée dans son champ périphérique, à mesure qu’il tentait de recouvrer ses esprits. Nickie essayait vaille que vaille de retenir Callum, « please, stop, please– » Il se raccrocha à la poignée de la portière arrière et parvint à se relever, avec comme tout bouclier sa cadette, postée au milieu de ce ring improvisé. Une alliée inattendue, en la personne de sa chienne, se précipita mâchoire la première vers le chef du clan. Ses crocs se refermèrent sur son poignet, et le Sig tomba par terre – contre toute attente, la sandale de Nickie fit glisser l’arme sous la voiture. Sa sœur essaya de tirer le molosse en arrière avant qu’il intervienne à son tour, cadenassant ses bras autour du cou puissant du Rotweiller. Elle lui avait salement amoché la main. La morsure, plus superficielle que profonde, n’en demeurait pas moins impressionnante pour les spectateurs de la scène, et à en croire le regard furibond scannant les alentours, il cherchait le flingue histoire de coller une balle entre les deux yeux du clébard. « C’mon Pa, we have to disinfect this. » Un index tremblotant se pointa vers le fils aîné. « Get the fuck out of my sight, » les plis de son visage raviné frémissaient de fureur. « Take your fucking rabid dog and get the fuck out of here. » Il se rua à l’intérieur, hurlant à sa femme de sortir les compresses, ce putain de clebs m’a mordu Jean ! Sid bloqua Sadie contre lui. « Good girl, » il murmura, « that’s a good girl », il suffoquait, avalait des goulées d’air aussitôt expulsées par ses poumons, tomba sur les fesses. « I’m gonna bring you a towel, hang on–It’s okay, it’s nothing, il s’épongea la figure avec un pan de t-shirt. Can you drop me off at Thunderbolt? »

La porte et les fenêtres étaient fermées. Il enfonça la clé dans la serrure, ordonna à la chienne de rester dehors, inutilement par ailleurs vu qu’elle lapait l’eau de la barboteuse avec avidité. « Fuck, » il soupira. Il ne s’attarda pas sur son reflet hagard et s’aspergea le visage d’eau froide, virant le sang séché mais pas l’hématome qui s’était propagé sous son œil boursouflé. Des gouttes rouge pâle, presque saumon, diluées, disparurent dans le siphon. Il n’était pas plus présentable qu’à son arrivée lorsqu’il se posa sur les marches de la terrasse, une clope entre les dents. La truffe humide de Sadie s’échoua sur le haut de sa cuisse, et le maigre réconfort qu’elle lui procurait lui suffit. Il ne comptait pas décoller de sitôt, rompu de fatigue, à s’imaginer Callum l’accuser de tous les maux à des kilomètres de là – leur relation n’en finissait pas de se détériorer, et il se demandait s’ils avaient finalement franchi un point de non-retour ou s’ils étaient capables de pousser le vice. Il n’arrivait pas à le haïr. Vraiment pas. Même aujourd’hui, même demain – il aurait dû bouillonner de colère, ourdir une vengeance, mais le voilà par terre, satisfait de s’en être sorti vivant. C’était ça, son problème, à Sid. Il lui trouverait des excuses, et peut-être viendrait-il quémander son pardon, alors qu’il ne comprenait pas franchement pourquoi ça avait déconné pour si peu. Une heure dut filer ainsi, à gamberger silencieusement ou à voix haute, sa confidente à poil faisant montre d’une patience docile. Une camionnette l’ancra à nouveau dans le présent – il cligna bêtement. « Sorry, I brought, huh, a guest, » sa chienne s’était ruée vers les tibias d’Alec et l’empêcha d’avancer correctement sur le dernier mètre qui les séparait. « I don’t want to step on your toes and–c’mon Sads, il approcha sa main de son collier orange auquel était suspendue une médaille, semblable aux plaques militaires, et il fallait croire que c’était un geste de son Marine de maître. ‘Sadie’ y avait été gravé, suivi de son numéro de téléphone. I’d figure something out if you don’t want her to be around. » Il croisa une paire de billes circonspectes, « my old man, il expliqua sans y avoir été invité. Pour une fois, il ne s’était pas vraiment battu, et n’avait pas cherché la merde inutilement. Sorry, » il secoua la tête, « I just need to lie down for a while. »
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Alec Musgrave
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MessageSujet: Re: my eyes have seen you, free from disguise. (acid#3)   my eyes have seen you, free from disguise. (acid#3) EmptyMer 23 Déc - 15:05

Why can’t you? Il pensait encore à Sally lorsque, dehors, il glissa une clef dans la poche de Farrow, in case I lose mine, grillant une cigarette sous une coupole limpide.
Il n’y avait jamais vraiment réfléchi, convaincu sans l’être que le temps lui manquait, que la distance était un écueil insurmontable (et depuis quand?), que Sally ne le demandait pas vraiment — ces excuses que l’on se raconte lorsque notre culpabilité est trop grande, des alibis contrefaits, façonnés dans le but de se donner bonne conscience.
Il pourrait aller voir sa sœur — et il aurait dû le faire il y avait une éternité déjà.

— ven. 31 juillet / tybee island, thunderbolt
Scott éclata de rire et frappa le comptoir du plat de la main, glissa l’autre dans ses cheveux. Ses épis indisciplinés se couchèrent sur son crâne comme un champ de blé balayé par le vent. Parfois lorsqu’il le regardait, Alec éprouvait la drôle d’impression de se contempler dans un miroir. Outre la stature et leurs tignasses blond roux qui leur valaient parfois d’être confondus, c’était aussi les expressions — autant de mimiques franches qui ne laissaient aucune place au doute et délivraient leurs humeurs sans concession, tuant dans l’oeuf toute velléité de mensonge, quand bien même ni l’un ni l’autre ne fût très porté sur les faux semblants et les dissimulations. Ils se mouvaient de la même façon, leurs pensées s’alignaient avec le naturel que confère l’intimité, et (presque) rien de ce qu’ils avaient à dire ne paraissait jamais trop énorme pour être exprimé. Ils avaient la franchise pour seule ligne de conduite — un principe avec lequel Scott s’était pointé à la fermeture du tackle shop dans l’intention évidente de court-circuiter toute tentative de fuite (mec, ça fait des semaines qu’on te voit plus, t’es lourd). Il lui avait demandé sans détour et pour la dixième fois l’identité de celui ou celle qui l’accaparait autant, et Alec n’avait pas cherché à se dérober davantage. Il avait répondu sans marquer une hésitation, l’envie de se marrer devant l’absurdité de la situation pulvérisée par la perspective d’une conversation pénible, que l’aveu entraînerait immanquablement. Maintenant, Scott rigolait comme un abruti, secouait la tête : t’es con, putain, tu crois que tu peux me faire avaler ça ? « Yeah okay alright. C’mon, tell me. » Alec agrafa ensemble une liasse de tickets de caisse, passa à la suivante, annota une date et fourra le tout dans une enveloppe, conscient du regard de Scott posé sur lui. La caisse enregistreuse claqua lorsqu’il repoussa le tiroir caisse et il disparut dans l’arrière boutique, Scott réitérant sa question avec une impatience ourdie d’inquiétude. Lorsqu’il ressortit de la remise, son sac sur l’épaule et les clefs du shop tintant dans sa paume, l’autre avait perdu son sourire. Un air ahuri lissait ses traits. « You can’t be fucking Sid Farrow. No fucking way.Told you I was, » Il le contourna et le poussa dehors, ajusta la lanière de son sac sur son épaule et ferma le rideau de fer. Dans son dos, Duggan marmonnait dans sa barbe, secouait la tête, répétant des no way, no fucking way qu’il semblait croire capables d’enterrer cette infamie s’il les répétait suffisamment. « Y’know what, I was supposed to see Cal but we need to talk, you and me. » fit-il, l’index pointé dans sa direction. « Fine, but I’m not doing this without a drink, » Un soupir résigné flirta avec un rictus involontaire. « Sacha’s place, in ten minutes. »

Le vent se levait. Depuis la terrasse de Sacha, ils regardaient les prémisses d’une tempête froisser la surface de l’océan. D’un bleu d’encre sous le ciel chargé, il s’irisait par intermittence sous la caresse des derniers rayons de soleil. Ils avaient couché le parasol et s’étaient installés à même les dalles de béton ciré, des Coors posées entre leurs pieds. Ni Sacha ni Paul n’étaient présents, mais leur absence importait peu. La meute savait où trouver la clef de secours, et ce ne serait pas la dernière fois que quelqu’un investirait les lieux sans l’assentiment de leurs propriétaires. « I know what you’re thinking, honestly, I understand. But he’s not like that. » Scott s’était adossé à la baie vitrée, maculée de traces de doigts autour de la poignée. « How long have you known him ? » Le calme inusité de son vis-à-vis insufflait à la conversation la lourdeur d’un sermon. « Few months. » lâcha-t-il, entrevoyant d’ores et déjà où cela les mènerait. « Then you don’t know him. I do, and I’m telling you, this guy’s a fuck-up, nothing good can come out of him, nor his family. We were in high-school together, did you know that ? » Alec savait. L’inimitié datait, une aversion quasi puérile puisant ses sources dans une rancœur adolescente dont on ne verrait, apparemment, jamais le bout. Ça le dépassait, qu’à trente-cinq berges passées, on puisse encore trouver l’énergie de nourrir une telle rancune. Scott déroulait le fil d’un récit tissé d’amertume, exposant les faits d’un ton atone. Des anecdotes suffisamment précises pour témoigner de leur véracité vinrent se mêler aux histoires déjà connues. Les esclandres naissant d’un regard de travers au détour d’une rangée de casiers métalliques, les pugilats aux abords des terrains d’entraînements, les rivalités tournant lentement au harcèlement en bonne et due forme, une sordide histoire de sex-tapes imputée à Sidney et ses potes — ces abrutis qui, à en croire Scott, n’avaient pas glané une once d’intelligence en l’espace de vingt ans. Des bourrasques d’intensité croissante emportaient parfois ses paroles, pas suffisamment, toutefois, pour avaler le sarcasme qui vint couronner ses propos comme un point final. « I wasn’t surprised to hear he ended up in jail, but rather he avoided it for so long. » Cette partie de l’histoire demeurait absconse, volontairement laissée dans l’ombre, comme tant d’autres choses touchant de trop près à l’intimité de Sid. Une pointe de malaise le traversa et il se raccrocha à sa canette, imprimant la marque de ses doigts dans l’aluminium. Ces récits d’un autre temps le gênaient, sans qu’il fut en mesure d’expliquer pourquoi — ou bien jugulait-il vaillamment la déception de ne pas les entendre tomber de la bouche de l’intéressé. « What now, because you two have been to the same school, you think you know him better than anyone ? Grow up, Scott. People change. » Scott éructa un rire sans joie. « There are some things that never do. As sure as you’re a werewolf and you’ll always be one, Farrow’s a failure. They all are. » Des perles de bière s’accrochèrent à sa moustache. Il les essuya d’un revers de main, chercha brièvement ses mots. « Half of it is a bunch of crock fueled by a kid’s memory. When was the last time you really spoke to him anyway. Guess it’s been years, if you two have ever talked. His sister seems fine though, even if his father’s the douchiest shitbag in town. But we aren’t our fathers, aren’t we ? » Un silence éloquent répondit pour l’autre. Scott avait onze ans lorsque les flics avaient embarqué son père en plein Thanksgiving, n’épargnant à personne (douze convives au total) la honte de l’arrestation, et surtout pas à sa mère. Un concert de sirènes avait accompagné le départ du patriarche, rameutant tout le quartier dans la débâcle, personne n’avait touché à la pléthore de plats recouvrant la table, et le fait divers nourrissait encore à l’occasion les médisances du voisinage lorsque les ragots d’usage en venaient à s’épuiser. Inculpé pour corruption et détournement de fonds — mais la résurgence des relevés de comptes avait aussi révélé les dettes de Duggan, mettant au jour une banale addiction au jeu aggravé par un penchant insoupçonné pour les putes à peine majeures tringlées dans un motel de bord de route, et achevé de briser définitivement sa famille. Il se souvenait de la façon dont Scott lui avait parlé de tout ça, deux ans plus tôt. L’accrochage avec Callie était loin derrière eux, chacun feignant d’oublier que la présence d’Alec dans le groupe n’était due qu’à son regrettable crochet par le lit d’une louve certes adorable, mais maquée depuis des années. Leur amitié ressemblait déjà à ce qu’elle était aujourd’hui, une affection démesurée que seuls deux individus partageant la même vision de la vie et des épreuves qui la constituaient étaient à même de construire. Ils s’étaient éclipsés dehors, laissant le reste de la meute s’égosiller sur un vieux tube des années 80, et sûrement avaient-ils grillé l’intégralité de leurs paquets de clopes à mesure que les aveux tombaient les uns après les autres, liant étroitement leur entente par le biais de leur haine commune pour leurs pères respectifs, l’hypocrisie des institutions et l’injustice à leur égard, à laquelle ils faisaient face comme ils le faisaient pour tout le reste : avec une désinvolture cassante qui, au fond, n’était qu’une barrière de plus derrière laquelle se retrancher. Scott lui avait parlé du divorce catastrophique de ses parents, de ses sœurs absentes, de l’indigence de sa mère depuis l’arrestation, le retour sans fanfare du chef de famille et la ruine de cette fortune qui avait autrefois été la leur, et dont il parlait aujourd’hui avec une amertume à peine diluée. Le bonhomme avait passé sept ans à l’ombre, et dans le fond, il comprenait la colère de Scott lorsqu’il pensait à Callum Farrow, car elle était aussi la sienne.
Quant au sien, de père, il doutait d’être capable d’évoquer un seul souvenir non neutre en sa compagnie. Son seul héritage était le sentiment profond de ne pas exister aux yeux de son propre sang — un ban silencieux, plus déchirant qu’une exclusion imposée dans les hurlements. « You and me know we all carry on a part of ‘em inside of us. At least we didn’t spawn any offspring. That poor girl of his. Emma Donnovan. She tried so hard to cover this mess up but she failed so much harder. » Son regard retomba sur les dalles et les grains de sable épars qui glissaient à leur surface au gré des rafales d’air marin. Une sensation de froid qu’il ne mit pas sur le compte de la météo irradia dans ses membres. « What do you mean ? » Il demandait mais ne voulait pas savoir. Scott concentra toute son attention sur lui, forçant leurs regards à se croiser tant son insistance était pesante. « His daughter. The Cavendish girl. (pas de réaction) Fuck me, don’t tell me you didn’t know ? Everybody knows. » Combien de ces anecdotes serait-il encore voué à découvrir, ces choses qui semblaient faire partie de l’Histoire locale et dont il ignorait tout ? Ça paraissait invraisemblable : que de tous, il demeurât le plus ignorant au sujet de Farrow alors même que sa propre histoire n’était un secret pour personne, pour peu que l’on s’y intéressât. L’étendue des mystères que l’autre gardait encore pour lui était une zone d’ombre dont il avait conscience depuis le début mais qui, jusqu’à aujourd’hui, ne lui avait pas causé plus d’inquiétude que ça. Il se demanda combien d’informations de ce genre Sidney gardait encore enfouies. « You could’ve kept that one for yourself. » Une ombre s’était glissée dans la conversation. Scott repéra son trouble, et son front se plissa sous l’impulsion de ce mimétisme émotionnel qui leur était propre. « You do like him. » La remarque ne sonnait pas comme une question et s’ourlait d’un accent défaitiste, incrédule, et nettement déçu. Lui l’entendre dire lui procura pourtant une drôle de sensation d’achèvement. I do, and now you know, and that’s all I need. « Would be a lot of trouble if I didn’t, dont you think ? » Ils se toisèrent longtemps, avant que Scott ne se détourne. « I don’t get it. I don’t fucking get it.Listen, you know I love you man, but don’t make me take sides.’Cause the choice is made, huh ?  — Don’t make me do it, that’s all. » La prière resta longtemps en suspens, et Alec pouvait presque entendre les rouages de sa réflexion peser le pour et le contre, s’attarder sur l’intérêt d’en rajouter une couche. À l’évidence, Duggan essuyait un dépit écrasant. Rien ne laissait penser qu’Alec changerait d’avis — à quoi s’était-il attendu, franchement. Il changea de tactique : « Let me drop by your place one of these days, when he’s there. ‘Cause you’re right, I haven’t spoken to him in decades. » Alec soupesa longuement la perspective d’une telle confrontation ; leur entente frôlait déjà les abysses et c’est avec la certitude de n’avoir rien à perdre qu’il finit par acquiescer. « I’ll ask him. (Scott pinça les lèvres.) I’ll keep you posted, but don’t be an asshole, or I’ll kick you out in no time. »

L’orage avait gagné du terrain et couvrait le ciel d’un dai molletonneux veiné de nervures noires. Bientôt, la ville se noierait temporairement dans les rigoles de flotte qui dévaleraient les rues, et peut-être trouverait-on un semblant de soulagement lorsque le ciel se mettrait enfin à pleurer. Mais pour l’heure, le vent était retombé et une chape d’humidité les englobait comme de la colle.
Sadie l’accueillit sur le pas de chez lui. Les fenêtres avaient été ouvertes, de la lumière dessinait des trapèzes orangés sur le sol devant la caravane. Les contours d’une silhouette se détachaient sur le perron. « Sorry, I brought, huh, a guest, » Il ne comprit pas immédiatement de qui il parlait, effaré par le spectacle qu’offrait son visage. Il en oublia momentanément Scott. « The fuck-I don’t want to step on your toes and–c’mon Sads, I’d figure something out if you don’t want her to be around. » La chienne haletait, sagement suspendue au bras de son maître par le bout du collier, contre lequel elle se fichait bien de lutter. « I guess we’ll sort it out this way, for now. » Le chien n’était pas le problème. Il palpait les abords violacés de la contusion, jaugeait d’un air circonspect l'œdème qui s’étendait autour de son œil lorsque Sid devança ses questions. « My old man. » Ses molaires grincèrent. Quand on parlait du père. « Your dad did this. » Le ton était plat, consterné sans trouver la force de le manifester. « Sorry, I just need to lie down for a while. » Pourquoi, comment, les questions lui brûlaient les lèvres au point qu’il les serra en une ligne exsangue dans un ultime effort de retenue. Sa main retomba le long de son flanc. « Sure. » Sur la table de nuit, à l’endroit où s’était trouvé le café une éternité plus tôt (deux semaines), il déposa un verre d’eau et deux comprimés de Tylenol. « Have Oxy too if you want. » Une colère sourde se manifesta lorsqu’il scruta de nouveau le visage délabré de Sidney. Une rage incomplète dirigée contre tous les impotents de ce monde ayant pondu une descendance avant de l’abandonner à son sort, à laquelle se superposait le souvenir aigre d’une soirée à West End. Le poids de son corps pesant sur ses épaules, ses tuméfactions préoccupantes, ses tatouage se découpant dans l’obscurité du pick-up, ses marmottements inarticulés — you’re always there when-
La vie n’épargnait personne, et si Alec croyait moins en un Dieu qu’en un libre arbitre capricieux, parfois les choses donnaient à penser qu’un enfoiré de première, là-haut, s’amusait bel et bien à s’acharner sur certains. « What happened ? » Il s’était laissé glisser contre le mur, triturait une mèche entre son pouce et son index. Le profil de Sid se découpait dans la pénombre. Il connaissait ses pleins et ses déliés avec la précision de celui qui les a observé des mois durant sans jamais se lasser de ces contours, et les détaillait encore avec une avidité déroutante. « This is fucked up. At least tell me you beat the shit out of this fucktard, or I fucking will. » Ses phalanges se croisèrent à l’arrière de sa nuque, qu’elles massèrent un instant. « Sadie can stay here. And you should too. I have no idea what the fuck’s going on with your family, but ain’t gonna bring you any good. »

— sam. 1 août / thunderbolt
Il n’avait pas dormi, ou si peu, ressassant les scènes de la veille jusqu’à s’en coller la migraine. Le couvercle de la boîte de dexedrine sauta dans un claquement sec, masqué par le bruit que faisait Sadie en furetant autour des pieds de chaises comme un chien de détection. « There’s something I didn’t tell you last night. I talked to Scott. » Il referma le placard, fit passer le comprimé avec une gorgée de café. « He knows. He wants to come here, have a beer with us or whatever. » D’une étagère, il tira le t-shirt floqué aux armoiries de la Duchanes Marina et le passa par-dessus sa tête, enfila un short délavé par l’eau de mer. « Didn’t answer yet, told him I’d ask you first. » Il s’immobilisa enfin, empochant ses clefs et son téléphone sans lâcher Farrow du regard. Son oedème avait régressé dans la nuit, les marbrures déployant toujours sur sa pommette leurs variations de pigments à la manière d’un paysage abstrait. « I know that sounds like the shittiest idea ever but he can act like a decent person when he wants to, I promise. And I told him the second he goes off base, I’d kick his sorry ass out of here. » Putain, s’il s’entendait, à deux doigts de précher pour cet imbécile, à peine certain que l’autre saurait se tenir en dépit de sa belle assurance. Devant la rigueur de son maintien, il renonça à poursuivre, laissant la question en suspens sans oser avouer à quel point il comptait sur son accord. « I’m late. But I meant it, you should stay here for a while. » Sa bouche se courba en un demi-sourire forcé. Il se pencha, déposa sur ses lèvres un baiser suggestif. « I’ll make sure you won’t regret it. »

— dim. 2 août / thunderbolt
Ils avaient investi la terrasse, trois fauteuils de camping délavés parqués autour d’un touret industriel à la surface patinée par les éléments.
Et donc, ils étaient là, réunis autour d’un putain d’apéro qui aurait pu donner l’illusion d’une entente parfaite entre trois potes d’antan s’ils n’étaient pas seuls, avec Alec, à meubler une conversation qui n’en était même pas vraiment une. L’un comme l’autre palliait au silence du troisième en enchaînant des nouvelles qui ne concernaient qu’eux, sans qu’il osât approcher Farrow de manière plus directe. Il ne le souhaitait pas vraiment, du reste. Il se contentait de l’observer à la dérobée, jactant au sujet de la meute en se fichant bien de le mettre mal à l’aise — il flirtait avec les limites, car Alec avait été clair quant à ce qu’il ferait s’il dépassait les bornes. Ce type avait un sens de l’honneur presque risible lorsqu’on considérait sa propension à s’occuper uniquement de lui-même, quoi qu’en dise la façade joviale et sympathique du bougre. C’était dingue, de constater à quel point ils se connaissaient. Trois ans d’amitié se fondant dans une conscience de l’autre si limpide qu’elle aurait pu dater d’une dizaine d’années auparavant. Scott, contrairement à beaucoup d’autres, avait gardé peu de liens avec ses amis d’enfance. Bon nombre avaient disparu à l’incarcération de son père, comme s’ils craignaient d’être contaminés par l’opprobre qui s’était abattue sur sa famille. Le reste était parti étudier aux quatre coins du pays et en dehors de quelques nouvelles glanées sur les réseaux sociaux, qu’il n’utilisait que pour ça, ils s’étaient perdus de vue. Alec, à l’instar des Purser ou de Paul, était autre chose — un choix d’adulte fondé sur des prérogatives calculées et une sensibilité autre, dont la jeunesse était dépourvue. Quelque chose d’infiniment plus sincère que tout ce que l’on pouvait espérer des amitiés forcées par la proximité ou les circonstances.
Je veux bien être pendu, il aurait dit si, vingt ans plus tôt, on lui avait annoncé qu’il côtoirait Sidney autrement qu’en le haïssant de loin, provoquant ouvertement le gaillard à la moindre occasion. Ils enquillaient les bières tandis que Farrow, de son côté, n’avait pas touché à la sienne — un détail, mais Scott partageait avec son hôte le même sens de l’observation, remarquait tout. La main que glissa Alec sur l’épaule de l’autre lorsqu’il se leva et disparut à l’intérieur, ne lui échappa point. Il serra les dents. Ce geste involontaire fut le premier à asseoir définitivement ce qu’il refusait encore d’accepter. Un silence inconfortable prit la place de l’absent, un temps que Scott mit à profit pour dévisager son vis-à-vis avec une pudeur inexistante. « I didn’t know you were into gay shit. » Première fois qu’il lui causait depuis le début de la soirée, en dehors du salut froid et distant dont il l’avait gratifié à son arrivée. Il masqua un rictus dans une gorgée de bière, qu’il termina et posa à côté des autres. Il n’en avait rien à foutre, de qui baisait qui. Les mecs, les meufs, ce n’était pas la question. Le problème était que Sid Farrow était Sid Farrow, et du point de vue de Duggan, on ne frayait pas avec cette sous-espèce si l’on tenait un tant soit peu à sa peau  — ou sa dignité. Qu’Alec ait pu s’enticher de cette ordure le dépassait, une absurdité à la limite de la trahison si l’on repensait à toutes ces fois où, torchés comme pas possible, ils avaient comblé leurs nuits en crachant sur ces fils de pute d’enfoirés d’antis, et dont les Farrow étaient les dignes représentants. « Not that I’d care if it was about anybody else but Musgrave. But that guy, man- you don’t deserve an inch of him. » Et de ça, il était intimement convaincu. Il connaissait Alec - par coeur. Et l'imbécile croyait connaître également Farrow, mais il n’avait pas idée d’à quel point il se leurrait. Un jour ou l’autre, ses illusions voleraient en éclat, et Scott ne ménagerait pas sa satisfaction, car il aurait anticipé le chaos depuis le commencement. He might not see it for now, and hell if I know what he sees in you, but you two… Ain’t right. » Le haut de son corps avait basculé en avant, soutenu par ses coudes plantés dans ses genoux. Il le fixait intensément, sondant ses pupilles aqueuses en quête d’une émotion quelconque. Mais Farrow n’avait pas changé : son expression conservait l’opacité d’un mur de briques. « I know what your fucked up family’s into, and I don’t care he forgot it for some assfuck bullshit : the first blunder you make, I’ll be there waiting for you. »

— ven. 7 août / south garden, thunderbolt
My father. He’s gonna remember.
Cinq heures vingt. Campé devant l’entrée des urgences du Garden Mercy Hospital, il zieutait d’un air absent le ballet hypnotique des entrées et sorties s’opérant sous le porche sur-éclairé. Des uniformes blancs, bleus, gris, des soignants et des manutentionnaires prenant ou quittant leur service ou simplement sortis s’en griller une pendant une pause bien méritée, les gueules tirées par la fatigue d’une nuit trop courte, ou trop longue. Quelques patients sortis prendre l’air au petit matin, leurs jambes nues dépassant des blouses en coton, du dos desquelles jaillissaient les tubulures de perfusions, les poches et les pousse-seringues suspendus à leur potence. « The doc said he won’t keep any damage. » Paul s’était fait recoudre l’arcade et enfoncer deux cotons dans chaque narine. Les mèches étaient imbibées, et il n’arrêtait pas de se tamponner le nez pour en éponger ce qui coulait encore. La gauche de son visage avait été badigeonné d’un antiseptique orange et lui donnait des airs de clown. Il tirait sur sa clope en fixant le vide au-delà du sol, l'œil vitreux. Des trois, il n’était pas le plus à plaindre. Sacha était rentré à l’insistance de sa sœur après vingt minutes passées à vociférer des menaces de mort aux oreilles de qui voulait l’entendre. Scott resterait ici pour la nuit. Ses yeux étaient réduits à deux fentes perdues dans les boursouflures de la chair, son épaule était démise, sa lèvre était fendue et il se plaignait d’une migraine persistante, moindre depuis qu’on lui avait collé une perfusion dans le but de couper court à ses vomissements incoercibles. Une simple commotion, lui avait-on assuré à l’entrée du box. Ils le gardaient sous surveillance et le laisseraient sortir le lendemain. Une berline démarra non loin d’eux, éclaira brièvement leurs visages lorsque les phares balayèrent le parking avant de disparaître au virage suivant. « You sure it was Farrow ? » Détaché de la réalité, il se rongeait un ongle. « Couldn’t be more sure of anything. The guy just came down on us for no fucking reason. » Sacha lui avait brièvement résumé leur soirée, sa plastique parfaite froissée par la haine à l’évocation de l’échauffourée qui avait éclaté à la fermeture du bar. La troupe s’y était réunie pour fêter la promotion de Purser, catapulté au rang de chef de projet, quand Farrow, flanqué d’un autre, leur était tombé dessus armé d’un poing américain. L’effet de surprise conjugué à la beurrée monumentale qu’ils s’étaient mis dans le cornet avait eu raison d’eux. « I know the reason il marmonna, une éclaboussure de milkshake rose vif perforant brièvement sa mémoire. Man I’m so wasted. Paul renversa la tête en arrière, le nez levé sur les premières lueurs de l’aube, auréolé d’un nuage de fumée. You think he’s gonna press charges ? » Il hésita. Les sédatifs dont on l’avait abruti ne l’avaient pas empêché de marmonner un gonna kill those motherfuckers venimeux. « Don’t think so, but you know him, he won’t leave it that way. He’ll want to hit back. » Son briquet était mort. Il s’acharnait sur la molette de l’engin sans parvenir à lui arracher plus qu’un crachotement d’étincelles faiblardes. Il renonça, le balança sous une ambulance. « Damn it, this is the last fucking shit we needed. » Paul lui tendit son feu sans renchérir.

« Scott’s at the hospital. He has a bad concussion but he’ll be out by tomorrow. Callie’s gonna keep an eye on him for a few days. » Outrepassant ses propres règles, Alec s’effondra sur le canapé et s’alluma une tige, paupières closes. Ses pouces massaient ses tempes, desquelles saillaient deux veines tendues comme des cordes. La sonnerie de son téléphone les avait tirés du lit à quatre heures du matin — cinq séries de vibrations sonnant dans le vide, il avait décroché à la sixième en maugréant. La voix pâteuse de Paul avait péniblement couvert la mélodie dissonante d’un service d’urgence et le timbre haineux de Sacha en arrière-plan. Am at the ER, they got Scott, man, his face, it’s like- a meatball soaked in blood, et il s’était marré, le con. Pas moyen de tirer autre chose à Latimer qu’un tissus d’énormités sans queue ni tête et, plutôt que de l’écouter brailler Dieu sait quoi à Dieu sait qui, il avait sauté dans le pick-up -pieds nus- en laissant Sidney sans autre explication que : I have to go. Face à lui, une colère rentrée lui bousillait les tripes, et donnait à sa voix un ton de reproche dont il ne parvint pas à se défaire. « They say it was your father. » Il leva les yeux, épia prudemment les traits de Sidney, incapable de taire l’indicible angoisse qui le taraudait depuis qu’il avait quitté les urgences. « I’m gonna speak to Scott, make sure he won’t do anything stupid, but you should talk to your old man too - if there’s any way you can cool him down, y’know. ‘Cause otherwise, it could turn to shit real fast. »
We ain’t our fathers, il se répéta.
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Sidney Farrow
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MessageSujet: Re: my eyes have seen you, free from disguise. (acid#3)   my eyes have seen you, free from disguise. (acid#3) EmptyDim 27 Déc - 10:59

You know what I wish? It was just you and me, Sitting in this corner bar, You could tell me how your are

— vendredi 31 juillet / thunderbolt
« Have Oxy too if you want. » Il secoua la tête, s’allongea enfin en poussant un soupir digne d’un vieillard courbaturé. Qu’importent les cinq heures de gym qu’il s’infligeait toutes les semaines, le nombre de pompes au réveil, les poids soulevés en fumant une clope, les footings écourtés, il n’était pas plus en forme qu’un type moyen, costard-cravate toute la journée et plateau télé le soir. Il avait arrêté l’oxy du jour au lendemain et le regrettait parfois – après avoir survolé son dossier, un médecin, simplement supposé vérifier l’état de son genou et de son épaule, lui avait prescrit un nouvel antidouleur, « why ? – You’re a former addict. » Ses poches crevées d’assisté social ne pouvaient même pas prétendre lui dégotter de l’oxy par des moyens frauduleux. « What happened ?I think he recognized the guys who were with you the other night. But I didn’t get a good look, » il n’avait pas essayé non plus. En soi, tant qu’Alec ne se trouvait pas parmi eux, il se foutait bien de leur sort. « Anyway, he pulled out his gun, in broad daylight, and… son poignet décrivit un mouvement las, I didn’t want any trouble, y’know. » Sa famille n’avait cure des emmerdes qui pouvaient le catapulter derrière les barreaux – une récidive était vite arrivée et il aurait suffi qu’il soit impliqué de près ou de loin dans une affaire semblable à celles encombrant son casier judiciaire pour qu’un juge lui file un aller-simple en cabane. « This is fucked up. At least tell me you beat the shit out of this fucktard, or I fucking will. » Un rictus – presque… attendri ? – étira ses lèvres, au-dessus desquelles une trainée galopante de poils sombres en masquait l’extrémité. Ça lui rappelait Jax serrant les dents lorsque Callum lui collait une trempe devant tout le monde – Alec errait dans une obscurité filandreuse, loin de se douter qu’en dépit des hématomes aussi naturellement inscrits dans le derme que l’étaient ses tatouages il continuerait de choisir sa famille. « She got him pretty good. Ain’t that right Sads? » Son bras tomba dans le vide et la langue humide du chien frappa l’intérieur de sa paume – Sadie faisait montre d’une hostilité inquiétante près de Callum. Elle lui aboyait fréquemment dessus, grognait sur son passage, dévoilait une paire de canines menaçantes à chaque fois qu’ils échangeaient un regard, et il se sentait obligé de la retenir discrètement par le collier, de peur qu’elle succombe à ses pulsions. Callum l’avait remarqué un jour, « someday I’ll put that bitch to sleep ». « Sadie can stay here. And you should too. I have no idea what the fuck’s going on with your family, but ain’t gonna bring you any good. » Il tourna la tête vers lui, les sourcils froncés.
2014. « You’re a sad little boy who just wants his daddy’s approval. That’s what you are, and that’s pathetic.Pathetic? » Wayne s’interrompit, les poings posés sur la table du comptoir de la cuisine. Ses mots avaient dépassé sa pensée mais il y avait un fond de vérité, et Sid n’avait pas renchéri. À l’autre bout de la pièce, une main arrimée à la hanche, il se mordillait l’intérieur des joues — ou tentait d’en arracher la chair. « Fuck. Ain’t gonna apologize ‘cause you know damn well I’m right. You’re better off without ‘em. » L’algarade avait éclaté dès qu’il avait allumé la machine à café, quelques quatorze heures de route dans les pattes, et plutôt se planter en caisse qu’attraper l’avion à Atlanta. Il était retombé dans le cercle vicieux de la dévotion sans faille qu’il vouait à son clan, et au bout d’un an et demi d’absence ponctuée de visites sporadiques, il avait craqué à la manière d’un addict prêt à vendre ses organes pour son fix, délaissant vie rangée et boulot stable de peur de perdre les siens. C’était de la connerie pure. Il pouvait survivre sans sa famille – et Wayne avait raison, ils le suceraient jusqu’à la moelle pourvu qu’il s’attelle à leur basse besogne, se salisse les mains à leur place, honore des responsabilités imaginaires, inventées de toute pièce par un esprit dézingué. Sidney Farrow, quoiqu’en disent les apparences, était profondément influençable. Il se laissait berner si aisément que c’en était – en effet – pathétique. Les paroles de son père avaient valeur d’Évangile, et bien qu’il ne fût pas croyant pour deux sous, il vénérait cette figure honnie, responsable de traumas qu’un groupe de première année en études psy aurait considéré comme un cas clinique d’abus émotionnel. Une déception lasse luisait dans le regard de Wayne, qui préféra renfiler ses gants et disparaître à l’extérieur plutôt qu’alimenter inutilement cette conversation circulaire.)
Le commentaire d’Alec le troubla. Comme l’ombre menaçante d’une erreur à ne pas répéter, une angoisse l’avait saisi à la gorge, alors qu’il roulait sur le dos afin de ne pas en révéler davantage, conscient que l’autre était à même de sentir les doutes s’amoncelant dans son esprit. Ça aussi, putain – s’interroger constamment. En prison, l’exercice lui filait des maux à s’en fendre le crâne en deux, mais qu’aurait-il pu faire d’autre sous sa couverture, enfermé dans sa cellule, agacé par les ronflements persistants de son codétenu, quand ses journées suivaient un enchaînement si précis qu’il aurait pu en prédire chaque minute. « Yeah, » mit un terme à la discussion.

— samedi 1er août / thunderbolt
Avant de l’aider à déguerpir de West Savannah, Nickie avait bravé les tempêtes paternelles pour récupérer les croquettes de Sadie qu’il avait fourrées dans son sac à dos – et il irait à Target plus tard. D’ailleurs, penché sur un petit calepin, il notait une liste de bricoles à acheter de son écriture serrée et majuscule, noircissant une page lignée de ratures maladroites. Il avait vidé le dentifrice d’Alec aussi. Il approcha une tasse de café de ses lèvres sans lâcher son stylo. « There’s something I didn’t tell you last night. I talked to Scott. He knows. He wants to come here, have a beer with us or whatever. » La gorgée tiède emprunta le mauvais chemin et passa dans sa trachée, provoquant une magistrale quinte de toux et quelques postillons sombres sur la table. « The—fuck? » Il se racla bruyamment la gorge, essuyant d’un revers de main un coin de sa bouche. « Didn’t answer yet, told him I’d ask you first. » Il était sur le cul, trop occupé à aérer ses poumons pour afficher ouvertement sa contrariété à l’idée d’avoir été outé à une vieille connaissance. Le visage vaguement chiffonné, il repoussa la tasse. « I know that sounds like the shittiest idea ever (is that fucking so) but he can act like a decent person when he wants to, I promise. (Ain’t the issue.) And I told him the second he goes off base, I’d kick his sorry ass out of here. » N’ayant ni le courage ni l’envie de démarrer un conflit inutile, il appuya sur le bouton-poussoir de son stylo, regarda la mine apparaître et disparaître dans un cliquetis de plus en plus pénible, « alright. » C’était sorti sèchement, et lorsqu’Alec se pencha vers lui, il garda les lèvres pincées, aussi réceptif qu’un objet inanimé. « I’m late. But I meant it, you should stay here for a while. I’ll make sure you won’t regret it. » Il referma son calepin, « thanks. » Pléthore de sentiments contradictoires se battaient en duel sans pour autant froisser sa mine imperturbable. Il réfléchissait à la probabilité que la rumeur se répande, que Duggan en parle à un proche – ça mettrait Alec dans la panade aussi, leur meute tout entière. Sa joue se creusa. Le regard vagabondait dans le vide, et à l’extérieur, la camionnette s’éloigna.

— dimanche 2 août / thunderbolt
Il était libre de se réinventer, avec Alec. Ou presque – libre d’afficher ses failles, un soupçon d’humanité. La fatigue, surtout.
Ce n’était pas le cas avec Scott Duggan, qui le renvoyait vingt ans en arrière, à une époque où il n’était que le maillon d’une chaîne de demeurés aux neurones atrophiés. Aucune personnalité propre. Il était en échec scolaire, voué à rejoindre la modeste entreprise familiale – du reste, son père le formait déjà. Tous les samedis matin, seul moment de la semaine où il ne bossait pas à Sam Goody, Callum lui faisait réciter toutes les particularités d’un Glock modèle ci, modèle ça, lui montrait les armes rares entreposées sous vitrine, lui expliquait les techniques de vente, d’enchères, les protocoles, les permis, les livrets de comptes, les entourloupes sauce Farrow. Il travaillait après les cours, vendait de l’herbe le weekend, fourrait chaque dollar récolté à la sueur de son front dans une vieille boîte à chaussures cachée sous sa commode, mais il n’était pas ambitieux avec cette précieuse épargne : il voulait simplement une nouvelle voiture. Au lycée, il se protégeait derrière les carrures plus impressionnantes de Chuck et Terry, les clichés des péquenauds sudistes, ou la popularité de Jax, en grand écart permanent entre l’équipe de football (l’un des meilleurs punt returners à avoir foulé le terrain) et ses potes de bac à sable, cons comme des manches. Sid n’était pourtant pas invisible, loin de là. Difficile de passer inaperçu avec un nom tel que le sien : les Farrow avaient leur propre folklore, et les rumeurs allaient bon train les concernant, même si la plupart n’était pas avérée. D’autres auraient pu être vraies si l’on n’en avait pas autant grossi les traits ; certains méfaits dépassaient de loin leur intelligence ou ne tenaient pas suffisamment compte de leur degré d’imbécilité génétique.
Duggan et lui avaient passé quatre ans à se tirer dans les pattes et leur animosité n’était due qu’aux règles strictes régissant la jungle adolescente : le premier était un jock beau parleur, le second un marginal consanguin, deux espèces diamétralement opposées pour le bien d’un équilibre social quelconque au sein de la cafétéria, arène moderne où le pouvoir s’obtenait au nombre de plateaux envolés et briques de lait renversées sur la tête. En 1999, Columbine avait ébranlé un pays entier, et il se souvenait d’un policier fouillant son casier après plusieurs plaintes de parents, inquiets que le gringalet de Guns’R’Us puisse à son tour planquer une arme dans ses affaires. Il se souvenait de Duggan et ses potes le menaçant ouvertement, encouragés par leurs camarades. Il se souvenait du pare-brise défoncé de son pick-up. Et c’était mal le connaître, parce qu’au fond, il n’était pas comme ces allumés – il n’aimait pas le métal, se fringuait chez Goodwill et portait un bomber bariolé chapardé dans un thrift store. (Mais il rêvait régulièrement de retapisser la rangée de casiers gris triste de leurs cervelles et se disait, merde, ces cons de gothiques ont eu des couilles.) Il arracha le plastique de son troisième paquet de Newport – à défaut de boire, il se cantonnait à la clope, bousillant un peu plus ses alvéoles au fur et à mesure de cette discussion qui ne l’impliquait pas, malgré les efforts d’Alec. Il écoutait les péripéties d’une bande dont il avait seulement retenu quelques prénoms – Paul, Callie, Sacha. Identités volatiles se baladant d’une bouche à l’autre. Une fois le trio amputé de son conciliateur, ils se retrouvèrent là, à s’épier en chiens de faïence, l’impression d’avoir à nouveau dix-sept piges et le monde à leurs pieds. « I didn’t know you were into gay shit. » Duggan ressemblait drôlement à Musgrave. Le constat le traversa fugitivement. Plus sage, plus éreinté aussi, il ne céda pas à cette provocation gratuite et soutint son regard sans daigner répondre. Un Farrow dans le placard, paye ta surprise. « Not that I’d care if it was about anybody else but Musgrave. But that guy, man- you don’t deserve an inch of him. » Il se fit violence pour ne pas se saisir de la canette de bière qui l’attendait sur le touret, et tira sur sa cigarette. Observa la fumée perturber l’air lourd d’un début de soirée. Les billes de Duggan l’imitèrent, s’accrochèrent aux volutes opaques avant de se pencher vers lui, réduisant la distance prudente qui les gardait d’en venir aux mains. « He might not see it for now, and hell if I know what he sees in you, but you two… Ain’t right. » Rien n’allait dans ce ‘couple’ mal assorti : leurs personnalités opposées, leur nature, leurs croyances, leurs histoires. Autant de facteurs problématiques qu’ils n’abordaient pas, car l’évidence leur sautait aux yeux. « I know what your fucked up family’s into, and I don’t care he forgot it for some assfuck bullshit: the first blunder you make, I’ll be there waiting for you. » Et il devait trépigner d’impatience à l’idée qu’il commette ce faux pas. Qu’il lui donne la plus noble des raisons d’entreprendre une croisade à West Savannah. Sidney cherchait Alec, à l’intérieur du mobile-home, sans réussir à forcer son retour. « I’m done. » Son vis-à-vis fronça les sourcils, une main appuyée sur la cuisse. « I’m fucking tired man, il s’étira, allongea son corps dans un craquement d’os et étendit sa jambe blessée devant lui. Fucking tired, » le regard scrutait un avion et ses traînées de condensation. « Bet you told him everything. » Une lassitude morne l’enfonça davantage sur sa chaise et, vautré comme il l’était, il lui décocha une œillade partagée entre la condescendance et le découragement, « I’m sure you did, des marmonnements à peine audibles, tandis qu’il donnait des pichenettes sur le filtre de son mégot. Probably tried to scare him off and shit. » Il devinait quels secrets de polichinelle avaient été révélés – Emma ? Leur gosse ? L’accident ? Il suffisait de taper son nom sur Google. ‘Man charged for deadly hit-and-run in Savannah’, premier lien. En cliquant, un mug shot de sa sale gueule apparaissait – yeux explosés, joues creuses, tempes rasées – et l’article restituait sommairement les faits, « selon la police, Sidney Farrow, trente-et-un ans, a été inculpé d’homicide involontaire ainsi que de délit de fuite après avoir renversé une adolescente dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre, » vagues précisions sur l’endroit exact de la collision, « la victime, âgée de seize ans, a été transportée à l’hôpital où elle est décédée des suites de ses blessures ». Il le relisait régulièrement. Un deuxième lien parlait du procès qui avait eu lieu moins d’un mois après. Si Duggan avait repris la parole entre-temps, il ne l’avait pas entendu, ni écouté. « Fucking done, » il se leva avec difficulté et siffla Sadie qui, avachie sur la terrasse, observait la scène la truffe entre les pattes, à deux doigts de s’endormir. Il attrapa la laisse en nylon rouge suspendue à l’un des poteaux en bois, fixa le mousqueton au collier de la chienne et, sans alerter Alec, s’éloigna dans la nuit tombante, frustré d’avoir servilement toléré les intimidations de Duggan, son dernier avertissement tournoyant dans son esprit. Il ne s’était pas défendu, et peut-être serait-ce une preuve de maturité – franchement, son développement personnel se barrait en couilles. Il n’était sûr de rien. Se reposait sur l’instant présent : ses semelles raclant l’asphalte, Sadie s’arrêtant près d’un lampadaire éteint pour pisser, la moiteur d’août lui collant à la peau. Il se demanda si Alec était déçu. Si l’échec de cette simple conversation lui retomberait dessus – s’il lui reprocherait ne pas avoir fait d’effort, ou si au contraire Scott subissait ses foudres à cet instant précis. Il avait oublié ses écouteurs sur la table de la cuisine, n’avait que son portable quasiment déchargé au fond de sa poche et pas le moindre papier d’identité. Un bon kilomètre plus tard, ils s’arrêtèrent près de Wilmington River.

— vendredi 7 août / thunderbolt, 7AM
Putain de journée.
Marcus lui avait cassé les couilles avec Callum sur le chantier. Il avait eu la version de Jean – qui, comme d’habitude, avait exagéré –, quémandait maintenant la sienne. Lâche-moi la grappe. Poursuivi sans relâche par son oncle, qui l’avait eu à l’usure, glanant un « je crèche chez un pote » peu convaincant, il était rentré de mauvaise humeur, plus mutique qu’à l’ordinaire, et s’était couché le premier. Aux alentours de quatre heures, il avait manqué les stridulations creuses, persistantes d’un téléphone portable. Le front écrasé entre les omoplates d’Alec, en plein milieu du « wolf » rongeant le haut de son dos, il disparaissait presque sous une couverture qu'il s’était accaparée – en éternel frileux. « What’s happening– » il n’avait pas décollé la tête de l’oreiller, ni même ouvert les yeux. « I have to go. » Toutefois, il ne se rendormit pas – démarra sa journée à quatre heures quarante-cinq, les Rolling Stones accompagnant son jogging trop matinal. Distrait par le départ précipité d’Alec – et cet appel prématuré –, il se trompa de chemin, prit un détour, sentit une douleur lancinante lui mordre la jambe. Merde.
À peine eut-il le temps de nouer une serviette autour de sa taille qu’Alec franchissait le seuil du trailer, la mine sombre. Des gouttelettes d’eau parsemaient encore ses épaules. Il mit en route la cafetière, sans oser prendre la parole. « Scott’s at the hospital. (Merde.) He has a bad concussion but he’ll be out by tomorrow. Callie’s gonna keep an eye on him for a few days.I don’t have–They say it was your father. » L’âpreté de ses propos le figea et une tension foudroyante lui vrilla la nuque. Une panique fugace emprisonna son estomac dans un étau – le visage fermé, il ne feignit pas la surprise. Au contraire, les menaces avaient ainsi été mises à exécution. Évidemment que son père chercherait à se venger de cette humiliation cuisante. Putain. « I’m gonna speak to Scott, make sure he won’t do anything stupid, but you should talk to your old man too - if there’s any way you can cool him down, y’know. ‘Cause otherwise, it could turn to shit real fast. » L’emmerde pas, il est fatigué ; l’emmerde pas, son pote est à l’hôpital ; l’emmerde pas, il est fatigué. Farrow l’avisait pourtant de travers, sans que l’on puisse exactement déceler ce qui se tramait derrière l’expression vaguement renfrognée plâtrant ses traits. De l’exaspération. Mon vieux m’a bastonné la semaine dernière et tu veux que j’aille lui causer paix et amour. « We’re not exactly on speaking terms right now, » une marque violacée, vestige de leur altercation, soulignait son œil. Malheureusement, sa deuxième option ne l’enchantait pas davantage, « I’ll call my brother. » Il oublia le café, délaissa Alec, passa ses vieilles fringues et quitta les lieux à son tour, sans se fendre d’une explication quelconque, et nul doute que le « let’s go » cavalier lancé à l’adresse de la chienne, suivi d’un claquement de doigts impatient, se suffirent à eux-mêmes.

— south garden (savannah police department), 10AM
« Callum fucked up. » Jax passa une main dans ses cheveux noirs déjà plaqués en arrière par ce gel infâme dont il se recouvrait parfois le crâne pour des raisons inconnues. Adossés contre un mur du commissariat, ils tiraient sur leurs cigarettes respectives comme deux automates, fixant d’un air ahuri les quelques véhicules estampés SPD garés en face. Il n’était pas allé puiser les informations auprès de son père – qui ne manquerait pas une occasion de lui déchausser une ou deux molaires – alors il s’en était remis à son pote d’enfance, certainement le mec le mieux informé de la ville grâce au badge pendant à son cou par une chaînette perlée. En tant qu’inspecteur, Jax se confondait avec la population civile grâce à ses fringues – à la différence près qu’il était armé et sortait son gyrophare s’il avait une envie pressante de café. Ça lui était aussi arrivé de le hisser sur le toit de sa caisse « histoire de » (ne pas respecter les vitesses, griller les priorités, afficher son privilège de flic). Personne ne lui disait rien, parce qu’il était foutrement doué à son job et comptait battre un record d’arrestations d’ici la fin de l’année. Récemment, il avait chopé plusieurs ados en train de taguer un mur et s’était marré comme un connard en les entendant brailler « ACAB ». Jax le répétait, « they say they hate the police, the army, all that… they don’t have a clue ». Sid posa un gobelet de café noir dégueulasse en équilibre sur une poubelle. « It's beyond what I can do. I owe a lot to your father but there are other people involved and if they find out what I’ve done for y’all, I’m going to jail. » Non seulement il avait évité dix piges de taule grâce à un avocat débrouillard, dont il n’oublierait jamais le visage s’illuminant à la mention de ses états de service (un Marine, c’est bien, ça va nous aider), mais Burgess avait apporté sa pierre à l’édifice en passant derrière le rapport d’un sous-fifre. Soi-disant, les lumières du vélo de la gosse ne fonctionnaient pas. « I can’t cover this. Savannah has a special jurisdiction, and we have three werewolves who can press charges for assault and battery. We have witnesses. Last time your old man got lucky. Not sure it can happen again. » Preuve que les temps avaient changé, que la suprématie d’une époque survivait seulement dans les délires des anciens – qu’ils n’étaient plus intouchables. Le glas d’une ère s’entendait au loin, et Farrow s’interrogeait sur ce rôle de réprouvé qui lui seyait si bien, ou auquel il s’était accoutumé – au moins, on n’attendait absolument rien, sinon le pire, de sa personne. Il n’avait pas encore appelé Quinn, et ce n’était pas comme si le frangin donnerait suite à un message. « D’you know who started it?Sid. C’mon, » Jax lui coula un regard appuyé. « Do you have an alibi? ‘Cause there were two of ‘em. Your name already came up. » Occupé à pioncer chez son mec – il hocha mollement la tête, un voile de préoccupation couvrant ses orbes rivées sur l’asphalte et un chewing-gum aplati, autrefois rose. « Okay. You’ll have to ask Quinn. (Qu’est-ce qu’ils avaient tous à le pousser vers cet imbécile, putain.) Can’t promise anything for Callum, but I can get y’all out of this. Appreciate that. » L’inspecteur tapota distraitement son étui à cigarettes avant d’étouffer un ricanement moqueur, « y’know, I’d forgotten that Duggan was a dog. Hadn’t seen him in years. Bet he’s still mad at me for sleeping with Molly Hilburn. (L’anecdote, oubliée depuis, lui arracha un sourire en coin goguenard.) – Talked to him last weekend. » Et il déballa l’affaire sans prévenir. Contant l’histoire avec laconisme, sans ouvrir de parenthèse superflue, ni agrémenter certaines anecdotes peu glorieuses de détails parasites. Des phrases courtes recousant bout à bout les péripéties de ces derniers mois – et la place qu’occupait Alec se précisa ou, dans l’esprit de Jax, comblait un vide qu’ils avaient cessé de nommer. « Fuck. » Il glissa son étui dans une poche. « You signed your death warrant. (Une pause.) Damn it, Sid. (Une deuxième pause.) I knew you were a dog person but jeez » Des noms d’oiseaux à n’en plus finir dégringolèrent d’entre ses lèvres jusqu’à ce qu’il découvre l’heure sur le cadran de sa montre, décrétant que merde, faut que j’y aille, appelle Quinn.
Damn it, Sid.

— victorian district, 8PM
Il ne laisserait pas Callum menacer son seul foutu havre de paix.
Fuck that – d’ordinaire, il aurait continué son bonhomme de chemin sans tergiverser. Maintenant qu’Alec s’était ancré dans son quotidien et lui procurait, en plus de son toit, un réconfort certain, il lui devait une explication, aussi sommaire soit-elle, plutôt que se parer de silences arides. Songeur, il reposa son sandwich tandis qu’une notification de Nickie apparut sur l’écran verrouillé de son téléphone, en équilibre sur sa cuisse : « idk », suivie d’un « wasn’t home » évasif. Wtf happened last Friday? Peine perdue. Son père avait joué aux cons, se croyait toujours maître d’un quartier sur lequel il n’avait jamais régné, et il reniflait la merde, craignant voir se profiler à l’horizon une énième déclaration de guerre à West Savannah, éternel fief à briguer.
À croire qu’il se complaisait dans l’ignorance afin d’éviter ces migraines intempestives –
À croire qu’il n’aurait pas dû céder, ni le revoir.
Et maintenant de retour à Southern Rose, après avoir débauché plus tard que prévu, il jouait avec un trousseau de clés sans retrouver les formules répétées sur le chemin, debout sur son vélo, à ressasser des arguments inintelligibles. Il ne s’était pas excusé pour ses maladresses passées – son « I have nothing against you » sibyllin, la fureur qui n’était pas le sienne, le flingue dans le dos. Tant de conneries passées à la trappe dès le moment où il avait manifesté une initiative – et quelle initiative. La main s’accrocha au chambranle de la porte, « you hungry? » La réponse était attendue (oui, il crevait la dalle en permanence, et Sid était convaincu qu’un trou noir en lieu et place de son estomac engloutissait chaque particule de bouffe ingérée) mais l’invitation, moins.
Pas qu’il lui paierait un festin dans un restaurant cinq étoiles tirés à quatre épingles – il n’avait, pour ainsi dire, jamais mis les pieds dans un établissement de haute gastronomie quelconque. Sincèrement. Les gargotes où il s’était autorisé une bouffe par le passé présentaient toutes sans exception une gamme de prix particulièrement abordables, à la limite du modique ; à Fayetteville, Wayne et lui fréquentaient assidument un petit restaurant bon marché, le Rolling Pin Café, et à huit dollars l’assiette (deux dollars pour un accompagnement au choix), ça leur suffisait amplement. Dans la voiture, il distribuait des indications précises qui éludaient une véritable conversation, le coude sur le rebord de la portière, jusqu’à ce qu’ils dégotent une place de parking. Sid pointa une pancarte ovale de l’index, « Zunzi’s », fixée à un mur de briques rouges, surmontant un auvent jaune, presque orangé à cette heure de la soirée. C’était l’un de ces édifices vieillissants que l’on trouvait partout dans le quartier historique, sortis d’une autre époque et pourtant amoncelés les uns à côté des autres. Il passa une porte dont la vitre était recouverte de stickers (« we’re just serving food, fuck politics »), habitué à l’odeur de friture capiteuse encombrant les narines. Derrière la caisse enregistreuse, un type costaud agita la main dans sa direction. Un tatouage élaboré s’étendait sur son crâne lisse, garni de formes géométriques absconses, que Sid désigna discrètement à Alec, « that’s Cody. He beat cancer a few years ago, and since then, he adds something to his tattoo every year. » La file n’était pas longue, ça allait vite aux heures de pointe. « Where’s Jax ?With the kids, it’s his weekend.Right, right, il plaça un crayon derrière son oreille, little Maddie is growing up real fast don’t you think, I’ve seen her last month and man, time flies. The usual? You know it, il dit, la tranche de son porte-feuille tapotant le comptoir. – And what can I get you? » Que le chauve lança à l’attention d’Alec.
Il y avait une terrasse, à côté. Quelques tables au centre desquelles avaient été plantés des parasols bigarrés, et ils se posaient toujours là avec Burgess, parfois flanqués des mômes de ce dernier. « You probably know my old man’s story with Duggan, » ainsi décida-t-il d’ouvrir la conversation, une fois qu’ils trouvèrent un coin où s’asseoir. Les boîtes kraft béantes, il planta une fourchette en plastique dans la nourriture macérant dans une sauce épaisse, « we don’t talk that much. » Loin de rompre avec ses manies, il alluma une cigarette avant de commencer à manger. « With my dad, I mean. (Il allait de soi qu’il avait seulement adressé la parole à Scott pour le gaillard carnivore lui faisant face.) He’s paranoid. Doesn’t trust anybody. He didn’t want me to leave, » il s’affaissa légèrement sur son siège, « I served in Iraq and Afghanistan, y’know. Thought he’d be proud or something. » Regarde-toi, t’as gâché dix ans de ta vie et tu veux qu’on t’applaudisse ? « I came back and it wasn’t the same. » En surface, ce qu’il marmonnait semblait anodin – mais il ne répondait pas à une question, cette fois. Il parlait sans béquille, bafouillait à peine, et peut-être le coup de Sig lui avait-il replacé deux ou trois neurones. « I don’t know what Duggan told you but I could have shot both of you last weekend. » Il s’était redressé, joua longuement avec son mégot jusqu’à l’éteindre accidentellement dans une coupelle et, les avant-bras aimantés à la surface de la table, il balada une paire de doigts au centre de la paume d’Alec, y frappant un tempo faiblard, désordonné, qui créait une proximité étrange au milieu d’une assemblée devisant par-dessus leurs menus à emporter dans une ambiance bon enfant. N’importe quel quidam trop curieux devinerait la nature de leur relation. « This, il hésita longuement, pesant chacun de ses mots, ses phalanges s’immobilisèrent, maybe it’s a mess, I don’t know, but this might be the only thing that makes sense right now. And for now, I need that to be enough. » Une crevasse au fond du poitrail. « Please. »
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Alec Musgrave
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MessageSujet: Re: my eyes have seen you, free from disguise. (acid#3)   my eyes have seen you, free from disguise. (acid#3) EmptyVen 5 Fév - 19:21

– 8 août, 8 pm / thunderbolt
Au cours d'un bref moment d'effroi, il constata que ses mains tremblaient. De légères trémulations qui n'étaient que les conséquences de la fatigue et d'une descente discrète, pourtant il les fixa comme s'il redoutait de voir sa peau se fripper, des tâches de vieillesse surgir sur sa peau hâlée, déstabilisé par la peur panique de contempler le visage de son père lorsqu'il lèverait les yeux vers le miroir embué, des lunettes à oxygène barrant sa lèvre supérieure. Absurde, paralysant pourtant. Son cœur piqua une pointe d'accélération impromptue. Ses paupières se serrèrent et il envisagea brièvement de fouiller de nouveau le placard, bien que le flacon de dexedrine fut vide depuis qu'il avait avalé les deux derniers comprimés le matin même, sans quoi il n'aurait pas survécu à la journée. La marina avait bruissé d'activité sans interruption, il s'était esquinté le pouce en manipulant l'encre d'un voilier que les propriétaires avaient demandé à sortir en vue du week-end, Kenny l'avait bassiné à propos de sa conquête de la veille sans s'offusquer de son absence de réaction. Et pas un seul instant, il n'était parvenu à chasser l'image de Duggan de ses pensées, sa carcasse massive curieusement diminuée sous la pâleur des draps d'hôpital. « You hungry ? » Ses poings se serrèrent par réflexe et il se redressa, ouvrant les yeux sur Sid, qu'il n'avait pas entendu revenir. Il ramassa une mèche détrempée qui lui retombait sur le front et boucla derrière son oreille, se fendit d'un sourire. « Of course. » Son ton faussement léger sonna désagréablement à ses oreilles, faisant écho à l'aridité contenue de leur échange quelques heures auparavant. « We’re not exactly on speaking terms right now. » Well fucking find something, se souvenait-il avoir pensé, en ayant le bon sens de la fermer. Il aurait été bas de l'accabler pour une chose dont il n'était pas responsable, à fortiori après avoir constaté ce dont son père était capable à l'encontre de sa propre descendance, et qu'importe le soulagement relatif qu'Alec aurait pu en retirer.

« That’s Cody. He beat cancer a few years ago, and since then, he adds something to his tattoo every year. » La cacophonie d'un restaurant, les conversations allègres de la clientèle, le bruit des ustensiles s'entrechoquant dans la cuisine, les interpellations des serveurs surnageant ce chaos ordinaire. Cody et Sid échangèrent quelques banalités, gratifiant Sidney d'un statut d'habitué qui le fit sourire. « And what can I get you? » Qu'importe le degré d'épuisement ou de contrariété qui lui bousillerait les tripes, Alec aurait toujours la dalle quoi qu'il arrive. Il parcourut les cartes, jeta son dévolu sur le Conquistador et ajouta une PBR et des cookies.

« You probably know my old man’s story with Duggan, » Ils s'étaient assis à l'extérieur, là où les parasols poussaient du sol comme des champignons toxiques, leurs toiles jaunes virant à l'orange dans la lumière du soir. Entre eux, des boîtes cartonnées exhalant des arômes prometteurs. Alec marmonna un vague assentiment – il en avait soupé de cette histoire. « We don’t talk that much. With my dad, I mean. He’s paranoid. Doesn’t trust anybody. He didn’t want me to leave. » Ce n'était pas une remarque balancée au cours d'une conversation badine, du small talk sans conséquence. Sidney n'évoquait pas son père, ou se cantonnait à des anecdotes purement factuelles. Il décapsula sa bière en silence, attentif à ses propos, notant leur fluidité, car il s'était accoutumé à ses hésitations et ses silences. « I served in Iraq and Afghanistan, y’know. Thought he’d be proud or something. » Il comprenait ça pour en avoir cruellement manqué à sa façon – l'admiration passée s'écroulant sous le poids de la déception et du silence. La reconnaissance parentale était la chose la plus importante au monde aux yeux d'un gosse, qu'il ait dix ou trente piges bien tassées, celle qui aidait à s'affirmer en tant qu'individu : tu es important, tes réalisations ont de la valeur à mes yeux. Comme cette fierté que l'on éprouvait lorsque, gamin, on brandissait fièrement le dernier pot à crayon en papier mâché réalisé à l'école le matin-même, sous le nez d'un parent trop prévenant pour souligner l'horreur de l'objet en question. Celle qui nous gonflait le cœur en voyant trôner l'oeuvre sur le bureau le lendemain, rempli de stylos, remplissant son usage en dépit des contours mal dégrossis, de l'aquarelle baveuse ou des motifs hideux qu'on avait moulé à sa surface. « I came back and it wasn’t the same. » Il observa un silence prudent, attendant la suite, sa bouffe intacte devant lui. « I don’t know what Duggan told you but I could have shot both of you last weekend. » Il visita sa propre colère, moins une bouffée de fièvre qu'un bruit de fond discret qui lui avait inconsciemment fait serrer les dents toutes la journée. Ce soir-là, il avait disparu quelques minutes à peine, un bref laps de temps durant lequel Scott avait fait exactement ce qu'il avait craint.

« Where's... Sid ? » Il s'était arrêté sur le pas de la porte, les traits étirés par la perplexité. L'absence de Sadie avait assis la certitude que Sid était parti pour ne pas revenir. Duggan avait eu la décence d'adopter un air peiné lorsqu'il avait haussé une épaule, son pied marquant le tempo d'une mélodie imaginaire contre le fauteuil où s'était tenu Farrow un peu plus tôt. Un indice comme un autre signifiant que le bougre n'était pas tout à fait à l'aise, bien qu'il possédât une largesse morale suffisante à l'égard de lui-même pour ne se culpabiliser de rien. La canette de Sid était toujours posée sur le touret, intacte, entre le cendrier plein et les bières vides servant de relais. Il avait sondé inutilement les alentours, et n'y voyant rien d'autre que le paysage familier du trailer park où il avait élu domicile trois ans auparavant, s'était rassi. « What did you do ? – Why... – Scott. – Sorry he can't handle me. » avait-t-il lâché, trouvant l'audace de lever les paumes vers le ciel, les sourcils arqués sur son front, eh, ne me fais pas passer pour le connard de service. « You're a goddamn-I tried, okay ? » Il s'était griffé les paumes et exhorté au calme, fixant le bazar de la terrasse, un goût amer tapissant ses lèvres. À quoi s'était-il attendu, vraiment. « I tried. » Il n'avait rien essayé du tout, s'était peut-être donné l'illusion de le faire mais s'était vautré avec complaisance dans ses préjugés. Ils ne s'étaient pas reparlé, pris dans l'effervescence de leurs emplois du temps respectifs, et au bout du compte, ce qui s'était dit entre eux resterait un mystère car l'événement était passé au second plan après la nuit dernière. Quant aux révélations de Scott, Alec n'en dirait rien. C'était à la fois de la pudeur et l'expérience de ses propres erreurs, qu'il n'aurait pas souhaité voir le définir en tant qu'individu. Son opinion de Sidney s'était forgée sur des faits vérifiables, un avis personnel auquel il se fiait davantage qu'aux racontars.

« This, il baissa les yeux sur leurs mains jointes, referma ses doigts sur les siens, maybe it’s a mess, I don’t know, but this might be the only thing that makes sense right now. And for now, I need that to be enough. Please. » Son pouce balayait délicatement le dos de sa main, cachant et dévoilant par intermittence les tâches de son et les sillons bleutés du réseau veineux marbrant sa peau. Un engramme encore récent de leurs débuts balbutiants émergea lentement de sa mémoire. Leurs silhouettes solitaires perchées sur un banc, des bières à leurs pieds, le contact de leurs jambes collées l'une à l'autre, la satisfaction idiote de constater que Farrow ne s'y soustrayait pas. « Maybe you don't realize how careful I was at the begenning. I was always wondering when you'd decide to stop seeing me, and sometimes when we were just, like, touching, and you weren't stepping back, it's dumb but—all I was thinking was : don't you dare fucking move. I was so careful. » Et cette prudence imprégnait chacun de ses gestes aujourd'hui encore. Il cantonnait ses démonstrations d'affection au privé, conscient que Sid ne les tolèrerait pas sous le regard d'autrui. Entre eux, leurs mains liées étaient une marque d'intimité inhabituelle dans un cadre pareil. « I'm never careful. I don't know how else to say this. » Il lui paraissait soudain incroyable d'avoir pu ignorer jusqu'à maintenant la profondeur de ce qu'il éprouvait pour Farrow. Sans doute ne percevait-il pas l'étrangeté de ce qu'ils avaient aux yeux d'Alec. Ses déboires affectifs passés s'étaient cantonnés aux aventures éphémères, vouées à combler l'isolement et la solitude. Des rencontres qui ne demandaient aucun effort, n'engageaient à rien ni n'exigeaient quelque forme d'implication que ce soit. De la consommation à l'état pur, bien loin des potentielles retombées émotionnelles. Sidney, c'était nouveau. Précieux. Galvanisant. Flippant. « So this is more than enough. And as to Scott... It actually was a shitty idea. But no matter what he said, I mean it. Ain't gonna change anything. » Il resserra l'étreinte autour de ses doigts. Creusa un sourire hâbleur, puis se détacha. « I could kiss you right now. You're lucky the food is more attractive than you. » Il étouffa un soupir de contentement en entammant sa pitance. « Your dad didn't give a shit about you career, but you served for years, that can't be for nothing. » En dehors des manquements de l'armée, il ne se souvenait pas d'avoir jamais entendu les motivations profondes de son engagement. « Do you miss it ? »

– 10 pm.
« You tired ? » Il enclencha la première et s'engagea sur la route, sa main libre emprisonnant celle de Sid. « We can go home but I think you'll like it. » Un sourire sibyllin flottait au coin de ses lèvres.

Il y avait à l'arrière du magasin de pêche un bateau à fond plat dont Josh ne se servait jamais. Alec l'avait tanné des semaines durant pour le lui emprunter de temps à autres, avant de lui arracher un assentiment disgracieux au terme d'une lutte acharnée. Sa dernière excursion remontait à l'hiver dernier et il retrouvait avec un plaisir non dissimulé la satisfaction de godiller en douceur au milieu des bras d'eau sillonnant les marais. La grâce lascive du rafiot le ramenait invariablement aux étés sur le lac. Le frère de Ruth avait à l'époque un coque open à la patine brillante, un bijou lustré avec soin derrière lequel on baladait la tralée de cousins dans une bouée. One more time, one more time, ils suppliaient, les cordes vocales brisées par les hurlements, les cheveux dégoulinants et les paumes douloureuses à force de se cramponner aux poignées.
Le canot de Josh n'en avait ni l'allure ni l'envergure, il était tout juste assez vaste pour accueillir deux passagers. Il fallait sortir les rames, accepter le confort sommaire des bancs piquetés d'échardes. La peinture était passée, un bleu pâle et terne dévoilant par endroits le bois fatigué de la coque. Le nom de l'embarcation n'était qu'à peine lisible – Azure's Dream. Un mirage dérivant à la surface de l'eau. Ils avaient traîné la barque jusqu'au rivage, tangué un instant avant de remonter la rive à contre-courant. Dans la nuit, la manœuvre était périlleuse et la proue butait régulièrement sur des bancs de sable affleurant à la surface. Les fourrés bordant le cours d'eau bruissaient chaque fois qu'un oiseau dérangé dans son repos s'envolait sur leur passage. La nature toute entière frémissait.
Et dans son cœur, une quiétude infinie.
Rabattant les rames à l'intérieur de l'esquif, il se pencha vers Sid et emprisonna son visage entre ses paumes, sourit contre ses lèvres, le contrepoint de leurs deux souffles se rencontrant dans l'obscurité. « How could this not be enough ? »

– sam. 9 août, 2pm / tybee island.
Paul ressemblait à un enfant, assis sur l'abattant des chiottes en répartissant les comprimés de dexedrine dans des flacons. Il les avait alignés comme des gratte-ciels sur le rebord de la baignoire et murmurait entre ses dents à mesure qu'il comptait et y laissait tomber les cachetons, la main en coupe. Trente-trois, trente-quatre, trente-cinq, et ça ira pour cette fois. « You sure you're alright ? » Alec s'arracha à sa contemplation de Latimer, dont il matait avec une fixité inconsciente les épis d'un noir de jais qui rebiquaient au sommet de sa tête. « Yeah, why ? It's the second time this month you buy me this shit. » L'observation le laissa pantois. Perplexe, il lissa sa moustache du pouce et de l'index, s'inquiétant plus d'avoir écoulé son stock si vite sans s'en être aperçu que de sa consommation en elle-même. C'était problématique. Ça ne se restreignait plus aux soirées depuis qu'il évitait ces dernières et quelque part dans un coin de son cerveau s'éveilla un signal d'avertissement lointain, qu'il ne prit pas la peine de considérer de plus près. « I have two jobs and a bunch of morons as friends so yeah, I'm drained. » Sans compter sur les heures de sommeil supplémentaires dont il se privait malgré lui depuis que Sid avait investi la caravane. Paul émit un rire étouffé en refermant le boîtier, qu'il garda dans la main en l'interrogeant. « No side effects ? » Il songea aux tremblements de ses mains. Aux palpitations. Secoua la tête. Rien de préoccupant. « I'm fine. You a doctor now ?Trust me I missed my calling. » Il voulait bien le croire. Devant le miroir, le lycan lui lança l'étui et examina son arcade sourcilière. Sa blessure avait meilleur aspect, l'hématome ayant déjà viré au vert-jaune. Il avait retiré le pansement, exposé les points à l'air libre. « Scott has a painkiller prescription for three weeks. He texted me this morning saying he'd sell me twenty oxys for a blowjob, what a fucking asshole. » Il éclata de rire, au moment où résonnait l'écho d'une porte qu'on claque, quelque part dans l'immensité vide de la baraque.

« What were you two doing in there ? » Sacha avait la tête plongée dans l'antre du réfrigérateur et examinait les dates de péremptions des rares denrées – non alcoolisées – qui s'y trouvaient. Jetant son dévolu sur des galettes de légumes racornies, il sortit une poêle et commença à s'activer sans cesser de les jauger d'un air circonspect. « You don't wanna know. How did it go ? » L'épaule calée contre la baie vitrée, Alec fronça les sourcils, mû par un mauvais pressentiment. « It was quick.What was ?I was at the cops. I made a statement for the other night.You made a fucking statement ? » Deux paires de billes le dévisagèrent et Alec regretta trop tard l'acrimonie de son ton. « I'm not gonna let them get away with it, what did you think I was gonna do ? » Ses iris glaciales se durcirent instantannément. C'était un fait, ils ne s'étaient jamais entendus. De son arrivée chaotique dans la bande (merde, c'était de sa sœur dont on parlait) à leurs opinions divergentes sur à peu près, c'était tout juste s'ils se toléraient. Duggan disciplinait vaillamment les fréquents esclandres qui éclataient entre eux pour un oui ou pour un non, lorsqu'il n'était pas en train de compter les points, ou de se marrer dans son coin. Conscient du danger d'une telle conversation, Alec déporta son regard par-delà la fenêtre en ravalant la bile qui lui remontait le gosier. Il n'insista pas. Il ne manquait plus que Sacha entende parler de Sidney.

– 5 pm / chattam crescent
L’appartement de Callie sentait le bois sec et le papier d'Arménie. Elle avait disposé des plantes à tous les rebords de fenêtres, des livres occupaient les étagères, les derniers espaces comblés par une multitude de babioles qu’il avait cent fois regardées, avant de les remettre à leur place sans s’enquérir de leur provenance. La vie de Callie était une étole bariolée, un patchwork drôlement harmonieux d’une vie aussi éparpillée que la sienne. Elle se répandait à travers ses biens, racontait ses chapitres à demi-mots — des tableaux et des estampes, des darumas aux yeux vides, de minuscules cochons en jade alignés sous un présentoir à bijoux. Et partout, l’empreinte de Scott. Un sac de sport posé dans l’entrée, sa Gretsch patinée exposée dans un coin du salon, des dossiers qu’il ramenait du boulot desquels dépassaient des post-it multicolores. 
Une pile de paperasses estampillée aux armoiries de l’hôpital reposait sur la table basse, à côté du Coca que Callie lui avait déposé, qu’Alec avait accepté plus par politesse que par envie. Ça ne lui disait rien. Il regardait la condensation perler sur le métal rouge, luisant, et glisser jusqu’à la table, où elle laisserait des traces humides dans le bois. La surface en était couverte : des encoches causées par des objets lourds, des marques de stylo, des brûlures de cigarettes, des souvenirs de casseroles bouillantes qu’on aurait négligé de poser sur un dessous de plat. « You still gonna see this dumb fuck after this ? » Scott s’exprimait lentement. Passait sporadiquement les doigts sur ses lésions. Ses épaules tombaient, animant sa posture d’une profonde lassitude. Mais sous ses paupières boursouflées, ses yeux n’avaient pas perdu de leur intensité. Le moindre mouvement semblait être un supplice, et en complément des traitements prescrits par l'hôpital, Callie avait fait un détour par les sorcières pour y récupérer des onguents que Scott, fidèle à lui-même, refuserait qu'elle lui applique. Elle avait disparu dans la cuisine depuis un moment déjà, un masque de résignation opaque collé au visage. « He wasn’t there. Ain’t his fault.Whose fault is it then ?Cut the shit Scott. Il flanqua un coup de pied à la table basse, la canette oscilla avant de s’immobiliser de nouveau. You fucking had it coming. You’re up to your eyes in shit and that’s entirely on you. Told you not to nag ‘em up, how many times did I tell you not to, huh ? Target, the liquor store. Fuck. » Enfoncé dans le canapé, Scott bataillait maladroitement avec le couvercle d'une boîte d'antidouleurs, qu'Alec finit par ouvrir à sa place en le voyant galérer. « Listen, I freaked out when Paul called me yesterday, alright, I— » Il devrait élaborer davantage, construire un argumentaire suffisant pour le dissuader de déposer une plainte à son tour, mais rien ne lui venait. L'entreprise lui paraissait gonflée, alors qu'il examinait minutieusement le faciès ravagé de son meilleur ami. Sacha était dans son bon droit et Alec savait parfaitement ce qu'il aurait fait à sa place – exactement pareil, voire pire. Mais il y avait Sid, et c'était compliqué. N'en restait pas moins qu'il n'avait aucunement le droit de dicter sa conduite à Duggan.
Ils n'avait pas desserré les lèvres depuis dix minutes lorsque Scott laissa tomber : « I won't press charges, if that's what you're worried about. » Une honteuse vague de soulagement. « Thank you. Means a lot. – Ain't for Farrow.I know.It's not gonna change shit anyway, ever. I'm so fucking exhausted of lying down in front of those scums. Fuck. None of us came to Savannah to suffer the same shit we got away from beyond its borders. »

– 8 pm / thunderbolt
Le pick-up s’immobilisa devant le trailer, les phares éclairant crûment le revêtement fatigué de la façade. L’interstice entre les plaques de tôle parcellisait la peinture beige sale. Il nota que la gouttière se détachait d’un coin de toit comme on remarquerait les aléas capricieux de la météo. La colère de Scott résonnait encore en lui comme un diapason. Une fatigue immense. Une lassitude tellement ancrée dans la trame de sa vie qu'il n'avait même plus conscience de la porter au quotidien.
À l'intérieur, il s'effondra contre Sid, trouvant refuge dans le creux de son cou. « I know I said I'd talk to Scott. But Sacha has already made a statement, and honestly... Your dad don't deserve to get away with what he did. You should see Scott's face. » That's entirely on you. Il regrettait ses propos, que seul un connard ou un abruti pétri de sentiments et d'absurdes instincts de protection pouvait tenir. « I mean he—if even his own son is not spared, who is ? » Question rhétorique. Sidney l'avait dit lui-même. Callum Farrow était un danger public doublé d'un paranoïaque qu'aucune démarche de raisonnement ne toucherait jamais. Il était vain d'espérer quoi que ce soit, un changement, n'importe quoi. Il ne voyait pas de solution. « You know I thought about what you said the other day. We should go to New-York. I think I can free off some vacation in September. Just to get away from here, even for a few days. »
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Sidney Farrow
Sidney Farrow
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MessageSujet: Re: my eyes have seen you, free from disguise. (acid#3)   my eyes have seen you, free from disguise. (acid#3) EmptySam 13 Mar - 9:15

– vendredi 8 août, 8 pm
Sid Farrow avait la réputation d’être une espèce de clébard mal dressé, un molosse qu’il fallait attacher et museler si on ne voulait pas qu’il s’en aille mordre les tibias du le premier venu, la mâchoire grande ouverte et les yeux injectés de sang. Ses gestes brusques et gauches trahissaient le volcan de violence intérieur sommeillant en lui, ou constamment en éruption à dire vrai – ça brûlait dans ses veines, et la métaphore aurait gagné à être filée davantage tant souvent, il rappelait à quoi ressemblaient les hommes avant l’ère de la civilisation. Il avait fini par croire à ces préjugés, à penser qu’en effet, il n’était qu’une bestiole enragée, une mascotte bonne à être tenue en laisse afin d’effrayer les ennemis locaux. Et quels ennemis. Avait-il oublié qui il était véritablement – un bon soldat, un leader fiable, un roc pour les recrues dépassées par les évènements, un type dont le calme olympien rassurait lorsque pleuvaient les balles. Il suffisait de lui décocher un regard en biais, de coincer sa silhouette droite dans son champ périphérique pour se convaincre que tout irait bien. Parce que Farrow était là, une main posée sur l’épaule du gars portant la radio, et qu’il était à l’affût du moindre danger. Au-delà des champs de bataille et des opérations aux noms déclinant la puissance de leur patrie, il y avait aussi ce petit gamin dégingandé derrière la caisse de Sam Goody et de Best Buy, qui comptait les minutes jusqu’à sa prochaine pause clope.
La chaleur de la main d’Alec sur la sienne lui ôta un poids substantiel, et il se surprit à courir le risque idiot d’afficher ce qu’il avait longtemps considéré comme une perversion, une maladie à soigner. Il avait régressé à tel point que sa routine d’autrefois, après avoir pris la poudre d’escampette, prenait des allures de songe lointain – mais il n’avait pas rêvé les déambulations à Fayetteville le samedi matin, au Farmers’ Market, et il n’avait pas rêvé le silence réconfort d’une soirée à ne rien faire, hormis lire ou se disputer bêtement la télécommande. Il avait l’impression d’avoir enchaîné les morts et les résurrections, jusqu’à se perdre en chemin, perturbé par de trop nombreuses réincarnations et versions de lui-même. Chaque costume endossé, chaque personne rencontrée, chaque obstacle surmonté engendraient une copie quasi conforme, quoiqu’incomplète, de ce qu’il était. Comme s’il était pathologiquement incapable de faire sens de lui-même, et qu’il avait besoin de compartimenter au maximum, d’enchaîner les masques selon son interlocuteur. Prétendait-il être une meilleure personne, face à Alec, ou lui avait-il autorisé l’accès à quelque absconse vérité ? « Maybe you don't realize how careful I was at the beginning. I was always wondering when you'd decide to stop seeing me. » La nécessité de sa présence l’avait terrifié, au début – et encore maintenant, il avait forgé de nouvelles habitudes autour de lui à une vitesse alarmante. Il ne le réaliserait pas immédiatement, empêtré dans ses sentiments bourgeonnants. « And sometimes when we were just, like, touching, and you weren't stepping back, it's dumb but—all I was thinking was : don't you dare fucking move. I was so careful. » Il s’en rappelait. Avait glissé un œil inquiet sur le frottement de son bras contre le sien, à la claque de sa paume sur son épaule, à sa cuisse collée à la sienne, sur un bout de trottoir mal éclairé. Leur complicité naissante avait essaimé des idées effrayantes – un désir sourd qui l’avait extirpé de sa torpeur. Il avait troqué les médicaments contre les bières éclusées avec lui, et Alec n’était peut-être qu’une addiction de plus dont il aurait besoin de se sevrer un jour ou l’autre. « I'm never careful. I don't know how else to say this. » Ses commissures s’étirèrent, creusant deux rides singulières de chaque côté de sa bouche, comme deux parenthèses s’ouvriraient. « So this is more than enough. And as to Scott... It actually was a shitty idea. But no matter what he said, I mean it. Ain't gonna change anything. » Il ne revint pas sur cet incident. Haussa une épaule. « I could kiss you right now. (Il l’aurait souhaité, aussi improbable cette pensée soit-elle, mais renonça à saisir cette perche tendue.) You're lucky the food is more attractive than you. » Son regard épingla la façade de Chatham County Court House, à un parking de la terrasse où ils s’étaient installés. L’entrée, planquée sous une arche arrondie, était plongée dans l’obscurité, à l’instar des deux rangées de fenêtres se confondant avec le mur à cette heure de la soirée. Sa main se suspendit au-dessus des frites qui encerclaient un sandwich tiède, et il ne prêtait plus qu’une oreille semi-attentive à Alec.
Maître Connor Wiley était un type approchant de la quarantaine, un « jeunot » dans le circuit des vieillards qui avaient colonisé ce coin de la ville, rompus à des années de pratique et confortablement installés dans les parages depuis plus d’un quart de siècle. Lors de son arrestation, il ne s’était fait aucune illusion : il n’avait ni les fonds ni l’outrecuidance de payer les sommes absolument scandaleuses que certains avocats exigeaient, uniquement pour s’asseoir à une table et convenir d’un deal peu avantageux. Alors qu’il avait accepté son sort – autrement dit, un commis d’office surchargé de travail –, Jax s’était précipité sur son carnet d’adresses et avait presque ordonné à Wiley d’accepter cette patate chaude de dossier où la culpabilité du principal suspect était inscrite noir sur blanc. Connor avait froncé les sourcils, s’était demandé ce qu’il espérait dans une telle situation : c’est impossible d’échapper à la taule, tu comprends ? Il suffirait d’alléger au maximum la peine – éviter la décennie qui planait au-dessus de sa tête comme une épée de Damoclès. Amputer la sentence de deux, trois, peut-être quatre années avec un minimum de veine. Wiley avait apprécié le défi, parce que ça le changeait de ses tickets de contravention et, au mieux, d’une affaire de vol à l’étalage. Il avait vu le potentiel d’une victoire se dessiner à l’horizon tandis qu’il se penchait sur l’histoire de l’accusé, et quelle histoire : une véritable épopée s’était écrit sous ses yeux. Il avait bâti l’intégralité de sa défense sur sa carrière militaire, s’était entretenu avec trois psychologues différents afin de dresser un portrait pompeux de soldat abandonné, et très honnêtement, il y avait un bouquin à en tirer. Sidney Farrow avait refusé de parler, au début. Il était coupable, point barre. Pas moyen de se souvenir correctement de l’ordre des évènements, mais c’était une certitude ancrée dans son esprit : il était coupable. Wiley l’avait poussé dans ses retranchements, souhaitait un rapport détaillé de ses anciennes responsabilités, de sa vie privée, absolument tout ce qui était nécessaire à l’élaboration d’une histoire à faire pleurer dans les chaumières. À défaut de prouver son innocence (chose impossible, compte-tenu de l’état du pick-up), il pointerait du doigt un héros de guerre qui avait sacrifié sa santé mentale et physique et vivait désormais d’aides sociales. « It’s not true, » avait objecté Farrow, sortant enfin de son mutisme après l’avoir écouté déballer sa stratégie pendant vingt interminables minutes. « You quit your last job six months ago.But I don’t rely on—Let me do my job, alright? You just have to stand there. » Un psychiatre militaire avait été convoqué à la barre, et lorsque Sid avait reproché à Jax de l’avoir transformé en bête de foire avec ce putain de Wiley, il avait froidement renchéri, « ain’t only about you, man. » Parce qu’il y avait Wayne. Wayne qui avait avancé une partie des honoraires, et Wayne qui bouffait des kilomètres de macadam chaque semaine ou claquait ses revenus dans un billet d’avion pour moins de vingt-quatre heures à Savannah, et Wayne qui payait les soins de son père à l’article de la mort entre deux suées face à son compte en banque. « Actually, pour la première fois de leur vie, Jax délaissa un instant son rôle d’allié indéfectible, given the circonstances, it has nothing to do with you. » Il mettra plusieurs années à élucider cette parole isolée.
« Do you miss it?Huh? » Alec répéta « the army » entre deux (monstrueuses) bouchées. « Mmh, » il s’empara d’une frite ramollie. L’armée en tant qu’institution gouvernementale ne lui faisait ni chaud ni froid – il regrettait ses responsabilités, sa compréhension du milieu, avoir réponse à tout, connaître les codes, ses habitudes, les blagues douteuses de ses potes, l’adrénaline, le déracinement, le sens que ce rythme de vie impossible, régi par une discipline stricte et une hiérarchie insondable pour le vulgum pecus, avait donné à son existence jusqu’alors dénuée de toute ambition. Il n’était pas de ces gamins rapportant des gribouillis censés représenter un astronaute ou un pirate à la maison, à dire fièrement, « moi plus tard… », à travailler afin de réaliser un rêve à la con. La question « what do you wanna be when you grow up ? » de son professeur de sciences naturelles l’avait déconcerté. Il s’était endormi au fond de la classe et à la fin du cours, plutôt que récolter une heure de colle, le type l’avait gardé dans la salle. Ils avaient passé en revue ses notes catastrophiques, ses somnolences, et à l’instar d’un éducateur indulgent, soucieux du bien-être de ses ouailles, il l’avait soumis à un interrogatoire gênant. Qu’est-ce que tu aimes faire, dans la vie ? Il avait haussé les épaules. Tu aimes forcément quelque chose. La musique, il avait enfin répondu après avoir observé une pause hésitante. Sauf que la musique n’était ni une carrière ni une véritable passion à laquelle il dévouait son temps libre. Il grattait parfois les cordes d’une guitare avec Kitty, et son père. Callum était doué. Il lui avait appris les accords de base et, face à face, ils répétaient du Johnny Cash ou du Willie Nelson. Sa mère chantait admirablement bien, avait transmis ce gène à ses filles, à Quinn aussi, quand il avait seulement écopé d’une oreille musicale. Distrait, il reprit d’une voix faible, « it’s hard to—you know, relate to civilians, il balaya les alentours d’un regard absent. Spent years out there, traveling, not paying for, like, healthcare, rent… that kind of shit. » Des futilités. Il avait soupé de la paperasse à remplir en rentrant de mission mais ce n’était pas comparable à ce qu’on lui avait demandé ici. Il avait abandonné certaines démarches par lassitude, et il était certain qu’il aurait pu prétendre à une pension supplémentaire en opposant un minimum de résistance face aux secrétaires désintéressés. « You come back and it’s like… speaking another language, il se tut. C’était sûrement plus facile d’agiter son MK et d’apprendre des mots d’anglais à des gamins curieux, rôdant près des uniformes qui établissaient des périmètres de sécurité autour du quartier. As if you felt more at home abroad than in your hometown. » Il conclut ainsi, touchant sûrement une corde sensible de son interlocuteur. N’était-ce pas ce qu’ils étaient, au fond, deux outsiders fatigués.

– 8 août, 10 pm
Il avisa le canot, son bras en travers de la poitrine. Le truc ne payait pas de mine mais son austérité n’avait d’égal que son charme désuet. Il imita les moindres faits et gestes du nocher, eut le temps de se tremper les pompes (« shit ») avant de grimper dans la barque. Avec deux bonhommes pareils juchés sur des planches de bois pas bien solides, c’était à se demander qui tanguerait le premier. Ils avaient cessé de pagayer après avoir indolemment dérivé sans prêter attention à la distance parcourue. Il y avait un lac rongeant la propriété des Parsons, cerné de cimes broussailleuses, au bord duquel pourrissaient deux embarcations qu’ils utilisaient pour leur activité halieutique dominicale. Dans l’obscurité, alors que les lumières alentour ne ressemblaient plus qu’à des lucioles perçant par moment le voile sombre de la nuit, un glissement fugace s’opéra. Il crut le voir, face à lui. Son rythme cardiaque s’emballa. « How could this not be enough ? » Les mains eurent beau s’accrocher aux poignets d’Alec, ce ne fut pas sa voix qu’il entendit, ni son souffle qu’il reconnut contre ses lèvres closes. De son odeur aux paumes calleuses, il chercha Wayne. Fouilla si profondément dans sa mémoire qu’il y parvint. Sa voix lui parut plus claire que jamais, pour la première fois depuis qu’il l’avait entendue jaillir de ce vieux caméscope oublié. Si la mort hissait les êtres chers sur des piédestaux inatteignables, elle diluait aussi les souvenirs, les effritait autant qu’elle les embellissait, et bientôt, il se demanderait ce qu’il lui resterait véritablement de lui. Des images floues, des sons lointains, des sensations éparses. L’absence, en revanche, ne faiblirait pas, et peut-être le transperça-t-elle un peu plus profondément ce soir. « I’m sorry. » Alec traduirait ce chuchotement de la manière dont il l’entendrait – il ne s’adressait pas à lui. Il l’avait repoussé dans un repli si sombre de son esprit que sa présence ne fut plus qu’une interférence dans la vision qu’il construisait autour de lui. Il n’était pas à Savannah ou parmi les vivants, par ailleurs. Ses lèvres dérapèrent sur la partie charnue de sa paume et il se recula lentement, sondant les environs, le décor familier de son enfance, quand avec Quinn, ils sillonnaient les bancs de sable en se demandant s’ils parviendraient à voler une barque à l’abandon. Il avait Alec et pourtant, tout lui manquait. Wayne, son frère – l’apaisement qui aurait dû clore la soirée s’était mué en frustration silencieuse. D’être ainsi confronté à des démons invisibles portant le simple nom de souvenirs. Sid n’était pas « là ». Ici, présent, peu importe. Il s’était retranché dans un autre monde – à défaut d’être meilleur, inachevé. Abruptement interrompu. Ce n’était pas assez, et maintenant qu’i s’apercevait de la supercherie – putain, à quel point s’était-il fourvoyé –, il eut envie de regagner le rivage et de dormir.
Il n’en fit rien. Écouta Alec lui parler du bateau de son oncle. Répondit qu’une fois, il avait eu le mal de mer à l’armée, à cause d’une ration engloutie trop vite au terme d’une heure éprouvante de gym, à la grande hilarité du camarade d’à côté. La barque laissait un sillon velouté derrière elle à mesure qu’ils s’éloignaient du magasin de pêche, et il ignora combien de temps ils restèrent assis, à s’en remettre au courant inexistant. Dans un désir purement égoïste de faire durer ses hallucinations, il promena un index sur le pavillon de l’oreille de son vis-à-vis, glissa jusqu’au lobe, et sous un ciel si sombre, il lui fut facile de raviver un fantôme.
Il était nauséeux.

– samedi 9 août, 8 pm / thunderbolt
Il massait lentement son épaule, la main sous son t-shirt. Ses doigts effleurèrent les stigmates causés par deux impacts de balle, des boursouflures blanchâtres le lançant parfois après un effort physique conséquent. Une énième histoire inscrite dans la chair. Celle-ci, il l’avait racontée à Alec : une embuscade, un tireur solitaire, son temps de réaction, l’absence de douleur, la visibilité proche de zéro, incapable de viser, toutes ces putain de roches se ressemblaient, une prison à ciel ouvert, et fallait tirer le copain touché en pleine tête, nettoyer la bouille de cervelle humaine qui avait giclé sur son bras, découvrir que le sang, là, était le sien. Sidney n’avait aucun talent de conteur : il énumérait les faits comme il aurait lu une liste de courses, il s’est passé ça, puis ça, puis ça. Le ton était placide, à tel point qu’il était difficile de mesurer l’ampleur du traumatisme de cette journée en enfer. « That’s the job we signed up for, » il avait sobrement argumenté.
Il dormait à moitié quand Alec rentra, ses écouteurs obstruant les canaux auditifs avec du Moody Blues (you’re here today, no future fears). Son corps s’était ramolli sur le canapé, son menton reposait sur sa clavicule et le bouquin sur lequel il avait tenté de se concentrer était tombé par terre. Il y avait une tasse de café vide sur la table et une Sadie s’emmerdant profondément près de la porte, surveillant son maître du coin de l’œil, un jouet en caoutchouc entre les crocs. Le jappement de la chienne le tira de sa léthargie, et il eut juste le temps de soulever un bras avant qu’Alec s’affale à ses côtés. Ensuqué, il tenta de mobiliser son attention sur la voix de son voisin mais capta seulement « statement » et « Scott’s face » sans réussir à lier les deux informations. Sa main s’était posée sur la cuisse du lycan, et deux doigts pressèrent l’arête de son nez, « mh ». Un parangon de sollicitude, le Farrow. « I mean he—if even his own son is not spared, who is ? » Ses lèvres, qui ne formaient plus qu’une ligne exsangue, se confondaient avec son teint désespérément diaphane, et il se dispensa du moindre commentaire (bien qu’un « it’s more complicated than that » menaçât de tomber pour être aussitôt dégluti). Il avait mérité cette raclée autant que Duggan avait mérité la sienne ; Callum, il l’avait appris par la force des choses, ne frappait pas sans raison. Au contraire, il était sûrement l’un des plus lucides du clan. Aucune de ses décisions n’était prise à la légère, et peut-être calcula-t-il même son passage en cabane, préparé à encourir une peine tronquée d’une poignée d’années grâce à ses connexions illicites avec les assoces anticrawlers. Il se sentait diminué face à l’intelligence de son père. Incroyablement con. « Guess you’re right. » Mais le manque d’aplomb suggéra autre chose. « You know I thought about what you said the other day. We should go to New-York, il lui coula une œillade déconcertée. I think I can free off some vacation in September. Just to get away from here, even for a few days. » Vaguement alarmé par la proposition, il ôta sa main du quadriceps et attrapa la tasse avant de s’éloigner, dans une précipitation modérée, à croire qu’il essayait de paraître aussi détendu que possible. Il suffisait cependant de l’observer une fraction de seconde s’affairer au-dessus de l’évier. L’évasion n’était pas un problème – ce qu’il était aux yeux de la loi, en revanche, risquait de couper court à cette idée. Ce fut le premier détail auquel il songea : en avait-il le droit (sans même considérer les faits pour ce qu’ils étaient : partir avec Alec). Il lui faudrait demander. Décrocher le téléphone, contacter son parole officer, déposer un flacon de pisse, et il se rappelait encore la gueule que le type avait tirée en apprenant son « licenciement économique ». De quoi lui provoquer un début d’ulcère. « I—yeah, let me, il ferma le robinet, let me think about it. »

— samedi 15 août, 4pm / thunderbolt
Jesse était un enfant doté d’une imagination débordante – il s’évadait dans des mondes de son invention, la tête ailleurs, le nez en l’air, et dévouait la majeure partie de son temps à fabriquer des dimensions parallèles plus excitantes que son quotidien monotone, se rêvant tour à tour pirate de l’espace ou savant fou. C’était pire pendant les vacances d’été. Jusqu’à la fin de l’année dernière, il n’avait eu que des rapports limités avec son oncle Sidney, une figure fantomatique, absente, dont son père parlait seulement en mal. Plutôt que laisser les exagérations d’Ace devenir des vérités sans fondement, Kitty avait cédé à la question pressante du gamin, « can I  come and see Sidney too? » Au début, elle ne lui avait pas dit où se trouvait le fameux « Sid ». Il le connaissait seulement à travers les quelques photos que sa mère avait disposées sur une console du salon : il y avait son portrait militaire et des clichés datant de leur enfance. Il racontait alors que son oncle était un soldat, qu’il était en voyage, puis son père s’était agacé, « Sid’s in jail, Jesse. Ain’t some superhero. He’s a fuck-up who’s where fuck-ups end up. » Kitty n’avait pas toléré ce manque de respect à l’égard de son frère, et la discussion avait viré en pugilat verbal sonore, tant et si bien qu’Austin et lui s’étaient éclipsé. « What did he do ? » Son frère avait haussé une épaule, les fesses posées sur le rebord de son matelas, dans la chambre qu’ils partageaient depuis toujours. « I asked Quinn but he just told me it was bad.But how bad is bad? Les grands yeux de Jesse s’étaient écarquillés. Do you think he hurt someone? » L’aîné s’abstint de répondre, et peut-être en savait-il davantage, compte-tenu du nombre de fois où il surprenait les conversations lunaires de Quinn et Nickie. Kitty avait fini par trouver un compromis délicat avec Jean, et la réunion de famille qui se profilait entre les murs de Coastal State Prison lui filait des sueurs froides. Elle essayait de se convaincre qu’avec les enfants, Callum et Sidney mettraient leurs différends de côté et se comporteraient le plus normalement possible. Malgré sa proposition prudente (presque suppliante), les cadets avaient refusé de les accompagner – Nickie bossait, Quinn préférait marcher sur des clous enflammés pieds nus plutôt qu’endurer la compagnie du combo gagnant que formaient ses parents et son frère. En découvrant sa frimousse espiègle, Sidney avait souri, « you’re a little man now, » et il lui avait ébouriffé le crâne.
Jesse l’adulait ; contrairement à la majorité des adultes gravitant autour de lui, il l’écoutait avec attention, répondait toujours à ses questions, passait du temps avec lui. Ils partageaient une connexion qu’eux seuls étaient en mesure de comprendre, mais Kitty ne s’était pas étonnée de cette complicité forgée de nulle part – Sid avait ce truc avec les mômes et ne rechignait pas à s’en occuper. Il s’était également habitué à la présence d’Alec dans son quotidien, le « Sid’s friend » évoqué au cours d’un dîner, « Jax ?No, Alec.Never heard of some Alec. He’s someone Sid works with, » s’était empressée de répondre Kitty, et Ace s’était contenté de cette explication, plus préoccupé par le contenu de son assiette que les connaissances de son beau-frère. Alec était cool. C’était le qualificatif qu’il n’avait de cesse d’employer : Alec is so cool. Entre sa dégaine flegmatique et ses vannes de merde, il avait ravi l’attention du môme sans fournir un effort particulièrement colossal car sa compétition, loin d’être rude, se composait d’un père sévère, d’oncles en perdition, d’un grand-père rivalisant avec le croque-mitaine planqué sous son lit, et d’une succession de figures masculines instables, inquiétantes ou tout bonnement inutiles. D’une certaine manière, Sid espérait que Jesse pourrait voir un type sain. Pas un connard menaçant de taper sa mère. Quelqu’un de mieux.
Il l’avait récupéré à l’école et tout ce qu’il avait entendu sur le chemin, il le réentendit de nouveau à Southern Rose – Alec reposa les mêmes questions, et Jesse y répondit avec le même entrain. Ça s’annonçait bien, jusqu’au moment où le gamin et sa dent sucrée eurent envie d’une autre glace. Il s’engouffra à l’intérieur du trailer, trempé de la tête aux pieds, sans s’annoncer –  « can I have anoth– » Que ce soit à la télé ou en vrai, il avait seulement vu un homme et une femme ensemble, et son père l’avait dit une fois, « that’s all kinds of wrong ». Sid s’était figé aussi, une main glissant lentement du cou d’Alec, l’avisa une seconde. Il se détacha aussitôt de l’autre, le poussa même sèchement, « out, » il mugit, un index pointé vers la porte. « Out ! » La gorge nouée, et incapable d’imprimer la scène qui s’était jouée sous ses yeux (avait-il bien vu deux hommes s’embrasser), Jesse s’éloigna à petites foulées. « Fuck ! » Le cri enragé s’accompagna d’un coup sourd (un poing cognant le battant) et d’une série de pas bruyants, comme quelqu’un accumulerait les allers-retours. « Shut up! » il entendit hurler, « for the love of fucking God, shut the fuck up! » À l’intérieur, le bras de Sidney avait balayé l’intégralité de ce qui se trouvait sur la table. Alec ne tarda pas à sortir à son tour, une expression indéchiffrable sur la figure.
Sidney ordonna à son neveu de se rhabiller en vitesse et accrocha une laisse au collier de Sadie. Dans la hâte, Jesse adressa seulement un signe de la main à l’attention du propriétaire des lieux (ce dernier lui décocha un demi-sourire navré). Accrochés aux guidons de leurs bicylettes respectives, ils marchèrent en silence le long d’une route bordée d’arbres, de clôtures dépareillées et de lotissements sans envergure, à peine dérangés par le passage furtif d’une voiture. « Did I do something wrong?No, Sid passa une main sur son visage tiré, I did. I shouldn’t have yelled. » Sa voix avait dégringolé d’une octave. Il lui fit signe de le suivre jusqu’à une espèce de petit muret, planté au bout du trottoir, et alluma une cigarette. Remarqua que sa main tremblait encore de rage, ou était-ce de la peur, si bien intégrée à son système qu’elle en devenait comparable à des métastases. Jesse le fixait curieusement, délaissant l’angoisse qui le suivait depuis leur départ précipité du trailer park. Au contraire, ses sourcils formaient deux accents circonflexes sous une frange récemment coupée par Nickie.

« Are you gay? » Kristen s’étrangla, « Olivia! » Une expression consternée s’était emparée du visage de la belle-sœur de Wayne, une fille d’ouvriers de la Rust Belt, élevée dans les Appalaches et aujourd’hui vice principale d’un lycée réputé de Washington. Elle était persuadée d’avoir la science infuse en matière d’éducation étant donné qu’elle avait à sa charge une ribambelle d’adolescents et plusieurs années d’enseignement sous la ceinture. C’était son seul sujet de conversation, par ailleurs. Wayne et Justin se calculaient à peine, et en bout de table trônait leur père, ratatiné dans sa chaise roulante, plus affaibli que jamais depuis son dernier AVC. « Abigail has two moms, justifia la gamine. They’re Lebanese. » Elle avait articulé ce mot avec un tel sérieux que Sidney avala de travers. Wayne aurait pu chialer de rire entre deux coups portés entre les omoplates de son conjoint, et Kris, mortifiée, n’eut pas le courage de corriger sa progéniture. Justin était crispé. Contrairement à son frère, une tonsure précoce découvrait le sommet de son crâne de plus en plus clairsemé, et qu’il tentait de contrebalancer avec une barbe bien entretenue. Il vieillissait avant l’heure, confortablement installé dans sa routine de petit bourgeois, et s’empâtait discrètement, détail que Wayne ne manquait pas de souligner par esprit de guéguerre fraternelle. « Ain’t a bad word Kris, chill out. »

Ain’t a bad word. À côté d’une telle personnalité, non, le mot importait peu bien qu’il le prononçât rarement, voire jamais. Ça refusait de sortir. Sa psy avait émis l’hypothèse avertie que ce n’était pas une question d’orientation, ce à quoi il avait rétorqué, « what is called then, when a guy fucks another guy ? », et sans se démonter, elle lui avait adressé un sourire prudent, « attraction and feelings are complicated. » Il se sentait physiquement malade au cours de ces séances et au bout de cinquante minutes de silences ou de saillies agressives, ses doigts gonflés saignaient, orphelins de cuticules, d’ongles, ou de tout autre petit lambeau de peau. Sa main se referma sur la nuque de Jesse et si le geste était affectueux, il n’était pas dépourvu de maladresse. « You know, there’s people like—non, ce n’était pas la meilleure entrée en matière. Il n’allait pas prendre l’exemple de sa sœur et de son connard de mari. Quinn’s with, huh, merde, c’était quoi le nom de cette blonde. Darby. – Dee, Jesse rectifia. She’s not nice. Dee. Yeah, Dee’s Quinn’s girlfriend. He likes her, but sometimes, il regretta ce départ précipité. Il aurait dû garder contenance mais dans un élan d’effroi, il avait décidé de s’emporter connement (contre Alec, qui plus est – un souci inutile provoqué par la seule force de sa stupidité), sometimes, il reprit en grattant un patch hirsute poussant sous son menton, a girl can be with a girl and a boy can be with a boy. » Sidney Farrow expliquant l’orientation sexuelle, c’était un jour à marquer d’une pierre blanche, merde, appelez le président, dépêchez la télé, braquez une caméra sur ce moment historique et absolument surréel, immortalisez-le assis sur son cul, s’étonnant lui-même de la simplicité de cette explication. C’était Wayne qui disait, si les connards et les trous du cul et les criminels de guerre ont le droit de se marier, pourquoi pas moi, hein, qui j’emmerde, et il s’était trouvé con. Jesse s’était tu mais l’écoutait attentivement, les sourcils froncés. « So Alec is your boyfriend ? (Il contempla le béton inégal.) – Yeah. » Le gamin ne le lâchait pas du regard, « that’s cool. » Il était jeune. Ils s’en foutaient, les gamins. Peut-être changerait-il d’avis plus tard. « The most important thing when you’re with someone is to feel good, okay? Conseil universel. – I don’t think Mom feels good. » Jesse fronça le nez. Tu m’étonnes. Ace rôdait dans les parages depuis près de quinze ans, Callum lui filait du « son », il appelait Jean « Jeannie », et il l’avait naturellement suppléé au sein de la dynamique familiale. Kitty n’aimait pas s’épancher sur l’état de son mariage – elle maintenait mordicus que « ça allait ». « You can’t tell anyone, alright? It’s our secret. You like when we have secrets, right? Mom knows and—that’s enough. Why?‘Cause people can be assholes. » Like your dad. Jesse répéta un “why” qui n’obtint pas de réponse. Ils restèrent là un moment, et Sid s’aperçut, en rangeant son briquet dans sa poche, qu’il lui restait dix balles. « Wanna go to that candy store you like?For real?Yeah. I won’t tell Mom.You should get something for Alec, lança soudainement le gosse en s’époussetant les fesses. – What?When Dad yells at Mom, he gives her something. – Like what, il adopta un ton aussi neutre que possible malgré l’envie viscérale d’aller dérouiller la tronche de son beau-frère. – Sometimes he gets her flowers (bien sûr, la délicatesse option white trash), sometimes he takes her out (au Buffalo Wild Wings). »
today, 7:19pm –
i don't know what went through my head
can we talk?

today, 10:23pm –
?

today, 11:38pm –
mind if i come by tomorrow?
Distribués, lus, ignorés. Il ne passa pas.

— lundi 17 août, 10am / west savannah
Dans ses souvenirs, son père l’avait poussé. Il voulait se rappeler avoir été poussé afin de lui imputer un grief de plus. En réalité, si Callum l’avait bien trainé hors de sa chambre par la peau du cou (l’un de ses châtiments préférés), il n’avait pas prévu la formidable dégringolade de son fils qui, après s’être pris les pieds dans ses lacets défaits, s’était vautré près de la rampe. Lorsqu’il avait tenté de se relever, il avait glissé sur la première marche et avait terminé son roulé-boulé en bas des escaliers grinçants. Le vacarme avait précipité Jean hors de la cuisine, découvrant son premier-né enchevêtré dans ses propres membres et avisant Callum encore à l’étage d’un œil paniqué. Il s’était foulé la cheville, et son poignet, fracturé quelques années plus tôt, avait émis un craquement suspect. Curieusement, le seul incident dont son père n’était pas directement responsable était celui qu’il retenait contre lui. Son inconscient savait pertinemment que ce n’était rien d’autre qu’un accident mais il avait décidé, sans être capable de rationaliser ce choix, que Callum l’avait jeté dans les escaliers ce jour-là. Il n’y avait aucun témoin, si bien que cette hypothèse s’inscrivît dans la mémoire collective. Avait-il menti quand il l’avait rapporté à Jax, raconté à Kitty ? À quoi tenait véritablement cette mince frontière entre l’acharnement constant du pater familias à son égard et une perte d’équilibre ? Si Callum l’avait appelé, plutôt que le sortir de sa piaule comme on arrache un clebs de son chenil, il ne serait pas tombé. Conclusion d’un esprit dérangé : son père était coupable. Belle preuve d’un dysfonctionnement du cortex. Il saignait sur l’affreux tapis que Jean avait chiné aux puces, et qu’elle trouvait « élégant », pensant alors qu’un morceau de jute et de coton schlinguant l’ammoniaque conférerait à son humble demeure une touche de « classe » alors qu’il en rehaussait la ploucitude. Elle mit davantage de soin à frotter le tapis du sang coagulé de son fils qu’à l’aider à gravir les marches avec ses béquilles.
Le parquet craqua sous son pied. Il s’installa devant le moniteur vétuste qui, autrefois, avait été un PC haut-de-gamme – surtout chez les Farrow. Il était le seul de la fratrie à ne pas s’être offert un ordinateur portable et à utiliser celui-là, pourvu d’une souris énorme que l’on ne trouvait plus que dans les déchèteries, désormais. Le clavier était épais, hérissé de grosses touches badigeonnées de taches de correcteur et d’encre séchées, sans compter les miettes de plusieurs années d’encas baladés d’un bout à l’autre de la maison, de biscuits que les enfants grignotaient en survolant Internet lorsque les parents s’absentaient. La connexion était à chier ici. Ses doigts pianotaient sur la table alors que commençait à apparaître la page des Veterans Affairs, et ça aussi, ça méritait une mise à jour. Le menton greffé à la paume de sa main, il cliquait machinalement sur des onglets visités une bonne centaine de fois, récupéra un premier formulaire, un deuxième, et pressa le bouton de l’imprimante, oubliée sous le bureau de fortune. « Sometimes I forget that you live here. » Callum Farrow s’étirait au centre du séjour, une clope au bec. Habitués à se bouffer le nez, ils semblaient, l’un comme l’autre, avoir occulté de leur mémoire leur pugilat – ce n’était ni le premier ni le dernier, et ce faux accord de paix n’était que partie remise jusqu’au prochain esclandre. Les paroles d’Alec résonnèrent sous son crâne. « Jax told me he saw you at the police station the other day, » il lança distraitement. « What happened ? » L’apprenti détective, plus qu’au courant des faits, chercha la présence de son père dans son champ périphérique. Il haussa une épaule. « Since when do you ask questions, huh? Couple of werewolves were roughed up, he said.Don’t know nothing ‘bout that. » La confiance régnait. Il évita le regard inquisiteur du patriarche et prétendit s’intéresser à la page internet qui ramait pitoyablement, autant que lui à cet instant précis. « It’s easier for those lazy bastards to pin everything on us anyway. » Il bascula sur son assise, un bras sur le dossier de la chaise, et douta une seconde de la mauvaise foi légendaire de Callum. Une incertitude s’était immiscée dans son esprit – une incertitude provoquée par cet incurable, et inavouable, besoin d’approbation paternelle. Ils s’écharpaient à longueur de temps et c’était là, ancré en lui, un ridicule appel à l’aide, comme un môme perché sur un carrousel, triomphant après s’être emparé du pompon sans personne pour le féliciter. Et s’il y avait eu quiproquo ? Allait-il accorder une valeur quelconque à la parole de son père ? « So… who was it then?How the fuck should I know? Plenty of people don’t want them dogs around. Hell, they don’t even want to be around each other. Bloodsuckers, dogs, whatever the fuck you can think of—ain’t like crawlers are getting along. Actually, et Callum discourant ainsi n’était qu’une énième preuve de sa vanité, dès lors qu’on manifestait un tant soit peu d’intérêt à ses soliloques exhortant à la haine, we are the victims, y’know. They accuse us then they get away with it. » Il vira la cendre de sa clope dans un ramequin posé en équilibre sur l’écran, « don't fall into their trap, son. At the end of the day, all you have left is us. Everybody, il pointa sa cigarette sur l’écran, will let you down. » Callum n’avait pas une once de fibre paternelle. Il l’était devenu par un concours de circonstances vieux comme le monde : un homme rencontre une femme, l’homme s’accouple avec la femme, et la mécanique évitable de la reproduction s’enclenche. Quatre fois, il était tombé dans le panneau, et si au début les bébés avaient éveillé un certain émerveillement naïf, il s’en était désintéressé dès l’instant où ils avaient commencé à devenir leur propre personne. Sidney avait directement sauté de la case petite chose rabougrie tétant le sein de sa mère à l’enfant mince et taiseux dont le visage rond, éclaboussé de taches de rousseur, trahissait une angoisse précoce. Ils se battraient jusqu’à la fin de leurs jours, aussi Callum emmancha-t-il une trêve (ils auraient tôt fait de déterrer la hache de guerre) en pressant la mauvaise épaule de son fils aîné, « I know you’re sorry about what happened. » Peut-être Sid parlait-il peu car son père lui avait toujours fourré des mots dans la bouche, planté des opinions dans la tête et perfusé de la haine dans les veines. « You gotta control yourself, Sid. » Il remarqua les traces des crocs de Sadie sur sa main frippée. Une consternation brûlante se dilua trop rapidement dans un immonde soulagement. Plutôt que s’indigner, plus tôt que repousser cette paluche lourde, il fonça tête baissée dans un traquenard protéiforme. Il se demanda si cette attention (certes factice, mais Sidney refusait de voir la réalité en face, l’empreinte de la poigne paternelle flottant encore sur son épaule) ne le conduisait pas vers des prsonnes qui constituaient une espèce de substitut de puissance et de virilité. Qui débordaient de confiance, d’assurance. Il ne se serait pas posé la question si Alec n’était pas là – Alec et son je-m’en-foutisme couillonné, qu’il associait à son insu à l’autorité naturelle de Wayne. Il éteignit l’ordinateur après que Callum eut quitté la pièce.

— 5pm, tybee island
Il l’attendit près de sa voiture, à fumer clope sur clope et à mesurer la cadence de son pouls cognant ses tempes. Adossé contre la portière du conducteur, planqué sous la visière de sa casquette estampillée USMC, il fixait ses baskets défoncées et l’espace entre ses pieds, songea plusieurs fois à décamper. Il avait griffonné trois conneries à acheter à même son avant-bras, et l’encre du marqueur noir bavait désormais, laissant plusieurs traces sombres qui donnaient l’impression que son tatouage avait besoin d’une retouche. Logé dans son oreille, un écouteur lui marmonnait du Nick Cave, et il se concentrait sur les paroles à tel point que la pointe d’une ombre allongée le fit sursauter. « Hey, » ses omoplates se décollèrent de la vitre. Le mégot de sa clope lui échappa des doigts et disparut sous la semelle de sa pompe. Alec le calcula à peine, les bras encombrés, ou lui décocha un coup d’œil furtif par-dessus sa cargaison, pas plus encourageant que ce mutisme insolite (mérité). « I’m sorry, » seul le fracas du matériel tombant dans la remorque lui répondit. « Shouldn’t have talked to you like that. » Manifestement, ses quelques paroles piquèrent l’intérêt du lycan qui, les bras croisés sur son torse, l’enjoignit par son silence à continuer sur sa lancée. « I told him. » Il espéra une réaction. Un assentiment, presque une tape sur l’épaule, mais force était de constater qu’il n’allait pas l’impressionner avec si peu. « It fucking stresses me out when you’re not talking, » le grognement n’eut aucun effet. Ni un sourire, ni un ricanement. Gêné par ces pauses interminables, il se mit à tripoter ses dog tags et à bredouiller, « I freaked out, I was wrong, you didn’t deserve that. » Alec hocha alors la tête – enfin, putain. « No shit. » Un soulagement ridicule libéra une voie d’air et ses épaules cessèrent de tendre le tissu élimé de son t-shirt sombre en retombant mollement. « Where I come from, it’s… you understand–I have to understand a lot of things about you, l’interruption était aigre. Un juste retour des choses. Try to put yourself in my shoes for a change. » Bien que l’heure ne se prêtât pas à l’introspection, il songea à une remarque de Kitty, à une parole de Jax, à ce reproche constamment sous-entendu d’un égocentrisme involontaire. Il ne considérait pas le danger qu’il représentait réellement, et les menaces de Duggan se rappelèrent à lui. « Right… I mean, you’re right. You—son poing souleva machinalement la casquette, libérant une gouttelette de sueur. I sure as hell don’t—I’m—listen. You mean a lot to me. » La phrase, si hâchée qu’elle en était incompréhensible, n’était que l’écho de la folle déraison régissant ses sentiments. Plus assuré, il l’aurait regardé dans le blanc des yeux et sans manquer un battement, lui aurait simplement dit qu’il l’aimait bien, que c’était flippant, qu’à cet instant, il le suivrait au bout du monde parce que putain pourquoi pas, qu’il irait fracasser la gueule du premier con lui cherchant des noises. Mais Sid n’avait pas cette confiance, encore moins le courage de s’ouvrir, de peur qu’un tel aveu l’émascule. Il tira quelque chose de sa poche arrière. « If you still want to go to New York… la mine défaite, il lui tendit un formulaire plié en quatre. It’s for my parole officer. I requested a travel permit—but they need to know, like… » Quand, où, comment, avec qui, combien de temps, et ça le gênait de mendier une signature comme un môme avait besoin d’une autorisation parentale. Le bureaucrate avait froncé les sourcils, New York ? Mégalopole. Trop vaste, trop de gens, trop de problèmes, trop de tentations. Il s’était permis plusieurs indiscrétions au nom de son boulot – tour à tour nounou désintéressé, parent mécontent, fonctionnaire emmerdé, et toujours, dans ses yeux, un ennui profond en survolant son dossier. Parce qu’il n’y avait rien à faire du cas Farrow, ou du moins était-ce ce qu’il avait conclu. Il avait des protégés plus intéressants, dont le potentiel les sortirait d’une impasse quelconque, et peut-être la route serait-elle longue, truffée d’embûches, qu’importe, ils finiraient éventuellement par se réinsérer correctement dans la société, deviendraient des gens bien à qui l’on pardonnerait les infractions d’hier. Farrow… Farrow prouverait son utilité (ou son intelligence) une fois qu’il disparaîtrait de la surface de la terre. Il avait été presque déçu d’apprendre son retour parmi les alcooliques anonymes. « That friend of yours, who is he? What does he do? » Interrogatoire, questions, détails, s’en allait-il jouer les mules ou transporterait-il des armes. Son vis-à-vis avait longuement hésité, le regard rivé sur un monticule branlant de dossiers déposés sur son bureau le matin même. « My boyfriend. – Sorry? – Boyfriend, lover, whatever the fuck you want to call it. Gonna visit his sister, » Alec n’avait pas précisé ce point-là. « Oh, il cliqua machinalement sur l’icône impression, then make him sign this, » il récupéra un papier tout juste sorti du bec de la machine antédiluvienne, installée à portée de main.
Il scrutait l’expression maussade qui avait creusé deux ravines entre ses sourcils. Si aucun détail de ce visage ne lui échappait à présent – visage qu’il aurait été capable de recomposer avec la précision d’un portraitiste de police dans l’obscurité la plus totale –, il retrouvait toutefois l’air farouche de leurs débuts, la distance froide causée par le champ magnétique de leurs opinions divergentes, de leurs milieux profondément antithétiques. Farrow vivait dans le passé et ses souvenirs, mais Alec appartenait à autre chose et cet autre chose, innommable, lui filait entre les doigts. Il se retenait à la ridelle du plateau comme s’il craignait que ses jambes se dérobent sous le poids écrasant de ses torts, « do whatever you want with it, son menton pointa la feuille. I’m around. » La nuque basse, il attrapa le guidon de son vélo et amorça un départ penaud, « Sid. » Il jeta un regard par-dessus son épaule tandis qu’Alec fourrait le papier dans sa poche, « you at your folks’ ?Mh.My place, tonight. We’ll talk. »
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