pity party — caden

T'as l'impression de te perdre dans les entrailles infernales des Gallows, Layla. Tu n'aimes pas ce club, t'as beau courir après l'abandon que prodigue la foule, le brouhaha de la musique électro et le manque d'air dans les bas-fonds d'un club pareil, t'as toujours trouvé que The Gallows flirtait un peu trop avec la sensation d'oppression. Trop de vampire, trop de mordu, pas assez d'issues de secours, sans doute... Ou alors, c'est juste qu'au fond, tu n'avais pas vraiment envie de sortir. Tu t'es laissée entrainer, ça arrive plus souvent que tu ne veux bien l'admettre, rituel d'une soirée comme les autres, parce que merde, c'est vendredi et pour une fois, vous ne travaillez pas. T'as cédé quand t'as vu la tête tirée par Caden à l'annonce d'un énième makeover envers sa personne et après un pregame un peu trop intense, vous vous êtes engouffrées dans le club comme on passe la gueule des enfers. Une heure plus tard, t'as envie de te flinguer, les nerfs en pelote, le coeur au bord des lèvres, des larmes amères venant embrasser l'ourlet de tes cils quand bien même tu refuses de pleurer devant autant d'inconnu. C'est l'alcool qui te fait réagir n'importe comme, t'en as parfaitement conscience, alors avant de faire un truc nul, tu pars à la recherche de tes copines, bouées de secours dans ce bordel, garde-fous contre toi-même.

T’as le souffle court, tunnel vision dans ce bordel, tu slalomes entre les corps, te frayant un chemin, à deux doigts d’enfoncer tes ongles en acrylique dans la carotide du premier qui refuserait de se pousser pour te laisser passer. T’es pas assez patiente, Layla, c’est déjà un truc qui te porte préjudice en temps normal mais quand tous tes sens sont en alerte, quand ton système est agressé par quelques verres de trop, c’est tout juste si tu contrôles ce vice, cette tendance à salement piétiner, à perdre ton calme un peu trop violemment. T'étais pas spécialement contente de sortir mais t'avais réussi à te motiver suffisamment pour essayer de passer un bon moment. En quelques secondes cependant, ton humeur a changé et maintenant, t’es au bord de la panique, te contenant à peine, le regard un peu fou. Quand tes yeux se posent sur Karen*, tu soupires presque mais le soulagement n’est que de courte durée et tes gestes restent brusques, hâtifs, assez pour probablement lui faire un peu mal lorsque tu l’attrapes pour la tirer vers toi. Gosse égoïste, perdue dans tes problèmes, tu ignores copieusement le garçon à ses côtés, tandis qu’elle lui adresse un « Excuse-moi. » que tu peines à déchiffrer. Toi t’es déjà lancée dans tes explications, de toute façon, tant pis pour le bellâtre qui était en train de draguer une de tes plus vieilles amies. « Il est là » que tu commences, mais tes mots s’égarent dans le brouhaha. « Quoi ?? » demande aussitôt Karen* et t’as envie de lever les yeux au plafond mais tu répètes. « Il y a Caleb, » tu te sens si bête de pouvoir résumer ça en quatre mots, quatre mots si bêtes, quatre mots si banals. Oui, il est là, et alors ? Le fait d’être réduite à l’état de pauvre idiote s’arrachant les cheveux pour si peu t’exaspère encore plus. Karen*, elle, ne semble pas entendre mais peu importe, elle doit réussir à comprendre. « Viens. » qu’elle articule avant de t’entraîner. Perchée sur des talons qui te font oublier ton mètre cinquante cinq, tu la suis et tu le laisses emporter dehors. T’as trop bu Layla et l’air frais de la nuit, contraste choquant avec la fournaise dont vous sortez, n’aide en rien. « Il s'est passé quoi ? » demande Karen* dès qu’elle vous a trouvé un coin tranquille et si d’ordinaire, tu ronges ton frein et rumines que tout va bien, que ce n’est rien, ce soir t’es pas d’humeur à ignorer le petit meltdown qui menace de sévir si brutalement. Elle n’a pas besoin d’insister, t’es déjà en train de vider ton sac, comme si ça faisait bien trop longtemps que tu attendais cette question. « Il est là et j’ai vu sa saleté là, la louve qui le colle tout le temps » commences-tu. Tu ne la connais pas, tu sais juste qu’elle est trop souvent là, alors par principe, tu la hais et tu la jalouses, tentant d’ignorer cependant ce que cette réaction viscérale peut bien vouloir dire. Difficile pourtant de faire croire que tu t’en moques, de tout ça, de Caleb, quand t’es en train de chouiner à cause de lui. « Mais il était pas avec elle, » continues-tu, « elle était en train de danser avec un autre mec, juste sous son nez ou presque. » Dans ta tête, tes phrases font sens mais tu n’es pas certaine que quiconque puisse suivre. Une chance que Karen* suive l’affaire de près depuis un moment, assez pour y comprendre quelque chose. Assez pour savoir que t’as beau constamment le repousser et faire comme s’il n’était qu’un bout du décor, le savoir potentiellement impliqué avec une autre t’empêche de dormir, insomnies parmi les insomnies, vilaines petites crises de jalousie. « Mais il est là et il est pas avec elle et moi j’ai juste envie de continuer à boire jusqu’à avoir le culot d’aller vers lui, » tu poursuis ton semblant d’explication, une note désespérée dans la voix. Au fond, t’aurais quand même préféré qu’il soit là avec sa saleté de louve, avec la petite chose sauvage qui le colle un peu trop souvent. Au moins tu n’aurais pas été tentée. « Mais j’peux pas et j’ai déjà trop bu et j’arrive plus à réfléchir et j’ai peur de faire une connerie, » siffles-tu, un relent d’angoisse au fond de la gorge, assez pour que tes cils se bordent de larmes mi-terrifiées mi-rageuses, des larmes que tu ravales aussitôt, refusant de pleurer. T’es ivre, Layla et tu peines à te contenir, à prendre des décisions correctes, dans ce genre de situation. Tu ne sais pas exactement pourquoi tu gravites vers lui de la sorte, mais ça te taraude. C’est peut-être parce qu’il s’agace mais reviens toujours, plutôt que de te t’envoyer pleinement balader. Peut-être parce qu’il parvient toujours à être doux, à sa façon, quand toi, tu te montres odieuse… Raison de plus pour ne pas prendre de risque. Raison de plus pour éviter le face à face. T’es probablement bien plus en sécurité avec Karen*, dans un coin éloigné, même si pour le coup tu lui ruines sa soirée, même si t'as l'air d'une idiote qui pleure pendant sa première school dance.

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Certaines sont jolies et gracieuses quand elles pleurent. Ce n’est pas ton cas, Layla, du moins pas quand tu te fais violence pour ne pas te mettre à chialer comme une petite fille qui aurait bien besoin d’une sieste. Ça fait presque mal, de te retenir, ça pique, ça tire, t’as les dents plantées dans ta lèvre inférieure, les ongles enfoncés dans tes paumes. C’est un spectacle ridicule, t’en as bien conscience, on a pas idée de se mettre dans des états pareils pour un garçon… Tu voudrais te dire que ça cache autre chose et, d’une certaine façon, ce n’est pas faux mais toujours est-il que jamais auparavant t’as pété pareil plomb pour les beaux yeux de quelqu’un. Jusqu’à Caleb. Ce merdier sans nom, tu n’arrives pas à t’en dépêtrer, pas plus que tu arrives à être raisonnable. Tu sais très bien que tu ne peux pas l’avoir et pour la première fois, au lieu de te blaser et de te donner envie de passer à autre chose, ça te laisse un sentiment amer dans la bouche alors que tu te débats et te retiens d’hurler contre le sort. T’as toujours réussi à accepter ce que l’univers pouvait bien te jeter à la gueule, alors pourquoi ça bloque, là ? Dire qu’à 10 ans, t’étais à même d’encaisser le fait que prier pour récupérer ta mère ne servait à rien et qu’à présent, officiellement adulte, t’es au bord du gouffre pour un lycan. Ne pas pouvoir l’avoir devrait te faire passer à autre chose, alors pourquoi s’acharner ? Peut-être parce que lui ne lâche pas le morceau contrairement aux autres qui, exaspérés, réalisent vite que le jeu n’en vaut pas la chandelle. « Vas-y, je m’en occupe, » la voix familière te fait grimacer un peu plus. Cady arrive dans ton champ de vision, Karen* disparaît sans demander son reste et toi, tu regardes tes pieds, honteuse. T’as pas spécialement envie qu’elle te juge ou te fasse la morale. T’as pas non plus envie d’en vouloir à Karen* de retourner à sa conquête, pourtant tu ne peux pas t’en empêcher. Mélange pénible de culpabilité et d’agacement, t’as pas envie d’être celle qu’on doit consoler et pourtant, t’es saoulée qu’elles s’arrangent entre elles pour savoir à qui incombe de te gérer cette fois. « Veux-tu partir ? » demande Caden et t’es à deux doigts de te mettre à hocher la tête comme une enfant. Le ton est posé, on te laisse le choix, t’es un peu surprise, tu ne t’attendais pas à ce qu’elle soit aussi douce. « Ou tu préfères qu’on reste et lui montrer que tu n’as pas besoin de lui ? » Tu esquisses un sourire un peu coincé. There she is, peinant à cacher son avis tranché sur Caleb. Bordel, combien de fois vas-tu te retrouver à parler de lui avec ta petite clique ? Machinalement, tu passes une main sur tes joues, chassant des larmes que tu te refuses pourtant encore de pleurer. « Je veux dire, Layla… y’a mille types pour le rendre jaloux, là-dedans. T’en prends un, n’importe lequel, et il va commencer à grogner. Si c’est ce que tu veux, » déclare Caden et c’est plus fort que toi, tu laisses filer un sursaut de rire moqueur. Tu sens l’effort qu’elle fait, tu sais que tu devrais être reconnaissante qu’elle soit à tes côtés plutôt que de te laisser gérer ton petit caprice toute seule mais t’y peux rien. Dans ton état, t’as juste envie de la secouer parce qu’elle n’y comprend rien. « A quoi bon ? » rétorques-tu, plutôt que d’avoir un geste malheureux. T’as les dents serrées, t’es sur la défensive, ça pique quand tu ajoutes : « J’vais faire quoi ? Le rendre jaloux et l’envoyer chier une fois de plus, parce que c’est vrai que c’est sain, comme manège... » mais dans la foulée, tu jettes un regard vers la jeune femme, levant les yeux au ciel et réprimant une grimace misérable, d’un air de dire que t’es désolée. Tu ne sais pas vraiment demander pardon, alors même si tu l’agresses tandis qu’elle tente d’aider, il faudra se contenter d’un air de chien battu. Et en parlant de clébard… « Tant mieux s’il est assez le roquet, au moins il perd pas son temps avec moi, » marmonnes-tu, t’as un peu l’impression d’être l’insupportable héroïne d’une série à la noix, t’aimerais bien que ça t’exaspère assez pour provoquer une vraie hargne, le genre qui pourrait te faire zapper le jeune lycan.

« J’veux juste — » commences-tu et cette fois, malgré tes efforts, tu chouines réellement, une, deux, trois larmes s’échappent et tu râles. Tu forces un rire maladroit, histoire de ne pas perdre totalement la face, histoire de prouver à Caden que tu sais que t’es ridicule. Histoire aussi d'éviter de mentionner que lorsque t'es seule, dans ton lit, et que tu fermes les yeux, c'est fifty-fifty niveau divagation, tantôt Caleb, tantôt Lake — toujours inanimé, sanguinolent, mort trop jeune par ta faute. « J’sais pas, penser à autre chose ? Boire jusqu’à plus rien sentir ? Être normale pour une fois ? » A défaut d’être normale, tu voudrais une fois parvenir à passer une soirée sans que les choses tournent au vinaigre, sans qu’inévitablement on tende vers le mélodrame. Elles vont finir par t’en vouloir, de ruiner les soirées comme ça, t’en as parfaitement conscience.

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Tu te fais violence pour endiguer les larmes mais tu les sens dans ta gorge et t’as l’impression d’étouffer, tu grimaces tant ça fait mal. C’est le prix à payer, ce qu’il se passe quand tu te retiens trop longtemps, quand tu étouffes ce qui te tracasse, ce qui te taraude. Ça se retrouve toujours a exploser et les verres que tu as enchaîné n’aident en rien, t’es trop loin pour te contrôler, Layla. T’es mitigée, quand Caden souffle un « Viens ici, » et te prend dans ses bras. Il y a un bout de toi qui voudrait juste se laisser faire, relâcher la pression, desserrer les dents. T’as les genoux qui flanchent un peu, les mains qui tremblent, t’es au bord du précipice et tu le sais… Pourtant tu te retiens, encore, toujours, ta fierté comme garde-fou. Ce qu’il en reste, du moins, parce que tu ne peux pas vraiment te planquer derrière ton orgueil quand t’es en train de chialer à moitié à quelques mètres de l’entrée des Gallows. Incompatible. « T’es normale, Layla, si on exclue le vagina dentata, je suppose, » souffle ta pote avant de t’adresser un clin d’oeil. Tu tentes de lui jeter un regard noir, un rictus vexé déjà peint sur ton visage mais au final, même ça c’est au-dessus de tes forces, t’as pas envie d’en rire mais t’es pas non plus en état de l’envoyer bouler. Alors tu encaisses, baisse les yeux, tapote du bout de ta chaussure dans un mégot abandonné par un autre client de la boite de nuit. « T’as juste trop bu. Et ce club est de la merde. » continue Caden et tu hoches la tête, parce qu’elle a raison, parce que tu voudrais que ça soit si simple aussi. Juste une mauvaise soirée, trop alcoolisée, dans un endroit craignos. « J’suis sérieuse. Si tu veux rentrer, je rentre avec toi. Tu viens chez moi. » L’offre est alléchante, t’as envie de tout planter et de faire comme si tu n’avais pas perdu pied. Pendant quelques secondes, tu te laisses même faire, toute touch-starved que tu es et sous les attentions de ton amie, tu sens tes peurs et tes insécurités trembler. Le souci, c’est que t’es pas assez brave pour ça, pas vraiment. Tu ne veux pas perdre le contrôle, pas quand cette rigidité implacable empêche ton existence de partir en vrille. Le problème c’est que tu ne peux pas t’offrir le luxe de baisser ta garde, tu aurais trop honte de tout laisser sortir. Alors tu te redresses, tu relèves la tête, tu passes une main sur tes joues pour endiguer la tristesse qui s’échappe sous tes cils. Tu claques ta langue en remarquant quelques traces de mascara sur tes doigts, tu dois avoir l’air fine tiens. « Nan, ça va aller » murmures-tu, soufflant un coup, forçant un sourire que tu ne penses pas une seconde. Manège habituel, damage control après un moment de vulnérabilité. « Ça va déjà mieux, » tu veux te montrer rassurante, parce que t’as bien conscience que derrière les remarques sarcastiques, elle doit s’inquiéter un peu, assez pour t’offrir une sortie, une fuite, échappatoire que t’es trop bornée pour attraper au vol. « Juré, I’m good, » tu insistes, frôlant la suffisance. Plus facile de se vexer parce qu’on te prend avec tes pincettes que d’admettre que la dernière chose dont tu puisses avoir envie, c’est de retourner dans cet enfer organiser. « T’as sûrement mieux à faire, va pécho, va t’amuser, t’inquiète pas pour moi, » et ça tient, quelques instants en tout cas. T’es plantée dans une assurance feinte, essayant de balayer d’un revers de main ton pétage de plomb. Avec un peu de chance, vous pourrez toutes les deux faire comme si de rien n’était, comme si tu n’avais pas besoin qu’on s’occupe de toi, qu’on te materne, qu’on te retire de cette situation. « Go, allez, retourne danser » que tu souffles, l’encourageant alors que tu recules de quelques pas, distance de sécurité entre vous.

Pourtant malgré toute ta bonne volonté, tu ne peux pas te résoudre à entrer à nouveau dans les Gallows. Caleb n’est probablement pas loin et t’as pas envie qu’il te voit dans cet état, parce que tu te demandes s’il ne risquerait pas d’approcher pour vérifier que tout va bien. Et s’il fait ça, s’il s’inquiète, tu ne réponds plus de rien. Ce soir, t’as aucune volonté, aucune retenue semble-t-il, malgré le rôle que tu voudrais savoir tenir. T’es pas non plus apte à rentrer et à te retrouver seule avec toi-même. En fait, t’as envie de sauter sur la proposition de Caden, t’es juste trop arrogante pour le dire ouvertement. Faut pas que ça vienne de toi, faut pas que ça soit de ta faute si la soirée est ruinée, tu peux pas gérer ça. « Sauf si. Hm, » ta voix craque un peu, alors que tu négocies avec toi même, à la recherche d’un compromis pour accepter ta propre nullité. « Sauf si t’en as marre de cette musique à chier, ouais, » tu lances ça comme on teste le terrain, pour voir si le sol va s’effondrer dès les premiers pas. Ça ne peut pas venir te toi, question d’orgueil. En quelques mots tu renvoies la décision à Caden et c’est une vraie fumisterie parce que t’as conscience qu’elle voit clair dans ton jeu, elle te connaît trop pour qu’il en soit autrement.

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Comme prévu, t’es aussi transparente qu’une vitre et Caden est déjà en train de te call out sur tes faux-semblants. « Tu es la pire, je te hais, » lance-t-elle tandis qu’un fin sourire retrousse tes lèvres, mettant à mal la moue qui était revenue. « Mentir à une empathe, c’est pas ton meilleur coup » qu’elle siffle et tu serres les dents, lui servant une grimace pour feindre un semblant de gêne, ainsi prise la main dans le sac. Vous vous connaissez depuis assez longtemps pour ne pas avoir besoin de toutes ces manigances mais c’est plus fort que toi, Layla. T’as pas envie qu’on te voit comme quelqu’un de fragile, quelqu’un qu’il faut protéger, tu ne veux pas qu’on te pense en sucre, prête à éclater au moindre impact. Question de fierté. Tu as beau connaître les filles, tes meilleures amies, tes sœurs par-coeur et elles ont beau te le rendre, ça te demande plus d’effort de baisser la garde que de t’accrocher farouchement à tes murailles, même quand elles s’écroulent. Au fond, tu sais très bien que si tu tombes devant elles, elles te rattraperont sans hésiter mais tu ne pourras plus te relever. Ce que tu sers, tes petites faiblesses, c’est juste le haut de l’iceberg, juste de quoi relâcher la pression, des crises presque bénignes, pour pouvoir maintenir les apparences. Caden a raison, faire ça face à elle, dont les dons lui offrent une vision d’ensemble du bordel qui fait rage en toi, c’est probablement très con, mais tu ne peux pas t’en empêcher. Pas plus que tu peux retenir le regard sombre que tu lui jettes, brièvement, une supplique quasi désespérée pour qu’elle cesse d’endommager ce status quo que tu t’acharnes à entretenir. « Trouve-nous un taxi, je vais prévenir les filles qu’on part. » lance-t-elle et pendant qu’elle s’éloigne, tu considères rapidement de te sauver seule. Mauvais plan, elle te tuerait sans doute de l’avoir planté sans plus la prévenir et non contente de savoir où tu habites, elle sait par où rentrer discrètement pour pouvoir venir t’étouffer dans ton sommeil ou te faire la morale.

Le temps qu’elle revienne, t’as hélé un taxi et vous vous retrouvez dans l’habitacle, assises épaule contre épaule sur la banquette arrière, bercées par les soubresauts de pneus sur le pavé. C’est sans doute mieux, que tu ne te sois pas sauvée comme une voleuse parce qu’en plus du reste, Caden pourra sentir avec quelques minutes d’avance si le type au volant s’avère être une enflure d’anti-crawler prêt à tout risquer en captant qu’il a deux sorcières dans sa voiture et ça, ce n’est pas négligeable parce que plus les élections du Conseil approchent, plus le vitriol contre vous devient intense et t’as l’impression que ce n’est qu’une question de jours avant que, poussés par les dires des humains les plus extrêmes, certains en viennent aux mains. Tu repousses tout ça, bien loin, t’as beaucoup trop bu pour tergiverser sur la politique de la ville. A la place, tu tournes la tête vers Cady, posant ton menton sur son épaule parce que t’as besoin d’un contact pour ne pas repartir dans tes sombres délires. « Y’avait Julian, pour que tu sois si décidée à t’extirper de là ? » souffles-tu, tout bas, les sourcils un peu froncés. « Et la brune avec les yeux verts et les tâches de rousseur là, c’est devenu quoi ? » Tu espères que, dans ta façon d’articuler un peu abimée par l’alcool, Caden peut entendre le réel intérêt derrière tes questions invasives. Qu’elle n’ira pas croire que c’est juste une façon de changer de sujet, de te changer les idées surtout. C’est plus fort que toi, plus fort que ton bon sens, mis à mal par les libations et doucement, maladroitement, tu te retrouves comme à toquer à l’orée de ses pensées, sans réellement fouiller dans ses secrets mais te tenant au bord du gouffre… Fuck,  au fond si, c’est pour penser à autre chose, pour faire comme d’habitude, pour enchaîner plutôt que de la laisser se concentrer sur toi. T’es horrible et tu sais qu’elle sent tout ça, de ta tentative foireuse d’intrusion à ton cas de conscience. Instinctivement, comme pour te faire pardonner, tu fais glisser ta main le long de son poignet et tu mêles tes doigts aux siens, pensant très fort 'please don't hate me'. C’est à se demander pourquoi elle te supporte, pourquoi t’as pas résolument toute seule, Layla.

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« Un fantôme » répond la jeune sorcière aussitôt, ne se dérobant pas face à l'intrusion que tu mènes pourtant sans grande délicatesse, insidieuse idiote voulant quelque part se rattraper de sa tendance à se focaliser sur ses problèmes, ignorant alors ses précieuses amies. Pourtant elle te sent venir à dix kilomètres, tu le sais. Déjà parce que t'es pas discrète quand t'as autant bu, quand t'es autant en vrac et ensuite parce que c'est Caden et qu'en plus de trop bien te connaître, elle a un accès direct à tes états d'âme, qu'elle le veuille ou non, se bouffant constamment le surplus émotionnel que tu ne peux t'empêcher d'irradier. Trop douce pour ce que tu lui fais subir, trop patiente pour l'heure avancée, elle se contente de souffler « Tu vas te faire mal au crâne, avec ça » sans retirer sa main. Si le contact n'est pas utile à l'invasion, il te rassure et tu t'y accroches, Layla. T'as envie de lui répondre que t'as l'habitude des têtes en désordre, puisque la tienne ne semble jamais rangée mais tu te contentes de baisser le regard, rentrant les griffes placées jusqu'alors en étau autour des secrets de Caden. Tandis que tu bas en retrait, la jeune femme se confie d'ailleurs d'elle-même, du moins tu espères. « Soit elle ne répond pas, soit elle me pose des lapins. Je l’avais invitée, ce soir. » souffle-t-elle et la déception dans sa voix te fait relever le nez juste à temps pour croiser un sourire triste, de ceux qui te donnent envie de remuer ciel et terre pour ne plus jamais le voir. Prise au dépourvu, face à une Caden qui te semble d'habitude si détachée de ce genre de banalité sentimentale, tu restes idiotes. Tu sais consoler Phoebe, Megan aussi et elles savent toutes les trois prendre soin de toi, alors pourquoi n'as-tu rien d'intelligent, ou rassurant, ou drôle ou moins, à souffler à la brune ? T'as une moue boudeuse, pendant une seconde et puis tu viens écraser ton front contre l'épaule de l'empathe, ne sifflant qu'une inaudible menace sur des rotules que tu as envie d'éclater pour la venger.

Tu restes comme ça jusqu'à ce que le taxi soit garé devant l'immeuble de Caden, puis tu la suis jusqu'à son appartement, petit îlot de tranquillité qu'elle s'est dégotée loin du coven, loin du compound. Quelque part, tu ne pas la blâmer d'avoir voulu prendre son indépendance, pourtant t'es pas exactement à l'aise ici et tu déambules dans son espace sans forcément savoir l'appréhender, te demandant si t'es réellement à ta place, si t'as vraiment le droit d'être là. Après tout, elle a un peu fuit les Zapien et en voilà une chez elle, même si t'es piètre représentante de ta lignée. « Prends un pyjama dans le placard, tu peux aussi prendre ta douche. » Tu hoches la tête, elle a viré ses talons et tu l'envies un peu, comprenant un peu, ce soir, son dédain pour les tenues trop peu confortables dans laquelle vous cherchez toujours à l'engoncer. « Je te commande quoi ? Frites ? » demande Caden alors que t'es en train de défaire ta queue de cheval et la moue boudeuse revient hanter ton visage, à moitié parce que t'as mal à la tête d'avoir trop tiré sur ton cuir chevelu, à moitié parce que t'as trop bu pour réellement penser à la nourriture. Non, c'est faux, c'est juste l'affamée de glucose en toi qui se fait entendre. « Non, du sucré. Ils ont des parts de gâteau, j'crois. Cheesecake Citron. Et Red Velvet, tu hésites un instant, cherchant à estimer à quel point elle va te juger. Et une part de funfetti, aussi » et sur ça, tu tires du bustier de ta robe quelques billets planqués là pour ne pas avoir à t'emmerder avec un sac en boite, venant les poser vers Caden et filant à la douche avant qu'elle ne puisse refuser.

Tu t'égares un peu trop longtemps sous la douche, mais tu ressors sans réellement culpabiliser parce que t'as utilisé que de l'eau froide, afin de ne pas priver ta pote – at this point, ces filles ne sont-elles pas tes sœurs ? - du contenu de son chauffe-eau. Tu grelotes un peu, tirant le t-shirt trop grand que tu lui as piqué pour couvrir tes genoux, une fois avachie dans le canapé de la brune. T'as encore du mascara sur la gueule, faut dire que t'étais plus obligée à laisser l'eau s'écraser sur ton visage pour endiguer ton ivresse qu'à réellement te démaquiller. Tu t'en moques, surtout, t'es trop mélancolique pour te soucier de ton apparence, malgré le sourire que tu forces, comme si ça allait définitivement mieux, comme si l'incident était déjà loin. « C'est pas bizarre, d'être si loin de la maison ? » demandes-tu subitement. T'es pas certaine d'avoir un jour été ici seule avec Caden. Il y a toujours les autres, d'habitude, insufflant à l'appartement le même genre d'énergie chaotique que celle que vous avez toujours connu au compound. T'as beau haïr cette bâtisse, pour tous les souvenirs qu'elle trimbale, tous les fantômes qui arpentent les couloirs en refusant de te lâcher – ta mère, Lake, à tous les détours, dans toutes les alcoves – tu n'imagines pas vraiment vivre loin du QG de ton coven. Il te faut une seconde, pour recalibrer, pour réaliser que Caden n'a peut-être jamais vu le point de chute des Zapien comme un véritable foyer, juste un point de chute après avoir quitté sa famille. « J'veux dire, loin de... Non, laisse tomber. J'suis juste jalouse, ici Adriana peut pas surveiller tes déplacements, » tu hausses les épaules, feint un léger rire. C'est con, d'autant chercher à contrôler ce que tu dis, ce que tu penses, quand tu sais très bien que tu pourrais tout vider face à elle, poser toutes les questions qui te taraudent. T'as juste tellement l'habitude et t'es tellement sûre que tu l'as assez fait chier pour ce soir que tu bats en retraite. « Si t'as choppé des ampoules, j'te soigne si tu veux – c'est de ma faute après tout » annonces-tu avec un signe de tête en direction des talons qu'elle a lâché en arrivant. Tu ne sais pas t'excuser d'avoir gâché la soirée mais tu peux admettre lui avoir forcé la main pour un énième makeover digne d'un teen movie, au moins.

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