God's a kid with an ant farm - Qiu*Kira

God's a kid with an ant farm Ft. Qiu Baxter

Nerveuse, Kira s'approchait dangereusement du lieu qu'elle redoutait le plus à Savannah. Quiconque se serait intéressé à la question aurait pu interroger les habitants de la ville : quel était le monument, la rue, le quartier qui les mettaient le plus mal à l'aise ? Mais la brune balayait les statistiques d'un revers de la main. Elle n'avait jamais frémi devant le cimetière Bonaventure, pas plus que devant la plantation McLair, et elle ne baissait jamais les yeux lorsqu'elle arpentait les ruelles sombres de West Savannah en pleine nuit. Le danger, elle le savait, venait bien moins de l'obscurité que des hommes qui arpentaient le pavé, et elle ne craignait pas ce qu'elle pouvait affronter physiquement. Pourtant, la sueur froide qui lui coulait dans le bas du dos mettait à mal ses grandes théories, et pendant un instant elle envisagea même de faire demi-tour - après tout, elle n'avait rien promis. Pour la centième fois depuis qu'elle avait passé la porte de son appartement pour rejoindre le lieu de rendez-vous, elle se maudit d'avoir parlé trop vite, de ne pas avoir mesuré l'impact des propos qu'elle tenait. Elle n'était pas prête, c'était certain. Mais Kira avait été élevée au sein d'une communauté pour qui la religion tenait une place centrale, et le respect des hommes et des femmes d'église était inscrit si profondément dans ses gènes qu'elle n'avait pas pu résister. Lorsque le diacre de la congrégation locale avait passé la porte du garage, elle avait tenu à lui adresser quelques mots et à lui faire un prix sur la réparation du véhicule de la paroisse - après tout, elle pouvait bien prétendre avoir passé une heure de moins à remettre en état la camionnette fatiguée de la congrégation. L'homme l'avait chaleureusement remercié, et la conversation s'était naturellement engagée tandis qu'il signait la facture que lui avait fourni la jeune femme. "J'ai bien peur d'avoir à revenir plus tôt que vous ne l'imaginez : ce tacot n'est plus tout jeune, mais c'est le seul disponible pour nos livraisons. Seulement, parmi les bénévoles de la congrégation... Personne n'est très à l'aise quand il s'agit de le conduire, alors sa boite de vitesse est quelque peu maltraitée, je le crains !" Kira avait hoché la tête, pensive : effectivement, elle avait noté que la transmission au bloc moteur avait souffert. Sans même s'en rendre compte, elle était déjà en train d'ouvrir la bouche. "Je pourrais vous le conduire vous savez. Enfin, si vous avez besoin de monde." A peine sortis de sa bouche, les mots qu'elle venait de prononcer lui semblèrent complètement étrangers. Pour un peu, elle se serait giflée. "Vraiment ? Ce serait formidable ! Chaque petite main supplémentaire est la bienvenue, et vous pourriez nous ôter une sacrée épine du pied !" Sans attendre, le diacre lui avait fourni tous les renseignement nécessaires pour qu'elle puisse être présente au prochain rendez-vous, tandis que la jeune femme mortifiée se demandait encore quelle mouche l'avait piqué.

Et elle y était. Elle avait imperceptiblement ralenti au fur et à mesure qu'elle approchait de l'Église, mais elle était néanmoins parvenue à atteindre le parvis, s'approchant pas à pas du visage familier du diacre qui l'avait entraîné là-dedans. Durant les jours qui s'étaient écoulés entre sa première entrevue avec l'homme d'église et la date fatidique du rendez-vous, elle avait presque réussi à se convaincre que l'idée n'était pas si mauvaise. Après tout, c'était peut-être la solution qu'elle cherchait depuis si longtemps. Si Kira avait toujours grandi baignée dans la foi, elle ne s'était jamais considérée comme très pratiquante : pour faire plaisir à sa mère, elle avait toujours participé aux événements organisés par sa paroisse, mais chaque célébration lui faisait l'effet d'une routine, à laquelle elle se pliait sans trop se poser de question. Les choses avaient changé depuis sa transformation. Elle avait beau avoir écouté des sermons prônant l'amour de tous, elle n'était jamais parvenue à se convaincre qu'elle avait encore sa place dans la maison de Dieu. Il avait fait les Hommes à son image - mais pas les enfants de Crowley, pour autant qu'elle sache. Depuis son agression, elle avait l'inconstante sensation d'avoir été punie, sans savoir pourquoi, et la rancœur et l’incompréhension qui en découlait s'ajoutaient aux raisons qui l'empêchaient de franchir les portes de l'Église Our Lady of Sorrow. Elle avait pourtant essayé. Alors peut-être que ce bénévolat auprès de la paroisse représentait un bon début. Un premier pas vers quelque chose de plus conséquent - quelque chose qu'elle n'était pas tout à fait certaine de chercher, mais peu importe. Une étape après l'autre. Avec une profonde inspiration, la jeune femme se dirigea vers le diacre, qui lui fournit les clés de la camionnette avec un sourire en lui indiquant qu'elle serait bientôt rejointe par son binôme d'expédition, qui lui fournirait toutes les informations nécessaires. Muy bien. Au fond d'elle, Kira avait été terrifiée à l'idée que, pour une raison ou une autre, on lui demande de rentrer dans l'enceinte de l'église. Maintenant qu'elle savait qu'elle n'aurait pas à le faire, elle était bien plus détendue, et se dirigea vers la camionnette avec le sourire. Elle n'avait même pas pensé à demander au diacre de lui indiquer le prénom de son binôme : qu'importe, ils feraient les présentations une fois l'un face à l'autre. Avec un soulagement notable à mesure qu'elle s'éloignait du bâtiment pour s'approcher de la camionnette, Kira finit par arriver au niveau du véhicule, contre lequel elle s'appuya le temps de scruter la foule des bénévoles qui foulaient le parvis de l'église. Elle était curieuse de savoir lequel d'entre eux allait avoir l'insigne honneur de faire sa tournée avec elle.

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Dans quelques jours, cela fera deux ans qu’il est arrivé à Savannah. L’été n’y est toujours pas très agréable pour un vampire, nuages peu présents, soleil brûlant, nuits courtes, association désastreuse pour son espèce. Londres était sans doute plus clémente avec son climat pluvieux et son smog permanent. Il se souvient l’avoir mal vécu à son arrivée, cet été chaleureux, cloîtré dans la caravane pendant les longues journées de juillet, il aurait préféré errer dans les rues plus souvent. Ce n’est plus le cas, maintenant, il s’est habitué à sa caravane et n’a plus autant la bougeotte qu’avant, y passer des jours entiers à dessiner lui est plus facile. Sauf ces derniers temps, où il cherche seulement à s’occuper l’esprit et que le dessin va à l’encontre de ce qu’il veut. Laisser libre cours à son imagination sur une feuille de papier ne fait que le tourmenter davantage, il voudrait simplement arrêter de penser. Alors il prend service sur service au restaurant, malgré les froncements de sourcils du patron qui était bien contient il y a peu qu’il prenne enfin quelques jours de congé, et il enchaîne les engagements bénévoles avec sa paroisse, même si le soleil n’est pas encore couché. Il a appris, au fil des mois, à longer les ombres portées par le soleil couchant, connaît les trajets les plus rapides en le faisant jusqu’au restaurant et à l’église, les deux lieux essentiels de son existence actuelle. Casquette, hoodie et jeans suffisent à le protéger des écarts éventuels, même s’il tire sur ses manches jusqu’à les déformer.
C’est ainsi vêtu qu’il arrive à l’église, bien que d’autres aient sorti les shorts et les débardeurs. De toute façon, il a moins peur du soleil que de montrer sa peau et il n’a jamais porté de telles tenues, même lorsqu’il ne risque pas de brûler vif. Après avoir salué tout le monde poliment, il aide à terminer les caisses contenant des repas destinés à des personnes âgées en difficulté. Le diacre lui signale au passage qu’il fera les livraisons en camionnette avec une nouvelle bénévole et il acquiesce sans broncher. Au courant de sa condition, l’homme d’église fait toujours attention à ce qu’il ne doive pas se balader à pied tant qu’il y a encore un rayon de soleil. Il sait aussi qu’il est Anglais et que rouler à droite ne lui dit rien du tout, en plus de son inexpérience dans la conduite. Une voiture à Londres, c’est seulement si on éprouve un amour indéfectible pour les embouteillages. Alors il y a toujours quelqu’un pour conduire tandis qu’il livre. Certaines grands-mères adorent ses cheveux bleus, d’autres l’observent d’un air pincé, mais il ne s’en soucie pas vraiment. Quand il a fini d’emballer ses repas, il s’empare de deux cartons pour se diriger vers la camionnette où, visiblement, son binôme l’attend déjà. Good evening. I'm pleased to meet you, il la regarde sans sourire, courtois à l’excès. Le visage lui est familier, il lui semble qu’il l’a déjà vue aux alentours de l’église. Mais jamais à l’intérieur, étrangement. Plutôt devant la porte, hésitante, tournant les talons et revenant à plusieurs reprises jusqu’à abandonner. Il se le rappelle, simplement parce qu’il attendait pour pouvoir entrer, incapable d’interrompre un tel manège. May I ask you to open the boot, please ?, un rien d’hésitation, sur son visage d’un naturel impassible, the trunk, I mean, qu’il corrige après coup, se souvenant du mot américain. Il attend qu’elle passe devant pour se diriger vers l’arrière de la camionnette. I have to take six more and we can go. Il appuie ses paroles d’un léger signe de tête vers les bénévoles qui s’affairent encore à préparer les derniers cartons.

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Comme pour tromper l'angoisse qui ne la quittait jamais tout à fait à proximité de l'édifice religieux, Kira observait la foule des bénévoles qui s'employaient à préparer les repas à livrer, se demandant distraitement lequel d'entre eux allait être son binôme pour cette première tournée. La jeune femme avait l'expérience des événements paroissiales : plus jeune, sa mère l'avait traîné à toutes les kermesses, toutes les levées de fond et tous les pique-niques organisés par leur congrégation. Elle avait toujours considéré ces sorties comme faisant partie de sa vie, au même titre que l'école ou le cinéma du week-end. La communauté hispanique de Mesa était très pratiquante, et Kira avait mis du temps à prendre conscience que la religion n'occupait pas une place si importante dans la vie de tout le monde. Pour autant, elle n'avait jamais réellement remis en cause sa foi. A travers sa pratique de la religion, elle se sentait liée à sa famille, au reste de sa communauté, et appartenir à quelque chose de plus grand qu'elle lui avait toujours apporté un sincère réconfort - au moins jusqu'à sa transformation. Paradoxalement, elle soupçonnait que les loups appartenant à une meute devait ressentir une sensation similaire, l'impression d'être à sa place au sein d'une communauté partageant les mêmes buts, les mêmes aspirations. Tout ce qu'elle avait recherché autrefois, et qui lui semblait impossible à accepter. Ils étaient pourtant nombreux à avoir souligné sa vulnérabilité en tant que louve isolée ; mais Kira n'avait que faire des avis des autres loups, particulièrement des mâles. Elle avait déjà subit le pire de la part d'un d'entre eux, et elle avait survécu. Elle estimait que cela représentait une preuve suffisante de sa capacité à s'en sortir par elle-même : elle ne ferait pas partie d'une meute, jamais.

Sans qu'elle parvienne exactement à se l'admettre, elle avait finalement autant de réticences à l'idée de faire à nouveau partie d'une paroisse. L'idée l'avait suffisamment travaillé ces derniers jours, mais elle refusait d'y faire face dans l'immédiat. Elle allait faire du bénévolat, point. Une tournée, pour voir. Si jamais elle paniquait, elle aurait toujours la possibilité de ne plus jamais revenir - et de laisser Sirius s'occuper du véhicule de la paroisse si jamais le Diacre avait à revenir au garage. En d'autres termes, continuer à fuir cet aspect de sa vie qui avait autrefois tant compté.

Plongée dans ses pensées, Kira n'avait pas tout de suite remarqué la silhouette qui se détachait du lot pour s'approcher d'elle. Surprise, elle resta quelques secondes interdite devant l'homme qui lui faisait face. La louve connaissait bien le profil-type du bénévole d'une congrégation : sa mère en était un prototype parfait. Sans même y penser, elle s'était attendue à une femme d'âge mûre - certainement pas à un jeune vampire aux cheveux bleus. Qu'importe, la brune se ressaisit instinctivement pour hocher la tête en souriant. Kira aimait se fier à sa première impression des gens, et l'air très sérieux du jeune britannique qui se cachait derrière sa mèche bleu électrique lui plaisait. Contrairement à la plupart des membres de son espèce, la jeune femme n'avait aucun problème avec les vampires - elle en avait fréquenté certains de très près. Au contraire, la perspective de se retrouver avec un autre Enfant de Crowley lui permettrait peut-être de trouver les réponses aux questions qu'elle se posait quant à son nouveau rapport au Divin - whatever. "Yep, je t'ouvre et je te file un coup de main pour le reste des cartons !" Joignant le geste à la parole, Kira se dirigea vers l'arrière de la camionnette pour en déverrouiller la porte à double battants. Les cartons à charger se trouvaient à l'extérieur de l'église, elle pouvait donc participer à la manœuvre - la jeune femme se sentait handicapée par cette nouvelle phobie, mais elle n'était pas du genre à rechigner à la tâche. Si elle pouvait aider, elle aidait, c'était un principe. "Ravie de te rencontrer également, au fait. Je suis Kira. Et tu es ?" Un instant, la jeune femme envisagea la possibilité que son interlocuteur puisse ne pas avoir envie de la connaitre plus que ça. Après tout, elle ne faisait pas partie de la congrégation, était une nouvelle bénévole, une femme, et une louve. Elle avait conscience de cumuler certaines tares aux yeux d'une partie de la société - mais la plupart du temps, elle envoyait copieusement balader quiconque portait ce genre de jugement à son égard. Autant être fixé rapidement sur la personne avec qui elle allait passer le reste de la tournée. "Ça fait longtemps que tu fais du bénévolat ici ? J'te suis pour le reste du chargement."

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Il y a une lueur de surprise, dans le regard de la jeune femme, lorsqu’elle le voit s’approcher. Qiu n’en est pas vraiment dérangé, il a l’habitude d’être regardé de diverses manières, allant de l’étonnement à tout simplement de travers. Il sait qu’il n’a pas la gueule de l’emploi, selon les termes indélicats d’un paroissien avec lequel il a fait d’autres livraisons. Certes, il pourrait venir avec une chemise et un peu moins de chaînes à l’église, et peut-être même laisser ses vieilles Doc Martens au placard. Il pourrait, oui, pourtant il n’a toujours pas acheté de vêtements plus convenables, ni même un rien plus neutres. Qiu ne voit pas pourquoi l’apparence devrait déterminer sa foi, ou même quoi que ce soit. Il porte les habits qu’il apprécie et se teint les cheveux parce qu’il les aime bleus, il lui semble que c’est tout ce qui compte. Il ne pense pas que ses croyances soient moins légitimes, ni qu’il fasse moins bien son travail pour la cause. L’étonnement ne l’offense pas pour autant ; lycanthropes et sorcières décèlent souvent aisément sa nature, et même certains humains en ont l’intuition, bien que dans ce dernier cas son apparence brouille quelque peu les pistes. Ils n’arrivent jamais vraiment à savoir s’il n’est qu’un adolescent en pleine rébellion ou un vampire qui s’ennuie. Et les vampires, dans les églises, ce n’est pas commun.
Qiu n’a encore croisé aucun de ses semblables parmi les fidèles de la sienne, il se demande parfois si certains craignent de brûler vif comme dans les vieux films d’horreur. Mais l’idée ne s’arrête pas à sa propre espèce, il se souvient du crucifix exposé devant lui lors de son premier et unique repas humain, et de l’horreur dans les yeux de l’homme lorsqu’il avait remarqué la petite croix en or qui pendait à son cou. La chose n’était pas rare. A Londres, quelques proches de son sire, au courant de l’existence des vampires, que celui-ci invitait régulièrement à dîner s’imaginaient protégés avec leurs superstitions insensées. Abe et lui avaient toujours un sourire en coin en découvrant les multiples bijoux en argent dont s’affublaient les convives ou en sentant un léger fumet d’ail au passage de certains.
Mais pour le moment, ni crucifix, ni ail, ni argent, de la part de la jeune femme. En humant l’air discrètement, il reconnaît vaguement l’odeur particulière des lycans. Il en côtoie, au restaurant, pourtant il lui arrive encore de passer à côté, comme cet individu un peu ronchon qui était venu allumer un cierge à l’église. Gage disait que les loups puaient la bête, Qiu a simplement l’impression que leur sang exhale moins d’effluves alléchantes pour un vampire. A ses yeux, c’est plutôt un avantage qu’un désagrément, alors il n’y prête pas vraiment attention. Il ne manque pas de la remercier lorsqu’elle lui ouvre le coffre, avant d’y poser les cartons et de les pousser au fond pour faire de la place. Qiu, répond-il sans fioriture, le prononçant à l’anglaise car tous les autres l’appellent comme ça. Cela fait longtemps qu’il ne se fatigue plus à donner des cours de chinois. Since I’ve moved here. Two years ago. Il reste factuel, comme il l’est toujours. D’autres se lancent dans un récit de leur carrière de bénévoles, expliquant ce que ça leur apporte spirituellement et racontant des anecdotes, Qiu le sait pour en avoir écoutés plusieurs. Mais il préfère les écouter, justement. Il retourne vers le groupe de bénévoles en s’assurant qu’elle le suive au préalable. I’ve never seen you inside. Il a rajouté la précision après un instant de réflexion, sans trop savoir si ça a de l’importance. Are you from another church? demande-t-il, en s’emparant de deux nouveaux cartons.

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Toute à sa conversation, Kira lança un nouveau regard en coin vers son interlocuteur. La jeune femme était loin d'être stupide, et elle savait que la plupart des gens se seraient retranchés dans le silence face à l'attitude réservée du vampire avec qui elle allait partager la camionnette. Qiu, enregistra-t-elle mentalement. Mais Kira n'était pas du genre à se laisser démonter, et elle avait un objectif au travers de cette sessions de bénévolat : en apprendre plus sur la congrégation et, peut-être, trouver certaines réponses à ses questions. Et si cela impliquait de devoir faire parler son partenaire de la journée, elle allait s'en donner les moyens. Au fond d'elle, elle constata avec amusement que l'attitude poliment guindé du jeune homme aux cheveux bleus, couplés à sa dégaine générale, le rendait instantanément sympathique à ses yeux. Elle aimait les personnalités qui détonnait Kira, et rencontrer un vampire qui ne se sentait pas obligé d'en faire des caisses avait quelque chose de rafraîchissant. Pour autant, elle sentait que son propre côté volcanique pourrait vite venir interférer avec le flegme très britannique de son compagnon d'affaire - pour autant que la distribution de repas aux personnes en difficultés puisse leur donner la possibilité de s'accrocher, mais Kira ne s'étonnait plus de rien depuis longtemps.

Tout en suivant le vampire jusqu'au tas de cartons à charger, la jeune femme se surprit à surveiller l'Église du coin de l’œil - comme si l'édifice lui-même pouvait représenter une menace en cet instant. Prise de court, elle resta quelques instants silencieuse face à la question que Qiu venait de lui poser. Non pas qu'elle ne se soit pas préparée à ce genre d'interrogations : durant les jours qui avaient suivi sa première rencontre avec le Diacre, elle avait envisagé des centaines de scénarios potentiels quant à cette première confrontation. Évidemment, quelqu'un allait bien se rendre compte qu'elle ne participait jamais à l'office, et l'excuse de l'emménagement récent ne tenait plus la route après quatre ans à Savannah. Pour autant, si elle avait envisagé des dizaines d'excuses potentielles, aucune ne lui avait semblé réellement convaincante, et elle ne se voyait pas déballer ses états d'âme face à ce vampire vaguement gothique dont elle connaissait le nom depuis moins de cinq minutes. "Pas vraiment. Je cherche encore à savoir si ma place est ici." Ou même si elle avait encore une place quelque part. La réponse était concise et le compromis lui semblait acceptable, mais la jeune femme se tenait pourtant sur la défensive, prête à répliquer à la moindre remarque remettant en cause sa pratique de sa foi. La peur du jugement, probablement la principale raison qui l'avait tenu éloignée de l'Église ces dernières années - et pourtant se tenait devant elle un vampire aux cheveux bleus qui semblait fréquenter la congrégation sans problème depuis son arrivée dans le coin. Ironique. "Le Diacre semble sympa, mais c'est pas lui qui m'inquiète le plus." Comme souvent, les mots étaient sortis presque sans qu'elle y pense, comme spontanément, cherchant à combler le silence. Elle était plus nerveuse qu'elle ne le voulait se l'avouer Kira, et elle cherchait tant bien que mal à reprendre le contrôle tandis qu'elle chargeait deux nouveaux cartons dans la camionnette. "Le soleil te gène pas au fait ? Une fois en route, j'pourrais essayer de rouler à l'ombre." Un changement de sujet comme un grand écart, rappel peu subtil de sa connaissance de la condition de son acolyte. Elle est comme ça Kira, à milles lieux de la courtoisie britannique : elle, elle fonce dans le tas.

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Peut-être Kira a-t-elle peur de brûler vive en entrant dans une église, elle aussi. Il se fait la réflexion, en la voyant jeter un coup d’œil en biais à l’édifice religieux, un peu comme si elle le surveillait, comme si les murs menaçaient de s’effondrer sur elle. Il sait que la légende concerne surtout les vampires, mais il imagine aisément que les autres enfants de Crowley puissent eux aussi avoir des rapports conflictuels avec la religion. Les croyants ne sont pas réputés pour leur ouverture d’esprit et leur tolérance, même si, aussi absurde que cela puisse paraître, leurs principes leur disent de l’être. Beaucoup de gens restent arrêtés sur leurs idées, sans vouloir voir plus loin, dans une vision stricte et presque destructrice de leur foi. Qiu n’a pas été élevé comme ça, ses parents lui ont appris à être respectueux et compréhensif envers tout le monde. Il a retenu la leçon, sauf à son égard, toujours terriblement sévère dès qu’il s’agit de sa personne. Il fait toujours tout pour aider quelqu’un qui ne va pas bien, mais sans doute ne se considère-t-il pas lui-même comme quelqu’un. Il acquiesce, à ses mots, comprenant qu’il est difficile de savoir où est sa place dans ce monde. Il se souvient qu’à Londres, Gage ne voulait plus qu’il aille à l’église. Il avait ses propres conceptions qu’il voulait inculquer à son infant, qu’aucun prêtre humain n’aurait encensées. Qiu non plus, ne les approuvait pas, trop éloignées des valeurs de sa famille sur laquelle il n’arrivait pas à faire une croix. Il est allé à l’église, alors, quelques mois après sa transformation. Il ne s’est même pas posé la question du danger que cela pouvait représenter, s’il devait prendre feu, ce ne serait que la volonté de Dieu et il l’accepterait. Quelque part, il espérait que pénétrer dans un lieu saint lui fasse quelque chose, en tant que vampire. Il aurait voulu que ce soit aussi simple que ça, au fond, que son existence soit reconnue comme une hérésie et que son dieu apaise ses souffrances, mais il ne s’est rien passé. Il est retourné à la messe, ensuite, pas dans la paroisse de sa famille, incapable de leur faire subir sa nouvelle condition, mais Gage est tout de même entré dans une colère noire en l’apprenant. Et Qiu a cessé d’y aller.
Ce n’est qu’à Savannah qu’il a vraiment renoué avec sa foi. En manque de repères, il a ressenti le besoin d’appartenir à une communauté, même si certains n’acceptent toujours pas sa présence. Il ne s’intéresse pas vraiment à ce que les autres pensent de lui, surtout quand ils se basent sur des préjugés, et, en même temps, il n’arrive pas à les blâmer pour leur crainte face à ce qu’il est. Il suit Kira jusqu’à la camionnette, hochant la tête à son opinion du diacre. C’est lui qui l’a accueilli et avec lui qu’il parle le plus souvent. Au courant de sa nature depuis le début, il n’a jamais cherché à le mettre dehors et il ne s’est pas non plus offusqué de son apparence peu conventionnelle pour un nouveau paroissien. Il dépose ses deux cartons à son tour et le diacre, justement, apporte les deux derniers avant de leur souhaiter une bonne livraison. Qiu le remercie d’un signe et se retourne vers Kira, qui lui fait savoir d’une manière assez limpide qu’elle sait. Un sourire, minuscule, furtif, passe sur ses lèvres. It’s ok. I don’t wear all this for nothing, répond-il en désignant sa tenue beaucoup trop couvrante pour la météo d’un vague geste de la main. Shall we ? Il ferme les portières du coffre et prend place sur le siège passager, attache soigneusement sa ceinture et sort ses lunettes de soleil qu’il pose sur le bout de son nez. Une protection supplémentaire contre les rayons UV. You know, hm. It’s normal to be worried. Some of them are still very distruthful of me. Il faudrait être aveugle pour ne pas voir les regards de travers dont il fait l’objet, parfois. En général, il y répond par la politesse, peu soucieux de les rendre plus méfiant encore. They see me as a natural predator and who could blame them for that. Il hausse les épaules, à peine, en sortant la liste des adresses et en introduisant la première sur le vieux GPS portable de la congrégation. Yours is easier to hide, though. And you’re not the only one. Il a déjà reconnu cette odeur particulière sur d’autres membres de la paroisse, pas forcément des membres très actifs, mais il suppose que ça doit être rassurant, de savoir qu’on n’est pas la seule dans le cas.

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En s'activant à charger des cartons dans la vieille camionnette de la paroisse, Kira se glissait avec plaisir dans une ancienne routine, comme réactivée par sa mémoire musculaire. Il y avait bien des années qu'elle n'avait pas participé à une activité bénévole telle que celle-ci, et pourtant les vieilles habitudes semblaient ne jamais l'avoir quitté. Comme mû par un instinct dont elle ignorait tout, elle retrouvait les réflexes de son enfance : travailler activement et sans se plaindre, croiser le regard des autres paroissiens, leur sourire, prendre des nouvelles de son prochain. Le paradoxe étant qu'enfant et adolescente, elle n'avait jamais réellement raffolé de ces journées de travail forcée que sa mère lui imposait - et qui la privait d'activités bien plus intéressantes, telles que la pratique du skate ou les sorties entre copains. Mais sa mère n'avait jamais lâché prise, et Kira n'avait pas raté beaucoup des activités organisées par sa paroisse de Mesa. Elle et ses frères et sœurs avaient fait acte de présence pour chaque kermesse, chaque vide-grenier, chaque visite à la maison de retraite. Et petit à petit, tous ses événements avaient fait partie de son quotidien, comme une étape de ses semaines qu'elle ne remettait même plus en question. Aux périodes les plus tumultueuses de son adolescence, Kira avait souvent cherché à remettre en question son rapport à la religion, autant par réel questionnement que pour s'opposer à sa cellule familiale - mais au fond, si ses liens avec le Divin restait incertains, elle appréciait le réconfort que pouvait apporter l'appartenance à une communauté toujours prête à aider son prochain. Elle n'était pas certaine de mériter cette aide désormais, mais elle pouvait néanmoins commencer par apporter du réconfort à ceux qui en avait besoin. La réciproque suivrait peut-être.

Mais en s'installant au volant de la camionnette une fois la cargaison chargée, Kira sentait déjà le doute s'insinuer en elle. Elle avait beau se concentrer sur sa tâche, s'appliquer à faire la conversation avec son compagnon d'aventure, taire ses doutes les plus profonds : elle n'en restait pas moins attentive aux regards en coin qu'on leur jetait de toute part. Une part d'elle-même s'efforçait de se rassurer - aucun membre de la congrégation ne pouvait deviner sa part sombre et animale, les humains n'étaient jamais suffisamment attentifs aux détails. Pour autant, le duo qu'elle formait avec Qiu ne passait pas inaperçu, et en tendant l'oreille, elle aurait pu entendre sans peine les conversations de ceux qui chuchotaient dans leur sillage. Les sens exacerbés de lycantrophe n'avaient pas que des avantages, et Kira préférait se concentrer sur les propos de son interlocuteur. Elle avait vu passer un sourire sur son visage, et ce simple petit témoignage amical suffisait à lui redonner confiance. Elle allait bien finir par le dérider, ce petit vampire british. Elle-même sourit en l'entendant exprimer ses propres réserves quant aux habitués de la paroisse, tout en lui faisait comprendre qu'il n'était lui-même pas dupe de sa condition lycane. Un point partout, balle au centre. Il lui plaisait bien, ce dandy aux cheveux bleus. "Tu devrais me voir les nuits de pleine lune. Moi aussi, j'ai un p'tit côté... Mordant !" La plaisanterie n'était pas très drôle. Kira avait beau avoir appris à vivre avec sa nouvelle condition, elle ne l'acceptait pas toujours aussi bien qu'il ne l'aurait fallu. Un prédateur ? Ce n'était pas ce qu'elle avait envie d'être, et pourtant. Elle ne pouvait pas nier le danger qu'elle représentait pour les autres. Elle avait quitté Mesa pour cette unique raison. Et pour autant, elle avait toujours l'avantage de n'être dangereuse qu'un soir par mois, là où Qiu était considéré comme une menace constante. La chance. "Les secrets ne font jamais long feu ici-bas, surtout pas dans ce genre de voisinage. Deux ans que t'es là et certains se demandent encore si tu vas pas les saigner au coin de la rue ? J'sais pas à quel point j'ai envie d'appartenir à tout ça." S'assurant du coin de l’œil que son copilote avait bien attaché sa ceinture, la jeune femme démarra la camionnette. Sous ses invectives, le moteur se mit à ronronner tranquillement tandis qu'elle s'insérait dans la circulation. Le véhicule était un vieux modèle déjà bien malmené par les années et par le défilé de conducteurs successifs qu'il avait connu, mais Kira savait parler aux vieilles guimbardes. "J'ai pas cherché à devenir ce que je suis. J'ignore si c'était Sa volonté, s'Il m'a laissé tombé, ou si c'est juste une manière de me punir. Mais comment je suis supposée trouver des réponses si on me rejette de Sa maison ?" La brune avait conscience que le problème tenait autant à ses propres appréhensions qu'à un potentiel rejet de la part des paroissiens. Mais il était plus facile de nier cette vérité et de remettre la faute sur autrui : elle faisait déjà bien assez d'efforts comme ça.

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Qiu comprend ceux qui le voient comme un monstre, après tout c’est l’image qu’il a de lui-même et il est plus facile de se conforter dans cette vision des choses que de croire qu’on puisse l’apprécier et le considérer comme un être vivant à part entière. Même après deux ans, pourquoi penseraient-ils différemment ? Il est et restera un vampire, qui par défaut se nourrit de sang humain. A écouter son sire et d’autres, les vampires ne sont pas de ce monde pour boire du sang synthétique, et certainement pas pour épargner des vies. Il est naturel que les humains les craignent, en somme, et Qiu doit avouer qu’il préfère ceux qui ont peur de lui plutôt que ceux qui désirent à tout prix se faire mordre. Au moins, ils ne s’approchent pas et ne font pas de lui l’objet d’un fantasme tordu, au nom d’il ne sait quelle représentation illusoire et glamour du vampire. Il grimace un peu, en repensant au roman que Yasmin lui a prêté, une histoire d’amour empêtrée dans les clichés et des idées positivement malsaines. A ses yeux, cet Edward a tout d’un stalker, et pourtant beaucoup de gens semblent avoir aimé cet ouvrage. Mais cela fait longtemps que Qiu a cessé d’essayer de comprendre, toujours décalé dès qu’il s’agit de tendances du moment. Il n’a jamais vécu avec son temps, toujours perdu face à la pléthore de pop stars, blockbusters et bestsellers, même quand il n’était pas mort. Il devait être le seul adolescent de son école à ne pas être sur quelconque réseau social et à préférer se plonger dans les livres d’art de la bibliothèque plutôt que d’écumer Internet en quête de sensations. Violet tentait de l’éduquer un peu sur le sujet, sur les memes, en particulier, mais ça le dépassait, il oubliait tout, confondait Ariana Grande et Selena Gomez, mélangeait Harry Potter et Star Wars, bref, rien n’était clair dans sa tête. Et il a appris, avec le temps, qu’il valait mieux simplement acquiescer sans écouter pour s’éviter l’embarras d’être encore le seul à ne pas connaître. Tout comme il n’écoute pas les murmures autour d’eux, qui ne sont rien comparés à ses propres pensées.
Alors oui, cela fait deux ans et rien n’a changé, mais ça n’a pas vraiment d’importance. Il ne pense pas qu’il faille juger une communauté uniquement selon ses membres les moins ouverts, il y a du bon et du mauvais dans tout, peu importe si on aime tout voir en noir et blanc. Qiu sait que sans le prêtre et le diacre de cette église, il aurait déjà sombré bien plus bas qu’actuellement. Peut-être même ne serait-il plus là pour en témoigner. Il avait cruellement besoin de renouer avec sa religion et certes, l’accueil n’a pas été parfait et ses questions n’ont pas toutes trouvé réponses, mais il a quelque chose auquel s’attacher quand ça ne va pas, qui l’aide à voir son existence en gris foncé plutôt qu’en noir d’encre. Well, sometimes I think I might hurt them too, so I guess it’s fair. Gage le lui répétait souvent, que c’était leur instinct, qu’il ne devait pas s’y opposer, lutter contre son envie de sang. Et Qiu a peur de ne pas savoir se contrôler, pour peu qu’il y ait un accident, au restaurant ou ailleurs, une blessure, du sang qui coule, et son ventre creux comme il évite encore de se nourrir, même après tout ce temps. La chose ne s’est pas encore produite, peut-être ne se produira-t-elle jamais, mais il aura toujours cette crainte, en lui. Maybe you shouldn’t think of it as a whole. Some of them are really kind and open-minded. Se concentrer sur les bons côtés, il aimerait y arriver, mais il a du mal à accepter la gentillesse à son égard, tout comme il ne parvient toujours pas à se trouver des qualités, bien qu’il essaye, ces derniers temps, d’être moins dur envers lui-même. Les questions de Kira, il les connaît par coeur, il se les est posées des millions de fois. Que voulait Dieu, pour lui ? Pourquoi la maladie, pourquoi lui avoir refusé le repos éternel, après des années de souffrance ? A-t-Il cessé de se soucier de lui, s’est-Il soucié un jour ? Était-il une épreuve pour ses parents, sa transformation était-elle une épreuve à son intention ? I understand. I still don’t have answers myself, but no matter what people say, you’re welcome in His house. Everyone is. Il y a plus de conviction que d’habitude, dans sa voix, le regard ancré bien devant lui, sur la route. Il se rattache désespérément aux paroles de ses parents, aux valeurs inculquées dans son enfance. Ils n’étaient pas parfaits, mais ils n’ont jamais rejeté personne et c’est tout ce qui compte. Il hésite, un instant, puis se remet à parler, calmement. You know, if you have trouble coming in, I could be there. Perhaps it would be less scary if you’re not alone?, propose-t-il, en se souvenant de la première fois où il l’a vue.

Sujet: Re: God's a kid with an ant farm - Qiu*Kira

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