can't tell me there's no point in trying (ft. ruby #2)

C'est peut-être l'une des dernières journées ensoleillées de l'année. Tu ne dirais pas que tu aimes le soleil, mais tu ne le détestes pas non plus – il faut tout de même rappeler que tu es porteur légal d'une bague de jour qui te permet d'avoir ce genre d'opinions quand, à contrario, certains de tes confrères sont obligés de fuir les rayons de l'astre comme la peste. Toi-même tu n'arrivais pas à savoir, quand tu habitais non loin de Londres il y a quelques décennies de cela, si tu détestais ceux qui pouvaient se pavaner à l'extérieur en plein jour ou si tu les enviais plus qu'autre chose. C'est toute une contradiction dans la vie maussade d'un vampire, l'existence même de cette étoile au centre de votre système solaire. C'est même toute une histoire, l'espace, pour les enfants de Crowley. Les lycans sont soumis à la lune, les vampires au soleil, les sorcières... well, tu ne sais pas trop, mais il y a fort à parier qu'elles aussi, ont une faiblesse dans l'astronomie. Ils vous arrivent quoi, si on vous envoie sur une autre planète ?
Tu secoues la tête en chassant tes pensées, non sans un soupir, et décides finalement de sortir ta paire de lunettes de soleil pour la placer sur ton nez. Ce sera ainsi, aujourd'hui, c'est un jour où tu n'apprécies pas l'astre brûlant. C'est ton cerveau qui tourne à plein régime – façon de parler – qui a tranché, parce que ça t'emmerde vite de savoir qu'il t'en faut peu pour te poser des questions aussi débiles. T'en serais presque gêné et tu es même à deux doigts d'espérer ne pas croiser le chemin d'une sorcière aux pouvoirs télépathiques ; quoique tu espères ne jamais en croiser une, en vérité, parce que tu es à peu près sûr qu'il n'y a aucun moment dans ta vie où ton crâne ne ressemble pas à un dépotoir de pensées sombres ou juste terriblement connes.

C'est donc avec l'allure peu chaleureuse que tu débarques dans ce quartier où tu n'as pas l'habitude de te rendre – où tu n'avais pas l'habitude de te rendre, plutôt, il y a encore quelques semaines. Car maintenant, on y retrouve ta trombine tous les dimanches, et autant dire que tu fais tâche dans le décor. Toi, ta veste en cuir et tes lunettes de soleil sur le pif, comme si tu ne voulais pas être reconnu – autant dire que c'est peine perdue. Enfin, on ne te reconnaît pas puisque tu n'as rien d'une grande célébrité non plus, et qu'il y a de grandes chances que les gens du coin ne sachent pas qui tu es, surtout. Ça ne t'a jamais dérangé de ne pas être reconnu dans la rue, ça te satisfait même plus qu'autre chose, toi qui n'as jamais apprécié être au centre de l'attention.
Qu'est-ce que tu fous à venir ici tous les dimanches ? te demanderait-on, et ce serait une question tout à fait légitime que tu esquiverais néanmoins avec adresse – ou pas – si on venait à te la poser. Ce n'est pas que tu as honte, c'est que tu sais toi-même que la réponse est absolument ridicule même dans ta tête.
Tu cherches le poète du pont, voilà ce que tu fais ici. Et si Brett et Finnegan le savaient, ils t'auraient déjà charrié en pensant que c'est un de tes amants, jusqu'à ce qu'ils apprennent que c'est un gamin de vingt ans et là, ils t'auraient jugé. Mais non, promis, il n'y a rien de tout ça, tu ne fais pas partie de ces vampires lubriques qui s'amusent avec n'importe qui juste pour satisfaire leurs pulsions que tu trouves particulièrement dégueulasses, en toute objectivité. Tu dois juste lui donner quelque chose, au blondinet. Rien d'important mais ça te tracasse de voir ce truc traîner dans ta chambre, et de savoir que tu ne le lui as pas encore remis en mains propres depuis quelques semaines.

Tu l'as vu quelques fois par ici. Tous les dimanches, donc. Tu ne l'as jamais approché, ceci dit, parce que ce que tu préparais n'était pas terminé et tu sentais que ce n'était pas une bonne idée, de l'aborder. Ce n'était pas une bonne idée non plus, la première et dernière fois que vous vous êtes parlés, sauf que tu aimerais faire ça bien cette fois. Enfin, tu ne sais pas trop pour qui tu te prends à dire ça – tu ne sais pas non plus pourquoi tu prends autant de pincettes avec ce blondinet mais c'est plus fort que toi. Il y a quelque chose que tu as fini par voir en lui et que tu désires à tout prix ne pas briser. Quelque chose qui te rappelle toi, au siècle dernier, sûrement.
Sauf que ça fait deux ou trois semaines qu'il ne se montre pas, Ruben. Et ça t'inquiète un peu, peut-être, même si tu ne veux guère l'avouer. Tu reviens quand même toutes les semaines pour voir s'il est revenu, faute de mieux.
Et aujourd'hui, enfin, tu revois sa trogne au loin, derrière son stand. La chevelure qui semble même s'éclaircir davantage à la lueur du jour, et son regard absent – tu esquisses un sourire satisfait lorsque tu t'approches, évitant tout de même de paraître trop ravi au risque que ce soit louche. Il y a beaucoup de choses un peu trop louches avec ta façon de te comporter vis-à-vis du jeune Polk, ceci dit. Tu en as conscience, c'est déjà ça.
— Bien le bonjour, que tu lances d'une voix calme, les mains dans les poches, quelques secondes après être arrivé à sa hauteur. Vos regards se croisent et, heureusement, il ne peut voir la lueur de surprise qui passe dans tes pupilles à ce moment-là grâce à tes lunettes de soleil. Pourtant, tu finis par les retirer délicatement, dévoilant ainsi tes yeux sombres et ton sourcil arqué, pour ensuite les ramener sur le haut de ton crâne. Tout va bien ?
Tu sais déjà d'avance qu'il ne répondra pas à la question, et qu'il y verra là une occasion parfaite pour te claquer une remarque bien acerbe dans les dents, mais tant pis. Pour une fois, les paroles ont dépassé ta réflexion.

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