Like a storm (Aslan + Mo)

Je cligne des yeux, baille à nouveau. Quel après-midi de merde. En fait, je pense que si Mr Spike se rendait compte le plus rapidement possible que j’y connais absolument rien à sa collection de vieux disques moisis, ce serait pas si mal. Enfin, dans l’absolu, ce serait la merde, pour sûr, mais au moins j’aurais plus à faire semblant. Ça va, j’en ai fait le tour. J’ai pas trop de plan b à l’heure qu’il est, mais je n’ai pas pris le temps de bien réfléchir, donc bon, ça se vaut pas. Je suis sûr que si je cherchais un minimum, je trouverais facilement. Qui refuserait donc un jeune étudiant prometteur, avenant et sympathique ? Si j’étais pas noir et lupin, on viendrait même me chercher.

Je souris, adossé au comptoir de la boutique, les deux coudes me tenant en équilibre sur le bois tiède. L’envie de bailler me reprend déjà. Je tourne la tête et tombe nez à nez avec mon plus grand ennemi : les poubelles. La boutique est vide et si le vieux Mr Spike avait été là à cet instant précis, il m’aurait jeté un regard noir à m’en transformer en statue de pierre. Las, je me penche en avant le dos courbé, et sans grands efforts, m’empare des sacs noirs qui traînent dans le coin de la boutique. Qu’est-ce qu’il peut bien mettre dedans ? Enfin, je veux dire, vu comment il tient à ses 35 tours, je vois pas vraiment ce qu’il pourrait bien jeter. Il en garderait jusqu’à même la poussière s’il était pas allergique aux acariens ou je ne sais plus quelle autre connerie du genre.

Je pousse la porte en appuyant mon dos contre la barre anti-panique, les poubelles au bout des bras. En me retournant, le soleil m’éblouit quelques secondes, et à peine ai-je le temps d’y voir correctement que je bouscule un type qui était déjà là. Je le reconnais, rapidement. Il doit venir du pub d’en face, il faut dire qu’on est pas les seuls à avoir accès à l’arrière-cour. Il me semble bien que Mr Spike m’a déjà raconté avoir eu quelques altercations avec les clients ou encore les gérants-mêmes, alors bon, eux-là, je m’en méfie. Je ne suis absolument pas du genre à chercher le problème.

Je m’excuse et m’avance vers les containers mais voilà qu’on m’agrippe. Je me retourne doucement, pas besoin de s’alarmer, si ça se trouve il a juste besoin de feu. Je me mens à moi même, je sais. Il me compresse déjà le bras entre ses doigts malhabiles. Le sourire sur les lèvres, je me retourne, les sacs poubelles suivant mon mouvement viennent percuter mon interlocuteur à nous.

Pas besoin de préciser que je me confonds en excuse. Je sais ce que c’est, ce genre de type, je sais comment ils réagissent, c’est pas le premier que je croise ici, à Savannah, et même aux États-Unis en général. Alors bon, j’évite juste le conflit, j'évite de surenchérir. Un moyen de défense pas très héroïque, c’est vrai. Mais j’ai jamais été à mon avantage ici, et je le serai probablement jamais.

Mais l’autre a l’air de vouloir se chauffer. Je lève les yeux au ciel, ce qui a pour don de l’énerver plus qu’il ne l’est déjà. Mais il est pas si fier que ce qu’il n’y paraît, vu qu’il appelle déjà ses amis à la rescousse. Comme si j’avais la dégaine d’un professionnel de boxe. Je sais vraiment pas quoi faire, et en plus, y’a personne dans la boutique actuellement pour venir me donner un coup de main. J’ai vraiment pas envie de me battre. Pas même sûr que j’en sois capable, d’ailleurs.

Il faut croire que le Ciel m’ait venu en aide. Littéralement. Je cligne des yeux, mais non, c’est bien ça. Il y a bien un type qui vient de sauter du muret. Comment ai-je fait pour ne pas le repérer plus tôt ? Je veux dire, on est en pleine journée, j’aurais dû m’en rendre compte. Mais non. Peut-être parce que je suis trop fatigué, aujourd’hui. En tout cas, le type qui vient de faire ses cascades à quelques centimètres de moi n’est pas de refus. Sûr qu’il est loup pour ça. Il a pas l’air tout jeune en plus, il est bien conservé, dis-donc. Et le voilà qui tape la discut’ ironiquement aux autres. Il a pas froid aux yeux, putain.

Je dis rien. À quoi bon ? C’est même pas vraiment dans ma nature, en plus. J’risque juste de faire une gaffe idiote et de me ridiculiser. Comment vous montrer que je suis vraiment pas à l’aise, d’ailleurs ? Je sais pas si c’est à cause du fait que je sois incapable de me défendre seul, ou si c’est simplement les blagues de mon compatriote.

Et le voilà qui fait fuir les autres. Sans rien d’autre, juste avec sa galipette (impressionnante, j’en conjure) et ses mots crus. Et bah putain, si je pouvais m’en sortir comme ça… Faudrait que je lui demande de m’apprendre. Il se tourne vers moi, et j’ai enfin la possibilité de voir son visage. Aux couleurs du comportement qu’il m’a déjà laissé transparaître dans ses précédents actes.

“Bien à nous deux maintenant … J’étais très sérieux quand je parlais de ton matos, parait que les garçons à la peau brune sont méchamment équipés.” Je déglutis de surprise, sans vraiment prendre la peine de répondre. Qu’est-ce que je pourrais répondre, de toute façon ? “Merci” ? Oui, bien sûr. J’ai l’air fin, d’ailleurs. Heureusement que je suis noir, putain, sinon j’aurais bien rougi. Écarlate. Un timide “non” de la tête pour lui signifier que je ne fume pas.

“On est où là ? Chez toi ? Ou bien ? Au fait, moi c’est Mo, désolée d’avoir atterris comme ça sans prévenir mais voilà … situation oblige !” Et le voilà qui siffle, appelant un très probable chien de je ne sais quelle espèce. Enfin, je crois qu’il appelle un chien. Si ça se trouve, c’est un de ses amis, ou je ne sais quoi. “Non, non, pas du tout, je travaille juste ici. J’habite plus loin, au niveau des résidences étudiantes. La boutique est juste là.” Je lui montre du menton la porte arrière du disquaire. J’ai failli bégayer, je l’ai senti. C’est marrant, je suis pas aussi paniqué d’habitude, il faut dire qu’il m’a fait impression. “Merci, d’ailleurs.”

Ouais, j’avoue, je sais pas trop quoi dire. J’entends qu’on galope plus bas, dans la ruelle. Un chien alors, c’est bien un chien, je me suis pas trompé. “Mo” d’ailleurs vient de l’interpeller. Elle arrive au triple galop et je recule plus par peur qu’elle me percute avec sa masse que pour autre chose. J’ai pas vraiment peur des chiens. Quel lycaon aurait peur des chiens, d’ailleurs ?

“Il voulait quoi ces mecs ? Tu les connais ?” Un autre “non” de la tête. Faudrait peut-être que je pense à utiliser la parole, ça pourrait être pratique. Il faut dire que cette petite mésaventure qui a dérangé mon après-midi et l’arrivée de Mo m’a laissé légèrement sans voix.

“Non vraiment pas, enfin je crois que tu l’as deviné.” Ça me fait étrange de le tutoyer. Je veux dire, je sais pas, il doit au moins avoir 20 ans de plus que moi, ça pourrait être mon daron. “J’étais juste en train de sortir les poubelles et on aurait dit que j’étais attendu… Tu sais ce que ça fait d’être une star comme ça, des vrais paparazzis à chaque coin de rue.” Je souris, à nouveau gêné. L’humour n’a jamais été mon fort, il est bien plus rodé que moi à ce niveau-là. Je tends ma main, comme on me l’a toujours poliment appris : “Moi c’est Aslan.”

“Et toi ? Tu es du coin, je suppose ?” À vrai dire, je doute fortement que ce soit un simple touriste en visite. Il a bien l’air d'être totalement imprégné par l’esprit de la ville. Est-ce que tous les loups de la région sont dans son genre ?

HRP: