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 a story untold could be the one that kills you. (farrow)

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Quinn Farrow
Quinn Farrow
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MessageSujet: a story untold could be the one that kills you. (farrow)   a story untold could be the one that kills you. (farrow) EmptyDim 26 Juil - 20:33

if you could spit it out, if you could only shout. when you open your mouth pull the trigger with your tongue. but your heart goes numb, no, you can’t make a sound, you can never break the silence in your heart, you can never break the silence, it’s in your bones. even if you break your heart, you set your soul apart. into the self aware you’re just a quiet kid, it’s all you can do not to blow your head, without make you insane - -


— 28 mai 2020 / coastal state prison, georgia
today, from nick, 5pm :
u good ?

today, to nick, 5pm :
not for long but yeah


Il faisait une chaleur à crever. Et Jean, qui n’en finissait pas de remuer, gravitant autour du tacot contre lequel était appuyé son cadet, dont le regard impénétrable scrutait la façade du pénitencier par delà les grillages et les barbelés dans l’attente d’un désastre imminent, auquel il avait réussi à ne pas trop penser jusque là. Ce paysage désolé lui tordait le bide aussi sûrement que la perspective de voir celui qu’ils étaient venus chercher. Les rares fois où il y avait foutu les pieds, il y avait été traîné de force par Kitty, et ce n’étaient pas des bons souvenirs. Agitée de tics nerveux, sa mère remettait ici une mèche de cheveux fraîchement colorés, lissait là les plis d’un chemisier neuf ou retouchait son rouge à lèvre rose pétant en se regardant dans le rétro, le tout lui donnant l’allure d’une pute endimanchée. Elle sortait par intermittence une clope de son paquet avant de l’y remettre, car « I don’t want to smell bad when he’ll kiss me, y’know, », et Quinn serrait les dents en feignant de ne rien entendre, un amas de mégots s’accumulant à ses propres pieds à mesure que les minutes défilaient. L’agitation de sa mère le crispait. Il aurait voulu qu’elle la ferme, qu’elle patiente dans la voiture, qu’elle soit un peu moins elle-même, si foutrement volubile face à un événement qu’elle était bien la seule à considérer comme un changement positif dans la trame morose de leur existence. Elle ne se ressemblait plus, Jean. Alerte, bruyante, elle avait dirigé l’organisation des festivités avec une ardeur inusitée et elles semblaient loin, les soirées où ils tombaient sur sa masse inerte vautrée dans le canapé du salon, une boîte de cachetons orange posée à côté de la télécommande. La totalité de la famille avait été mise sur le pied de guerre pour accueillir ce retour tant attendu, quitte à remplir le frigo et le congel plus d’une semaine à l’avance.
« Oh my god, Quinnie look— » Il avait vu.
La porte grillagée coulissa et un garde en uniforme s’effaça devant un homme au faciès ascétique affublé d’un unique sac à imprimé militaire. L’épine dorsale comme raidie par une tige métallique, il passa les limites de la prison le menton relevé et s’arrêta pour se retourner une dernière fois. Son rire réjoui leur parvint avec une clarté épouvantable et le type écarta les bras, cria quelque chose au garde, et pour un peu, il aurait presque dressé son majeur sous son nez avant de tourner les talons. Sa mère échappa un glapissement suraigu et se précipita à sa rencontre, les semelles de ses sandales glissant sur les graviers épars recouvrant l’asphalte brûlant. « Lord be praised, you’re out, I can’t believe it ! »
Quelque chose dans son mécanisme interne s’enraya et le brouillard confus qui l’habitait jusqu’alors explosa sous l’impulsion brutale d’un rush d’adrénaline. « Good lord son, you look just like your mother. » C’était son père — et si le constat était aussi abstrait qu’irrécusable, ce fut un étranger qui vint le serrer contre lui d’une étreinte ferme, le gratifiant d’une ferveur solennelle qui le scia.
Un étranger. Son père était un étranger.

— 28 mai 2020 / #393, west savannah
Il allait gerber. Nez piqué au dessus de son assiette dont il détaillait le contenu intact, il en était absolument convaincu. Les babillages de Jean lui heurtaient les tympans ; elle occupait à elle seule la conversation, délivrant les dernières nouvelles de la famille avec une ferveur extatique, et c’était à se demander à quel moment elle avait engrangé ces infos compte tenu de l’apathie dans laquelle elle avait sombré ces dernières années. La surprise de Quinn au constat que sa mère n’avait pas été si absente qu’elle en avait eu l’air n’avait d’égale que son exaspération en l’entendant pérorer sur les pseudo-exploits de ses gosses, nourrissant les questions de Callum, que le flux intarissable des anecdotes semblait étonnamment ravir. « And where the fuck is Sid ? I thought all my kiddos would be there to welcome me home. » Un ange passa, Quinn accrocha le regard de Nickie, mais ce fut Kitty qui brisa le silence. « He’s working.Oh yeah, where ?He’s doing some night shifts in the hospital.He’ll be there tomorrow with everybody else, don’t you worry, baby. We’re all so glad to see you home. »
Un fluctuation nerveuse traversa la fratrie dans un silence de mort.

— 29 mai 2020 / #393, west savannah
La trâlée était au grand complet. Ils n’avaient oublié personne — Ray et Chastity les portraits crachés de Jean, et Avery, dont la splendide épouse essuyait les commentaires graveleux depuis leur mariage six ans plus tôt ; Earl et ses vannes dégueulasses ; Marcus et son fils, Randy, flanqué de ses deux chiards, le premier aussi taiseux que le second était péroreur, sans parler de sa marmaille qui n’en finissait pas de hurler en renversant des chaises à force de courir entre leurs jambes, malgré les ordres que beuglait leur mère, manifestement au bord de l’épuisement ; Shannia, évidemment, dont les ongles manucurés à l’arrache brassaient l’air autour d’elle alors qu’elle exposait avec engouement ses derniers projets professionnels —et quels projets : sa cousine ambitionnait d’ouvrir un salon de coiffure, et qu’importe si cette cruche n’avait pas un rond et vivait aux crochets d’un tocard aussi fauché qu’elle ; Sully et Becka, qui avaient fait le trajet depuis leurs marais pour se joindre aux festivités avec leurs jumeaux d’un an ; une tapée de mômes dont Quinn se souvenait à peine des prénoms ; même la vieille Maybel était sortie de sa retraite et occupait un siège en bout de table, trônant en digne matriarche à la droite de Callum, dont l’aura de satisfaction était presque palpable. Seuls les McNamara brillaient par leur absence, mais sans doute était-ce mieux ainsi.
La maison dégueulait de la country par les fenêtres ouvertes sans couvrir tout à fait les rumeurs des conversations. Un tapage digne du rassemblement familial qui se tenait dans la cour arrière du 393, là où Jean les avait pressés de dresser tables et chaises dès le saut du lit, le regard fou, papillonnant au milieu de ses préparatifs sans être foutue d’en achever un seul. Il y avait même des putains de lampions semés le long de la clôture que Pete avait défoncé la semaine dernière (Nickie n’avait pas pu s’empêcher de se foutre de sa gueule en le voyant les accrocher le matin même avec un entrain plus que discutable), et un nuage de moucherons gravitait sous les lampes du porche, là où Randy, déjà torché, lui tenait la grappe depuis une demi heure, et ce con commençait à s’énerver au sujet d’un accrochage entre son frère, lui, et un groupe de cabots sur le parking du Target. Quinn n’écoutait qu’à moitié. Il naviguait en eaux troubles depuis le début de la soirée, alternant bières et clopes en priant pour qu’on lui foute la paix, bardé de son flegme habituel, seul rempart à l’angoisse qui lui bouffait les tripes en coulisse. « Your brother’s turned into a fucking fag since he got back, seriously man, they were spitting on our name and this cunt just… let it go— hey, Shannia, watch the kid, watch the kid ! She’s gonna blow the whole thing up ! Jesus— » Randy s’élança pour récupérer sa gamine, dont les mains potelées balayaient la table surchargée à la recherche d’on ne savait quoi sous la face hilare de Callum, qui n’avait pas décollé le cul de son trône. Un hurlement résonna quand Randy la calla sous un bras. Putain, quel bordel.
« Hey, Nickie, » il harponna son bras lorsqu’elle jaillit de la maison, Sid sur ses talons. Passa une main au sommet de sa tête sans accorder la moindre attention à son frère. Au milieu de ce foutoir, c’était à peine s’il avait eu le temps de la voir quand elle était bien la seule dont la présence lui importait. Un froncement de sourcil plissa son regard. « Dis t’as eu des nouvelles de Kitty ? Elle devait arriver bientôt, Jean est sur les nerfs, elle voulait lancer les hostilités. Faudrait pas qu’elle traîne. » Sa mère lui avait quasiment hurlé dessus lorsqu’il lui avait dit que Kitty ne répondait pas au téléphone, au bord de l’apoplexie : ton père annonce le repas bientôt, mais qu’est-ce qu’elle fout !
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Sidney Farrow
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sooner or later god'll cut you down

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MessageSujet: Re: a story untold could be the one that kills you. (farrow)   a story untold could be the one that kills you. (farrow) EmptyJeu 30 Juil - 17:41

— 1991, #393 west savannah
« I don’t want Dad here.What do you mean? » Quinn se tortillait sur le canapé, la tête basse. Il haussa les épaules, obnubilé par la figurine de petit soldat que l’aîné lui avait fourré entre les mains. « When he’s there, il commença, en marquant de longues pauses hésitantes entre les mots qu’il choisissait, we’re sad. » À la télévision, Bugs Bunny se préparait à piéger le chasseur. Sid ramassait les jouets que les plus jeunes semaient dans leurs explorations tandis que Kitty coloriait par terre, à plat ventre, ses feutres méticuleusement disposés face à elle. Une fin d’après-midi classique, à attendre Ma. Les plus grands rentraient de l’école à pieds, traînaient Quinn par la main, et allaient toquer à la porte de la voisine qui gardait Nickie. Callum avait écopé de quatre mois de prison pour un délit mineur. Quinn avait raison – son absence se ressentait dans l’atmosphère de la maison. Moins d’hématomes, moins de disputes. Jean avait été obligée de se dégotter un deuxième job à mi-temps et ne brillait pas par sa présence : elle rentrait de mauvaise humeur, les bras chargés de plats à réchauffer. Ça puait la bouffe industrielle, et seul le micro-ondes tournait activement. Un bruit de pas hésitants attira son attention. Nickie trottinait constamment. Il l’arrêta dans sa course avant qu’elle ne se mette de nouveau en tête de grimper les escaliers toute seule, et la ramena vers un tapis de jeu où il pouvait la surveiller du coin de l’œil. « It’s gonna be fine, » il assura.

— 28 mai 2020, west savannah
« You’re gonna wake him up.You’re gonna wake him up! » Austin et Jesse marchaient sur la pointe des pieds mais quoiqu’ils fassent, leur discrétion forcée laissait à désirer. Le séjour de Kitty n’était pas grand et donnait directement sur la cuisine, où elle chantonnait distraitement des notes de country, penchée au-dessus de l’évier. Allongé sur le canapé, Sid prétendait somnoler, un bras sur les yeux. Le plaid dont l’avait recouvert sa sœur s’était enchevêtré autour d’une jambe. Il occupait l’appartement de sa sœur dans le seul but de retarder les retrouvailles familiales, qu’il redoutait plus que de raison. Jean frôlait l’hystérie, comme si le retour de son mari l’avait réveillée de sa torpeur : debout, aux aguets, elle était redevenue la maîtresse des lieux, la matriarche. Un rôle qu’elle avait abandonné des années auparavant. Kitty lui avait demandé s’il comptait venir au dîner, il avait répondu qu’il bossait. Demain, je suis là – et cette promesse lui cisaillait le bide.

— 29 mai 2020, #393 west savannah
Il croyait gagner du temps, mais bientôt, la nuit céda au jour, et il se retrouva devant la façade délabrée de leur baraque endormie, sa clope entre les doigts. Silhouette solitaire, il observait les environs qui se révélaient à mesure que l’aube délavait le ciel, entendait les jappements matinaux d’un chien du voisinage, une voiture démarrant paresseusement à quelques mètres de là. Chez lui, les volets étaient fermés ou entrouverts. Entrer, monter, fermer la porte – le mantra tournoyait dans son esprit. Entrer ; monter ; fermer la porte. Il exécuta toutes ces tâches dans un silence absolu, grimaçant au moindre craquement de plancher. Sa chienne dormait sur son coussin, sous la fenêtre. Réveil programmé à midi trente. Les écouteurs enfoncés dans les oreilles, il lança Radiohead.

Callum abandonna ses couverts dans l’assiette et s’appuya un instant contre le dossier de la chaise. Ils se toisèrent sans mot dire, incapables l’un comme l’autre de briser ce silence lourd de mille non-dits. Peu importaient la stature, l’âge, les ridules éparses – il avait l’impression d’être un enfant. Pas plus haut que trois pommes, incapable de se défendre. Comptant les minutes qui lui restaient avant de se prendre une taloche dans la figure ou des remontrances injustes. Il sentait ses ongles s’enfoncer dans la peau de sa nuque, son haleine chargée de tabac s’écraser contre son visage, les insultes supposées faire de lui un homme, un vrai, ou au contraire – comme aujourd’hui, il se méfiait de cette bienveillance étrange ramollissant les traits anguleux. Un présage de mauvais augure. Il connaissait cette grimace neutre, et cette expression faussement chaleureuse, et ces mouvements maîtrisés, alors que les pieds de la chaise raclaient le plancher. Callum s’avança vers lui, les paumes offertes, « that any way to greet your old man, son? » Les bras ballants, piégé dans une étreinte empruntée et d’une raideur à s’en bousiller la colonne vertébrale, il leva pourtant sa main, tapota rapidement le dos de son père. « It’s like holding a bag of bones. Look at that. » L’autre s’était reculé et l’observait de pied en cap, un poing arrimé à la hanche. Ses doigts pincèrent un bout de peau, au niveau de son biceps, « you look like a fucking ghost. » Des cercles violets soulignaient les billes torves, rivées sur un point imaginaire, quelque part au-dessus de l’épaule de Callum. Sid loucha vers la machine à café mais renonça à s’en préparer un – son estomac ne le tolérerait pas. Il tourna les talons, piocha une clope dans un paquet que quelqu’un avait oublié sur le guéridon de l’entrée et se réfugia sous le porche, suivant du regard les préparatifs de la soirée. Il avait envie de dégueuler, encore. (À force, les attaques acides ne tarderaient pas à lui éroder complètement les dents.) « Oh you up baby, great, Jean avait jailli de nulle part, lourdement maquillée et parfumée, we need more chairs, go see if there are any in the shed. » Le mégot partit agoniser dans un pot cassé rempli de flotte vaseuse, et, à l’instar d’un foutu pantin désarticulé, il se dirigea vers le cabanon sans réfléchir, récupéra plusieurs chaises pliantes (aussi dépareillées que rouillées) dans l’abri puis referma la porte d’un coup de latte. Quinn fumait une clope sur les escaliers extérieurs, « where’s Ma? » Son frère ne daigna pas lui répondre, pas plus qu’il ne lui accorda l’ombre d’un regard, accaparé par l’écran de son putain de téléphone. Ils n’avaient pas échangé le moindre mot depuis la semaine passée – piqué au vif par les remarques mortifiantes du cadet, Sid s’était réfugié, comme à son habitude, dans son mutisme, derrière ses remparts fissurés, sa colère et sa frustration retranchées dans leur mirador. Il lui donna volontairement un coup de chaise sur l’épaule en passant, « my bad », il marmonna. Ça gueulait, dans l’arrière-cours. Il avait horreur des rassemblements familiaux – trop de monde, trop de marmots, trop de cris, trop d’agitation.
Il alluma une autre cigarette, soulagea le gosier déshydraté à grand renfort de bière. Kitty était aux abonnés absents, Nickie courait dans tous les sens, Quinn l’ignorait. Callum était là. Il avait envie de crever. Son téléphone vibra deux fois – les promos d’Home Depot. Et ça résumait bien sa vie.

À quinze heures, il terminait sa deuxième cannette.
À seize heures trente, il versait un fond de vodka dans un gobelet de coca.
À dix-huit heures quinze, il balançait sa cinquième bière à côté d’un sac poubelle.

Et il était certain que personne ne l’avait remarqué. Son attitude, en revanche, avait changé – fébrile, presque maladroit, il avait lâché une assiette, renversé de l’eau, marché sur une patte de Sadie (qui, en retour, avait dévoilé ses crocs), et n’écoutait pas la moitié de ce qu’on lui disait : lorsque Nickie demanda du feu, il lui tendit une fourchette. Dehors, il aperçut la voiture de Kitty approcher du grillage – ses gamins se précipitèrent à sa rencontre, Jean lâcha un « finally! » courroucé. « The hell were you?I felt sick, and the car took like, ages to start– elle s’interrompit. Have you been drinking ? » Les doigts de sa sœur se refermèrent autour de sa mâchoire. « Give me a fucking break, il grogna en dégageant son visage. – Not fucking tonight. You're not doing what you did to-Thanksgiving, yeah, I've heard it all before. » Six ans auparavant, plutôt que découper la dinde, il avait braqué un fusil d’assaut sur deux de ses cousins qui avaient eu la bonne idée de faire exploser une poignée de pétards. Complètement défoncé et alcoolisé, Sidney s’était précipité dans le jardin en hurlant des ordres de « retrait ». Avant de tirer sur un ennemi imaginaire – un arbre. Son père et Avery l’avaient désarmé et plaqué au sol en maintenant ses bras derrière son dos. You’re a fuck-up, Sid. Les marmots avaient chialé, les festivités étaient plombées. Un véritable fiasco gravé dans les mémoires – et dont aujourd’hui on se gaussait. « Kit's here! » Leur mère frappa dans ses mains, ordonna aux enfants de rejoindre leur place. Il entamait son troisième paquet de cigarettes et s’apprêta à s’asseoir en bout de table, les jambes flageolantes. « Quinn, sit over here, » Callum désigna la première chaise à sa droite. La sienne, habituellement. Le sinistre schéma d’une trinité damnée : le fils aîné, le père, la mère. Il revint sur ses pas, s’installa à côté d’Avery, la mort dans l’âme. Un affront public. Mis au pilori devant toute cette foutue assemblée – parce que le pater avait parlé suffisamment fort, parce qu’il s’était avancé machinalement vers la place qui lui était normalement attribuée. Sads s’était couchée derrière lui. Il rongeait son frein, les épaules tombantes, et darda un regard noir sur son frère – qui n’avait probablement rien demandé, du reste, mais il avait besoin d’un coupable pour étancher sa fureur sourde. Sid ignorait ce qu’il voulait. L’approbation de Callum, sa lourde patte fière sur son épaule, ou le voir crever la gueule ouverte, à ses pieds de préférence, dans une souffrance que Dieu réservait uniquement à la lie de l’humanité. Il s’était levé, d’ailleurs, le père. Bien droit, tout de morgue vêtu, une bière à la main – ce n’était pas chez eux qu’on ferait tinter une cuillère contre un verre de cristal. Jean le fixait avec ce sourire béat d’idiote transie d’amour, et c’était dégueulasse. « You can't imagine how happy it makes me feel to see y'all gathered here.(Sid croisa les mains devant son visage et y appuya son front) Because I am a victim. And y'all know it. A victim of a system that protects monsters and sends honest people to jail, people who are just trying to defend themselves and their families. » Une vague de marmonnements rauques secoua la tablée, des têtes se hochèrent. « They take our city, our neighborhood, kill our children, but we have to keep our mouths shut. And you know what? We don't have to let them. We don't have to let it happen. » Le discours n’avait pas changé, les réactions non plus. Bientôt, il n’écouta plus, même si les lèvres de Callum bougeaient toujours (, dégueulaient la haine qui l’habitait. Il se concentrait sur son assiette vide, releva la tête quand il entendit : « …my kids, Kitty, Quinn, Nickie – Sidney, » et putain, le voilà dernier nommé. Ils prononcèrent les grâces, sous un firmament qui se moquait d’eux. La rumeur des conversations reprit une fois les prières terminées et, l’estomac noué, il se servit une malheureuse portion de salade de pommes de terre.
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MessageSujet: Re: a story untold could be the one that kills you. (farrow)   a story untold could be the one that kills you. (farrow) EmptyJeu 26 Nov - 16:22

— 9 pm.
River disait qu’il n’y avait pas de limite à ce que l’être humain était capable de supporter.
Il reluquait la grotesque figuration de la Cène à laquelle il participait et il songeait à quel point ce charlot avait raison. Le discours du pater achevé, ils s’étaient tous remis à brailler de plus belle, envoyant le contenu de leurs verres dans le gouffre sans fond de ces foutues pipelines qui leur tenaient lieu de gosier, entre deux bouchées trop copieuses, et c’était à se demander comment ils arrivaient encore à ingurgiter quoi que ce soit sans dégueuler, car personne n’avait attendu qu’on lance officiellement les hostilités pour commencer à s’en mettre plein la rampe. Apparemment, il n’y avait pas non plus de limite à ce qu’un Farrow pouvait s’enfiler avant de tomber — ou de se vomir dans les bronches.
Une volée de rires gras éclata à une remarque d’Angus, ou était-ce Tyler, les visages se confondaient, il ne savait plus à qui ou à quoi s’en tenir. Il songeait à River, à ses foutues théories existentielles, à la sauvagerie de sa détresse au milieu de cette comédie burlesque. Des conneries. Des putains de conneries. C’était insupportable. Debout près de la remise du fond, dont la peinture s’écaillait par endroit, Earl siphona le fond de sa canette et la laissa tomber à ses pieds en retournant un morceau de barbaque sanglant sur la grille du barbecue, sans cesser de gueuler par dessus le grill fumant, pique à viande tendue en direction de Marcus. Les couverts heurtaient bruyamment les assiettes, les mômes hurlaient, la gnôle bon marché avait remplacé les bières tiédasses. La vieille May dispensait d’une voix sonore les sermons moralisateurs dont tout un chacun était en mesure de prévoir le contenu rien qu’en l’entendait commencer par « in my days... » et contre sa jambe, le genou de Nickie n’en finissait pas de tressauter. Sid — Sid disparaissait, et à peine avaient-ils échangé un regard depuis le discours. L’humiliation de l’aîné n’attisait en lui qu’une indifférence glaçante. « Hey baby take some more, you didn’t eat anything, » Jean fit glisser un saladier vers lui, et il en examina le contenu d’un oeil torve — il reconnut la salade que sa mère l’avait sommé de préparer un peu plus tôt, tâche dont il s’était acquitté avec si peu de rigueur qu’il fit directement passer le plat vers sa soeur. En retour, Nickie lui décapsula une bière.
Les saillies balancées par-dessus les verres, la camaraderie jalonnée de faux-semblants empruntés, pareils à d'infâmes relents surgissant d’une époque qu’il croyait révolue. Mais son père était bel et bien revenu, son ombre tangible et rayonnante de présence, tout le monde s’en réjouissait, c’était comme au bon vieux temps. Callum découpait méticuleusement sa viande en morceaux égaux, et les piquait de la pointe de son couteau avant de les porter à ses lèvres. Quinn le regardait, le déplacement de sa main tenant le surin comme un prolongement naturel de son corps. Un Becker en acier carbone qu’il avait tant de fois vu suspendu à sa ceinture. Sur le fil, un accroc imperceptible datant d’une éternité plus tôt. Si vous y touchez, bande de petits merdeux, je vous tranche avec, disait son père en graissant la lame, sans lever les yeux vers les mioches assis en face de lui, leurs regards prudents suivant le mouvement lent et amoureux du tissu glissant silencieusement sur les faces sombres du poignard. Je vous jure que le jour où je vous vois avec… La fin de sa phrase avait flotté dans l’air sans que personne demandât ce qu’il adviendrait d’eux s’ils osaient poser un doigt sur le précieux joujou. Une fois, ils avaient bravé la menace, et ils avaient compris. Une fois, pas deux.
Été, ou automne 95. Son père avait laissé le schlass à l’abandon dans la précipitation du départ, posé nu entre le pot de cire et le fusil à aiguiser. La vieille mise en garde avait rejailli un bref instant, le temps d’hésiter une poignée de secondes, et puis il s’en était emparé, avait couru rejoindre Randy et Ty derrière la maison. Ils l’avaient eue pour eux seuls, cette après-midi là. Nickie avait été laissée à May pour la journée, Sid et Jackson avaient disparu Dieu sait où.
Kitty s’était ouvert le crâne sur un bris de tôle rouillée après s’être vautrée devant la maison, et il se souvenait des mugissements de sa mère lorsqu’elle avait essayé de tamponner l’hémorragie avec le torchon qui traînait, mais la plaie pissait le sang, il y en avait partout. Partout. Il avait tâché le parquet sombre et s’était infiltré jusqu’entre les lattes, des traînées rouges et gluantes maculant le comptoir, l’évier, le dossier d’une chaise où s’était tenue sa sœur, la poignée du réfrigérateur. Clean this mess would you, and Cal, she’s gonna need some stitches, Jean avait braillé. Son père avait tout laissé en plan en pestant, le Becker l'affûteur et la cire, avait écarté les cheveux poisseux de sang de son aînée, palpant les berges à vif de la blessure du bout de ses doigts pleins de graisse. Ça ne s’arrêtait pas, la plaie exsudait en continu, et le teint de Kitty ayant tiré dangereusement vers le gris, ils avaient fini par se résoudre à aller aux urgences (le lendemain, un nouveau kit de suture avait fait son apparition sous l’évier de la salle de bain).
Personne n’avait été là pour leur dire quoi que ce soit en les voyant se poster devant la vieille souche tout au fond du terrain, tenant ce foutu couteau par le dos de la lame pour le lancer contre le bois pourri sans jamais réussir à l’y planter plus d’une fois sur dix. Qui avait eu l’idée de ficher une pastèque au sommet du crâne de Tyler en mimant une cible que, par ailleurs, personne n’avait réellement eu l’intention de viser ? Randy, lui ? Il ne s’en souvenait pas. Pas plus que le temps qu’ils passèrent à faire les cons avec ce couteau et cette putain de pastèque, si le jour avait fini par décliner, s’il s’était écoulé deux ou six heures avant que la silhouette de son père s’impose en périphérie de son champ de vision. Une taloche brutale lui avait fait lâcher l’outil et dans son oreille droite, son tympan s’était mis à siffler. Ses serres plantées à l’arrière de sa nuque, il vociférait contre son visage — évidemment qu’ils l’avaient bousillé avec leurs conneries, la lame s’était fendue sur le tranchant, et au lieu de le leur retirer, Callum avait replacé la pastèque sur le crâne d’un de ses abrutis de neveux et le couteau dans les mains de sa progéniture sous le regard ahuri du troisième, et il avait beuglé : vas-y, tire, c’était pas ça que vous vouliez faire ? Alors vas-y, fais-le ! Sous le porche, leur affreux amstaff s’était mis à japper en les fixant de ses petits yeux féroces et, debout près de la porte, Jean semblait crier quelque chose. De là où il se tenait, il voyait se refléter dans les yeux de Tyler sa propre terreur, paralysé par l’attente - aurait-il fini par tirer si Callum l’avait poussé davantage ? Combien de temps restèrent-ils là, à attendre ils ne savaient quoi, immobiles, au son des « go on, c’mon lil’ shithead, go on, » impatients de Callum ? Au terme d’interminables minutes, une mandale mémorable mit fin au supplice. Sur son poignet, une brûlure de cigarette qu’il n’avait pas senti s’écraser contre sa peau. Callum’s life lessons railleraient-ils quelques années après, comme si les principes d’éducation tordus dont il les assommait ne faisaient pas de lui le plus formidable des fils de pute, quand bien même chacun dans cette putain de famille était calibré sur un degré fils-de-puterie ahurissant. « You ain’t allowed to touch Pa’s stuff, y’know that, why did you have to do that, huh? » avait ajouté sa mère, comme si la rouste du paternel n’avait pas déjà fait rentrer le message. Quinn haïssait son père et s'était persuadé de la réciprocité indiscutable de son ressentiment, mais il lui avait demandé de s'asseoir à sa droite, et si l’injonction n’avait à la fois ni sens, ni valeur, il n’avait pu l’empêcher de résonner comme une consécration qu’il n’attendait plus — n’avait jamais attendue. À quel point c'était tordu.
« Quinn, Dee’s here. » S’arrachant à sa torpeur, il suivit le regard de Kitty et vit Dee sortir de la baraque, ses cannes de serein jaillissant comme des branches défeuillées d’un short minuscule, et il pensa, putain, c’était le dernier foutu truc dont j’avais besoin, que tu débarques comme ça, t’aurais jamais du venir. Une horde de regards se hissèrent à sa rencontre. Un bref instant, il songea à se lever pour la renvoyer chez elle, mais Earl avait délaissé le barbecue et l’avait cueillie à mi-route, un sifflement expert filtrant entre ses dents. « Sweet Jesus, who the fuck are you? Look at this, what a hot damn piece of ass, » Il y eut quelques rires lorsque, à la manière d’une poupée tournant sur son socle de boîte à musique, Earl la fit pivoter sur elle-même et la reluqua de la tête aux pieds. « That your girl ? » Callum arborait un sourire faussement étonné. Il ne répondit rien. Ça s’agitait, autour de la table. Jean bondit de sa chaise et ordonna à Angus de faire une place, jacassait d’un ton enjoué, viens t'asseoir, manges quelque chose, t’es maigre comme un clou, Quinn m’a dit que tu travaillais, et son père, ne ménageant pas son plaisir devant une telle distraction, regardait la scène en fumant une sans filtre. Il n’aimait pas le regard que son oncle posait sur Dee. Assis à califourchon sur une chaise retournée, il s’était campé à côté d’elle, ne la lâchait pas des yeux et lui posait des questions auxquelles elle n’avait même pas le temps de répondre. Si Quinn avait dû définir l’expression de son visage, s’il avait eu les mots pour le faire, il aurait pu caractériser précisément l’attitude de Earl pour ce qu’elle était : de l’avidité, et quelque chose de sale, de corrompu, une concupiscence malveillante et obscène. Mais il ne les avait pas. Tout ce qu’il était en mesure de comprendre et de penser, c’était qu’il le débectait. « Hey back off a  little, would you.Sorry pal, you’re right, I’m sorry, » Un bref instant, il capta l’attention vaguement désolée de Kitty qui, assise face à eux, passait une main distraite dans les cheveux de son cadet. « I like her, that’s all, and hey, Sidney, » Earl s’était tourné vers son frère. « where’s your girl ? ‘Cause, I mean, how old are you ? Cal, how old is he ? Thirty-eight, thirty-nine? Nevermind, ain’t that freaking alarming none of us have ever seen any chick ‘round your big guy here ?Yeah maybe Quinn ain’t such a lost cause after all, who’d have thought ? » Ace se marra plus fort que nécessaire. Quelqu’un remit l’accrochage de son frère et Randy sur le parking du Target sur le tapis, et c’était reparti pour un tour, et Dee scrutait la scène d’un air pantois en se bouffant un ongle. Lorsque Jesse demanda, what’s a fagget, Ace rétorqua : « It's a guy who sucks other guys dicks, and that’s all kinds of wrong, son, that’s all you need to know for now. »

— 2 am.
On avait grossièrement déblayé les tables, laissé les mioches s’ébattre sans que plus personne ne se donne la peine de juguler leur hystérie collective ; sa mère et ses tantes s’étaient retirées à l’intérieur et jacassaient devant le poste de radio, amassées autour d’un ventilateur antédiluvien brassant autant d’air que leurs paroles. Des potes de passage avaient fait un crochet par la maison, venus saluer ou féliciter le paternel. Seul Jackson était resté. En voyant la silhouette pansue de Chuck se découper dans l’encadrement de la porte et s’avancer d’un pas cérémonieux vers son père, sa voix grasse réussissant à s’imposer par dessus le chaos, Quinn décréta avoir trouvé sa limite et se retrancha dans la maison.
Toujours entre le troisième et le quatrième joint, le temps finissait par se distordre. Il était à la fois ici et ailleurs — avant et maintenant.  Dans les toilettes étriquées de l’étage, au-dessus de l’interrupteur, une araignée violoniste tâtonnait les coins de murs du bout de ses pattes nématoïdes. Assis sur l’abattant des chiottes, il se demanda ce qu’elle foutait là et exhala un maelström de fumée dans sa direction — d’ordinaire, on apercevait seulement de ces saloperies les nids en forme de cône qu’elles planquaient là où on ne risquait pas de les emmerder. L’araignée s’immobilisa lorsque le nuage la frappa, au moment où une série de pas lourds gravissait les marches de l’escalier et que la poignée de porte se mettait à tressauter violemment dans son socle. « Quinn, you here ? » Il fit tomber la cendre du joint dans le bock vide posé entre ses pieds. « Busy.Busy smokin’ you mean, c’mon open up, I’m about to leak. » Le verrou grinça lorsqu’il se pencha pour ouvrir. Nickie s’engouffra dans le cabinet enfumé et claqua la porte, remonta sa jupe sur ses hanches, baissa son string « move over asshole, » et s’assit sur les chiottes avec un soupir douloureux. « It’s turning into a goddamn shitshow downstairs.No kidding. Il ralluma le pétard et s’adossa à la porte, un œil prudent posé sur l’araignée, qui progressait lentement en direction de sa sœur. What’s Cindy doin’ here ? » Elle regardait le minuscule arthropode d’un air pensif. « You gave the spider a fuckin’ name ?Yeah, it’s Cindy, Cinderella the Spiderella, mother of over fifty babies, living under the bathroom sink for a year now. » Son rire se mêla au bouillonnement de la chasse d’eau tandis que Nickie se relevait en se tortillant pour se recouvrir les fesses. « The fuck you talkin 'bout.Dunno, I’m basted, just ignore. Gimme that, » elle lui prit le pétard des mains, tira dessus en plissant le front et dit : « Remember when we dropped a wolf spider into the bathroom while Sid was in the shower ? » Putain oui il s’en souvenait. Ils avaient trouvé le nid du monstre à la lisière du terrain de Pete, l’avaient tiré de sa tanière et ramené dans une boîte de conserve. Un spécimen de dix centimètres d’envergure que son frère avait dégommé en mugissant comme un engin de terrassement après avoir dézingué le rideau de douche dans la panique. Ils se marrèrent, s’échangèrent le joint. S’ils pouvaient simplement rester là, et oublier le reste. « What a fucked-up thing to say to him earlier.What do you mean ?Cornering him like that. I don’t know it’s just- I don’t know. There’s something off about him. » Et il aurait demandé de nouveau, t’entends quoi par là ? Mais l’inquiétude de sa sœur lui pesait sur l’estomac, car il comprenait très bien où elle voulait en venir, et c’était la dernière putain de chose dont il voulait avoir à se soucier cette nuit. « Sometimes I think we’ve all let him down in a way, y’know, and I don’t know why, and it’s fucking stupid ‘cause he’s the one who left, right? » Quinn pressa l’espace entre ses sourcils du bout du pouce. Merde Nick, c’était pas déjà assez pénible sans ça ? « Look, Earl’s a total dickhead and Sid can take care of himself. Don’t make too much of it, all right.Yeah I know. Dunno why I’m thinking ‘bout this. »  Nickie observa un silence morose en détaillant l’extrémité rougeoyante du mégot entre ses doigts, puis le jeta dans la cuvette des toilettes. « We should head back downstairs. »
L’araignée était rendue au plafond. Il loucha une dernière fois sur l’insecte avant d’emboîter le pas à sa sœur, les entrailles plombées.
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Sidney Farrow
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MessageSujet: Re: a story untold could be the one that kills you. (farrow)   a story untold could be the one that kills you. (farrow) EmptyMar 1 Déc - 17:15

– 9pm
Il s’était senti plus libre en prison. Au moins, on lui foutait la paix à table – il mangeait toujours à la même place, près d’une fenêtre protégée par un grillage rouillé, à l’extrémité d’un banc, et personne ne se serait amusé à lui chercher des poux. Au début, il était seul, parfois accompagné de son codétenu, terrifié à l’idée de s’asseoir « à l’écart ». Cet abruti avait trop suivi les séries télévisées à la con où on montrait les cliques de taulards et le traitement réservé aux loups solitaires – Sid l’avait envoyé chier un jour, « t’as trop regardé la télé ». À vue de nez, deux bandes seulement posaient problème sans pour autant représenter de menace – comme d’habitude, un groupe de racistes, et un autre de délinquants ayant écopé d’une condamnation commune. Rien à craindre en termes de passage à tabac. Puis Sid, il poussait assez de fonte pour qu’on ne se frotte pas à l’exosquelette de muscles qui avait poussé sur sa charpente sèche.
Aujourd’hui, malgré la bonne odeur de viande grillée flottant dans l’air, il étouffait. Cerné de toutes parts – les cousins, les parents, les oncles, les tantes, les vieux, les jeunes. Les œillades se transformaient en lames de surin se plantant brutalement dans sa chair, et les poils de son bras tavelé de taches de rousseur se dressaient à chaque fois qu’on le sommait. Face à lui, Jax, arrivé à la dernière minute, s’empiffrait et pointait systématiquement sa fourchette vers ses interlocuteurs. À défaut de participer à la demi-douzaine de causeries simultanées qu’engendrait un tel rassemblement, il observait son entourage : du troupeau de marmots incapables de rester assis plus de cinq minutes aux oncles se disputant la cuisson des saucisses. L’attention se braqua sur l’étrangère qui émergea de la maison, reconnaissable aux gambettes maigrelettes sur lesquelles tombaient les poches apparentes d’un short en jean coupé trop court, et quelques fils de couture que Nickie défendait bec et ongles devant Callum si d’aventure il osait une remarque sur son accoutrement soi-disant impudique, « ain’t sloppy, it’s trendy ». La grande bringue de l’autre jour. Dot ? Dolly ? Daya ? Impossible de poser un prénom sur cette trogne barrée d’une paire de sourcils sombres. La copine de Quinn ressemblait aux autres avant elle – une fille du coin, mignonne, pas de quoi en tomber à la renverse, bien foutue. Bonne, selon les critères farrowiens. Elle avait des airs d’oisillon égaré, et il se demanda ce qui avait pu passer par la tête de son frère pour la convier à ce dîner de cons – encore que. Vu la gueule du cadet, elle s’était peut-être ramenée sans invitation, et le regretterait bien assez tôt. L’accueil d’Earl avait déjà dû lui inspirer un plan d’évasion. Tout le monde se poussa avec son couvert, une chaise réparée au gros scotch fut ajoutée, une assiette déposée devant la blondasse, et à peine assise, Jean lui servit une généreuse portion de salade de pommes de terre. Ça lui coupa l’appétit. « Hey, Sidney, where’s your girl ? ‘Cause, I mean, how old are you ? Cal, how old is he ? Thirty-eight, thirty-nine? Nevermind, ain’t that freaking alarming none of us have ever seen any chick ‘round your big guy here ? » Les épaules se haussèrent nonchalamment. « Yeah maybe Quinn ain’t such a lost cause after all, who’d have thought ? » Sa situation était un problème – un problème qu’il n’avait pas eu à considérer au cours de la dernière décennie, entre son retour de l’armée, son déménagement en Arkansas et son passage derrière les barreaux. Pas besoin de gonzesse quand sa propre absence répondait à l’indiscrétion de ses proches. Il n’était pas dupe : ça jasait sur son compte. Et c’était ironique – ou tragique – d’imaginer que la cible des médisances avait souffert d’une perte dont la douleur ne s’était pas amoindrie, sinon endormie, et qu’aucune de ces têtes de con ne pouvait prétendre avoir traversé l’épreuve qui avait été la sienne. « What’s a fagget? » Kitty ouvrit la bouche, mais son connard l’interrompit aussitôt, « It's a guy who sucks other guys dicks, and that’s all kinds of wrong, son, that’s all you need to know for now. » Ça hochait du chef autour, marque grotesque de l’assentiment général. En 2020, de quoi avait-il peur. Que cherchait-il à cacher en en taisant – qui cherchait-il véritablement à protéger de cette ignorance infondée. Il n’avait certes pas les mots, mais la tare génétique de la violence ne l’avait pas épargné, et à l’instar des vieux de la vieille, un doigt sur la gâchette suffisait à conclure un dialogue de sourds.
Excédé, quoiqu’en montre son expression relativement neutre, il promit de ramener un autre pack de bières et à la vitesse à laquelle descendaient les bouteilles, personne ne comprit la dérobade. Une cigarette coincée entre les dents, il traversa le jardin au pas de course, les sens embrumés – bientôt, il défierait les lois de la gravité. Sa chienne accourut à sa rencontre, comme si elle avait compris qu’il était temps pour eux de se carapater discrètement à l’étage, mais le maître n’en fit rien, fidèle à sa mission initiale, et empoigna un pack de PBR (putain de Donnie). Son mégot termina dans l’évier, rempli d’une flotte semblable à de la vase où trempait la vaisselle du jour.

(1994. « Quinn, c’mon!But I found something! Look! » Armé d’un bâton, il jeta un coup d’œil derrière son épaule. Quinn s’était accroupi, tant et si bien que seule son indomptable tignasse dépassait des hautes herbes. C’était l’un de ces après-midis sans fin, en plein été – rien à faire, alors il fallait rivaliser d’ingéniosité et inventer des jeux stupides afin de tuer le temps ou d’arrêter de penser à la chaleur écrasante qui brouillait l’horizon. Kitty s’était agenouillée à son tour, et il revint sur ses pas, découvrant ses cadets vautrés sur la terre meuble. « That’s a hedgehog.I can see that, commenta l’aîné, une main sur la hanche. What are you doing? » Le môme avait prudemment attrapé le hérisson et s’était redressé, son nouveau compagnon entre les mains. « I think it needs water. » Quinn avait huit ans, et il finirait probablement par ouvrir une animalerie dans sa piaule à ce rythme-là. Une fois, Jax avait pointé sa petite silhouette tapie à l’ombre d’un arbre, les yeux rivés sur le sol, what is he doing, et Sid avait haussé les épaules, he’s into bugs and leaves now. « You can’t keep that.Why? (Une pause. En soi, il ne savait pas vraiment pourquoi il n’aurait pas eu le droit de le ramener chez eux – mais par principe, il supposait que cette bestiole était plus en sécurité à cet endroit très précis, au milieu de nulle part.) – ‘Cause. » Quinn soutint longuement son regard, sans lâcher l’animal. « It’s not dangerous anyway. » Curieuse, Kitty avait approché une phalange des poils piquants. « Hedgehogs are very useful in gardens because—Okay fine, whatever, let’s go. »)

Un éclat de voix basses le ramena à la réalité.
« He’s eight, you can’t talk to him like that.The sooner he learns, the better. But do you have to be so graphic? » Ni Kitty ni Ace ne lui prêtèrent attention, et sa sœur avait baissé d’un ton tandis que l’autre abruti balançait les bras en l’air, tu m’emmerdes Kit. De retour à sa place, le sujet de conversation avait à peine dévié, et la cause du débat se ratatinait sur sa chaise. « Hey, it’s Quinn’s girlfriend, show some respect, la paume de Jax claqua contre le crâne de Randy. – Jax c’mon, she’s got a great ass. Back me up a little bit here Sid! » Il tira une tige de son paquet et tâtonna la table encombrée à la recherche d’un briquet quelconque. « Y’know, tits can make a huge difference, like, if the girl’s ugly— » il n’écoutait déjà plus la démonstration obscène de son cousin, tellement entamé que chacune de ses paroles gagnait en volume par rapport à la précédente, et il n’en avait rien à foutre d’évoquer avec insistance la poitrine généreuse de la femme d’Avery, qui se tenait à quelques mètres de là, flanquée de Becka. Sid n’avait jamais fait attention à ces détails, ou alors il n’était pas spécialement porté sur les nichons en général – durant son adolescence, il avait un faible pour les planches à pain. Jennifer Aniston, Cameron Diaz, Emma. Des blondasses plates comme des limandes. Des nanas sans aspérités d’aucune sorte – et la silhouette filiforme de la copine du frangin aurait pu l’attirer, à une autre époque, quand il n’arrivait pas encore à faire sens de ses désirs. Sa paire de guiboles interminables gigotait nerveusement, et ses billes fuyantes prospectaient les environs. Ses ongles grattaient l’étiquette ramollie d’une Coors. Jusqu’à présent, Kitty avait été la seule à s’enquérir d’elle, contrairement à la meute de chiens affamés la lorgnant sans vergogne. Elle n’était pas plus causante que lui, gênée d’être au centre de remarques graveleuses. Tyler l’avait comparée aux godiches habituelles que ramenait Quinn, Randy s’était fendu d’une plaisanterie douteuse, et Earl – Earl la suivrait probablement aux chiottes si elle osait bouger. Jax lui montra une photo de Madeline, attifée d’un costume de princesse (« it’s Elsa from Frozen, I don’t understand why that one is so popular »). Il picorait des cacahuètes alors que son assiette quasiment intacte refroidissait sous son nez.

– 2:30am
Physiquement, il était avachi sur les marches en bois du porche, un joint entre les doigts, et un filet de Springsteen s’échappait de son téléphone, posé à côté d’une bouteille de bière convertie en cendrier. Mentalement – ailleurs, bien ailleurs, à des kilomètres ou galaxies d’ici. I'll wait for you and if I should fall behind, wait for me. Il entendait, comme une mélopée lointaine, les fredonnements de Wayne se calant en retard sur la voix du Boss, et il lui disait, tu chantes faux, et l’autre continuait de plus belle, poussant davantage sur ses cordes vocales rouillées par vingt ans de tabagisme. Should we lose each other in the shadow of the evening trees. S’il fermait les yeux, peut-être parviendrait-il à restituer les détails que l’usure du temps, et les limites de la mémoire, commençaient à altérer – il n’était plus sûr de la couleur de sa chemise, ou du col de son manteau. Il avait troqué ses éternelles Camel contre des Newport uniquement parce que Wayne préférait cette marque – darlin' I'll wait for you. Certaines habitudes étaient restées, ou il s’y raccrochait connement, persuadé que les rituels d’une autre vie conserveraient les vestiges d’une histoire passée. Il grimaça en ramenant son genou blessé vers lui, la jambe parcourue de fourmillements désagréables, et massa la cicatrice par-dessus le tissu élimé de son jogging. La chanson se tut un instant, et Spotify embraya sur Used Cars. Le mois dernier, il défendait cet album avec une véhémence inhabituelle face à Alec, opinant du chef, « I’m hearing you man, you’re preaching to the choir, » s’était-il moqué. (Il avait été con de réagir ainsi.) « Have you seen Quinn ? » Deux échasses de chair s’étaient plantées près de lui, et il et ne comprit pas immédiatement qu’une voix féminine l’avait apostrophé, un mètre soixante-dix plus haut. Ses billes hallucinées grimpèrent le long des jambes de la nana. Doreen ? Putain, il était sûr que ça commençait par un « D » cette histoire. Daisy ? Avait-elle été au moins présentée avant d’être jetée dans la fosse aux lions ? Une frange en pleine repousse lui tombait sur les yeux. « Haven’t, » il échappa avec un rond de fumée, fustigeant silencieusement son abruti de frangin d’avoir abandonné sa pouliche de campagne. « Sid! Someone clogged the toilets, » Jax n’avait pas terminé de remonter sa braguette quand il apparut dans l’encadrement de la porte, « and it ain’t me, swear it on my kids’ heads–Ain’t that your job to investigate?Fuck off motherfucker, gonna investigate your wife that’s what I’m gonna do. » Chuck, Terry et leurs remarques sagouines l’escortaient, et c’était comme s’ils ne s’étaient jamais quittés après le lycée – à la différence près que le déclin avait gonflé les bides, laborieusement retenus par des ceintures aux boucles énormes, dégarni les crânes, jauni les dents et creusé les rides. Sid se souvenait d’une époque où de la bande, il était le plus dégingandé, pour arrêter de grandir après dix-neuf ans. Leurs regards de bovin se braquèrent sur Dee, « you doing alright? Ain’t an easy bunch.Don’t know ‘bout Quinn but I sure can protect you honey. C’mon man. » Dee bredouilla une parole inintelligible et battit en retraite, se frayant un passage malhabile entre les épaules de Jax et Terry, qui s’écartèrent à peine.
Sid avait éteint la musique tandis que le joint tournait de main en main, et ça discutait des conneries d’avant ou d’aujourd’hui, ça prenait une tournure sérieuse quand on touchait aux pensions alimentaires ou foutrement ridicule en se remémorant avoir jeté une brique sur le pare-brise du capitaine de l’équipe de football. C’était quoi son nom ? Terry jouait avec son briquet, « Nick Aldridge.Heard he’s a lawyer now, on the East Coast or something.Yeah he got into Harvard.You mean his old man’s money got into fucking Harvard. Aldridge’s never been able to do anything without his father’s wallet, and you see, those people, they haven’t worked a single day in their fucking lives. » Here we go. Farrow loucha en direction de Jax qui lui adressa un geste discret de la main, l’enjoignant à ne pas se tenir tête à Terry et à ses élucubrations xénophobes. Après les riches, il s’attaquait désormais aux étrangers, et à la façon dont ces 'sangsues' profitaient sciemment des allocs, « I mean now, they come here, they fuck, have a baby and the kid’s an American? Fuck that, I’m an American and–You should see the state we leave their country in, il marmonna, les gobilles rivées à sa pompe. – You for real Farrow? You almost lost your goddamn leg and how much are they paying you, huh? How much money do you get for that? » Son discours haineux avait beau tisonner un mépris incommensurable, il ne trouva rien à répondre. En prison, il était tombé sur ce bouquin de James Baldwin, planqué sur une étagère poussière. C’était au début de son incarcération – il était tellement en manque qu’il aurait pu s’arracher la peau avec les dents et avait l’impression que ses organes étaient nécrosés. Lire aidait. Un peu. De fil en aiguille, il pensait moins aux douleurs éparses du sevrage qu’aux mots des autres, et comment ils démêlaient les nœuds de son ignorance. « Fuck you. You don’t know shit, il se leva avec difficulté. – Fuck you too, man. Fucking tired of your ass, go back to prison if we ain’t good enough for you. Bet you miss sucking your criminal immigrant friends’ dicks. Shut up Terry.Fuck y’all. »

– 1pm
Ce terrain vague entourant la maison n’avait de jardin que le nom. Ils avaient cramé la pelouse à plusieurs reprises à cause des rampants du coin mais rien n’était plus dangereux qu’une invasion de Farrow, les nuisibles de la pire espèce, humaine et animale confondues – des cannettes de bière jonchaient l’herbe brûlée, des gobelets étaient tombés de la table et avaient roulé jusqu’au cabanon, les serviettes en papier ramenées par sa mère s’étaient envolées aux quatre coins du terrain et compte-tenu du nombre alarmant de mégots traînant par terre, ils avaient été chanceux d’échapper à un départ d’incendie. Armé d’un rouleau de sacs poubelle et d’un balai, il commença à ramasser les premières ordures avec la même détermination qu’un chercheur d’or. Quelqu’un avait dégueulé près des fondations abîmées de la maison, ou pissé, il ne comptait pas examiner les salissures de plus près. Les bouteilles de bière tintinnabulaient dans leur cage de polyéthylène, et il poursuivait son bonhomme de chemin, passant au peigne fin le moindre mètre carré de pelouse piétinée. Rangea la table, les chaises, en mit deux de côté, bonnes pour la déchèterie, ordonna sèchement à Sadie de ne pas approcher, car il avait déjà ramassé plusieurs débris de verre. Au moins, il avait arrêté de songer à Alec, même si un doute persistait vaguement dans son esprit – comme s’il avait pu initier quelque chose sans en avoir gardé le moindre souvenir, et Dieu savait qu’il en aurait été capable. Un aveu gorgé de mauvaise vodka était vite arrivé, mais alors qu’il remontait le fil d’Ariane de cette nuit étrange, il se rappelait simplement avoir trébuché à l’entrée du mobile-home et s’être agrippé au bras musculeux d’Alec. Une sensation d’eau, aussi. Comme jeté sous une douche plus fraîche que tiède. Les lèvres pincées, il ferma un deuxième sac poubelle et entreprit de déblayer le sol, ou tout du moins, d’arranger le gravier. « Where you been ? » Callum tenait un mug de café fumant, une cigarette entre les dents. « Slept in late, marmonna-t-il en retirant un écouteur de son oreille. – I checked your room this mornin’. You didn’t spend the night here. » Le visage impassible, Sid se redressa, les jointures blanchissant sur le manche du balai. « I was at Jax’s. » Son père ne renchérit pas.

Dans la cuisine, muni d’une éponge, il passa chaque assiette sale sous un jet d’eau tiède, frotta énergiquement les plats que sa main libre attrapait à l’aveugle. « Where’s the milk?I want pancakes. » Austin avait chopé un paquet de céréales et Jesse poireautait près du comptoir. « Hold on a sec, » il essuya ses mains trempées sur un torchon avant de délaisser sa basse besogne, à la recherche de la boîte de pâte pré-préparée. Ça se réveillait doucement dans la baraque – il avait entraperçu Marcus roupillant sur le canapé du salon, et se demandait combien de gosses dormaient à l’étage. Une poêle atterrit sur la plaque de cuisson, au même moment où Kitty débarqua à son tour, un vieux t-shirt sur le dos. « I thought you’d gone home.Ace couldn’t drive. He’s snoring like a motherfucking pig. Need a hand?One dollar in the bad words jar, Ma. » Elle ébouriffa les boucles d’Austin en passant derrière lui, termina le café que son frère s’était préparé et débarrassa la vaisselle propre. « Who’s still around?I’m not sure. Quinn and Nickie left, I think. Donnie and Tyler are in your room– » elle poursuivit, une ridule creusant sa glabelle, les sourcils froncés, et manifestement une sacrée trâlée de Farrow avait décidé de pioncer ici, à en croire l’énumération de sa sœur. Dans leur dos, Callum épatait Jesse avec ce tour de passe-passe vieux comme le monde – une pièce de cinq cents disparaissant entre ses doigts – qui l’enchantait lui-même lorsqu’il était môme. Il tirait la manche de son père, tell me how you do it, il geignait, avant de le forcer à ouvrir le poing, déçu de ne pas y découvrir le nickel. Callum passait alors la main près de son oreille, « here it is », révélant la tranche cuivrée coincée entre son index et son majeur.
Fut un temps –
Il n’en était certain, mais fut un temps où il n’associait pas encore le visage émacié de son père à ses angoisses.

– 19 juillet
« Something awkward happened, » Nickie s’était postée sur le pas de sa chambre et triturait l’anneau proéminent qui lui traversait le lobe. Il referma la fermeture éclair d’un Eastpak d’un coup sec, « I tried to call and I texted you twice. » Sa sœur avait cette propension insupportable de tourner autour du pot jusqu’à ce que son interlocuteur abdique et rentre dans son jeu de cancanière : il savait qu’elle ne lâcherait aucune information consistante tant qu’il lui tournerait le dos. « My phone died, » il marmonna, palpant machinalement la poche arrière de son jean afin de s’assurer qu’il n’avait pas (encore) oublié son téléphone chez Alec. La cadette de la fratrie mâchait bruyamment un chewing-gum et le son de ses mastications de plus en plus bruyantes l’obligèrent à suspendre ses mouvements. « Spit it out, Nick.Emma dropped by yesterday. She was looking for you.The fuck? » Débarrassée de son fardeau, Nickie posa ses fesses sur le rebord de son bureau, et ses (faux ?) ongles lavande tapotaient doucement la surface de bois vieilli. Elle arborait un débardeur rouge dévoilant l’intégralité de son dos et avait relevé sa crinière folle en un chignon lâche d’où s’échappaient des mèches plus blondes que sa couleur naturelle – le cliquetis de ses bijoux accompagnaient le moindre de ses faits et gestes. « Yup, said she had to talk to you and shit.Why? » Elle haussa une épaule avant de plonger sa main dans la poche de son short, « that’s her number ». Il s’empara du post-it chiffonné, barré d’une ligne crayonnée à la va-vite contre une porte, ‘we need to talk’, suivie d’une série de chiffres. Il reconnut l’écriture ronde d’Emma. « Fuck. »

Il tapa trois fois le numéro sur le clavier tactile de son téléphone, et trois fois il l’effaça avant d’arriver au bout. Absolument rien ne le rattachait à son ex – les papiers avaient été signés, et il avait tiré un trait sur le résultat d’hormones adolescentes en rut. Il avait demandé, plusieurs fois. Il avait laissé des messages demeurés sans réponse – souvent à ses retours de déploiement, quand l’idée d’avoir frôlé la mort sans avoir pu rétablir la vérité germait entre deux pensées suicidaires. Son connard de mari avait porté plainte pour harcèlement. Trois coups de téléphone seulement, sans hausser le ton. Un détour par son quartier, en gardant une distance raisonnable. La tonalité lui parut interminable. L’écran collé à l’oreille, il approcha une main tremblotante de sa cigarette. « Yes?It’s Sid, » un silence. Il entendit une fenêtre s’ouvrir – ou se refermer – et une clameur d’enfants, à quelques mètres d’elle. « I—listen, I wouldn’t do that if… elle s’interrompit. Scarlett hasn’t been home in a month. I think she changed her number. I don’t know where she is and I wanted to know if you’d seen her.Why would–Because she knows. » Curieusement, la révélation ne lui fit aucun effet – après tout, ce n’en était pas une pour lui. Il marqua une pause. « I haven’t seen her.If you do–tell me. » Une myriade de questions lui brûlait la langue, mais elle raccrocha abruptement, craignant que cette conversation se prolonge ou touche à des vérités depuis longtemps oubliées. À l’intérieur de la maison, il aperçut Quinn et Nickie en train de grignoter – la vision de son frère le déboussola, sans l’empêcher de décocher un « what you looking at? » furieux.
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Quinn Farrow
Quinn Farrow
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MessageSujet: Re: a story untold could be the one that kills you. (farrow)   a story untold could be the one that kills you. (farrow) EmptySam 9 Jan - 20:03

– dim. 19 juillet / west savannah
La maison suivait son propre rythme. Elle était comme des poumons, en perpétuel mouvement, et comme eux, elle ne cessait jamais de brasser de l’air. Ses trois occupants en entraînaient toujours d’autres dans leur sillage, l’emplissant de vie. Quinn et Sid, dont les allées et venues ne suivaient aucune règle, aucune logique. Randy et Ty, accompagnés de leurs pères respectifs, que le retour de Callum ramenaient dans le giron de la baraque. Et puis il y avait Dee, River, des amis de Nickie, Kitty, ses marmots et leur balourd de père, et Jax, que Quinn avait aperçu plus d’une fois en train de ramener sa sœur aux petites heures du jour. Il n’avait jamais abordé la question avec elle, non par prudence, mais parce qu’il avait complètement oublié l’anecdote entre temps. Allez savoir pourquoi là, debout dans la petite cuisine de son enfance, Quinn y repensa soudainement. Nickie revenait de l’étage et arborait une expression indéchiffrable en mastiquant bruyamment un chewing-gum d’un rose pétant, dont on apercevait parfois l’éclat furtif entre ses dents — elle avait cette manie insupportable de mâcher la bouche ouverte. « Saw you leave the house with Jax, the other night. » Le téléviseur recrachait les informations de Fox News en continu, et personne n’écoutait, ni ne regardait, ni ne songeait à mettre fin à ce bruit de fond abrutissant. « What other night ? » Il versa les Lucky Charms de ses neveux dans un bol, les entama à la cuillère, sans lait. Nickie se préparait un café, son dos nu révélé par un débardeur hideux. « Dad’s party, » Cette nuit-là, Nickie avait décampé peu de temps avant lui, à bord de la caisse de Jackson. Torché ou pas, le salaud n’avait qu’à brandir son badge et son gyrophare pour outrepasser la loi qu’il était supposé représenter. Dee avait refusé de conduire son tas de boue pour rentrer, et Quinn n’avait même pas émis l’idée de prendre le volant, incapable, à cette heure, de distinguer sa gauche de sa droite ou d’identifier correctement quiconque lui adressait la parole. Ils s’étaient farci le trajet à pied depuis West Savannah. Deux heures à crever la nuit à un train de marche forcé (l’image du Diable à leurs trousses ne paraissant soudain plus si absurde depuis le retour de son père), cent-vingt interminables minutes durant lesquelles Dee n’avait eu de cesse de se lamenter. Ils avaient fini par s’arrêter aux abords du centre, plantés au milieu de la route, à se gueuler dessus comme du poisson pourri. « Told you not to come, you came anyway, now get off my fucking dick. » Une semaine plus tard, il se pointait chez River, son vieux sac de voyage sur le dos. Dee avait raison, mais il fallait du courage pour assumer la répulsion, la honte, que l’on éprouvait à l’égard de son propre sang. Un courage dont il était dépourvu, qu’il comblait en envoyant chier quiconque avait à redire sur eux, se fondant ainsi dans le même tissu méprisant et méprisable dont il était issu, englué dedans comme dans une toile et condamné à ne jamais en échapper. Elle se plaignait de Chuck, qui lui avait mis une main au cul, et de son oncle, ce vieux porc, non mais t’as vu comment il me regardait ? C’était dégueulasse — bien sûr que ça l’était, bien sûr que c’était pitoyable. Mais combien de fois n’avait-il pas lui-même laissé filtrer un commentaire de ce genre au passage d’un cul ou d’une paire de nibards dévoilés par une tenue trop légère, appuyé par les interpellations graveleuses de River ? Formaté selon l’idée qu’une bonne meuf était une meuf qui se taisait et l’ouvrait grand, il crachait sur les accoutrements des pétasses sans pouvoir s’empêcher d’aller y regarder de plus près. Ce n’était pas pour rien qu’elles se ressemblaient toutes, des copies de copies, blondes, minces, élancées, des huit sur dix pour le moins, parce qu’il le pouvait, et que lorgner sur ces godiches était un facteur valorisant lorsqu’on gravitait dans l’entourage des Farrow. Et derrière ces plastiques semblables et insipides, rien. Un vide immense.
Il se souvenait du jour où, à une remarque débile dont il avait oublié la teneur, une fille de la promo du dessus lui avait fait remarquer à quel point c’était aberrant d’entendre un truc pareil sortir de la bouche d’un type qui avait deux soeurs : t’aimerais qu’on les traite comme ça, tes soeurs ? Il avait récemment écopé d’une exclusion temporaire de deux semaines pour avoir refait le portrait d’un type - un pigeon - à qui sa frangine avait extorqué quarante dollars, en échange d’une photo de ses seins. Nickie, pour qui le féminisme passerait par les doigts d’honneurs à tous ces codes dont on l’avait assénée depuis l’enfance, et dont on ne cesserait jamais de lui rebattre les oreilles. Nickie, pour qui exhiber sa poitrine n’était rien, dès l’instant où elle l’avait décidé, et qu’elle en retirait quelque chose. Ain’t your fucking business what I do with my own ass. Ils s’étaient partagé la somme et avaient racheté de l’herbe, et Quinn n’avait eu aucun scrupule à user de son temps libre pour la fumer avec elle jusqu’à la dernière feuille.
(Cette fille, Norma ou quelque chose comme ça, sentait les huiles essentielles, buvait du lait d’amande et on disait de sa mère qu’elle communiquait avec les esprits — de fait, son opinion ne valait rien à ses yeux. Il lui avait dit d’aller se faire fourrer derrière le gymnase comme toutes les nanas qui y étaient passées avant elle, ça la détendrait, et de ne pas parler de ce qu’elle ne comprenait pas, et qu’elle comprenait pourtant mieux que lui.)

Sidney traversa le rez-de-chaussée et leur passa devant avant de sortir, un bout de papier et son téléphone à la main. Il savait que son frère rôdait dans les parages mais leur dédain était tel qu’il fut presque surpris de sa réapparition. Depuis le retour de Callum, ils n’avaient rien échangé, si ce n’est un briquet et les clefs de sa caisse sur le porche de la maison. Il était repassé le lendemain de la soirée, en fin de matinée afin de récupérer quelques affaires, à l’heure où tout le monde dormait encore. Un agglomérat de viande saoule rôtissait dans les voitures parquées n’importe comment devant la maison, des cercueils de circonstances dont on avait baissé les vitres dans un ultime sursaut de lucidité, avant de sombrer dans un sommeil d’ivrogne. Autant de carcasses avinées qui ne seraient pas venues souiller le sol crasseux de la maison où, à certains endroits, entre les canettes vides et les douilles de cuivre (qu’est-ce qu’ils avaient foutu), l’alcool était tombé en si grande quantité qu’on aurait pu y apercevoir son reflet. Midi passé, et ils pionçaient encore comme des morts en dépit de la chaleur. Dieu sait à quelle heure ce cirque avait pris fin, si les derniers n’avaient pas profité d’un lever de soleil avant d’en arriver à la conclusion que la fête était terminée. Le jardin était une scène de chaos. Des chaises renversées, quand elles n’étaient pas amputées d’un pied où d’un bout d’accoudoir, des détritus jonchant l’herbe carbonisée, des mégots en quantité astronomique se mêlant aux assiettes et aux verres en carton que personne ne s’était donné la peine de ramasser après les avoir fait tomber. Sa chambre, à l’étage, avait été transformée en dortoir de fortune pour une tapée de mioches au bout du rouleau. Il avait dévalisé ses tiroirs et extirpé des cartons ce dont il pensait avoir besoin, et il était reparti aussi sec, plus qu’heureux de ne pas avoir à adresser la parole à quiconque.
Sans doute aurait-il fallu dire quelque chose lorsqu’il s’était rendu compte de la disparition des chiens. Il n’en avait rien fait, laissant l’incident s’évanouir dans l’indifférence collective. Il était resté trois plombes le cul planté sur les marches descendant à l’arrière de la baraque, à mater le chenil désert. Une tache sombre se détachait du paysage. De l’hémoglobine séchée, dernier témoin de l’existence des chiens de Sid. Des années qu’il rêvait de les étrangler dans leur sommeil chaque fois qu’il les entendait japper au cœur de la nuit, pourtant leur disparition lui causait un indicible sentiment de perte. L’ultime confirmation que Callum avait repris ses droits, dispersé son autorité jusque dans les plus infimes interstices de leur quotidien. À sa mère, il avait demandé : « What about Sid ? » et elle avait coulé vers lui un regard surpris, haussé une épaule et tiré sur sa cigarette avec un calme songeur. « What about him ?He cared ‘bout ‘em. » Jean ne comprenait pas ce qu’il essayait de lui dire. Sa perplexité avait quelque chose de vide et de pathétique. « Ma’.It’s Pa’s decision. » elle fit simplement, et cela semblait clore la question. Il savait que sa mère trouvait son confort dans le giron de l’autorité paternelle, se remettant à ses jugements sans chercher à les discuter. La parole de l’époux avait valeur d’évangile. Il eut de la peine pour elle.
Cette histoire de clébards n’était qu’un détail parmi tant d’autres. « So what? » Les céréales faisaient un bruit d’enfer entre ses dents. La bouche pleine, Quinn haussa les épaules ; en fait, il s’en foutait bien. « Who’s he talkin’ to ? » Nickie suivit son regard, devant la maison, là où Sid faisait les cent pas, le portable collé à l’oreille. Le son de la télévision oblitérait tout le reste. Son frère leva les yeux vers eux et leurs regards se croisèrent furtivement. « what you looking at? » Que Sid et ses chiens aillent se faire foutre, tous comptes faits. Il leva son majeur, avant d'enfourner une nouvelle cuillerée de Lucky Charms. « So fucking tired of him. »

– ven. 24 juillet / white bluff rd. apt 502.
Se prendre une cuite était une décision arbitraire, rarement un hasard et jamais une contrainte. Un choix facile entre l’ennui et l’oubli, une alternative au désespoir qui le guettait lorsqu’il avait trop de temps pour penser à sa vie. Souvent Kitty l’engueulait : tu vas te griller les neurones et à la fin, il ne te restera qu’une poignée de trognons de synapses atrophiés dont tu ne seras même plus capable de te servir pour pisser droit.
L’appartement manquait d’ameublement. Un BZ calé contre un mur nu, un plafonnier à la lumière blessante, une cantinière à la peinture écaillée faisant office de table basse, et dans la cuisine, le strict minimum. Il avait croisé Andy le matin-même, les bras chargés de sacs en papier remplis de barres de chocolat et de chips — pour les foncedalles, qu’il avait commenté, et Quinn s’était contenté de rire. Depuis l’histoire de la voiture, ils n’avaient pas repris contact. L’affaire avait été oubliée, la came dormait toujours chez River, aucune représaille à l’horizon. Andy était tout juste un ami d’ami, quelqu’un de trop familier pour qu’il ne puisse l’ignorer lorsqu’ils se croisaient dans la rue, mais pas assez pour qu’il se soucie de sa vie. L’invitation à venir à sa crémaillère l’avait pris de court. Mais comme pour toute perspective de se la coller plus ou moins aux frais de la princesse, en digne décision arbitraire, il n’avait pas gambergé longtemps avant d’accepter, sans l’informer qu’il traînerait sa sœur avec lui — ça allait de soi.
Elle était perchée sur une des deux seules chaises d’Andy, une cuillère en bois serrée dans la main faisant office de micro. Et elle chantait — faux, car Nickie avait dépassé le stade de l’ivresse depuis longtemps. Comme tout le monde. On comptait plus de bières vides que d’invités, une vingtaine de têtes entassées comme du bétail dans cet appartement étroit et morne.
Il était plus de deux heures lorsque le couple fit son apparition. Quinn n’avait pas décollé du minuscule balcon où il fumait clope sur clope depuis des heures, et voyait arriver la fin de son paquet avec résignation. Le couple ne fut d’abord rien que ça, un couple anonyme. Leurs tronches ne lui disaient rien. Un type brun oscillant dans la trentaine flanqué d’une minette superbe, des yeux de biche et des lèvres pulpeuses, rehaussés par un maquillage ostentatoire qui la vieillissait de peu. (Il doutait franchement de sa majorité.) Elle sonda la pièce d’une œillade pénétrante, se tenant trop proche de l’autre pour paraître tout à fait à l’aise. Leurs regards se croisèrent brièvement, avant que tous les yeux convergent vers le bonhomme lorsqu’il alpaga Nickie d’une voix forte. « Nickie fucking Farrow, the hell you doin’ here ? » Il reconnut dans l’expression de sa sœur ce mépris planqué sous des airs bonasses qu’elle réservait toujours aux amis-qui-n’en-étaient-pas. « Trent… Talk about a surprise, » Elle chancela en redescendant de son perchoir et accepta l’embrassade de Trent sans sourciller, le dos raide.
Trent.
Son esprit glissa dans un gouffre temporel et le film se déroula. Un décor des années deux-mille, l’insouciance rivetée à chacun de leurs mouvements. L’essence de leurs paroles se distordait dans l’épaisseur duveteuse de la fumée des joints que l’on faisait tourner à fenêtres fermées. Les sièges de la Ford étaient troués de partout. La faute aux cendres qu’on laissait tomber dans l’indifférence la plus totale, la faute au cloutage de mauvaise facture ornant leurs poches de jean, la faute à une foule de culs ayant usé le tissu tendu sur les assises fatiguées. Sur le tableau de bord, une grotesque figurine d’Elvis dodelinait de la tête à chaque secousse provoquée par les quatre adolescents massés à l’intérieur du véhicule. La voix de son homonyme réel s’échappait des enceintes encastrées dans les portières. Les années lycée touchaient à leur fin tandis qu’ils contemplaient au loin l’entrepôt se découpant sur la nuit. Une bâtisse anonyme planquée aux abords des docks. Le hangar, ils l’appelaient. Un baraquement de tôle noircie de moisissure où ils s’agglutinaient chaque fin de semaine pour fumer des joints, cramer les déchets que l’on trouvait un peu partout dans un fût rouillé, tirer à la carabine sur des bocs vides alignés sur une souche lointaine. Quelqu’un — il croyait que c’était Jamie Crisco, avait un jour mis la main sur ce petit bijou d’isolement et de vide et avait entraîné à sa suite le gratin des imbéciles en quête d’un peu de liberté. Il se rappelait de cette nuit là plus que des autres. Nickie et Charleen, assises à l’avant, River et lui avachis sur la banquette arrière, leurs occiputs calés contre des appuies-têtes inexistants, baignant dans une odeur de chichon terrible au point que leurs cheveux en resteraient imprégnés longtemps après. Les phares étaient allumés, à l’instar de ceux des trois autres véhicules garés à côté du leur, éclairant le campement improvisé qu’on avait dressé sur le bitume crasseux s’étendant devant le local. Des gyrophares auraient donné à ce décor des allures de scène de crime. Un feu brûlait dans la nuit, des cadavres de bières et d’alcool bon marché jonchaient le sol, et depuis la banquette arrière, malgré l’épaisseur de la fumée qui saturait l’habitacle exigu, il distinguait nettement Maura à quelques mètres de là. Elle titubait au milieu des autres dans la lueur des phares, les épaules entourées du bras d’un grand type aussi imbibé qu’elle, un mégot fumant s’agitant au bout de sa main tandis qu’il débitait un flot de conneries à son oreille — trop proche. Elle riait. « Who’s that? That guy there? » Il n’avait pas bougé d’un pouce, tirait sur le joint, la totalité de son attention concentrée sur cette scène d’une banalité telle qu’elle n’aurait pas dû le frapper avec une pareille intensité. « It’s Trent, Trent something. Hey River, the fuck did you buy? This shit’s disgusting. » La benjamine tordait les lèvres à chaque gorgée — de l’Amsterdamer, ignoble, pas cher. « If you ain’t happy with it, go buy it yourself next time. » Oh, elle saurait trouver le moyen de se la faire payer par un vieux type à l’approche des caisses, la prochaine fois, qu’elle rétorqua. Elle avait des arguments imparables. Quinn n’écoutait rien. « ‘the fuck’s Trent. » il répéta, le genou secoué de tressaillements nerveux. Les yeux de Nickie balayèrent le rétroviseur central avant qu’elle se tourne et lui tende la liche. « Charleen invited him, hoping he could pop her cherry before classes begin. » Une volée de rires masqua le bruit d’une claque que l’intéressée assena à l’épaule de sa voisine. « Buuuut… Ain’t gonna happen tonight, apparently, » elle commenta en ricanant lorsque, sous leurs yeux, Trent se pencha pour embrasser Maura — de son point de vue, la chose s’apparentait plus à du cannibalisme qu’à un véritable baiser. Tout juste ne lui bouffait-il pas le visage, une main glissant sans équivoque vers le bas de son dos à mesure qu’un froid intense se répandait en lui. Comme devant le spectacle inattendu d’un accident de la route, il fut incapable de détourner les yeux. Nickie baissa la vitre, laissant la fumée emporter son sifflement dans la nuit, enfonça le klaxon du talon de la main à plusieurs reprises. Une foule de visages se tournèrent vers leur tacot. « Heeeey ain’t gonna watch this, get a room you two ! » Un majeur dressé dans leur direction. Trent et Maura sortirent du cercle de lumière, s’évanouirent dans l’obscurité. Nickie riait toujours lorsque la fenêtre conducteur remonta en grinçant, bloquant à deux centimètres du haut. Les autres intégrèrent la chose comme une énième anecdote sans intérêt, de celles qui peuplent toujours les histoires adolescentes, mais pour Quinn, la soirée s’était arrêtée là. Le feu aux entrailles, il avait noyé cette damnée vision dans la vodka et glissé dans une ivresse qui ne lui laisserait presque aucun souvenir — tout disparut, hormis la seule chose qu’il aurait voulu oublier. Il avait erré, et puis, comme ça, il s’était retrouvé sur le siège passager d’une voiture familière. Incapable de combler l’intervalle de vide entre celle de River et sa présence dans celle de Kitty. Sa sœur était venue le chercher ? Pourquoi ? Quand ? La route défilait autour d’eux, un lavis de noir et de gris brisé par le tranchant des phares dans la nuit. Ils rentraient chez eux. C’était une certitude, de celles que l’on a sans avoir à réfléchir quand bien même n’est-on pas en capacité de le faire. « You alright ?  — Fuck him.... who ? » Les yeux de Kitty cherchèrent les siens dans l’ombre, tournés vers la vitre passager. « Fuck Trent. »

« You won’t believe what just happened. » Ses yeux étincelaient, un mélange d’horreur et d’hilarité contenue. Trent tenait la grappe à Andy et il les voyait se marrer sans interruption depuis dix minutes. Il ne lui avait pas adressé la parole, s’en garderait bien. Il se demandait si l’autre se souvenait de ce ce fiasco de la remise des diplômes, mais il ne tenait pas à s’en assurer. De l’air vaguement frais provenant de l’extérieur glissa sur leurs bras nus. « You won’t believe it. » Il n’était pas d’humeur à jouer le jeu, quel qu’il fût. « What?That girl Trent came with.She’s barely legal. » il commenta. La fille s’était assise par terre, le dos contre le mur, et discutait vaguement avec une grande bringue trop éméchée pour tenir autre chose que son verre, et le fil d’un monologue inintéressant. Ses chevilles minces se croisaient devant elle dans une posture qu’il aurait volontiers caractérisée de polie si sa jupe trop courte ne remontait pas autant sur ses cuisses blanches. De temps en temps, elle levait les yeux vers eux, sans qu’on puisse y lire quoi que ce soit d’autre qu’une attention aiguë, à laquelle il n’avait pas d’explication. Se savait-elle l’étrange objet de leur conversation ? « Exactly. But wait, ain’t the worst. I was in the bathroom, and then that girl came in, and she’s asking for my eyeliner. So I give it to her, and I start asking her shit, y’know, the usual crap, where she’s from, what she’s doin’, yada yada. » Un craquement de briquet, sa dernière tige s’embrasa. « She’s talking ‘bout studies and other rich girl’s bullshit and I notice she didn’t tell me her name, and at some point- oh my god. You know what she says ? » Il retint un soupir, ne lui fit pas la grâce de demander. « She says : you’re Nickie right ? Sidney Farrow’s sister ?  » Elle ménagea son effet, s’octroya une pause et une longue gorgée de bière. « So what?So… It’s Scarlett Cavendish. Sid’s daughter. » Scarlett.
Ils avaient passé la journée à débiter les blagues salaces desservies par leurs oncles à chaque réunion de famille en apprenant que Sid avait une copine. Pas n’importe laquelle, au demeurant : Emma Donnovan, une de ces rich kids gravitant autour de l’équipe de foot, à des lieues des fréquentations de son frère. Quelques mois plus tard, la nouvelle de sa grossesse s’était répandue comme une traînée de poudre et l’année suivante, il voyait son frère endosser son statut de jeune père dévoué, la maison accueillir ce minuscule bambin, et son monde s’écrouler. Trouver en Emma la source de ses maux et la raison du départ de son frère lui avait semblé être la seule solution, sur le moment, à défaut d’être la bonne. Et puis, il avait cessé de chercher une raison à son départ, tout comme il avait cessé d’essayer de le comprendre.
Quinn tourna le dos à la pièce, écrasa son paquet vide et le balança par dessus le balcon. « Fuck. What does she want ?I don’t know. I’m not even sure she wants anything. » Ils s’observèrent un instant. Nickie posa la question qui flottait entre eux. « Should we tell Sid ?Tell him what ? We saw his daughter ? What for ? He knows she’s here. I think. Ain’t our business.Really ? » Il était trop torché pour réfléchir à la question - crevait d’envie d’une bière, sans oser rentrer à l’intérieur pour s’en trouver une. La présence de Scarlett rayonnait comme un déchet radioactif, là-bas, dans son dos. Il massa sa tempe, sentant poindre une migraine. Quelle merde. « Trent’s a fucking pig.Clearly. »

– savannah police dept.
Les néons lui explosaient les rétines. Le dossier de la chaise en métal lui entamait le dos et une douleur diffuse irradiait de son sternum à son épaule gauche, et quelque chose semblait s’être bloqué au niveau de sa trachée. Il voulait vomir. Bien qu’assis, il se sentait tanguer comme un bateau ivre. S’il pouvait seulement lui enlever ces foutues menottes. « At least take those fuckin’ handcuffs off, Jesus.The fuck went through your head, seriously ? Do you realize the amount of paperwork you’re forcing me to do ?Ain’t forcing you to do shit.Yes you are, you dimwit. » Et Jackson de dérouler la liste des formalités qu’il allait devoir se farcir par sa faute, à une heure pareille putain, petit con va, et qu’est-ce que tu foutais dans ce quartier ? S’il avait la moindre idée de la chose. Un gouffre s’était ouvert dans sa mémoire depuis l’appartement d’Andy à ses errements dans un quartier résidentiel qu’il aurait été bien en peine de situer sur une carte. Ses souvenirs demeuraient incertains, même après que Jax lui ait expliqué les faits. Il avait un talent certain pour raconter les histoires, ponctuant son récit de et donc et de c’est alors que, enjolivant l’anecdote de détails dont Quinn doutait de la véracité — mais là n’était pas le but, ce n’était qu’une partie du décorum, à l’instar de toute cette foutue mise en scène. Il n’y avait qu’à voir Jackson, son badge suspendu autour du cou et son Glock à la ceinture, renversé contre son dossier avec cet air de ne pas y toucher et ce ton paternaliste à gerber.
Et donc, une honnête citoyenne avait été tirée de son lit à cinq heures du matin par l’alarme de sécurité d’une voiture garée devant chez elle, avait trouvé un type en train de la vandaliser, et avait appelé les flics en voyant qu’il était un, torché et deux, peu décidé à partir, pour ne pas dire franchement menaçant. La chose lui revenait par bribes. Il s’était planté de bagnole. N’importe quelle carcasse blanche montée sur quatre roues, dans son état, pouvait aussi bien être la sienne. Il avait essayé de l’ouvrir à plusieurs reprises, s’était acharné sur la poignée de la portière, lui avait flanqué des coups de latte jusqu’à ce qu’une alarme se mette inévitablement à retentir. Une bonne femme sans âge avait émergé d’une baraque toute proche avec, dans la main, ce qu’il n’avait pas identifié comme étant une bombe au poivre. « Leave now or I’m calling the police, sir. » Sir. Il s’était marré, lui avait demandé une clope, et la femme avait reserré sa robe de chambre autour de son buste. « All right, I’m calling ‘em. » Elle les avait appelés, les flics avaient débarqué, end of story. « She said you were about to hit her.It’s bullshit.Shut up. You also tried to start shit with a police officer, and it’s more than enough to keep you here. He could press charges, y’know. » Qu’y avait-il à répondre à ça. Quelque part à l’intérieur de lui, un frémissement de mauvais augure. « Imma throw up. Burgess poussa la poubelle vers lui du bout de sa pompe, se pinça l’arête du nez. Soupira bruyamment. Jesus Christ. I’m calling Sid. » Please don’t. Les mots ne passèrent pas ses lèvres, et il se pencha au-dessus de la poubelle pour y cracher un filet de bile. Jackson s’éloigna, et Quinn sombra à moitié, maintenu dans une position inconfortable par les menottes jointes dans son dos.

Dans les rues, une activité frémissante. Les gens démarraient leur journée, la sienne touchait à sa fin, et franchement, il s’étonnait d’être encore capable de marcher. Sid le devançait, sifflant Sadie lorsqu’elle s’éloignait de trop. Il louchait sur sa nuque crispée sans parvenir à faire sens de cette information — rien ne lui importait. Il songeait à Scarlett. À cette soirée foireuse. À l’abysse dans lequel gisaient leurs secrets respectifs. « Fuck Trent, » il marmonna pour lui-même à un moment donné.
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Sidney Farrow
Sidney Farrow
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MessageSujet: Re: a story untold could be the one that kills you. (farrow)   a story untold could be the one that kills you. (farrow) EmptyDim 17 Jan - 11:47

– 2014, garden mercy memorial hospital
« You did this. You can crawl back to your fuckin’ army with your fuckin’ unwanted advices and let us manage things our way. » Quinn lui apparut sous un jour nouveau, tout en nervosité, incapable de tenir sa cigarette correctement ou de décider entre se recoiffer ou s’ébouriffer davantage la crinière. Désormais adultes, les deux frangins se ressemblaient un peu. Le cadet accusait quelques centimètres de nigauderie supplémentaires, surplombait à peine l’aîné, dont la carrure plus travaillée et disciplinée permettait un doute sur sa taille. Devant les portes coulissantes de l’hôpital, les lumières aveuglantes d’une ambulance à l’arrêt lui vrillaient la rétine, déjà esquintée par le quasi-millier de miles parcourus la nuit dernière. Quinze heures de route dans les pattes, un pauvre sandwich de merde au fond de l’estomac, et encore une envie pressante de pisser les cafés enfilés sur la route et ici, à la machine qui avait avalé ses derniers pennies afin de rester opérationnel. À peine débarqué qu’il demandait des comptes – il s’est passé quoi, où, quand, qui, comme un foutu chef de section aboierait sur son unité après qu’ils s’étaient copieusement torché la gueule à la veille d’un retour aux États-Unis. Il avait déboulé en catastrophe de son ranch paumé, pas un bonjour pas un ça va, aucune explication quant à ses pérégrinations, et des années plus tard, il regrettera s’être comporté ainsi. Surtout avec Quinn. « What did you just say? » Il se rapprocha de son frère, le menton haut, le poing serré, tandis que plusieurs étages au-dessus de leurs têtes, Kitty dormait, perfusée, l’estomac pompé. Pas d’inquiétude, leur avait assuré une infirmière, elle se rétablira vite, mais les frangins s’étaient immédiatement sautés à la gorge malgré l’intervention de Nickie. Les voilà réunis au grand complet, dans une ambiance aseptisée, la lumière crue des plafonniers révélant teints blêmes et mines préoccupées. Il avait reçu le coup de fil au milieu de la nuit, Kitty est à l’hosto, c’est grave, il faut que tu viennes, et il en était presque tombé du lit, rattrapant de justesse son téléphone. Il s’était cogné contre la table de chevet, avait posé tout un tas de questions enchevêtrées les unes dans les autres, et sa cadette, aussi perdue que lui, répétait des je sais pas faiblards, comment ça tu sais pas, Nickie putain. Face au drame, les Farrow s’écharpaient, ne s’embarrassant pas d’un moment de répit après la tempête qui avait menacé de réclamer l’une des leurs. Un médecin avait ordonné aux frères ennemis de déguerpir fissa s’ils souhaitaient éviter la sécurité, et les éclats s’étaient poursuivis à l’extérieur – pour une fois, Quinn avait raison.
Quinn avait raison, et Sid ne le tolérait pas. « What you gonna do? » Pas grand-chose. Ils se défièrent silencieusement, les clopes se consumant entre leurs doigts gourds. « Don’t make me–Make you what, motherfucker? Make you what? » La mâchoire serrée, il luttait contre des envies de meurtre, au comble du désespoir – un monde sans Kitty était inenvisageable, et si on les avait rassurés dix bonnes minutes durant, à rabâcher ce jardon médico-mes-couilles incompréhensible, il n’en menait pas large. Et Quinn, cet enculé de Quinn qu’il n’avait pas revu depuis son départ précipité. Ils ne s’échangeaient plus de messages, ne se tenaient pas au courant de leurs vies, de leurs emmerdes, pas la moindre idée de ce qu’ils foutaient chacun de leur côté, pas envie de savoir non plus au fond, et de l’eau avait coulé sous les ponts, on menait son train-train quotidien. Au téléphone, Kitty lui avait dit qu’il était parti en Caroline du Sud. Aurait-il voulu lui confier ses histoires de mec rangé, lui parler de son boulot ennuyeux, du ranch, de Wayne, en sourire bêtement, t’as vu, ça va mieux ? « Fuck you, » qu’il assène sèchement.

– ven. 24 juillet, west savannah
« It’s early.And good morning to you too, guess who’s with me? » Sid inséra la prise jack de ses earpods dans le téléphone et le glissa dans sa poche avant de poser la gamelle de Sadie par terre, attirant inévitablement la chienne dans la cuisine, la truffe collée au sol à renifler bruyamment une trace imaginaire. S’il y en avait un qui ne manifestait pas, ou alors très peu, de signes de fatigue, c’était bien Jax. La pêche vingt-quatre heures sur vingt-quatre, mais il y avait sûrement un lien avec les litres indécents de café qu’il s’enfilait de jour comme de nuit et ses lignes de cocaïne récréatives. Il lui avait dit qu’il avait arrêté après la naissance des gosses. Quoiqu’il en soit, la tronche chiffonnée – putain qu’il dormait mal dans cette baraque –, Sid approcha un mug fumant de ses lèvres, « the man, the myth, the legend, that sweet baby brother of yours, » oh. Comment bien attaquer la journée. Quinn au commissariat, en voilà une qu’il n’avait jamais entendue auparavant. Réglé sur pilote automatique, il marmonna une série de questions pratiques, la patience envolée alors qu’il n’était pas huit heures du matin. Sale petit con de merde, toujours à se foutre dans des emmerdes jusqu’au cou au moment où on s’y attendait le moins – il s’était levé de bonne humeur, Sid. Il débaucherait vers seize ou dix-sept heures exceptionnellement et s’en irait retrouver la quiétude du mobile-home d’Alec. (C’était étrange de constater qu’au bout de quarante-huit heures, sa présence venait à manquer.) Il était prêt à affronter la journée, la promesse d’une récompense digne de ce nom apparaissant au loin, et voilà que Jax énumérait les faits d’arme de son imbécile de frangin : tapage nocturne, outrage à agent, vandalisme, ivresse sur la voie publique, substances illicites, il perdit rapidement le fil. « In short my man, come get that little shit. (Il alluma sa troisième cigarette avant de passer le nez dehors.) – Put his ass in jail already, I gotta get to work.Can’t do won’t do. » Sept heures dix. Il termina son café, une douleur dans le bide, et se prépara à changer l’itinéraire de son jogging quotidien. En arrivant devant le commissariat, la face luisante de sueur, il échangea une poignée de main avec Jax (« damn man, how do you manage to run all the way here with your shitty lungs? »). Son frère était derrière et se massait le poignet, la gueule en vrac.
« You’re thirty-three years old. Grow the fuck up. » Sadie ouvrait la marche, et il tirait parfois sur sa laisse, surtout quand elle croisait un congénère. Il ne prêtait pas attention à l’agitation alentour, concentré sur le chemin du retour qui dura trois bons quarts d’heure dans un silence auquel ils avaient fini par s’habituer. Quinn n’avait plus huit ou treize ans, à le talonner de si près que leurs coudes se frôlaient, et ils ne déconnaient plus, égarés dans des conversations sans queue ni tête, à élaborer des plans idiots d’aventures à écrire.
Devant le 393, Sid jeta une œillade défaite à l’écran de son téléphone. « Shit, I’m late— il marmonna, ain’t even nine and you’re already busting my balls, that’s a fucking record. » Ses paroles n’étaient qu’une traduction foireuse et déformée de ce qu’il aurait vraiment voulu lui dire – peu importe son degré de détresse, il n’arrivait pas à formuler ses remords autrement. Ses insultes gratuites, ses réprimandes sèches et ses coups d’œil méprisants n’étaient qu’une variante du véritable déchirement s’opérant au fond des entrailles et de son inaptitude chronique à ne pas être capable de démêler le fil confus de ses erreurs. Un comportement toxique hérité du père et des autres avant lui – l’affection était une tare, une marque de faiblesse. On la tolérait pour les mioches. Passé le mètre vingt, c’était fini. Les deux coups de klaxon caractéristiques de Kitty le ramenèrent à la réalité, et il jeta son sac à dos sur une épaule, disparaissant sans demander son reste, Sadie à ses trousses. Il souleva son vélo, le cala dans la remorque de sa sœur tandis que la chienne grimpait gaiement à l’arrière du pick-up. « Guess who I had to pick up at the police station this morning, sa ceinture de sécurité glissa de son enrouleur dans un chuintement caractéristique. – You gotta be kidding me, marmonna Kitty. What did he do? » Sid haussa une épaule, répéta les exploits de leur cadet pendant que la conductrice bâclait sa marche arrière, y allant à l’aveugle. « I’ll talk to him. (À sa droite, un ricanement jaune qui n’en était pas vraiment un lui fit froncer le nez.) At least I’m trying.How long have you been trying? Ten, fifteen years?We’re not having this conversation. » Elle alluma la radio et laissa les informations du jour remplir le silence.

– 2001, west savannah
Il avait dormi avec Scarlett à plat vendre sur l'estomac, la main calée sur son body rose pâle. D’ordinaire, il évitait de la prendre avec lui la nuit – apparemment, il fallait que le bébé s’habitue à la solitude de son lit mais, à la veille de son départ, il avait eu envie de profiter de quelques instants privilégiés avec elle, s’imprégnant de cette odeur typique des nourrissons. Elle ne pleurait plus, enchaînait quatre à cinq heures de sommeil sans réveiller le reste de la maisonnée, et il frottait doucement le dos de la gamine, un ours en peluche calé contre la hanche. Jusqu’à présent, Scar avait été sa seule raison de ne pas prendre la voiture et disparaître du jour au lendemain – elle l’ancrait dans un quotidien tissé de responsabilités qu’il était trop jeune à endosser, exigeait une maturité qu’il n’était pas sûr d’avoir, et la perspective de la laisser lui fendait le poitrail. Il avait tout préparé. Les Donovan la récupéreraient, et il filerait au centre-ville où le car emmenant les jeunes recrues de l’armée l’éloignerait enfin de cette vie médiocre. Jax avait insisté des semaines, on devrait le faire, moi j’y vais, signe, tu verras – un recruteur l’avait entendu rechigner près d’un stand et s’était empressé de lui dire, tu sais fiston, j’ai cinq mouflets, ça m’empêche pas de défendre mon pays. Il lui avait déroulé une liste impressionnante d’avantages dont sa môme bénéficierait un jour, et lui aussi d’ailleurs, même sa famille s’il jouait bien ses cartes. Le respect, la reconnaissance, le sens du devoir, l’idée d’avoir participé à quelque chose qui le dépassait, qui l’inscrirait peut-être dans la mémoire collective (à ses yeux, on parlait d’un cercueil recouvert de la bannière étoilée et d’une parade triste dans l’artère principale de Savannah). Il avait réfléchi deux bonnes semaines, pesant le pour et le contre, et sa décision ne tenait qu’aux babillages incompréhensibles de sa fille, aux sourires qu’elle lui arrachait en posant brutalement son biberon sur la tablette de sa chaise haute, à la vision de Quinn se planquant derrière un torchon pour l’amuser, à Nickie affirmant qu’il fallait lui percer les oreilles, à Kitty jouant aux petites mamans de substitution. Était-il prêt à sacrifier sa jeunesse et les années formatrices de Scarlett au nom de la patrie ? Il se souvenait de l’écroulement de la deuxième tour, de leur état d’hébétude devant la télévision, les tripes tordues, impuissants. Même Callum s’était tu, ce jour-là. La terre avait tremblé sous leurs pieds, le battage médiatique avait inspiré des diatribes terribles, et chez eux, on s’était dépêché de nettoyer le fusil, on dormait avec son flingue sous l’oreiller, comme si les terroristes débarqueraient dans ce trou paumé. Il ignorait encore à l’époque que ce serait lui, finalement, qui atterrirait au millieu de nulle part, à fouiller des maisons pas plus grandes que sa piaule pour en extraire des insurgés. Il n’avait aucune foutue idée du merdier qui l’attendait, de l’horreur qu’il affronterait froidement et qu’il ramènerait ici, à l’instar d’un étron de chien collé à la semelle. À cette époque, il allait fêter ses dix-neuf ans. On est con, à dix-neuf ans. Surtout lui, dont l’évolution ne se mesurait qu’aux centimètres que prenaient sa gamine et au fric dépensé en couches. C’était cher ; heureusement que Kitty avait hérité du talent de Jean en matière de coupons et lui obtenait cinq paquets de Pampers pour le prix d’un. Il approuvait aveuglément les discours aberrants de son entourage, tapait du poing sur la table aussi, ouais, ils ont déconné, on va pas se laisser faire, et il eut l’impression qu’au milieu de tout ce vide, de ce rien qui dicterait sa vie, l’occasion de prouver son existence, sa valeur, s’était présentée. Là, sous son nez.
C’était le problème des Farrow, outre la connerie : le surplace. Des générations entières poussaient dans les environs sans en dégager, se contentant de la vie qu’on leur offrait ici, des salaires de merde, des jobs sans avenir, sans comprendre qu’ils avaient beau gueuler contre le système (système dont ils n’avaient pas fini de débusquer les failles), ils occupaient la place qu’ils étaient supposés occuper dans la société. Ni enviable, ni convoitée, ils côtoyaient à leur insu la lie de l’humanité, les troufions se croyant ambitieux alors qu’ils avaient seulement ramassé cent balles de plus que d’habitude. Sid n’avait pas cru à l’appel divin, il avait simplement entraperçu sa porte de sortie – la lumière au bout du tunnel, tout le tremblement. Souvent, il l’avait regretté. Exilé sur une base oubliée, à se demander s’il rentrerait un jour, obsédé par les chants coraniques qu’on entendait au loin, il s’entraînait ou lisait, en attendant que le temps passe. C’était ça, l’armée : on s’emmerdait profondément. Il avait perdu aux cartes contre Cohen, avait écouté McLean palabrer sur le sens de la vie et de la mort, et une fois, en marchant près des panneaux muraux anti-explosion, il avait repéré cet insecte immonde, énorme. Pas la moindre idée de ce que c’était. Il avait sorti son téléphone à clapet, l’avait braqué sur la bestiole et s’était dit, c’est pour Quinn. Plus tard, il envoya un mail avec la photo, et Quinn n’avait pas répondu. Ni à celui-là, ni aux autres.

– mer. 29 juillet, port wentworth junction
« I just need a few things, won’t be long. » Quand Trent disait qu’il ne serait pas long, elle se préparait déjà à passer une soirée improvisée chez l’un de ses potes et à mourir d’ennui devant une galerie pathétique de trentenaires défoncés à même le sol. Scarlett sortit du tacot, étira ses gambettes bronzées et se demanda s’il ne valait pas mieux qu’elle reste assise là, sur le siège passager. Trent avait passé le trajet à casser du sucre sur le dos de ce River. Ils écoutaient du rap de merde, les vitres baissées, et Scar l’écoutait déblatérer d’une oreille seulement, de plus en plus agacée mais n’en montrant rien, consciente que Trent lui offrait malgré tout un filet de sécurité bienvenu dans le chaos de son existence. Elle avait claqué la porte du joli petit pavillon de ses parents quelques mois auparavant, persuadée que sa grande épopée démarrait là, dans la vieille bagnole de Trent.
Franchement, elle s’était mis le doigt dans l’œil, mais plutôt crever qu’admettre sa défaite. Elle puait la fritaille en permanence depuis qu’elle avait décroché ce boulot à Burger King, n’en pouvait plus des crampes aux zygomatiques à force de débiter des « hi, what can I get you » faussement charmants aux clients les plus infâmes. Son manager était une ordure, ses collègues des tocards. Elle avait encore récupéré deux numéros et des clins d’œil lubriques la veille. « You comin’? » Un soupir las lui tomba des lèvres. De toute façon, ce ne serait pas mieux ici. Elle passa une main derrière ses cuisses moites, dégoûtée de transpirer autant sous ce soleil de plomb, et suivit son copain à l’intérieur, où l’air était si compact qu’elle eut l’impression de recevoir une brique brûlante dans la figure ou de s’enfoncer dans une motte de beurre tiédasse. « Quinn, where’s the beer? » L’échine brisée, le fameux River inspectait consciencieusement l’intérieur d’un réfrigérateur, et une voix répondit qu’elles étaient encore dans la glacière, flemme de transbahuter le bordel. Soudainement aux aguets, Scarlett se tordit le cou afin d’attraper l’ombre fugace d’une silhouette lézardant de l’autre côté, à l’extérieur, et devina le profil du frère Farrow. Elle les connaissait tous désormais. Kitty, Quinn, Nickie. Elle avait aperçu la première au Walmart où elle bossait, en train d’aider une caissière en difficulté, et les deux autres à une fête, la semaine de son anniversaire. Elle les avait épiés avec curiosité, épinglant ces visages d’une paire de billes perçantes. C’était étrange de croiser ces gens avec qui elle partageait autant sans les connaître – sans qu’ils aient la moindre idée de qui elle était également. Sa mère avait eu cette grimace méprisante lorsqu’elle avait amené le sujet, presque dégoûtée de reconnaître son lien avec la navrante populace de West Savannah.
« Do you have a lighter? Mine’s not working. » Quinn Farrow avait vraisemblablement une trentaine d’années et pourtant, il avait la dégaine d’un adolescent vieillissant. Le cheveu fou, la mâchoire ciselée, l’air absent, il était la copie carbone du rebelle notoire hantant les couloirs du lycée au ralenti, James Dean des temps modernes – Scar regardait beaucoup de films quand elle ne bossait pas, surtout les idioties produites par Hallmark, Lifetime, le genre à éteindre son cerveau, et parfois des trucs mieux. Elle avait adoré Taxi Driver, et elle lui trouvait un air de Travis Bickle, ou du conducteur taiseux de Drive. « I’m Scarlett by the way. » Elle osa un sourire, ou du moins était-ce l’idée de la contorsion qu’esquissa sa bouche brillante, alors qu’elle collait sa main en visière par-dessus ses yeux plissés. « Trent told me you guys went to high school together, » elle ne savait pas si elle essayait de démarrer une conversation, concentrée sur un objectif aussi simple qu’il lui glissait des mains : Sidney. Elle avait cogité des semaines durant, et devant l’une des clés de sa quête, elle se paraît de ses airs de bimbo écervelée afin de retrouver un semblant de contenance. « You’re Quinn Farrow, right? » Elle jacassait pas mal, Scarlett. Parmi ses talents, outre ceux d’une superficialité à pleurer qu’elle avait cultivés pendant quinze ans sur la scène de pageants déshumanisants, elle maniait l’art de causer comme personne, et si son interlocuteur ne lui donnait pas matière à répondre, elle embraillait sans se débiner. « Yo Scar, let’s go! » Tentant le tout pour le tout, elle écrasa son mégot, « hey, huh, can I ask you something? Is your brother around? Like, in town? » Elle attendait simplement cette confirmation, et peut-être serait-elle rassurée, peut-être s’en irait-elle écumer les rues de Savannah dans l’espoir inquiet de le croiser, peut-être ne ferait-elle rien de l’information qu’on lui donnerait – peut-être.
Avant de partir, elle jeta une œillade par-dessus son épaule, croisant malgré elle le regard éteint de Quinn.

– ven. 31 juillet, west savannah
« Sid’s never been good with, like, feelings, him yelling at you has nothing to do with anger, » Kitty posa le dernier cabas de courses sur la table de la cuisine. La voiture de Jean croupissait dans l’allée depuis une bonne semaine, lui octroyant l’excuse discutable d’envoyer ses rejetons disponibles à Target – autrement dit, Kitty. Sidney ne conduisait pas, Nickie avait « la flemme » et Quinn… Quinn se perdrait ou oublierait la moitié de ce qu’il était supposé ramener. Ça ne la dérangeait pas vraiment, ou pas autant que cette tâche le devrait. En guise de monnaie d’échange, sa mère gardait les mômes ou rapiéçait leurs vêtements. Un deal faiblard dont elles se satisfaisaient. Elle n’avait pas demandé à son frère ce qu’il fichait à la maison et ne cherchait pas non plus à comprendre la raison de ses passages épisodiques. « He was upset, alright? And he’s right, you ain’t a kid anymore. It was funny to pick your sorry ass up at the police station ten years ago, now it’s getting old. » Tenant lieu de médiatrice entre ses frères, elle essayait d’arrondir les angles même s’il était clair qu’elle jouait dans l’équipe de Sid. « I ain’t taking sides. (Tu parles.) I’m just saying that maybe you could try harder. » Ça l’emmerdait aussi, au fond, de marcher sur des œufs, de déployer des efforts vains et de récolter des miettes de confessions qui n’en étaient pas. Sid la faisait chier. Comme si on l’avait forcé à partir, à se déglinguer la santé là-bas, à boire, à taxer de la meth à Donnie ou à traîner sa souffrance partout où il allait. Comme s’il portait toute la misère du monde sur ses épaules. Il irradiait de mauvaises ondes, et elle était convaincue que Tchernobyl était moins toxique que sa présence. « He needs to know you still have his back. » Les billes de Jesse sautaient de sa mère à son oncle et, avec une naïveté propre aux enfants, il intervint, « Sid told me he liked you. » Kitty lui coula un regard affectueux. « Go outside baby. » Le gamin haussa les épaules, embarqua une bande-dessinée et un morceau de réglisse (« juste un ») avant de disparaître. « I know how he can be, and sometimes it fucking sucks but that doesn’t change the fact that he always looked after us, and we took that for granted. » C’est pas grave, Sid est là – elle en avait été coupable, au mépris de sa légendaire débrouillardise, car à une époque, elle aimait se reposer sur l’idée que son aîné volerait à sa rescousse ou éprouvait un abject soulagement si la main de Callum le frappait lui et pas elle. Ailleurs, elle observa une pause avant de croiser les orbes sombres de Quinn, « we need to stick together, » et peu importe le sens de cette maxime inspirée, peut-être y croyait-elle encore, à leur unité sacrifiée. Kitty était douée avec les mots, tournait joliment ses phrases, expliquait tout à la place des autres, traduisait les silences piqués de Sid, les blagues stupides de Nickie et les marmonnements amphigouriques de Quinn, les exclamations décousues de son fils, jusqu’aux grognements pincés d’Ace – elle était perspicace, alerte, mais foutrement fatiguée de passer des uns aux autres comme une maudite boule de flipper.

– 2017, coastal state prison
« Knock knock, » la joue écrasée contre un poing fermé, il fronça les sourcils, perturbé par la main qui avait toqué sur le bureau où il glandait depuis presque deux heures, à enregistrer les emprunts. Ses billes rencontrèrent alors un regard familier, moqueur – Callum lui décocha un demi-sourire qui n’avait rien de sympathique. D’amères retrouvailles en cabane. Son étonnement ne dura qu’une fraction de secondes (Kitty l’avait informé de la décision du juge la semaine passée), et il ferma lentement le bouquin. Il avait entamé Dune le mois dernier, pris au dépourvu par cet univers trop dense, se référant constamment à un minable post-it tenant lieu de marque-page où il griffonnait qui était qui, qui faisait quoi, un imbroglio de pattes de mouche illisible. Autour d’eux, des grappes de détenus se plongeaient dans des lectures absconses, souvent des manuels de droit dans l’espoir d’influencer leurs avocats ou de trouver une faille dans leur dossier. D’autres préparaient l’après, se montaient le bourrichon avec des histoires de formations, vaguement conseillés par l’unique véritable salarié du coin, le « civil », un type sympa, ancien prof d’anglais, reconverti dans la bibliothèque depuis cinq ans seulement. Il lui avait confié que les avantages étaient plus intéressants ici, mais ses têtes de con d’élèves lui manquaient parfois. Silencieux, Sid serra la dextre tendue du paternel, « hey.Boy you sure look happy. » No shit. Callum observa les environs – des étagères bien remplies, des tables défraîchies, des dos ronds, des épaules voutées, un silence troublé par la rumeur basse de chuchotements sombres, avant de hocher la tête. « That’s nice, » il marmonna. « Got yourself a nice job for someone who barely knows how to read. » C’était une blague, bien sûr que c’était une blague, comme si son père n’avait pas passé des années à se moquer de la dyslexie légère de son fils aîné, doutant même du diagnostic posé par une instit consciencieuse, touchée par les difficultés du môme. Face à elle, Jean et Callum avaient échangé un regard entendu avant d’affirmer haut et fort que leur gosse n’avait pas besoin d’aide, qu’il était un peu con, ça passera avec du travail. Elle avait tenté de leur expliquer que la pathologie n’était pas un synonyme d’échec, encore moins de stupidité, mais la vie était ainsi faite, avait conclu sa mère. Ses parents n’espéraient pas le voir partir à l’université un jour, de toute façon – qu’est-ce que ça pouvait foutre qu’il ait du mal à suivre. Il est bon en calcul, ça suffira. « We can talk at lunch.Yeah. I’ll introduce you to a couple of old friends. »

– lundi 10 août / savannah police department
« Are you fucking kidding me? » Le capitaine n’était pas plus enchanté que lui mais plutôt que s’embarquer dans des explications qui leur feraient seulement perdre du temps, il haussa les épaules, un dossier sous le bras. C’est comme ça Burgess. On lui refilait un binôme pour une affaire de coups et blessures. Douze ans de carrière, et on l’obligeait à collaborer avec un chien galeux, un type intelligent, lâcha malgré tout le capitaine, franchement bon. Qu’en avait-il à foutre. Quelque chose Carnahan. Un grand mec dont la carrure à elle seule découragerait des velléités de pugilat – et un lycan. À son bureau, il dispersa quelques feuilles volantes, attrapa un stylo, relut la déposition de l’une des victimes en regrettant s’être embarqué dans l’histoire. Dès que les Farrow étaient impliqués, ça relevait du conflit d’intérêts – ce clan était un cancer qui s’était métastasé au point où toute rémission était impossible, quand bien même il avait essayé de se retrancher derrière le barrage fragile de la réussite. Callum lui donnait du « son », Sidney était un frère, Quinn une petite merde qu’il surveillait du coin de l’œil, Kitty une amie – et Nickie. Son café était froid. Il décrocha le téléphone, composa le numéro que Sid lui avait filé, et à peine entendit-il les premières notes de la tonalité qu’une voix grave décrocha. « Hi, Alec Musgrave? » Au bout du combiné, il entendit un « yes » circonspect, comme si le gars avait été interrompu dans sa besogne. « Detective Jax Burgess, d’you have a moment? (Une hesitation.) – Yeah, sure.Won’t be long, I’m just checking someone’s alibi. Do you know Sidney Farrow?Yeah.On the night of the sixth of August, he said he was with you.He was, yeah.Okay, il cocha une case d’un coup rapide. Did he stay all night?Yep. (Une pause.) Is he in trouble?Thanks to you, not anymore, il ne marqua pas la fin de la phrase, si bien qu’ils demeurèrent silencieux une seconde. Alright. Have a good day. » Par curiosité, il avait fouillé la base de données sans trouver la trace d’un Musgrave. Sur ce coup, Sid avait salement déconné – de tous les types avec qui il aurait pu fricoter, il avait jeté son dévolu sur un loup-garou. Quel con.
Et maintenant, il lui fallait aller à la rencontre de Callum. Ils partirent à deux voitures, embarquèrent un officier dans la foulée et se garèrent à proximité de Guns’R’Us. « Seriously? » Carnahan s’impatientait, la main sur le rebord de la portière et la promesse d’une arrestation luisant au fond de ses billes sombres. Jax prenait son temps, il avait allumé une clope, la dernière de son paquet défoncé de Winston, et exhala la fumée comme un condamné à mort profiterait de sa dernière bouffée, des lunettes noires de connard sur le pif. « Didn’t get my smoke break. » Le cabot de la BCC commençait à lui chier dans les bottes avec son protocole à la con. (Certes – il y avait des règles dans leur métier, mais au bout de quinze ans de carrière – exemplaire qui plus est –, Jax s’en battait allégrement les steaks.) Ses airs je-m’en-foutistes de flic rodé dissimulaient sa trouille : dès lors que l’insigne se mêlait à un échange avec Callum, il avait l’impression d’être un bleuet tout juste expulsé de l’académie. « Alright, let me do the talking. » Pas un chat dans la boutique. Une odeur de fer et de renfermé saturait l’air, et lorsque Farrow père déboula de la réserve, le vague sourire qu’il lui adressa s’évanouit aussitôt. Son cadet ne tarda pas à apparaître à son tour. « Listen Cal, il trébuchait sur ses mots, I’m sorry, one of the guys gave a testimony. Gotta bring you in for questioning, » puis il pivota vers Quinn, son minuscule bloc-notes entre les mains, « you too. » Farrow père exsudait une telle aura que c’en était terrifiant, pourtant, il semblait serein, « I get it. » Ce calme olympien puait, et il devinait là un plan échafaudé à la va-vite, de quoi lui octroyer du temps et – malheureusement – éviter une arrestation en bonne et due forme. Il avait tenté de l’expliquer à Carnahan, au commissariat. That guy, he’s smart, you have no idea. « What about Sid?He has an alibi, il observa une pause prudente. Let’s just go down to the station, get this over with. » Il n’opposa aucune résistance, obtempéra avec l’assurance d’un innocent, jusqu’à lui glisser un demi-sourire furtif. Carnahan fit signe à Quinn de le suivre, tandis que Callum grimpait à l’arrière de sa bagnole. Dans le rétroviseur, la main sur le contact, Jax croisa le regard de celui qu’il avait longtemps considéré comme un père de substitution.  « Your sons ain’t no scapegoats, I won’t pin a crime on ‘em to save your ass.Mh. »

La petite salle où poireautaient les suspects n’avait pas grand-chose à voir avec les décors de série. Une table couverte de taches de café, une chaise dépareillée, une vitre qui mériterait un sacré coup de chiffon. C’était exigu, mal isolé : en hiver, on y entrait avec l’écharpe remontée jusqu’au nez, en été, ça virait au sauna. Il avait appelé Quinn en premier – ce serait vite torché, à en croire les hypothèses de Sid. « Okay man, won’t keep you long. » Il s’adossa contre un mur, sa cigarette électronique dans la main. « I know you probably didn’t do anything but I heard you were involved in some argument, ‘couple of months ago. » L’unique deposition de l’affaire était posée en évidence sur la table, « I just need to know where you were on August 6th. If someone was with you, we’ll check afterwards, and you shouldn't have any problems. » Puis, parce qu’il se crut responsable du sort de ce môme en l’absence de ses aînés, il jeta une œillade vers la porte fermée. « You gotta be careful. Callum doesn’t want to go back to jail, he might put your ass on the line just ‘cause he can. »

Sidney patientait dehors, une clope à la main, flanqué de Nickie. Elle lui avait taxé la moitié de son paquet depuis le texto de Jax et n’arrêtait pas de poser des questions auxquelles il n’avait pas la réponse. « That’s bullshit, it’s like a Law and Order Special Crawlers episode, what the fuck.I don’t watch Law and Order. Elle le fusilla d’une paire de billes furibondes, par-dessus ses lunettes de soleil fantaisistes. – You think Callum is in trouble? » Encore une fois, il abusa de son droit au silence, se contentant d’un haussement d’épaules las. Il n’en avait pas la moindre idée, au fond. Alec était persuadé que Duggan ne parlerait pas, que plus vite on oublierait le dossier, mieux ce serait. « I don’t like this. » Afin de tromper l’ennui, ils échangeaient leur place, enchaînaient les cigarettes, surveillaient les double-portes s’ouvrir et se refermer à chaque passage, les poulets en pause dehors. Du bout de sa pompe, il rassemblait un tas de cailloux et de gravier, la nuque rouge, concentré sur le tapotement incessant des ongles de Nickie sur son écran tactile. Tac-tac-tac. Une rapidité de secrétaire chevronnée. « There he is! Quinn! » Et dire qu’ils le récupéraient simplement d’un interrogatoire rapide. « What did they say?Let’s go, » les deux phrases se fondirent l’une dans l’autre. En tête de cortège, Sid attendit de se retrouver dans l’habitacle brûlant du tacot de la frangine, en plein soleil, pour braquer un regard sévère sur son frère. « You okay? »
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