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 devil's backbone (money#2)

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Sidney Farrow
Sidney Farrow
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you can run on for a long time
sooner or later god'll cut you down

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flesh and bones
MessageSujet: devil's backbone (money#2)   devil's backbone (money#2) EmptyLun 28 Déc - 0:02

– mardi 9 juin 2020, chatham city
À chaque fois qu’il traîne avec ses potes, il songe aux autres, éparpillés aux quatre coins de ce trop vaste territoire qu’une vie entière ne parviendrait pas à parcourir entièrement. Charlie et sa dégaine de Texas Ranger, un fils de riches gorgé d’idéaux glorieux, le seul parmi eux qui avait un avenir tout tracé, mais un chic type, tellement privilégié que sa naïveté effarante en devenait rafraîchissante. Jamal, débarqué de Lafayette, des expressions cajuns en veux-tu en voilà, « lâchez pas la patate » il lançait souvent, avec un drôle d’accent pas vraiment français, hérité des ancêtres établis dans les marécages du sud – capable de s’endormir partout, au milieu des bombes si nécessaire. Luke, natif du Colorado, dont la voix aurait pu être la dernière qu’il ait entendue, à bafouiller de la merde le raccrochant au monde des vivants, pour finalement porter son cercueil dans une bourgade enneigée deux ans plus tard. Michael qui, après avoir appris que sa femme le quittait un soir d’août, avait bousillé un ordinateur, puis s’était mis à chialer comme une gonzesse, parce que putain, elle l’avait quitté pour un comptable, le comptable Farrow, tu te rends compte, le putain de comptable, c’est quoi ce film de merde. Roy crevant la dalle à toute heure du jour et de la nuit, la blague au bord des lèvres face à la tempête de merde qui ne tarderait pas à s’abattre sur eux, une bonne âme, à tel point que ça avait été injuste d’appuyer sur son estomac lacéré, à retenir tant bien que mal les intestins s’échappant d’une plaie suintante, à lui promettre que ça ira alors qu’il y voyait mieux à l’intérieur qu’une entéroscopie. Des frères pour qui il aurait donné sa vie et qui lui auraient rendu la pareille sans la moindre hésitation. Personne ne comprendrait ce lien, et peut-être ne se parlaient-ils plus autant, peut-être devraient-ils s’appeler davantage, mais ils savaient qu’ils se retrouveraient, ici ou ailleurs, partageraient une bière comme s’ils s’étaient quittés la veille, trinqueraient au nom des camarades disparus, se remémoreraient les conneries de Graves, l’affaire du cirage à Kaboul, l’explosion de la casserole de Morterero à cause d’une panne de courant, la précision inégalée des tirs de Farrow plus murgé qu’un goret, les plaisanteries douteuses au cours de marches fatigantes sous un soleil de plomb, la fois où ils crurent que Cohen se foutait de leur gueule avec sa copine, Miss Oklahoma, première dauphine de Miss America.
Il n’est pas à sa place ici.
Il observe Terry tirer sur des canettes alignées un peu plus loin, à une distance si raisonnable que son neveu de huit ans réussirait à les atteindre, les fesses posées sur une chaise de jardin dont le plastique blanc avait morflé. Rassemblée autour d’une table de ping-pong sur laquelle traînaient pêle-mêle cendriers, clopes, verres, bouteilles et paquets de chips éventrés, l’éternelle clique de minables de West Savannah tentait de mettre les choses à plat – Jax jouait les médiateurs entre Terry et Sid, Chuck n’avait pas encore décidé quel parti défendre, Boone tétait le goulot de sa flasque de Jack Daniels et Donnie baladait la flamme de son briquet sous le foyer noirci d’une pipe à meth. Belle brochette de bras cassés et destins brisés – une brunette passait de l’intérieur aux genoux de Terry, qui ne se gênait pas pour coller une claque bruyante sur son cul. Comme s’il tâtait la marchandise. Deux copines du même âge (petite vingtaine moins nigaude qu’on l’imagine) gloussaient devant la télé. « We were drunk, argumente Jax, we said things that…Man y’all gonna defend him again anyway.Okay but you went off on him. » Sid ne la ramène pas. Il se balance sur les deux pieds arrière de la chaise, toutes ses pensées convergeant vers Alec – ça fait des semaines qu’il vit confortablement sous son crâne celui-là. Trois mois ou presque qu’il plante sa bande pour des verres avec un putain de loup-garou qui l’obsède au point d’entendre son cœur battre furieusement contre ses temps lorsqu’il apparaissait dans son champ de vision, raflant toute son attention et son bon sens. Qu’est-ce qu’il se sent con. « Farrow I ain’t your lawyer, say something.I’m sorry you’re a jackass. » Terry se lève d’un bond, son cou de buffle parcouru de veines saillantes, « as an officer of the law, » commence posément Jax, « I can arrest you.Suck my dick Burgess, that son of a bitch is getting on my nerves. You’re the one getting worked up for nothing, Sid a le ton placide du mec qui s’en carre, the thing is, I fought in the war, you didn’t, end of discussion.He has a point, » Chuck enfonce un mégot dans une Coors vide, et malgré un reniflement menaçant, le mécano retombe lourdement sur son cul flasque, les bras croisés sur le torse, à ruminer en silence. Ils ont dix-sept ans, se chamaillent bêtement un lendemain de soirée arrosée, les figures transformées en peintures abstraites, « je suce des bites » en majuscules sur le front de Jax, « entrez c’est ouvert » entre les reins de Chuck, « puceau » avec une faute d’orthographe en travers de la joue de Sid – plusieurs fois ils s’étaient réveillés avec des fragments de souvenirs à reconstituer, et Farrow, il se rappelle clairement avoir émergé le premier, une fois. Senior year, Donnie leur avait filé de la coke, et ils s’étaient crus invincibles alors que les premiers rails leur avaient filé une migraine pas possible. Il avait saigné du nez à cause d’une ligne trop épaisse. De la bave parfumée à la bière et au whiskey avait imprimé une auréole humide sur l’accoudoir du canapé – ah, il comprenait pourquoi son cou lui faisait un mal de chien. Il avait traversé le séjour de Chuck, enjambé deux ou trois corps comateux, à la recherche d’un verre d’eau – ça lui donnerait probablement envie de gerber mais il était prêt à courir le risque. Dans la cuisine, il avait glissé sa tête sous un filet d’eau calcaire, s’abreuvant à la manière d’un clébard déshydraté, une main en coupelle sous son menton. Il s’était nettoyé le visage, et il l’avait vue en fermant le robinet. Juste là, étendue par terre dans une position outrancière – une nana de junior ou de sophomore sur qui Terry avait flashé.
Il se gratte l’intérieur du coude. C’est malsain de s’accrocher aussi désespérément à des amitiés forcées par des circonstances purement pratiques : tout est parti d’un toboggan qu’ils se disputaient sur une aire de jeux. Leurs mères commentaient leurs horoscopes respectifs sur un banc. Ils étaient issus du même milieu, du même quartier, parlaient aux mêmes personnes, et ainsi est née une entente, dans le bac à sable. Chuck avait poussé Sid, Sid avait mordu Terry, Terry s’était jeté sur Jax, Jax avait fini dans une flaque d’eau. Trente-cinq ans après, ils se causent sans compassion, et chaque insulte balancée à la gueule du voisin brûle d’une sincérité navrante – oui Chuck avait une vie planplan que personne ne lui enviait, et oui Terry était un sale pervers qui se dégarnissait, et oui Jax se donnait des airs importants quand il n’était qu’un flic parmi tant d’autres, et oui Sid avait littéralement une case en moins à voir comment il réagissait s’il entendait un moteur pétarder trop près de lui. Farrow se fend d’un prétexte bancal pour quitter cette assemblée déprimante. « Want a ride ?I’m fine. »

– west savannah
Le truc, c’est qu’une voiture protège mieux que son pauvre vélo de merde.
Surtout quand il a une playlist Spotify en shuffle dans les oreilles, martelant tour à tour country et vieux tubes rock. Sid ne respecte pas le code de la route, contrairement à ce que sa condamnation en prison laisserait supposer – il tend le bras pour indiquer qu’il tourne à droite ou à gauche, mais c’est déjà trop lui en demander. Il alterne entre le trottoir et la route, dépendant du nombre de voitures à doubler, slalome entre les véhicules, manque d’emporter une paire de rétroviseurs dans la foulée, pointe son majeur en direction des conducteurs qui, à raison, s’acharnent sur leur klaxon, en forcent plusieurs à piller inutilement. Un danger public amputé de son permis. Il aime conduire, Sid. Il a appris à Kitty et Quinn avant l’âge légal, en les hissant derrière le volant du pick-up familial, et plus d’une fois ils ont fini dans le décor sans déplorer autre chose qu’une douleur à la nuque et quelques sueurs froides. Il emprunte une ruelle qui, techniquement, le ramènera en tête de file et lorsque l’intersection recrache le cycliste fou, il met une longue – très longue – seconde à comprendre que ses fesses ont décollé de la selle.
Le temps s’étire de façon exponentielle alors que la collision dure moins d’une minute. Les piétons voient un corps rouler sur le capot d’une camionnette, se manger le pare-brise et retomber brutalement sur le côté dans une dernière cabriole ne prêtant pas à rire. Farrow, abruti d’adrénaline, peine à comprendre pourquoi il s’est éraflé les coudes, et pourquoi son vélo n’est plus entre ses jambes. Ni casque, ni protections, mais une tête dure – chancelant, il se hisse sur ses guiboles, chancèle, et constate avec un soulagement qu’il n’est pas sûr de réellement ressentir qu’il tient debout. En équilibre. La morsure brûlante du macadam a arraché un sacré morceau de chair de son avant-bras, mais dans un moment d’étourdissement, il ne calcule absolument pas la bonne femme qui lui tombe dessus, « are you alright? (Il cligne.) – I don't– » Quelqu’un demande s’il veut qu’on appelle 911. « No fucking way, » il ne s’adresse pas à l’homme et au portable qu’il vient de dégainer, trace une tranchée parmi le petit groupe de secouristes improvisés (ou de rapaces attirés par l’odeur d’un accident de la route, presque déçus de découvrir que la victime est consciente, capable d’aligner plusieurs pas sans assistance quelconque – quoiqu’hésitants –, et prêt à en découdre avec le responsable du heurt.)
Il fusille Maura fucking Pace du regard. « Are you fucking kidding me? » Le plat de sa main s’abat sur la carrosserie, « what the fuck Maura? What the actual fuck? » L’impact du choc lui a déglingué sa résistance à la douleur, pas la litanie d’insultes effrayant les badauds. C’était l’une de ces coïncidences étranges, un mauvais tour du destin ou un hasard digne des meet-cute de comédies romantiques Hallmark dont s’abreuvaient sa mère et sa sœur, à la différence près qu’il ne pleurnichait pas par terre, recroquevillé en position fœtale en attendant l’arrivée d’une ambulance mais était à deux doigts de passer ses nerfs à vif sur une pauvre petite blondinette aux grands yeux étonnés. Il avait survécu à l’explosion d’un véhicule piégé et ce n’est pas demain la veille qu’il crèvera sous les pneus de Maura Pace. Hors de lui, faisant fi des vertiges et d’un teint particulièrement livide, il se préoccupe moins de son vélo, échoué à deux mètres de là, une roue encore en mouvement, « I swear to fucking God, you could have killed me, what the fuck! Son poing s’abat une nouvelle fois sur le capot, qu’il n’a pas assez martelé semble-t-il. À croire que la colère saupoudrée d’adrénaline dégringolant dans ses veines à la vitesse d’une nuée ardente le prémunit d’une chute ridicule. Get the fuck out of here lady, » il lance à une femme, petite cinquantaine, qui l’a approché afin de s’assurer que ça allait (solidarité féminine : elle observe surtout Blondie, « do you know him, sweetheart ? »). « Ease up man, » un mec de son gabarit s’avance à son tour, « ain’t entirely her fault. » Il s’est relevé si vite que les signes annonciateurs d’un malaise ne lui sautent pas encore aux yeux – ni le voile grisâtre couvrant ses billes folles, ni les bouffées de chaleur désagréables, ni la brusque suée collant son t-shirt à l’échine. « Jesus fucking Christ, » il tangue sur ses jambes. « I know her, » et la bonne femme aux faux airs d’une Reba McEntire plus replète que sur les pochettes d’albums l’avise d’un air méfiant. Il se dit que celle-là doit vomir du « bless your heart » à longueur de journée. Il se dit aussi qu’il voit trouble, « damn it Maura, let’s go. » Oh, maintenant, on se la joue équipe de choc. Deuxième round. On titube, on vire cette assemblée de cons, on balance le vélo à l’arrière, on se carapate avant l’arrivée des flics parce qu’on a créé, en plus d’un esclandre, un sacré bouchon. Il lui cause comme un frangin revenu d’entre les morts, avec cette familiarité singulière, et peut-être trouverait-il un moyen de l’admonester sèchement, mais ce rôle ne lui appartient pas tout à fait. « What the fuck were you doing anyway, » il soupire.
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Maura Pace
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moonchild
MessageSujet: Re: devil's backbone (money#2)   devil's backbone (money#2) EmptyLun 22 Fév - 22:32

– samedi 23 mai / silver tooth, west savannah
C’est un miracle qu’ils ne se soient pas déjà croisés, et pas déjà écharpés.
« That’s right, stay away you dumb fuck, » siffle Maura entre ses dents, les yeux rivés sur le troupeau de clébards bruyants à l’autre bout de la salle, et à côté d’elle Aaron hausse un sourcil mais préfère plonger le nez dans son verre plutôt que d’initier une question. La conversation autour d’eux est légère, raisonnable, loin de l’atmosphère de beuverie qu’on attribue systématiquement au Silver Tooth et à sa clientèle velue. Ils semblent être là pour la seule fraîcheur du bar climatisé, pour profiter d’un repos bien mérité après avoir passé la journée à empiler des cartons en vue du déménagement de Christopher et Silvia et après avoir cuit à l’unisson dans la chaleur tropicale de leurs voitures. Les derniers détails du lendemain sont en train de se concrétiser autour de pichets de bière lorsqu’une équipe de foot au complet paraît débarquer avec ses joueurs couverts d’ecchymoses et leurs fidèles supportrices surexcitées. Au milieu, Simon, l’arcade sourcilière croutée de sang attestant d’une victoire récente à West End ou d’un simple match amical ayant dégénéré – elle n’a pas envie de savoir. Même Silvia qui minaude sur les genoux de Christopher prend la peine de se retourner et sa main reste penchée dans le vide pendant qu’elle dévisage leurs contours tuméfiés. Elle laisse tomber la cendre de sa cigarette dans le verre d’Aaron qui s’emporte immédiatement, se lève, for fuck’s sake watch what you’re doing, juste une excuse pour évacuer la tension qui semble s’être abattue sur ses épaules depuis le début de soirée, et depuis l’absence inexpliquée de sa copine à qui il a l’habitude de se coller comme une sangsue. Ils espéraient qu’en le laissant mijoter dans son humeur de merde il réussirait à se détendre et, effectivement, il se détend à sa manière, enquillant les verres comme s’il revenait d’une traversée du désert, s’attirant les coups d’œil blasés de Maura. Ils sont tous crevés mais restent raisonnables, déjà prêts à faire le trajet jusqu’à Georgetown le lendemain pour finaliser ce maudit déménagement, tous sauf Aaron, qui en retour les remercie de leur bénévolat en se rinçant la gueule. Ou en célébrant silencieusement une cause qui lui est propre, allez savoir. Le fait qu’un lycan et une humaine s’installent ensemble, en 2020, sans que toute la communauté de Savannah les porte au bûcher ? Peu probable. Les colocataires ne disent rien, habitués à sa sensibilité à fleur de peau. Même Maura la met en veilleuse, pour une raison largement moins noble : sa gueule de bois post-anniversaire commence seulement à mettre les voiles trois jours après les faits et elle est à deux doigts de recracher sa bière. Elle ne sait plus comment elle a atterri dans un Uber en direction de la baraque cossue de Tim ce soir-là mais se souvient de l’accueil glacial qu’elle a reçu, encore un fragment incompréhensible échoué au milieu de cette relation décousue, encore un écart depuis le malheureux accident de la salle de bain et l’introduction de Sidney Farrow dans la vie proprette du prof d’anglais, une rencontre accidentelle et malvenue entre deux sphères qui se tenaient jusque-là à bonne distance l’une de l’autre, sans compter Morales, sans compter la fille appelée à la rescousse – et la réalisation amère après son départ qu’elle aurait été incapable de déterminer qui appeler en premier, à sa place.

« I’m surprised you didn’t invite your friend. » Au coude à coude au bar, Simon ne se fend même pas d’un regard dans sa direction et se contente d’un sourire en coin qui lui donne immédiatement envie de l’insulter sans préambule. Ce qu’elle fait. « Go fuck yourself. » Sidney Farrow is not my friend, est sans doute ce qu’elle devrait ajouter pour apaiser la situation, si la paix était envisageable et que Simon n’était pas le dernier des cons. Puis elle remarque la tâche jaunâtre qui encercle son œil gauche : un bleu en fin de guérison. « You’re still healing from last month? That’s so cute, » lance-t-elle avec un sarcasme minable qu’il a le bon sens d’ignorer, à moins que ce ne soit sa défaite humiliante le mois précédent qui l’obsède encore au point de snober toute tentative de diversion. « I heard he almost got his ass kicked again today. » Le blanc de ses yeux est piqué de vaguelettes rouges comme pour prévenir ses interlocuteurs que le type est hors-service, que tout ce qui sortira de sa bouche sera à jeter immédiatement aux ordures, qu’il pourrait tout aussi bien s’adresser à un poteau, un chat ou une voiture, les mêmes déchets seraient recrachés. Et Maura se fait violence pour ne pas rentrer dans son jeu. Elle a soif, qu’est-ce qu’il raconte, où ça, pourquoi ? Mais surtout, est-ce qu’elle veut vraiment connaître les détails d’une telle rumeur ? « The Hanovers alright with the fact that you fuck around like that? West End, humans, one of them fucking Farrows? » Dans son esprit, un confus which one rebondit d’une paroi à une autre avant de dégringoler dans les tréfonds de son estomac. « None of your business, for one, and two- ah thanks (Elle attrape les deux pichets qu’on lui tend, les échange contre une paire de billets et un sourire crispé) – and two, let me say it again so you can get it through your thick skull. Go. Fuck. Yourself. »
Elle manque de renverser son précieux butin sur Aaron en se retournant, Aaron qui patientait derrière elle, les paupières tombantes, le poing serré autour d’un billet vert, attendant sa vodka avec un calme olympien ou, plus probablement, une ébriété déjà bien avancée. « What’s the-None of your business either. » Elle s’est déjà éloignée, le laissant planté au bar aux côtés de Simon.

Une fois suffisamment torché et revenu s’asseoir à leur table, Aaron lui attrape le coude et revient à la charge. « Simon told me an interesting story earlier.I bet he did. » Un putain de bac à sable, voilà à quoi ça ressemble. Des loups regroupés comme des poivrots dans leur troquet de quartier, entassés autour de tables en plastique qui leur collent aux avant-bras, suivant les rumeurs de leurs truffes comme ils pisteraient un lapin particulièrement alléchant. Fouille-merdes. « He was talking about that weird guy from last week? » Elle met trop de temps à percuter pour articuler une réponse cohérente et son cerveau pédale à faire le lien entre les ragots de Simon – un Farrow à West End – et un type bizarre rencontré la semaine précédente en compagnie d’Aaron – oh, Quinn, au Wylde, avec Dee qui vomissait ses tripes. Aaron a fusionné les deux frangins et elle ne voit aucune raison pour le corriger. « Why the fuck would you want to help a scumbag like that? For free? Ain’t the homeless shelter or whatever you used to work at…Do yourself a favor and shut up. You have no idea what you’re talking about. » Dans la lumière tamisée du bar, Maura pâlit tandis que le flipper relance une bille dans ses tripes. « Hey, Maura is now picking up the trash in West Savannah, did you know? » qu’il braille à la cantonade pendant que les autres interrompent leurs conversations. Quelqu’un balance what et un autre who pendant que Maura l’assassine du regard. Aaron, tout fier d’être à nouveau le centre de l’attention, tangue sur son chaise. « A Farrow.Stop it. –  What’s a Farrow? (Silvia, humaine, on la pardonne) – A Farrow is… a particularly vicious creature and, when provoked… commence Aaron, inspiré, mais Maura le coupe et se penche pour remplir les verres de tout le monde, masquant son agacement, la chaleur qui monte à ses joues ; toutes les braises sur lesquelles elle danse gaiement depuis des mois soudain incroyablement inconfortables. « It’s a family, Silvia, that’s it, just a family in the neighbourhood.A human family, if you don’t mind me correcting. With a very peaceful background, a few members in jail and oh- did I forget, a deep love for werewolves going back for centuries, ain’t that right Maura? » Callum, il parle de Callum Farrow. Il ne connait rien d’autre mais… putain. Le martèlement à ses tempes est abominable. Il est cuit, il fait chier. What the hell, Maura. – What did she do? – Apparently she brought one back from West End. – Why? – Wait, West End?! « And Simon also said that-Hey listen, it’s not-  – Yeah but Nickie’s rack, though… (Christopher, comme un cheveu sur la soupe) – What?! (Silvia, révoltée) – Where’s Nickie? demande un autre, à côté de la plaque, se dévissant le cou à la recherche d’une paire de nibards à mater. « She’s out of your league, trust me. » C’est la porte de sortie qu’elle cherchait, la déviation parfaite, de quoi renvoyer le sujet comme un poisson particulièrement chanceux dans les tréfonds de la rivière, ne plus y toucher, laisser le tout moisir dans un tiroir épinglé neutralité hypocrite et ne plus jamais évoquer le fait qu’elle était sur le point de défendre les Farrow au milieu d’un bar à loups. L’abrutie.


– mardi 9 juin / west savannah
La voix de pimbêche de Kacey lui crève encore les tympans avec son vocal fry infâme piqué aux émissions de téléréalité qui passent en boucle sur sa télé, même après leur premier stop à la sortie de Carver Heights – le coffre était mal fermé – et après leur crochet par le Dollar General de West Savannah pour reprendre des couches. Sur la banquette arrière, sagement arrimée dans son siège auto, la petite dernière de son frère Cole et de Kacey, Stella, babille joyeusement sur la country de Sheryl Crow pendant que Maura conduit comme un automate, assurant la liaison entre la mère et la grand-mère puisque ni l’une ni l’autre ne sont foutues de s’organiser correctement pour garder la gamine. D’un côté : « Yeah sorry she’s been sick, but I have to pick up Toby and, like, take him to a birthday party so, yeah I don’t really have time you know? » et de l’autre, Trish, toujours à la rue, à qui il faut répéter cinquante fois qu’on lui déposera Stella et qui ne répond plus aux textos depuis deux jours. Maura a emprunté le pick-up de sa mère, un Ranger dont la couche de crasse a au moins l’avantage de recouvrir l’horreur orange satiné de la carrosserie, et le best-of coincé dans l’autoradio commence sérieusement à lui faire regretter sa propre épave, la Buick déglinguée et coincée au garage depuis une semaine. Mais le ciel bleu s’étale à perte de vue, Stella gazouille comme un oiseau au printemps et tant que Sheryl s’époumone dans les haut-parleurs, le monde paraît presque léger, teinté de rose comme à travers ces lunettes immondes dont Trish aimait l’affubler quand elle était gamine – avant que la réalité prenne une nouvelle nuance, avant qu’elles ne s’installent au numéro 388 et que la rébellion commence. Même la file de voitures avançant à deux à l’heure paraît insignifiante. Il y a toujours les éternels imbéciles qui s’impatientent, les deux roues kamikazes qui slaloment au son des klaxons et les enfoirés sans casque qu’elle surveille dans le rétroviseur mais les pilules font encore effet, comme des ressorts pour surmonter la torpeur de la dernière pleine lune. Dans le miroir central Stella pétille de joie, agitant bras et jambes comme une apprentie ballerine trop enthousiaste, et il est difficile de croire qu’elle ait été malade aujourd’hui – Kacey a fumé, ou Kacey a peut-être confondu avec un bébé vu à la télé, comment savoir, sa belle-sœur vit sur une autre planète. Puis Stella pousse un cri strident et Maura réalise avec un train de retard qu’elle a réagi au choc qui a ébranlé la voiture. Un bruit mat sur le capot, une forme qui roule par-dessus. La collision l’a laissée, elle, absolument pétrifiée.

*

Trish faisait claquer ses ongles contre le plastique de la portière, à peine attentive à la route qu’éclairait seulement un phare solitaire. A côté d’elle, installée sur le siège conducteur rehaussé d’un coussin et si proche du volant qu’elle manquait de s’y cogner au moindre nid-de-poule, Maura tentait vainement de garder les yeux fixés sur la double ligne jaune. Son esprit s’éparpillait en permanence, virevoltait entre les panneaux de signalisation et les souvenirs de la veille, le retour au lycée pris dans un tourbillon nébuleux d’évènements insignifiants et le rythme abrutissant de l’école qu’il fallait retrouver après avoir passé les vacances de Noël à accumuler les conneries dans la joie et la bonne humeur (parfois, l’extase). La veille, Trent l’avait larguée au beau milieu du cours d’histoire, via un bout de papier déchiré d’une page de son cahier qui avait traversé trois rangées de pupitres pour arriver jusqu’à son regard lointain, déjà perdu au-dessus de la cour goudronnée, du gymnase, des quelques arbres décharnés qui survivaient au milieu du béton, ce à quoi elle avait répondu un simple « OK » après avoir réalisé qu’elle n’en avait plus rien à carrer. Elle n’avait même pas annoncé la nouvelle à Nickie, trop consciente de sa confusion et de sa tendance terrifiante à reproduire les schémas de sa mère… Sa morale chaotique… Putain si sa mère savait. Un stop. Elle avait grillé un stop. Un bref coup d’œil vers Trish lui confirma que sa mère n’avait rien remarqué. Maura anticipait par sa conduite imprudente le café et les dix clopes qu’allaient forcément partager Trish et Rhonda pendant que Luke et Cole se traîneraient dans leurs salopettes sales sur le porche, les doigts fourrés dans le nez ou piochant des croquettes dans le bol du chat de Rhonda dès que tout le monde aurait les yeux tournés, toujours la même rengaine alors qu’elle resterait adossée au véhicule, chevilles et bras croisés, suppliant Trish de bien vouloir ramener son cul dans la voiture et remercier sa copine pour avoir gardés ses mioches afin d’arriver avec un retard convenable chez Charleen, peut-être faire un détour avant, si jamais Quinn était dans les parages et-
Quelque chose de lourd effleura la voiture, faisant trembler la carcasse et dévier légèrement la trajectoire du pick-up avant de disparaître dans les fourrés. Par réflexe, parce que rien n’entravait sa route, Maura eut le réflexe absurde de continuer à rouler, la panique se glissant crescendo dans sa voix. « Oh shit shit shit shit- what was that? Mom? » Trish s’était retournée, plus comme si elle avait vu une promo intéressante sur un panneau publicitaire que par réelle frayeur. Les éclairages du quartier étaient mauvais et les rétroviseurs mal fixés tressautaient, ne dévoilant rien d’anormal. « Probably just a filthy animal or something.Should I stop? What do I do? Should we go back?We’re already late, what do you want to stop for?But it- it’s a full moon, it could be someone.So what, they should watch where they’re going, that’s all. » Trish poursuivit la mastication bruyante de son chewing-gum, augmenta le volume de la radio pour qu’Ashlee Simpson devienne la seule voix audible, puis voyant que Maura ne desserrait pas les doigts du volant, laissa échapper un soupir excédé. « If something’s broken they’ll fix it, I’ll see that with Kenny, he’s good at that, he always gives me discounts and shit. » Avant de farfouiller dans son sac à main et d’en ressortir deux cigarettes, dont une qu’elle tendit impatiemment à sa fille de seize ans.

*

Si elle avait été dans sa Buick, toute la carcasse aurait hurlé et les pièces sous le capot se seraient entrechoquées avant de se déverser sur le trottoir en une gerbe métallique. Mais les pneus sont flambant neufs sur le pick-up de Trish. En pilant, ils entament une agréable symphonie qu’elle n’a plus entendue depuis longtemps, un crissement sec, aussi aigu et surréaliste qu’un freinage de jeu vidéo. Deux files de voitures s’immobilisent sur-le-champ tandis que celle de gauche continue à se déverser jusqu’au prochain feu, imperturbable ou presque, et la panique ambiante laisse place à la confusion. Tout va trop vite. Sidney Farrow qui martèle le capot de son poing. Les coups d’œil inquiets des autres conducteurs qui se sont arrêtés par défaut ou curiosité morbide. Toutes les voix qui se mêlent, les jurons, les injonctions au calme, est-ce qu’on ne devrait pas appeler le 911 ? Quelqu’un lui ouvre la portière alors que Maura se laisse glisser hors du siège avec une lenteur absurde, « Do you know him, sweetheart ? » et elle hésite, se dit surtout que ses cheveux jurent affreusement avec la couleur de la carrosserie. Ça ressemble à un mauvais rêve, ceux dans lesquels ses jambes restent en coton alors qu’il faudrait courir. Elle bredouille sans parvenir à former une seule phrase cohérente, noyée dans la frénésie et cette impression terrible de déjà-vu, cherche une trace quelque part, du sang, une égratignure, mais rien sur le visage de Sidney hormis la fureur. Et ce type a raison, le vélo est sorti de nulle part. « Damn it Maura, let’s go. » Soulagement, exaspération, ça se bat férocement en duel sous son crâne.

« Take it easy now, » leur lance le mec aux biceps saillants qui les aide à monter le vélo sur le plateau du pick-up. Elle le voit s’éloigner en secouant la tête et sent son regard désapprobateur dans sa nuque bien après qu’elle soit remontée derrière le volant. « What the fuck were you doing anyway.Hey, watch the language please. » Une hypocrisie tandis qu’elle désigne du menton Stella, sanglée dans son siège auto à l’arrière, les observant curieusement de ses grands yeux couleur azur (bon sang, pauvre gosse déjà traumatisée par la vie, elle n’a plus bronché depuis son cri perçant). La guitare guillerette de Sheryl Crow les cueille dans toute son ironie – Cause all I wanna do is have some fun – et la country qui devrait alléger la situation ne fait que renverser le château de sable, fait remonter à la surface le choc de ce brusque coup de frein, de son cœur qui a failli sortir de sa cage thoracique au vu de la forme humaine glissant sur le capot. Elle tente d’éjecter le CD en frappant à plusieurs reprises sur le lecteur, manque de caler au feu suivant. « You’re driving that bike like you want to be hit, seriously. » Elle s’engage dans la prochaine ruelle au pif comme si une allée déserte allait l’aider à retrouver ses esprits, comme si fuir la fourmilière de l’heure de pointe aller lui éviter de provoquer un nouvel accident. « No helmet, no gloves, nothing, and you’re wearing earphones?! What if I was driving way faster? » Elle se crispe sur son volant, s’y accroche si fort que ses jointures commencent à changer de couleur. « For fuck’s sake you’re impossible, all of you, elle marmonne, ayant déjà oublié sa remarque sur les jurons. Getting into fights and losing your keys and jumping into your own personal taxi-Maura any time of day or night like it’s the most natural thing to do… » Plutôt crever que d’avouer que cette place nouvellement acquise dans la famille lui met du baume au cœur alors qu’elle sert de taxi, de vulgaire chien de traîneau pour la ribambelle de Farrows défoncés qui défilent sur son siège avant. Et pourtant quelque chose revient. Un vieux sentiment d’appartenance, tellement abstrait et enfoui si loin sous terre qu’elle a oublié le nombre de fois où elle s’y est accrochée, avant de le refouler puis mettre quinze ans à essayer de le retrouver, en vain, à travers d’autres familles recomposées, d’autres groupes de bras cassés, d’innombrables amitiés factices liées et déliées au gré des pleines lunes sans jamais mener nulle part. « They told me you almost got into a fight again. But I haven’t seen you back at West End, so I hope that was just a lie, elle grommèle par-dessus l’autoradio, comme si elle était sa mère.

Derrière eux, identique au dernier épisode, un pick-up excédé par la lenteur de sa conduite leur colle au cul et elle agite la main par la fenêtre pour les inciter à doubler. Ralentit. Un souffle, une inspiration profonde suivie d’une expiration en trois temps. Elle tourne la tête, dévisage Sidney, lui trouve le même air de déterré que la dernière fois et son irritation se dégonfle comme un ballon de baudruche percé d’une aiguille. Simon refait irruption dans ses pensées, la mention de Sidney dans son discours d’ivrogne, le fait qu’elle n’ait pas réussi à le croiser pour s’inquiéter de sa main. Ou qu’elle n’ait jamais pris la peine de vouloir le recroiser sous peine de voir imploser un souvenir doux-amer. « You scared the shit out of me. » Elle devrait s’excuser mais préfère contourner le problème en l’ignorant entièrement, à la Farrow. « Did you take care of that hand by the way? » Un bref coup d’œil dans sa direction la fait paniquer à nouveau, sa pâleur, merde, elle devrait certainement faire un arrêt. « You’re sure you’re okay? » Dans le rétroviseur, Stella s’est déjà assoupie comme un chaton, le cou tendu vers les rayons de soleil qui lui chatouillent le menton à travers la vitre, une parfaite illustration de Sheryl qui soak up the sun.

Ils arrivent plus vite que prévu devant le numéro 388 et peinent à trouver une place disponible parmi les tacots stationnés dans la rue, beaucoup trop nombreux que d’habitude. Maura refait trois fois sa manœuvre pour se garer en maugréant tout haut, la musique au minimum, avant d’imiter vaguement un créneau et de laisser le pick-up à moitié sur la route. Le moteur encore ronronnant, elle fixe les baraques empilées les unes à côté des autres, les pelouses défoncées par la sécheresse, un morceau de clôture au loin qui pendouille à côté d’un portail fraichement repeint. La voiture de Jean qui trône au milieu du foutoir aussi fièrement qu’une bannière étoilée. Elle l’arrête avant qu’ils ne détachent leurs ceintures. « I heard your father got out. » Et avant que cette déclaration n’ait le sale goût de la pitié, elle ajoute, « And I know it’s late but I also saw Luke a few months ago and he said… Une hésitation. La seule fois où il l’a autorisée à lui rendre visite avant de lui conseiller de ne plus revenir, pour ne pas faire tâche dans son nouvel univers. From what I understood he really looks up to you. Apparently he even reads now. » Une grimace presque moqueuse déforme son sourire tandis qu’elle balance un regard prudent dans sa direction. « I thought I should thank you for that. Not the reading part- well also the reading part- but mostly for, you know, not leaving him alone in there. He’s just a fucked-up kid. » Like the rest of us. Entre eux, l’ombre fantomatique de Quinn paraît remplir tout l’espace, depuis son rôle dans l’incarcération de Luke jusqu’à ses choix incompréhensibles, sa rancœur évidente envers son frère, celle un peu moins évidente envers Maura, et la réverbération de tout son parcours dans le chemin bancal déjà parcouru par Luke, petit soldat zélé qui le suivrait jusqu’au bord d’une falaise.

Ils s’apprêtent à descendre le vélo du plateau lorsque qu’une voix s’élève derrière eux, suraigüe, sarcastique au possible. « Well, well, well, look at that… » Trish les observe depuis le porche en mâchonnant son chewing-gum tout en tenant une clope du bout des doigts, une lueur niaise dansant dans le regard. « Y’all back to being best friends or what? » Une provocation inutile, du Trish tout craché. Inutile de la raisonner, inutile de discuter, autant en finir au plus vite. « Yeah Mom, that’s right, » Maura soupire tout en détachant Stella de son siège auto, la réveillant en douceur, tendant l’oreille malgré elle pour écouter la suite qui ne tarde pas à arriver. « You could’ve just told me that you wanted a ride in my car, honey. » Elle ne s’adresse pas à elle. La gamine dans les bras, Maura réalise avec horreur que sa mère est en train d’aguicher Sidney et que sa façon de s’accouder à la balustrade leur offre une vue plongeante dans son décolleté parcheminé. « For fuck’s sake, just go back inside. I’ve been told the backseat’s quite comfortable, you know. » Ses yeux rougis leur renvoient une piteuse image de la mère Pace, autrefois fleuron du quartier, désormais comble du ridicule. Elle a pleuré, ou fumé, ou les deux, et son centre de gravité est bancal. A trop vouloir leur en mettre plein la vue, Trish chancelle sur ses talons compensés. « Mom…Just sayin’… oops. » Elle trébuche, n’a pas la présence d’esprit de se retenir à la balustrade et s’écrase sur le porche dans un bruit mat. Sans même réfléchir, Maura fourre le bébé dans les bras de Sidney et le paquet de couches à ses pieds pour s’empresser d’aller relever sa mère, Elle décrasse sa jupe couverte de cendres. Lui ouvre la porte-moustiquaire. L’emmène jusqu’au salon d’une démarche clopinante où la télé braille devant deux types silencieux, baignés dans un nuage de fumée âcre. Ils ne la regardent même pas, se contentent de fixer l’écran en tétant leurs cônes et quelque chose dans l’odeur… quelque chose dans l’odeur ne tourne pas rond. Ils traînaient à West End la semaine précédente, des cousins de… elle ne se souvient plus, le genre de meute synonyme d’ennuis en cascade qu’ils fuyaient comme la peste quand ils étaient gamins, quand toutes ces histoires de loups-garous les concernaient si peu. Trish se laisse glisser dans un fauteuil en marmonnant He’ll come back en boucle, ses yeux vitreux accrochant déjà l’émission de télé réalité en pleine diffusion.

« Thanks. » Stella change de paire de bras, une expression de pur émerveillement scotchée au visage alors qu’elle fixe encore Sid. « And I thought this day couldn’t get any worse… Jesus Christ. Thank you. Sorry, I- » Sa main caresse les cheveux de Stella, aussi doux et lisses que ceux d’une poupée Barbie, et elle ne peut se résoudre à trouver une excuse pour Trish, pour elle-même, ou pour ce merdier phénoménal. Elle laisse Sid se débattre avec son vélo, ne sachant plus quoi faire de la gamine dans ses bras, prête à brûler la baraque avec sa mère dedans s’il n’y avait pas eu autant de témoins. (Son mec s’est encore barré, il reviendra dans trois jours en rampant, comme d’habitude, les excuses bavant le long de son menton, une haleine de chacal et les reçus du Sucker bien planqués au fond de sa poche.) « Hey wait. » La main en visière au-dessus des yeux, elle tente de le retenir une dernière fois, d’offrir une aide bienveillante comme une excuse déguisée. « If you feel dizzy this evening or weird or… anything at all, you have Quinn call me, okay? Or Nickie, elle ajoute précipitemment. Or Trish, or whoever, I don’t care, I can take you to a hospital this time. It’s the least I can do. » Elle réajuste Stella sur sa hanche, coince une mèche de cheveux derrière son oreille pour que la mioche arrête de jouer avec. « And please, forget about my mom’s invitation. » L’ombre d’un sourire traverse brièvement ses lèvres au souvenir de Trish se faisant bronzer seins nus dans son jardin pendant qu’une ribambelle de pré-ados se disputaient le droit – l’honneur – d’être le premier à escalader la palissade pour mieux se rincer l’œil.


Dernière édition par Maura Pace le Dim 14 Mar - 23:21, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: devil's backbone (money#2)   devil's backbone (money#2) EmptySam 13 Mar - 20:56

Si tous les chemins mènent à Rome, tous les siens mènent à Pace. Il veut croire que Callum, la guerre et sa propension à l’autodestruction l’ont immunisé contre la douleur mais il n’en est rien : sa condition d’humain ne pardonne pas, qu’importent les accidents qui ont mis son corps à l’épreuve. Et il se fait vieux, le Farrow. Il ne se relève plus aussi vite, il ne court plus assez longtemps et il ne se remet plus aussi facilement des traumas quotidiens. Avec son cul bordé de nouilles, la collision s’est révélée moins violente que le choc, et bien qu’une raideur désagréable ait pris ses quartiers dans sa nuque, il va bien. Il tient debout, en somme. Son coude tiraille, ses temps sifflent, des points noirs obstruent son champ de vision – mais il va bien. C’est dans la tête, il se répétait souvent, tout est dans la tête. Il suit le regard de Maura à l’arrière et masse son cou, surpris de découvrir un… un bébé. « Jeez, il marmonne, hope it’s yours, » c’est une vanne, autant le préciser. Il était si sérieux, si taciturne, qu’on oubliait parfois cet humour grinçant, pas vraiment drôle par ailleurs. Il cale son occiput sur l’appui-tête et en dépit d’une sacrée dose de volonté, il ne peut ignorer les remontrances d’une fille qu’il a connue en couche-culotte et à qui il retirait des lego de la bouche. « You’re driving that bike like you want to be hit, seriously. » Peut-être, ouais. Souvent, il s’imaginait à la place de la gosse fauchée en pleine fleur de l’âge. Avait-elle souffert, cette nuit-là ? Il ne sait même pas ce qui a causé son décès. Il n’a jamais demandé. Son ignorance le préserve d’un remord de plus – il se confortait dans l’idée qu’elle avait perdu connaissance et ne s’était pas sentie partir. « No helmet, no gloves, nothing, and you’re wearing earphones?! What if I was driving way faster?You sound like Kitty, » qu’il grince, insolent. T’es qui, ma mère ? (Mais Jean a toujours répété, il a les os solides.) « For fuck’s sake you’re impossible, all of you. Getting into fights and losing your keys and jumping into your own personal taxi-Maura any time of day or night like it’s the most natural thing to do… » Il hausse un sourcil circonspect et effleure d’un regard troublé le profil tendu de la conductrice, sifflant entre ses dents comme s’il ne prêterait pas attention à ces détails jetés dans le vide. Qui a perdu ses clés ? (Quinn. Pourquoi se pose-t-il la question. C’est forcément Quinn. Ou Nickie.) Maura était sans le savoir le plus beau bras d’honneur que cette fratrie puisse faire aux apophtegmes de leur père : ils la fréquentaient tous, de près ou de loin, malgré le problème de fourrure. Une pierre angulaire. Sid n’a pas la moindre raison de lui parler et il persiste – à travers elle, il maintient une connexion avec ses cadets. « They told me you almost got into a fight again. But I haven’t seen you back at West End, so I hope that was just a lie.Why would you care? » Qui plus est, il ignore de quoi elle parle. Il n’avait pas remis les pieds dans cette arène urbaine empestant le chien mouillé depuis qu’Alec l’avait déposé chez lui. L’esprit divague – deux jours auparavant, il quittait sa caravane le cœur lourd, et ces quarante-huit heures à ressasser leur conversation commençaient à lui peser sur l’estomac. « Did you take care of that hand by the way? » Il lève sa main emprisonnée dans une attelle élastique – et rescapée miraculeuse de ses dernières prouesses acrobatiques. Son bras retombe mollement sur sa cuisse. « You’re sure you’re okay? I’m great, » il marmonne alors que des phosphènes aux couleurs indéfinissables dansent sous ses paupières à chaque battement de cil, et il cligne machinalement, concentré sur la bande de bitume. « I’m alive, » ça lui échappe connement, dans un murmure rauque, à peine audible, et c’est si amer.

Il se passe de commentaires lorsque Maura tente laborieusement de coincer le véhicule entre deux bagnoles mal garées. Il l’entend égrener un chapelet d’insultes, s’y reprendre à plusieurs reprises, tamponner le pare-chocs de derrière. Machinalement, il pose son pouce sur la boucle de la ceinture, ça tombe. « I heard your father got out. » Le retour du héros. Difficile de le manquer : Callum avait reconquis ses terres, ses sujets, sa forteresse, tel un souverain victorieux s’en revenant de campagne, les mains maculées du sang de ses ennemis. On n’était pas loin de la vérité mais alors qu’il avait un temps prétendu au trône, le voilà relégué au rôle humiliant de bouffon du roi. Il ne réagit pas et un chuintement caractéristique accompagne l’enroulement de la ceinture. « And I know it’s late but I also saw Luke a few months ago and he said… From what I understood he really looks up to you. Apparently he even reads now. » Putain, Luke. Faudrait qu’il attrape un bus et aille vérifier que le gamin se tenait à carreaux. Déformation fraternelle oblige, il l’a attrapé par l’épaule dès son arrivée, tout penaud avec son linge plié, sa combinaison orange et sa gueule de petit con, puis s’est empressé de le mettre au jus des us et des coutumes du quotidien carcéral. Ici, c’est pas Prison Break, tu m’entends ? T’as plus de chance de tomber sur un fraudeur aux assurances qu’à un néo-nazi, et c’est des conneries l’histoire du savon dans les douches. Il l’avait traité de la même façon qu’il aurait traité Quinn. La première semaine, Luke se plaignait d’avoir été assigné aux chiottes, enviait la chaise à roulette que Sidney occupait dans la bibliothèque du coin. Bah moi aussi, j’ai récuré, mange, il avait marmonné, sa fourchette en plastique pointée sur la tranche de bacon marinant dans un ragoût douteux. À défaut de sauver son frère, il s’était replié bon gré mal gré sur le Pace. « I thought I should thank you for that. Not the reading part- well also the reading part- but mostly for, you know, not leaving him alone in there. He’s just a fucked-up kid. » Ain’t we all. Des preuves ambulantes de la nécessité des cours d’éducation sexuelle à l’école et de l’échec de l’industrie des contraceptifs. Des erreurs et des accidents catapultés dans un monde sans foi ni loi qu’on leur apprenait à détester dès le premier biberon.
« Y’all back to being best friends or what? » Il se tourne, dévisage Trish qui, en retour, lui décoche un clin d’œil. « You could’ve just told me that you wanted a ride in my car, honey. » Il avait douze ou treize ans lorsque ses amis commencèrent à vraiment s’intéresser au cul et à la pornographie. Tout était parti du magazine Playboy que Terry avait piqué dans la réserve de son père : il y avait une double-page d’une fille sapée en cowgirl – enfin, elle portait simplement un chapeau et une paire de bottes en cuir ornées d’éperons. Ils avaient observé son anatomie dans les moindres détails, et ce jour-là, alors que ses potes reluquaient avidement la pin-up texane, leurs hormones en roue libre, il s’était aperçu que quelque chose n’allait pas. Parce qu’il ne comprenait pas leur curiosité, leur fascination pour ses seins ronds, et il ne comprenait pas non plus pourquoi Terry avait commencé à parler des « obus » de Trish Pace. Il l’avait pourtant vue plusieurs fois dans son jardin, la poitrine découverte, les mamelons fièrement exposés en attendant que le soleil brunisse sa peau. Elle se badigeonnait le corps d’huile, s’aspergeait les jambes d’autobronzant, et tous les mâles du voisinage se donnaient rendez-vous dans le quartier avec les chiens à promener, la bagnole à réparer ou la pelouse à tondre uniquement pour lorgner cette femme aux attributs avantageux. Jean, qu’il croyait très copine avec Trish, la traitait de « whore » dans son dos. Jax avait démarré tôt – à onze ans, il avait touché sa première paire de nibards et deux ans plus tard, il entrait dans la cour des grands après avoir couché avec Jodie Farmer, d’un an leur aînée. Pendant ce temps-là, Sid se découvrait une inexplicable attirance pour leur remplaçant de maths – un jeune diplômé de vingt-deux ou vingt-trois ans, fraîchement débarqué de la fac. « I’ve been told the backseat’s quite comfortable, you know. » C’est qu’elle en a une sale tronche, la Trish, avec ses yeux injectés de sang et les pâtés de mascara collant ses cils au lieu de les mettre en valeur. Elle vacille, s’écrase lamentablement par terre, et il reste planté là alors que Maura vole à la rescousse de sa mère, lui fourrant le poupon dans les bras au passage. Il retrouve ses réflexes – sait parfaitement comment tenir un bébé, si bien que la transition s’effectue sans anicroche. (Il observe attentivement une infirmière positionner ses mains sous le corps si fragile de Scarlett. Emma dort, la pouponnière pullule de nourrissons, il est seul, nerveux, apeuré.) La petite a une frimousse à la fois unique et universelle : on a beau dire, tous les mômes se ressemblent à un moment donné. Petits nez, petites bouches, grands yeux étonnés, crâne tapissé de duvet clairsemé, bave aux lèvres, dent solitaire plantée dans la gencive, babillages incompréhensibles. Il ne se lassait pas de Scarlett après sa naissance. Il était épaté, en réalité ; épaté d’avoir accompli un tel exploit, d’être responsable d’un être aussi… parfait ? Oui. Parfait – la fierté d’un parent n’a d’égal que son arrogance larvée. Et quand ça grandit, ça devient quoi, Maura ? Trish ? Quinn ? Il a ces soubresauts parfois, ces instants confus où l’absence de sa fille lui évoque un membre fantôme. Comme si on l’avait amputé de sa paternité. C’était un copain qui lui avait parlé de ces douleurs étranges après avoir perdu son tibia gauche. Rien sous le genou, malgré les sensations inexplicables parcourant ce qui n’était plus. (Il insiste : Scar ne dort pas sans ce poulpe saumon, c’est le poulpe saumon et rien d’autre, et il est certain que Mrs Donovan ne l’écoute pas, qu’elle s’en contrefout de ce poulpe saumon. Emma l’appellera au milieu de la nuit : she’s always crying, et il ne sait pas quoi répondre. Elle ne pleure jamais avec lui.) La tête ronde de l’enfant près du nez, il s’imprègne d’une odeur familière. Un mélange apaisant de savon, de talc, d’innocence dans sa forme la plus pure. Les menottes potelées de la gamine s’accrochent au col de son t-shirt et tirent sur ces choses supposées être des follicules pileux. « What’s your name, huh, » il marmonne, avant de lui toucher le bout du nez, « boop ». Il préférait les enfants pour la même raison qu’il préférait les animaux : c’était pas chiant, pas compliqué. Son neveu Austin grandissait, s’enfonçait dans l’adolescence, et bien sûr, se rapprochait de Quinn, qui incarnait cette coolitude désinvolte si attirante pour un gosse à peine pubère. Il offre son index à la fillette tandis qu’à deux pas de là, une Maura mortifiée porte secours à son déchet de mère. Le temps a fait son œuvre : Trish n’est plus la bombe d’autrefois. Elle représente même la décadence de la jeunesse qui la guignait en loucedé en se distribuant des coups de coude : ils l’ont suivie, ont vieilli à leur tour, se sont mariés à des nanas pas si différentes, pas moins vulgaires. Il a pitié d’elle, et d’autres ont pitié de lui.
Maura revient, lui prend délicatement le bébé des bras. « Thanks. » Il fixe bêtement la petite créature gazouillante et pendant un instant, il lui demanderait volontiers, je peux la garder un peu ? Juste un peu – juste, cinq, dix minutes. « And I thought this day couldn’t get any worse… Jesus Christ. Thank you. Sorry, I-S’alright. » Il tourne les talons et part récupérer son vélo, qui se porte plutôt bien compte-tenu des circonstances. Après une secousse brutale, les roues se recalent dans un axe logique. Ce truc avait quasiment dix ans – il l’avait récupéré à son retour de l’armée dans le garage de son oncle, l’avait retapé, regonflé les pneus, et s’était dit que ouais, ça aiderait, le vélo, en attendant que les sueurs froides et la claustrophobie ressentie dans l’habitacle d’un voiture passent. Finalement, il l’avait oublié dans la réserve de leur jardin avant de ne pas avoir d’autre choix que de l’en sortir, interdit de grimper dans le moindre véhicule motorisé. « Hey wait. » Une tension lui électrise la nuque. Il jette une œillade par-dessus son épaule et s’attarde machinalement sur la petite qui a décidé d’emmêler les longues mèches blondes de Maura. « If you feel dizzy this evening or weird or… anything at all, you have Quinn call me, okay? Or Nickie, or Trish, or whoever, I don’t care, I can take you to a hospital this time. It’s the least I can do. » L’improbable se produit alors: Sidney Farrow sourit. Malheureusement, la grimace n’est ni aimable, ni reconnaissante ; c’est une ligne oblique, inversée, creusant une paire de guillemets au coin de ses lèvres. Ce n’est pas non plus hargneux. En réalité, difficile de tirer la moindre conclusion de cette moue. « And please, forget about my mom’s invitation. » Oh, t’inquiète pas pour ça. Il baisse le regard sur ses pieds et s’apprête à prendre ses cliques et ses claques quand sa langue se délie, indépendante de sa volonté, « Maura… » il a des étoiles dans les yeux à force de rester debout, et la langue brûlante de l’asphalte a fichu des gravillons épars dans la chair luisante de son bras. « See you around. »  

– samedi 11 juillet, 443 jefferson street, historic district
« Recovery, unity and service, those values are important. » Ils ne forment pas réellement un cercle. Les chaises sont simplement disposées les unes à côté des autres et ils écoutent le meneur de la discussion avec attention – Sid observe parfois ses voisins. Il remarque les jambes croisées dans une attitude faussement nonchalantes, les mains serrées sur les genoux, les mouvements nerveux d’un talon battant une cadence irrégulière sur le sol, et lui, avec ses doigts entremêlés. Ses jointures sont sèches, et la peau a craquelé au point de créer des plaies sans importance, mais qui, avec lui, ressemblent aux stigmates d’un combat. Il est « sobre » depuis très exactement douze jours et huit heures. Pas une seule goutte de bière. Il fonctionne avec du soda sans sucre. Ally lui a déconseillé le Red Bull et les boissons énergisantes, reste au Pepsi, ce sera suffisant – il se sent constamment nerveux, irrité, fatigué. Seul Alec le calme, même s’il dézingue des cannettes et des cannettes face à lui sans montrer le moindre signe d’ébriété. Il se demande si le métabolisme des lycans leur permet de mieux ingérer l’alcool. Il se pose des questions vraiment cons, dernièrement. Gagné par la même curiosité qui l’avait poussé à apprendre des phrases de conversation pachto, arabe, et même bredouiller deux-trois mots de kurde, il s’était rendu à Bull Street Library et s’était égaré un moment dans un rayon traitant du surnaturel. Franchement, il n’avait rien trouvé d’intéressant donc il avait emprunté deux bouquins de théorisation de la guerre contre la terreur. Son pouce frotte le « W » tatoué à l’intérieur de son poignet, puis tripote un bracelet en cuir que Kitty lui avait donné entre deux missions. Sadie baille à ses pieds – c’était une condition sine qua non à son retour chez les Narcotiques Anonymes, il se rendait uniquement aux meetings pet-friendly. On l’avait rassuré, oui, pas de problème, n’oubliez pas sa laisse. Il y a trois autres chiens – dont un de service. Un berger allemand et deux retrievers, allongés sous les chaises de leurs maîtres ou postés à côté, en bons gardes du corps. Sadie s’était réfugiée entre ses jambes, la truffe entre les pattes, et avait seulement relevé la tête lorsqu’il avait changé de position. Ally l’accompagne une fois sur deux, et ce soir, elle bosse. Orphelin, il affronte passivement la discussion, ne participe qu’à condition qu’on lui adresse la parole, et évite de multiplier les contacts visuels. Il écoute les témoignages d’une oreille, de l’institutrice espérant retourner en classe à l’agent immobilier qui approche des quatre-vingt-dix jours de sobriété. Il n’a pas encore raconté la sienne, d’histoire. À la fin de la séance, on se lève et on se dit à la prochaine, on dégaine les cigarettes et on se rue sur la table à tréteaux avant de partir. Il est de ceux-là, d’autant plus que Sadie a du mal à quitter son copain le berger allemand.
« What’s his name ? Une femme approche un gobelet de la machine à café. – Her name’s Sadie, » il corrige, mais ça n’a aucun effet sur sa voisine, et il doute de son intérêt véritable pour sa compagne à quatre pattes. Du reste, Sadie ne se soucie aucunement de l’attention qu’on lui porte, la truffe en l’air, la langue dehors, à lorgner le double-battant surmonté d’un panneau « exit ». Bientôt, elle se mettra à tirer sur sa laisse. « Oh, sorry. Rottweilers are like, super impressive, » il lui donne une trentaine d’années. Ici, il se méfie des tronches et des âges – les ravages de l’alcool, drogues, conneries ne pardonnent pas et impriment sur les figures les signes d’un vieillissement précoce. Au plus bas, sa rosacée, vestige de son adolescence, avait reparu abruptement, trahissant invariablement ses périodes de binge-drinking : Wayne n’avait qu’à examiner l’état de ses joues desséchées pour le coincer. Elle a les cheveux coupés au-dessus des épaules, sur l’une desquelles elle réajuste la lanière d’un tote bag. « I mean, I don’t say, she’s like dangerous but y’know, elle se fend d’un petit rire nerveux. Huh, how—how old is she? Eight. » En années canines, Sadie est une vieille dame pleine de sagesse, et à chaque fois qu’il l’emmène chez le vétérinaire, il refuse d’entendre les avertissements concernant son âge ou l’espérance de vie de cette race-là. Neuf à douze ans. « Right, (right de rien) hm, I’m sure I’ve never seen you here before. Are you new in town or something? » Sa voix se casse bien avant qu’elle ne termine ses phrases, comme si elle était à bout de souffle, et elle penche sa tête sur le côté, un joli sourire flottant sur les lèvres. « No, I’m from here, il fourre des prospectus dans ses poches avec l’avidité d’un enfant au magasin de bonbons. Un réflexe – et oui, il aura sûrement quelque chose à tirer du flyer « Knitting Circle, Friday afternoons !! ». Just been away for a while. » Plus loin, un type se dispute férocement avec le leader du groupe, Allen – un ancien Marine aussi, une connivence s’était établie entre eux dès les premières politesses d’usage échangées. Le front barré de trois rides soucieuses, le vétéran pose une paluche sur l’épaule du plus jeune, « hey, hey, I’ll sign that paper, alright, but you gotta show up next– il n’entend pas la fin, et de toute façon, il n’a pas à l’entendre. – This is gonna sound so stupid but I know a nice place– Merde, elle lui parle toujours. Il remarque son tatouage sur l’épaule où s’épanouit une fleur de lotus, et réalise avec embarras qu’on le drague. – Huh, I’m, no, sorry. But thanks, » il se dépêche de prendre la poudre d’escampette, son paquet de clopes à la main.

Allen tient un double-gobelet fumant. Une balafre traverse sa tempe poivre et sel, et ses vingt-sept ans de service lui ont coûté un avant-bras. Quinze ans depuis son dernier digestif – il s’en rappelle encore, un whiskey dégueulasse, juste après que sa femme le plaque et lui retire son môme. Il est grand-père maintenant, n’a vu ses petits-enfants que deux fois en cinq ans ; c’est avec cette anecdote qu’il ouvre les discussions, résigné à son sort. « Last one of the day, il sous-estime la température du café et grimace après une première gorgée brûlante. Can’t believe they want us to do hybrid meetings.Hybrid ?Yeah. Mixing humans and creatures. » Un ricanement en dit long sur ce qu’il pense de cette proposition. Il sait, pourtant, que des créneaux sont réservés aux crawlers mais ça travaille dur pour renforcer une égalité entre les races, alors autant commencer par ici, où en effet, ils traversent la même épreuve et se frottent aux mêmes difficultés. L’initiative a toutefois rencontré un échec cuisant après une série d’altercations, aussi a-t-on cessé de croire à ce projet fou. « Keep your head down, boy. Ally told me you had a Silver Star, is that right? (Il hoche la tête, un flash de la cérémonie lui traverse le crâne : médaille décernée pour actes héroïques en Afghanistan.) Then act like it. A Silver Star recipient should know better. » C’est le reproche sec d’un père à son rejeton, ou d’un supérieur à un sous-officier couillon débarqué du bootcamp. À deux mètres de là, sa chienne renifle un comparse canin et ils se jappent à la truffe. Il vire la cendre d’une chiquenaude, approche à son tour puis s’agenouille aussi adroitement que possible, « who’s your new friend–you alone ? » Il interroge le clebs comme si ce dernier allait lui répondre oh tu sais, tranquille, rien de nouveau sous le soleil, je cherchais un endroit où pisser. Il lui frotte l’encolure. La survenance d’une paire de gambettes fines lui arrache un « fuck me » bas. « Are you f–nevermind, » il se redresse avec la difficulté d’un vieux perclus de rhumatismes. L’apparition surprise de Maura ne devrait pas l’étonner compte-tenu de leurs mésaventures récentes, et il finit par croire qu’une force mystérieuse provoque des rencontres fortuites – peut-être est-ce là un signe. « Hey. » Le ton las, il se garde lui aboyer une insulte raffinée et compose avec une situation dénuée de logique. « Huh—sorry about the other day, by the way. I should have– » Le chien promène son museau sur ses jambes, attiré par l’empreinte olfactive de Sadie, et ce qui semble lui fournir une raison suffisante d’abandonner toute défiance à son égard. « Thanks. » On devrait tout arrêter ici, à ce thanks qui surgit d’entre ses dents, mais la fatigue aidant, il allume une nouvelle cigarette sans manifester l’intention de partir. « Haven’t talked for years and now—seems like the Lord works in mysterious ways. » Farrow n’est pas croyant mais les références abondent, car il lui est plus facile de se reposer sur une instance divine et immatérielle que se confronter à la réalité. « Anyway. Don’t need your help for once so—yeah. » Let’s call it quit, arrêtons de prétendre qu’on a quoique ce soit en commun si ce n’est une affection déraisonnable pour un petit con incapable d’utiliser un peigne. Il songe, bien sûr, à Quinn, suppute, avec réserve, que Maura lui cause toujours, qu’ils étaient comme culs et chemises à une époque, que les amitiés tissées à l’âge d’or de l’innocence demeurent, ou font tout du moins substituer un attachement inexplicable. C’est la conclusion qu’il tire. Ils l’éclataient bien, ces couillons. Kitty avait parié qu’ils se marieraient un jour, Sid avait répondu que leurs mômes seraient des cassos, ils s’étaient gentiment marrés alors que plus loin, Maura et Quinn observaient attentivement un truc par terre, munis de bâtons, accroupis dans cette position si enfantine d’apprentis scientifiques en passe de faire une découverte qui changera le cours des choses. C’était étrange de se remémorer de tels souvenirs – de repenser à cette époque pas si lointaine où tout relevait encore de l’ordre du possible. À l’aune de la quarantaine, il ne lui reste que ça, des évocations, des images. « We… we could grab a coffee or something at some point. Instead of, y’know, il agite vaguement sa main blessée, sans terminer sa phrase. » Tu sais, me ramasser à l’article de la mort ou précipiter une fin tragique. Mais quelles banalités a-t-il à lui confier ? De quoi parler, hein ? Luke, la pleine lune, Quinn, la taule ? Il sort de ces réunions rincé, usé jusqu’à la corde, alors qu’il n’a pas prononcé le moindre mot de toute la séance, se contentant d’écouter des histoires semblables à la sienne, des anecdotes faisant douloureusement écho à des tranches de vie peu reluisantes, des confessions qu’il ose à peine formuler intérieurement. En souvenir du bon vieux temps, peut-être ? Il n’y a pas de « bon vieux temps ». Avec ses longs cheveux blonds et ses yeux disproportionnés, il cloître Maura dans des rôles restreints : il veut voir des fragments de sa fille, sa sœur, son frère, son enfance, le passé. Qu’est-ce qu’il en a à branler de Maura Pace, au fond. « I should get going, » il jette son mégot par terre (pas dans le putain de cendrier d’extérieur en béton, non, la planète agonise, rien à foutre), accroche la laisse de Sadie à son collier et s’éloigne sans empressement.

– mardi 11 août, west savannah
« I was reading this book, » Jax se marre déjà. Échoués contre les roues de sa Ford, ils contemplent les trois pauvres étoiles qui ont visiblement manqué le mémo ce soir. « You’re reading too much man, makes you overthink.Was about humane war, humane warfare. » Il songe à ce livre qu’il a vu sur une table, à la bibliothèque, trônant au sommet d’une pile d’ouvrages historiques arrangée par un étudiant zélé. Il s’était arrêté cinq secondes afin de déchiffrer le titre et détailler la couverture verte avec ces barbelés symboliques au premier plan avant de le retirer du tas. Jax pousse un (long) soupir – ce n’est pas que Sid se cultive, le problème, mais son attrait étrange pour ce qui les mine, ce qu’ils ont décidé, à leur retour, de laisser derrière eux. « What about it ?I’m not done so I don’t know, it’s hard to, like, get into it but it made you think–Sid, those books are written by nerds. For ‘em, war is abstract. It’s a whole fucking concept. For us, it was real. Wasn’t some theory when we were getting shot at by Hadjis. » Farrow hausse une épaule. Il termine sa cannette de Mountain Dew, et ils considèrent que la discussion est close. Dix ans après, le sujet n’en demeure pas moins difficile à aborder. Au mieux, ils l’évitent ; au pire, ils se poilent connement, « remember when », et ça parle de ce sergent, à Lejeune, un fobbit frustré qui ne trouvait rien de mieux à faire qu’inventer des insultes à base de cock holster ou dick with ears. « I saw Trish Pace the other day. I was off duty but man I wonder if she’s still like, turning a trick or two.Yeah, I’ve seen her around. Think she’s just crazy now.What a hot mess. That’s fucking sad, » Jax secoue la tête de dépit. « Hey, wasn’t it her daughter you were with like, a couple months ago? Maureen?Maura. Yeah.You never know who might turn into a dog… » Il ricane et noie l’obscure observation dans une rasade de bière encore logée à l’intérieur d’un sac kraft humide de condensation.
Ils se sont séparés à quelques mètres de l’entrée de West Savannah, échangent une accolade fraternelle, quoique maladroite de la part de Jax, plus entamé que prévu – il dit que c’est l’âge et les mioches, ça, que la paternité est la kryptonite de son foie. Sid traîne la patte sur le chemin du retour, fume lentement, et son allure ralentit de plus en plus à mesure qu’il démêle le fil de ses écouteurs. Maintenant, y a des trucs bluetooth. La clope collée à sa lèvre inférieure, il tire sur une extrémité, mais ce n’est pas l’extrémité, s’acharne sur cette paire dont il n’a plus qu’une moitié d’usage maintenant que l’une de ses oreilles se situe à un niveau de surdité « moyenne », paraît-il. Sidney entend comme s’il portait un casque pété : la musique fonctionne seulement d’un côté, pas de l’autre, ou alors il faut taper un peu dessus et peut-être réussira-t-on à capter un fond de basse. Démonstration pliée. « Ugh. » Il s’arrête, balaye les environs d’un œil méfiant et une plaque d’immatriculation attire son attention. Sous la flaque de lumière jaunâtre d’un lampadaire, il reconnaît la vieille caisse de Maura – vieille caisse habitée. Parce que Maura est aussi à l’intérieur. Ses phalanges cognent trois coups secs contre une vitre, « hey, » il se penche. « Maura ? » C’est le bordel. « Maura, what the fuck… hey, » il insiste sans véritable raison.
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