it won't kill you (ft. layla)

La question est lâchée et c'est à ce moment-là que Zachary percute. Lorsque ses lèvres s'étirent pour laisser place à un sourire vicieux, le regard qui s'est transformé l'espace d'une fraction de seconde entre deux clignements de paupières, il comprend enfin comment il en est venu à cette conclusion qui, pourtant, sur le papier, semble tirée par les cheveux. L'odeur de la jeune Zapien n'est plus vraiment la même. Il paraît qu'il a parfois plus de flair que les autres lycans, il se demande si c'est son job qui l'a forcé à le parfaire mais dans tous les cas, son odorat est formel. Les effluves du compound où elle vit, qu'un simple humain ne sentirait pas du tout, dont ses vêtements ou ses cheveux s'imprègrent sans qu'elle ne s'en rende compte, se dissipent de plus en plus au fur et à mesure que les secondes passent. Quoique, même avec un indice pareil, il fallait le deviner, que ce qui est en train de se passer chez Layla expliquant ce comportement étrange n'est dû qu'à une sorte de... possession ? Décidément, même après l'avoir côtoyée durant des années, il ne s'y fera jamais, à la magie des sorcières.

— C’est qu’il est intelligent, en plus d’être beau. La petite Zapien est loin, pas sûre qu’elle en revienne en un seul morceau quand elle va réaliser ce qu’elle a fait...
Les paroles sont comme des sifflements de vipère, Zach n'aime vraiment pas la tournure que prend cette situation déjà bien assez loufoque. Il tente de ne pas prendre au pied de la lettre ce qu'elle dit – persuadé qu'elle bluffe pour lui faire perdre les pédales, certainement, au moins pour le déstabiliser, assez pour s'en prendre à lui ou à Layla d'une façon qu'il ne saurait expliquer, mais il tient bon. Reste stoïque, l'air toujours aussi furieux, quoique face à elle, il n'a que des airs de père de famille à peine autoritaire ; il a du mal, quand il s'agit d'intimider autrui. Il y arrive mieux sous forme lupine.
— Après tout c’est pas le premier corps sur sa conscience.
Un ange passe. Rapide, cependant. Une lueur dans le regard de Zach s'allume, les traits du visage se détendent à cause de la surprise qu'il n'arrive pas à cacher. Sur sa langue se forme le début du mot "Quoi" qu'il ne prononce pas vraiment, finalement,  trop désemparé pour poser la question qui lui brûle désormais les lèvres. Comment ça ?, crie pourtant son regard, mots inscrits en lettres capitales dans ses pupilles. Elle continue dans sa lancée, pourtant, alors qu'il la tient toujours, elle déblatère  des fils de mots et de mensonges – ou de vérités étranges, il ne réussit plus à discerner le vrai du faux.
— Et elle est déjà si fragile derrière ses grands airs... Comment est-ce qu’elle va bien pouvoir encaisser d’avoir fait tant de mal à quelqu’un qu’elle respecte autant ?
Il en lâcherait presque un rire jaune. Le souffle expiré sonne plus comme un sifflement néanmoins, tandis qu'il continue de lui tenir les poignets, qu'une alarme dans sa tête se met à sonner ; il devrait plutôt lui faire dire des choses à propos de cette affaire de bijoux de Lune plutôt que sur la cadette Zapien qui, en plus de ça, doivent certainement être fausses... Du moins, c'est ce qu'il pensait. Jusqu'à ce qu'il aperçoive des larmes rouler sur ses joues, contraste troublant avec le masque perfide que porte la sorcière maniant le corps de Layla comme une marionnette.
— C’est vraiment dommage de gâcher un aussi beau spécimen.
Il ne l'entend plus vraiment, à ce moment-là. Trop stupéfait pour rester concentré, pour essayer de reprendre le contrôle – s'il l'a réellement déjà eu –, les pleurs silencieux d'une gamine finissent de l'ébranler et c'est assez d'inattention de sa part pour que la sorcière passe à l'offensive. Elle se libère rapidement et sans crier gare, vient attraper la gorge du lycan, pressant sa trachée entre ses doigts – d'où lui vient une pareille force ? – et Zach lâche un râle, le visage crispé et l'œil droit fermé, alors qu'il tente vainement de lui faire lâcher prise.  
— Mais ça servira de leçons aux fouineurs dans ton genre !

Pas le temps de répliquer. Elle le pousse et son crâne tape contre le mur ; il entend à peine le cadre tomber qu'il perd déjà l'équilibre, se sent basculer vers l'arrière et la seconde d'après, sans qu'il n'ait le temps de se rattraper à quelque chose, il dégringole les escaliers, se prend une marche dans les côtes, dans le bas du dos et dans le genou, la chute semble interminable lorsqu'il termine par une pirouette bancale et à l'angle douteux et vient s'écraser au sol du rez-de-chaussée, terminant sa course dans le mur d'en face, nouveau coup dur pour sa colonne vertébrale.
— Saloperie... qu'il grommelle.
Il se redresse, non sans ressentir une douleur horrible dans le dos et ses hanches ; elle va vite partir, là n'est pas le problème, mais bordel, le simple fait de se relever requiert un nombre d'efforts qu'il a du mal à surmonter. Il y arrive tout de même et, debout sur ses jambes qui peinent à se remettre d'une telle dégringolade, Zach se rue de nouveau dans les escaliers, la main bien agrippée à la rambarde comme un signe de traumatisme.
— Attends ! s'écrie-t-il, presque bêtement ; s'attendant à ce que la sorcière prenne la fuite avec son nouveau corps, ou quelque chose dans ce genre.
Il arrive bien vite à la hauteur de Layla – de ce qui semble être Layla, du moins –, écroulée en haut des marches, prise de spasmes entre la respiration saccadée, la toux et les sanglots. Il pose une main sur son épaule et d'un mouvement un peu brusque quoique non violent, il la force à se redresser pour le regarder.
— Layla !
Pas de doute possible, c'est bel et bien elle. Il ne sait pas si ça risque de durer, si l'autre a prévu de revenir ou non, alors il s'empresse d'attraper sa seconde épaule pour ancrer son regard dans le sien.
— Tu vas bien ? Respire, ordonne-t-il, inquiet. Qu'est-ce qu'il vient de se passer, bon sang ?
Il fait abstraction de la souffrance qui gueule dans chacun de ses membres, plus alarmé par l'état de la gamine que par le sien ; si ce n'est qu'il aurait pu éviter de l'assiéger de questions aussi vite.

Tout est confus. Tout est flou. Pantelante, elle a l’impression d’avoir couru un marathon, l’impression de n’être plus qu’une coquille vide aussi. Comme si ses organes, ses poumons en particulier, avaient décidé d’aller faire un tour dehors, afin de voir si le monde s’avérait plus clément qu’à l’intérieur de ce corps maltraité, possédé. Layla tremble, comme une feuille à vrai dire, mais à travers les larmes qui perlent à l’ourlet de ses cils et dégringolent sur ses traits tirés, elle voit Zachary et hoquète comme pour l’appeler. En vain, rien ne sort, pas même un soupir soulagé lorsqu’elle le voit bouger. Se relever. Il n’est pas mort, contrairement à ce que la sorcière a pu promettre, tandis qu’elle tenait Layla prisonnière. Les liens sont brisés, l’étau envolé et la Zapien peine à ne pas simplement se laisser tomber. Elle sent ses yeux qui menacent de rouler à l’arrière de son crâne, consciente que ça serait plus facile de laisser tout filer, de ne pas chercher à s’accrocher à la réalité. Son invitée, pourtant, n’est pas assez loin pour qu’elle se permette pareille faiblesse. Farouchement, Layla plante ses ongles dans le bois de la rambarde et elle tient bon alors que chacun des pas précipités du lycan frappe comme un coup de canon, une cavalerie toute entière venant vers elle. « Attends ! » lance-t-il et elle n’a pas de quoi lui répondre qu’elle est déjà loin, l’autre. Le regard qu’elle lui jette, cependant, est étrange. Entre confusion et rancoeur. Veut-il réellement qu’elle revienne, est-il dénué d’inquiétude à l’égard du sort de l’hôte infortune ? La petite brune grimace alors qu’une envie de le pousser à nouveau se fait sentir.  Plus acerbe que d’ordinaire, comme si la saleté l’ayant utilisé telle une marionnette avait laissé derrière un peu de poison, elle regarde ses mains, se demandant si la sorcière a réellement disparu ou si, au contraire, elle se planque à présent dans un méandre de son inconscient, prête à bondir pour frapper à nouveau, pour causer encore plus de chaos. « Layla, » la gamine n’a pas la force de répondre à l’apostrophe mais elle relève le nez pour un peu mieux le regarder tandis qu’il la secoue et qu’elle a l’impression que des échardes de verre brisé s’entrechoquent en elle. Une chose est sûre, certaine, absolue : il y aura un avant et un après car la fille qu’il tient entre ses mains n’a plus vraiment rien à voir avec la merdeuse assurée et vaguement agacée de se faire exploitée qu’il a amené ici. « Tu vas bien ? Respire. Qu'est-ce qu'il vient de se passer, bon sang ? » demande-t-il, pressé et pressant, balançant trop de questions. Ou juste deux. Mais l’ordre au milieu la submerge et elle inspire profondément, réalisant qu’elle retenait partiellement son souffle jusque là. Elle se fait violence pour inspirer jusqu’à en avoir mal aux côtes, jusqu’à en avoir la tête qui tourne et pour souffler doucement, pourtant elle tremble tant que l’expiration est aussi saccadée que ses pensées, la faisant un peu tousser. « Faut qu’on parte. Maintenant. » parvient-elle pourtant à articuler et déjà, faisant fi de ses jambes qui protestent, de ses dents qui se serrent, elle tente de se relever. Ses mains viennent agripper les vêtements de Zachary, prise désespérée pour tenir debout mais quand elle croise son regard, elle flanche un peu, ne pouvant s’empêcher de repenser à la seconde pulsion, quelques secondes plus tôt, en plus de ce qu’elle a déjà fait. A-t-il peur, alors qu’elle referme ses doigts sur lui, peur qu’elle recommence, peur qu’elle lui fasse à nouveau mal ? « Ça va toi ? Tu vas pouvoir conduire ? » demande-t-elle, peut-être un peu trop froide, un peu trop pragmatique. Mais ils doivent partir, vite, elle en est convaincue.

Pourtant, il suffit qu’elle cligne des yeux pour le revoir tomber. Dégringoler. S’écraser. L’autre horreur l’a empêché de fermer les yeux, alors toutes les images sont là, accompagnées de sons horribles. Lake, all over again, un cadavre sur les bras. Lui demander si ça va, à toute vitesse avant de demander s’il peut jouer les taxis, c’est loin d’être assez. « Zach j’suis... » commence-t-elle, incapable de terminer la phrase. Parce qu’elle ne peut pas être désolée quand elle n’est pas vraiment responsable, mais c’est son indifférence au danger des lieux qui a provoqué tout ça. Si elle avait été plus prudente pendant ses recherches, plus prudente avec l’athamée. Elle ouvre la bouche pour ajouter quelque chose, quelque chose qui ne vient pas. Elle ne sait pas vraiment s’excuser, Layla, trouvant toujours les mots un peu surfaits et surtout, bien moins efficace que les actions. Alors elle s’accroche à ça. Autant qu’elle s’accroche à lui. Elle repense à tout ce que l'autre lui a arraché, tout ce qu'elle a balancé et elle repousse ça bien vite, bien loin. Les questions viendront plus tard, ce n'est pas le moment. Elle force, se redresse un peu mieux, relève la tête et d’une voix un peu trop impérieuse pour l’état dans lequel elle est, elle ajoute simplement : « Sors moi d’ici, que j’puisse te soigner en paix. » Pas sûr qu’il la laisse apposer ses mains et user de ses pouvoirs après ce qu’il s’est passé, mais tant pis, proposer c’est le moins qu’elle puisse faire. Le nom d'Adriana manque de danser sur ses lèvres mais elle n'est clairement pas certaine que ça soit judicieux, ni pour lui, ni pour elle, que d'impliquer la tantine déjà si inquiète dans ce bordel.

Le regard de la gamine croise le sien et aussitôt, Zach est pris de remords. Parce qu'il est venu ici les mains dans les poches en se disant que, de toute façon, rien ne pourrait vraiment leur arriver dans cette baraque abandonnée ; avec un semblant de méfiance, seulement, vieux réflexe de son boulot loin d'être sûr, mais pas assez prudent dans son comportement alors qu'il aurait dû l'être, surtout avec la présence de Layla à ses côtés. Aussi parce qu'une part de lui qu'il essaye de chasser lui susurre qu'il aurait aimé que la sorcière – qui a quand même essayé de le tuer quelques instants plus tôt – reste un peu plus longtemps, assez pour qu'elle laisse échapper un indice pendant ses pulsions meurtrières, alors qu'elle contrôlait un corps qui n'est pas le sien. Enfin parce qu'il n'aurait vraiment jamais dû l'amener avec lui, la cadette Zapien – pour sa sécurité mais aussi pour Adriana, qui s'inquiète déjà bien assez de sa nièce pour qu'il en vienne en rajouter une couche sans réfléchir aux conséquences.
À peine a-t-il terminé son interrogatoire sorti de sa bouche à vitesse grand V qu'il pousse un soupir. Ses mains libèrent un peu plus son emprise et son esprit regagne un peu de calme, balaye la panique mais n'arrive pas à dégager l'inquiétude qui, elle, s'enracine un peu plus dans sa matière grise alors que Layla, encore devant lui, peine à respirer.
— Faut qu’on parte. Maintenant.
Il n'aurait pas mieux dit – pourtant, la même voix dans sa tête proteste, alors qu'il jette un regard derrière l'épaule de Layla, vers le couloir du premier étage qu'il n'a, de ce fait, pas pu fouiller. Non pas qu'il a envie de rester une minute de plus dans cet endroit, mais le fait de repartir avec une pauvre gamine à l'état déplorable sous le bras et pas un seul indice chiffonne le détective en lui. Ceci dit, le poids dans la poche intérieure de sa veste et dans celle arrière droite de son jeans lui rappellent qu'il ne repart pas si bredouille que ça. Le carnet et l'athamé – est-ce vraiment une bonne idée de garder ce truc avec eux ? Zach secoue la tête pour chasser ses pensées, ce n'est absolument pas le moment de penser à ça. Pour l'instant, le plus important, c'est de s'assurer que Layla est en sécurité – qui dit que l'autre fêlée ne va pas revenir d'ici peu, tel un démon qui possède des corps ne lui appartenant pas ou même pire, en chair et en os ? Et puis aussi parce qu'il ne veut pas trop pousser la réflexion à propos du couteau maudit qu'il porte encore sur lui.

Alors qu'elle tente de se reveler, ses mains viennent s'accrocher au tissu de sa veste et sur le coup, il ne tilte pas. Il n'a parfois pas assez l'esprit assez précautionneux. Au contraire, il vient attraper ses coudes pour la retenir au cas où elle vacillerait une nouvelle fois.
— Ça va toi ? Tu vas pouvoir conduire ?
Il hoche simplement la tête, une moue sur le visage semblant dire "t'inquiète pas pour moi". Il a l'impression d'avoir pris dix ans dans les os mais, pour être honnête, il a connu pire.
Elle semble vouloir ajouter quelque chose mais, cette fois-ci, étrangement, Zach ne s'y attarde pas vraiment. Il se place déjà à ses côtés pour la soutenir par la taille, plaçant le bras de la jeune fille autour de son cou histoire qu'elle ne dégringole pas les escaliers comme il vient de le faire – maintenant qu'il la porte à moitié, il sent à quel point son équilibre n'est que trop précaire.
— Zach j'suis...
Ils n'ont pas encore avancé que Zach s'arrête déjà dans son élan pour tourner la tête vers elle, un brin surpris peut-être, définitivement curieux, surtout. Il donne l'air d'attendre la suite qui ne vient finalement pas. Layla se redresse un peu plus, lève le menton, sûrement pour se donner bonne figure malgré les circonstances. Inutile aux yeux du lycan mais il se tait, ne fait aucune remarque, devine que c'est le mieux à faire.
— Sors moi d’ici, que j’puisse te soigner en paix.
— T'en fais pas, j'ai rien de grave, répond-il alors qu'ils se mettent en route – première étape : descendre les marches en sécurité. Je sais que je n'ai pas l'air comme ça, mais je suis plutôt robuste.
La plaisanterie n'est pas la mieux placée mais au moins, le cœur y est. Les traits de son visage se détendent, une lueur d'amusement passe dans ses iris alors qu'il lui lance une œillade, peut-être qu'il cherche à la rassurer comme un oncle maladroit essayerait de réconforter sa nièce, il ne sait pas trop. Ou peut-être qu'il essaye de se rassurer lui-même, en se disant qu'il doit forcément y avoir un fond de vérité là-dedans ; ce n'est quand même pas à trente-deux ans qu'on va réussir à le tuer en le poussant dans les escaliers, pas vrai ?
— On va déjà sortir d'ici pour te mettre en sécurité et s'assurer que tu vas bien, le reste, on verra.

Ils se retrouvent quelques minutes plus tard à traverser l'allée en évitant la végétation rebelle ayant repris ses droits dans ces quelques hectares de propriété et, une fois le portail passé et la voiture déverrouiller après s'être contorsionné pour récupérer les clés sans lâcher Layla, Zachary ouvre la portière côté passager pour l'aider à s'installer. Il vient ensuite contourner le véhicule, prendre place sur le siège conducteur et trois secondes plus tard, il a déjà quitté sa place de stationnement avec l'envie soudainement pressante de s'éloigner le plus vite possible de cette maison de malheur.
— Je te ramène au compound, elles sauront quoi faire pour toi j'imagine. Il aurait presque aimé que les sorcières là-bas lui donnent des informations sur la lame qu'il détient toujours mais le moment serait mal choisi. Il va devoir trouver une autre source pour en savoir davantage sur les deux objets qu'il a récupérés. Elle n'est plus là, pas vrai ?
Il ose un coup d'œil vers elle, l'air anxieux au vu des sourcils qui se plissent, avant de reporter son regard sur la route, hésitant. Ses yeux glissent un instant vers le rétroviseur intérieur, puis vers le compteur et se rend compte qu'il roule un peu trop vite. Il détend son pied sur l'accélérateur, prend une longue inspiration silencieuse.
— Est-ce qu'elle avait vraiment accès à... enfin, à ton esprit, ta mémoire, ce genre de trucs ?
La question lui brûle les lèvres depuis qu'ils sont sortis de la maison, il n'a pas pu s'en empêcher. Il semble presque avoir saisi l'opportunité d'être tous deux dans une voiture pour éviter qu'elle se défile alors qu'en vérité, elle serait tout à fait dans son bon droit de ne pas répondre. Mais quand même, il a besoin de savoir : est-ce le cas, ou tout ce qu'elle a dit n'était que du bluff ?

Layla voudrait quelques minutes, de quoi se poser, de quoi reprendre ses esprits, de quoi l’aider. Elle sait pourtant que ce n’est pas une bonne idée. Si marcher fait mal, ce n’est rien comparé à la possession qu’elle vient de subir. Elle a l’impression que ses entrailles ont été passées au papier de verre et qu’on a versé du sel dessus pour empirer les choses. Décemment, ils ne peuvent pas rester là et elle le sait. Ce n’est pas le moment de prendre son temps, de retrouver un peu de contenance. Ce n’est pas dit que dehors soit plus sûr que l’intérieur de cette bicoque dans laquelle elle ne veut plus jamais refoutre les pieds, mais ça ne peut pas être pire, assurément. « T'en fais pas, j'ai rien de grave » commence Zachary en guise de réponse et la brune fronce le nez. Pas qu’elle ne lui fait pas confiance, mais elle se doute bien que même s’il était à l’agonie, il ne le dirait pas, ça risquerait de les ralentir. Elle ne peut pas le blâmer, elle aurait tendance à faire pareil. « Je sais que je n'ai pas l'air comme ça, mais je suis plutôt robuste, » lance-t-il et au lieu de sourire, ou d’envoyer une pique à son égard, Layla serre les dents. Les doigts crispés autour de la rambarde, elle entame sa lente procession, prenant garde à ne pas trop s’appuyer sur le lycan, ne voulant pas empirer les dégâts qu’elle a déjà causé, ne voulant pas non plus l’entrainer avec elle si elle venait à tomber. Parce qu’elle sent bien que ses genoux menacent de lui faire défaut, sauf que voilà : regarder Zach dégringoler les escaliers une fois, c’est bien assez. Pour aujourd’hui, pour le reste de sa vie. Elle a suffisamment d’image traumatique dans sa boite à souvenirs, il n’est pas nécessaire qu’elle en rajoute. « On va déjà sortir d'ici pour te mettre en sécurité et s'assurer que tu vas bien, le reste, on verra, » qu’il ajoute, l’entrainant alors vers la voiture garée un peu plus loin.

Il fait presque trop bon, dehors. Trop beau, aussi, compte-tenu de ce qu’ils viennent de vivre. L’incartade sinistre ne va pas avec le décor que Chatham Crescent offre en cette fin d’après-midi. Elle ne dit rien, pourtant, concentrée sur ses pas, sur ses gestes, grimaçant lorsqu’elle vient enfin s’écrouler dans le siège passager. Elle veut s’autoriser un semblant de pause, quelques secondes à fermer les yeux mais ne peut s’y résoudre, préférant braquer un regard inquisiteur sur le détective, suivant chacun de ses gestes. Est-ce qu’il boite ? Est-ce qu’il a un rictus de douleur peint sur le visage ? Clairement, lui aussi veut juste filer parce qu’il ne s’attarde pas plus qu’elle n’ose relâcher la pression et sans demander son reste, le jeune homme démarre le véhicule et quitte la place de stationnement. «  Je te ramène au compound, elles sauront quoi faire pour toi j'imagine, » annonce-t-il et elle ne proteste pas, trop occupée à fixer le contenu – ou l’absence de contenu, thank God – du rétroviseur à sa droite, comme si elle s’attendait à ce qu’on les suive. « Elle n'est plus là, pas vrai ? » demande Zach, la tirant de sa garde. La gamine tourne la tête vers lui, ne répondant pas de suite. Besoin de sonder les tréfonds de son âme, pour être sûre, pour être absolument certaine. « Est-ce qu'elle avait vraiment accès à... enfin, à ton esprit, ta mémoire, ce genre de trucs ? » Une vague de froid s’empare d’elle et Layla laisse un frisson couler sur elle, détournant son regard de Zach pour porter son attention sur les alentours, les platanes qui défilent, les enfants qui jouent. Elle n’a pas la moindre idée de l’heure mais les rires qu’elle devine lui font penser que l’école est déjà terminée. Combien de temps ont-il passé là-dedans ? En sont-ils vraiment sortis ?

Elle cherche. Fouille. Retourne les recoins laissés à vif par l’intrusion. « Elle n’est plus là » souffle-t-elle finalement, d’une voix à peine audible. « Elle était partout, je — shit » continue-t-elle, avant de brièvement s’emporter. Sans douceur, elle flanque un coup dans la bonde d’aération qui crache de l’air frais en sa direction, enroulant ensuite ses bras autour de sa silhouette, à moitié pour se réchauffer, à moitié pour se tenir en un seul morceau. Elle ne veut pas de mettre de mots sur ce qu’il s’est passé, craignant un peu le résultat. Le fait est, pourtant, que ce qui s’impose à elle pour qualifier le traumatisme se trouve quelque part entre le cambriolage et le viol et qu’à part tout refouler, elle n’est pas certaine de la marche à suivre pour l’encaisser. Alors elle refoule. Se concentre sur autre chose. Sur la seule autre personne dans l’habitacle. Sur Zachary. Elle en vient à déployer sa magie, se réfugiant dans la force tiède que lui inspire ses talents. « T’es sûr que ça va ? » souffle-t-elle, sourcils froncés, laissant son don de soigneuse glisser vers lui à la recherche d’une plaie, d’une aspérité, de quelque chose à arranger. Trop tard pour qu’elle soit utile, sans doute, la nature lupine de son chauffeur d’infortune fait qu’il n’a pas besoin d’elle. Elle mord sa lèvre inférieure, agacée de ne pas pouvoir se concentrer sur ça, avant de passer au refuge suivant.

« Me pose pas devant l’entrée, si Adi me voit comme ça j’vais jamais en entendre la fin et elle va te tuer sans même hésiter, » qu’elle déclare, alors qu’ils arrivent vers Landmark District. Avant qu’il ne puisse protester, elle ajoute : « t’inquiète, y’aura Bee et Meg, Caden doit pas être loin non plus, faut juste que j’rentre par la fenêtre de mon appart pour éviter le courroux du dragon » plutôt lister ses copines – se souvient-il des filles ? En dehors de Meg, qui a toujours été au compound, probablement pas, pourtant elle avance ces noms avec une assurance qu’elle feint à peine, parce qu’elle fait confiance au trio. De toute façon, pense-t-elle cruellement, ce n’est pas comme si Adriana allait pouvoir l’aider elle-même, pas sans se faire mal et il est tout simplement hors de question que Layla lui impose ce genre de sacrifice, pas pour une connerie pareille. Non, sa tante ne prendra pas sur elle un énième fardeau. « J’ai dit des trucs compromettants ? » Elle change de sujet, pointant au passage l’allée dans laquelle Zach est à présent supposé tourner, histoire d’arriver sous ses fenêtres plutôt que devant l’entrée. Il ne faudrait pas attirer l’attention et puis de toute façon dans la ruelle, les places sont moins rares. Elle lui fait signe de se garer, consciente d’avoir encore besoin d’aide, aussi. « Je sais pas exactement, ce qui est sorti, ce que j’ai juste pensé, j’essayais de la faire taire si fort que j’ai dû en rater la moitié... » murmure-t-elle, et malgré son état, elle tente de sortir de la voiture seule, une fois le moteur coupé. Elle y parvient, même et puis lâche un soupire désespéré en levant le nez vers l’issue de secours menant à son appartement. Tenant plus de l’échelle que de l’escalier, l’accès ressemble surtout, d’un coup, au Mont Everest. Layla n’habite qu’au premier mais la quinzaine de marche la séparant du confort de son appartement ne va pas être mince à faire. « J’peux me débrouiller, si tu dois filer » lance-t-elle, pour la forme, par politesse. Il sait sans doute que c’est un mensonge, pourtant elle ne pourrait pas lui en tenir rigueur s’il la plantait là sans autre forme de procès.