jesus fucking christ ((qiu#1))

Est-ce qu'il se sent mal ? Il suppose qu'à un moment dans sa vie, il est passé par là. C'est une étape clef, il ne connaît pas une âme que la mélancolie a épargné. La sienne est lancinante, comme une douleur dans les os qui se réveille à chaque orage, une douiller de vieillard qui le coince certaines jours, qu'il ignore d'autre. Il la visualise, une écharne plantée dans son dos, la retirer serait sans doute pire. Il a oublié la souffrance, quand elle lui revient, elle hante ses nuits, les souvenirs sont perdu dans une brume opaque et il ne s'aventure par sur ce territoire là. Il sait que c'est arrivé, il ne cherche pas à comprendre et analyser. Ses blessures, ses traumatismes, ils appartiennent à un passé dans lequel il n'a pas envie de vivre. Il a vite compris que ce n'était pas un endroit où l'ont peut s'épanouir, l'avenir est tout ce qu'il lui reste, même si cet avenir lui semble parfois vide de sens.
Cela le ramène à cette question existentielle que tout le monde se pose. Qu'ils soient lycans, hommes, vampires ou sorcières, ils ont tous la même procuration les jours de pluie, le front contre le carreau. Il cherche lui aussi un but à sa vie, qu'il trouve comme il peut dans ses activités illégales, dans cette survie, devenue acte de rébellion. Il s'amuse de tout cela, parce que si il prenait les choses véritablement au sérieux, il s’écorcherait. Il invente ses propres règles et façonne son quotidien selon son envie. Plus le temps passe et moins il ressent le besoin de se justifier, de donner du sens aux heures qui s’égrènent. Il est là et il est heureux d'être là. D'autres n'ont pas eu cette chance, il porte le poids de leur mort sur ses épaules et ne s'autorise pas à broyer du noir, alors que son coeur bat. Il bat même très fort, quand l’adrénaline se répand dans ses veines telles une drogue directement injectée dans son sang. Il a trouvé son occupation, son hobby qui le fait se lever chaque matin, qui lui permet de traverser les mois, sans se poser de questions.
Il ne s'imagine pas immortel une seule seconde, il préférerait mourir immédiatement. Toutes les choses doivent avoir une fin. Il n'est pas de bon conseil pour quelqu'un qui semble aller mal. Au final de la conversation, il décèle ce malaise et décide de l'ignorer. Le malheur des autres doit rester à eux. En réalité, il est trop en colère pour être triste, pour ne serait-ce que penser à l'être. « Maybe you should get some help. Real help. » Et il espère que ça ne sonne pas comme une accusation, même si c'est le cas il n'en pense pas moins. Les miracles n'existent pas. « We all feel like shit.
For some of us, it's easier to just embrace it. » Il ne cherche même plus la rédemption. Il suppose que sa fin sera brutale, comme sa véritable vie à commencé. Tout ce qui s'est passé avant Savannah n'était qu'une introduction, une publicité mensongère sur ce que serait vraiment son combat. « You know what ? I envy Jesus. He does not know what hate is. » La haine que l'on donne au gens, et celle que l'on se donne à soit même, comme l'amour que l'on croit mériter.

Les paroles de l’homme font écho, quelque part dans sa mémoire. Il n’est pas le premier à lui dire qu’il devrait se faire aider, sans doute pas le dernier. Les gens ont l’air de penser qu’il n’est jamais allé chez un psychologue, souvent, pourtant il en a vu quelques-uns, des pédopsychiatres, étant enfant. Ça va de pair avec l’hôpital pour nouvelle maison, avec la maladie qui ronge un corps trop jeune pour comprendre. Ça n’a jamais été très efficace. Il était déjà réservé, à dix ans, incapable de parler à un adulte inconnu de ses ressentis, ça n’a pas changé en grandissant. Les séances ressemblaient plus au jeu du roi du silence qu’à autre chose, les yeux tantôt rivés sur la porte, tantôt sur l’horloge du bureau. Sa transformation n’a fait qu’empirer le problème, comment un humain pourrait comprendre et trouver de quoi atténuer la mélancolie d’un immortel ? Il pouvait parler à son sire, certes, et c’était déjà beaucoup, en un sens, mais leurs opinions divergentes finissaient toujours par l’enfermer dans un mutisme triste. Abe l’aidait aussi, peut-être était-ce le seul qui avait réussi à le faire sortir du vide de sa coquille. Ça lui faisait du bien d’avoir quelqu’un d’à peu près son âge à qui parler de tout et de rien. Il lui arrive souvent de regretter d’avoir quitté sa lignée, même s’il aimerait se faire croire qu’ils ne lui manquent pas, ou au moins que Gage ne lui manque pas. Mais il y aura toujours ce lien, si ancré en lui, au point qu’il ne sait plus pourquoi il a fui, qu’il ne sait plus s’il doit en maudire ou en chérir le souvenir. Trop de temps a passé, maintenant.
Qiu ne comprend pas tellement ce que l’homme veut dire, lui lance un regard vide, la tête légèrement penchée sur le côté, avant de détourner à nouveau le regard. Peut-être est-ce-vrai, peut-être est-ce plus facile d’embrasser la misère au lieu de vouloir l’éviter à tout prix. Après tout, malheur et bonheur se complètent, on ne peut goûter au second sans avoir vécu le premier. Mais s’y complaire n’est sans doute pas une bonne idée. Malgré les apparences, Qiu essaye encore d’aller mieux, même si l’espoir n’est pas là, souvent, même si les efforts lui paraissent toujours dérisoires et inutiles, il essaye. Et peut-être que ne pas être resté assis dehors en attendant que le soleil se lève depuis plusieurs années est un bon signe, au fond. You know what ? I envy Jesus. He does not know what hate is. Les sourcils se froncent, un instant, alors qu’il reporte son attention sur l’individu. Il a probablement une autre manière de gérer ce qui ne va pas, il a l’air de ceux qui sont en colère contre le monde entier plutôt que d’être désolé face au monde entier. Comme il a une autre manière de voir la religion, d’envisager Jésus. Qiu suppose que c’est le cas de tout un chacun. I think he knows what it is. He was human. He had doubts and worries, but he chose not to be driven by them. Sa voix n’est qu’un murmure, il n’a pas l’habitude de faire part de ses opinions ainsi à un étranger, surtout qu’il craint de l’agacer. Isn’t it the point of it all ? He does the good despite all the bad experiences he’s been through. Il se rappelle que sa mère répétait cela à sa petite sœur, lorsqu’elle était en colère contre une de ses amies et qu’elle ne pensait qu’à se venger. Lui n’a jamais trop compris ces sentiments, la haine ne lui est pas inconnue, non, mais elle est uniquement portée sur sa propre personne. Sorry. Il s’excuse sans attendre une quelconque réaction, simplement parce qu’il a l’impression que ses réflexions sont de nature à importuner l’homme qui se dresse à ses côtés.

I'm not human, qu'il voudrait claquer, pour justifier l'absence d'empathie, se donner l'autorisation de ressentir cette rage dont il l'impression d'être accusé et qui même à ses yeux paraît parfois exagérée. Il est ainsi, ceux qui ne peuvent le supporter peuvent toujours tracer leur chemin car il ne changera pour personne. Il ne peut lutter contre sa propre nature, il doit déjà se battre contre le monde qui lui a donné naissance. L'autre n'aurait pas tort de le lui reprocher, même si ils ne se connaissent pas, même si il n'a aucune idée de tout le mal qu'il a fait et continue de faire indirectement en contribuant à une système qui n'a rien de bon. Il n'a pas le bon coeur de Jesus et sa dévotion à l'humanité, s'il il pouvait ne pas avoir à l'affronter chaque jour que Dieu fait, Raquel se passerait bien de toute sociabilisation, de l'hypocrisie des relations humaines. Tous ces gens qui ne pensent pas leurs mots. La solitude est plus calme. « Stop being sorry. This is fucking annoying. You look like a poor puppy nobody wants. » Il soupire profondément, frustré. Il n'est pas dérangé par l'honnêteté et les sous-entendus. Même les vérités qui blessent mérité d'être entendue. Il n'est pas choqué. Il dit bien tout ce qu'il pense.
Personne ne lui interdit d'être en colère contre le monde entier, on ne peut que lui lancer un regard désolé, parce qu'on a autant de pitié pour les gens de son espèce que pour ceux qui ont touché le fond, qui remuent leur tristesse sans cesse. Deux extrémité d'une balance qui penche constamment dans un sens et dans l'autre. Raquel se demande ce qu'aurait été sa vie si il n'avait pas succombé à sa colère, si au lieu de ravaler ses émotions et les aiguiser comme un couteau, il avait simplement laissé couler la chose. Si il avait continué à faire le bien. Il ne serait pas ici et son pessimisme lui souffle qu'il serait déjà mort. « Look where he ended up. Dead. » Il ne veut pas finir comme ça, sacrifié sur l'autel de la charité, se vouer entièrement à la bonne cause et finir sur une croix. La générosité ne mène qu'aux déceptions et au goût amer de la trahison, alors il ne fait rien sans une idée derrière la tête, sans être certain qu'à la fin au moins il pourra encaisser quelques billets. Il est plus simple de se dire que ses louveteaux sont des investissements, qu'ils entretiennent une relation strictement professionnelle. Il s'évite bien des peines ainsi, prévient la douleur de voir les gens partir. Comme tout le monde, il aimerait qu'ils restent, à toujours renaître de ses cendres, il vient à s'épuiser. Raquel veut vivre, c'est une impulsion plus forte que les démons qui essayent de le mettre au plus bas. Ceux qui survivent ne sont pas les gentils de l'histoire. « If you were where I've been... I don't have the luxury to choose. Soy un lobo. I will crawl like a rat and die like a human, juste because some cabrón con colmillos decided that our lives meant less. » C'est un fait. Il n'est le bienvenu nulle part sur Terre, même ici. C'est dans l'air, il le sent et il ne peut l'ignorer.

L’homme semble en colère, encore. Qiu se demande s’il existe des choses capables de l’apaiser, si l’atmosphère solennelle d’une église n’y réussit pas. Stop being sorry. This is fucking annoying. You look like a poor puppy nobody wants. Il pensait, peut-être naïvement, que les lieux de culte inspiraient le respect par leur essence même, mais ça n’a pas l’air d’être le cas avec son interlocuteur qui continue de jurer. Le mot le choque, bien sûr, pourtant il ne le montre pas sur son visage, ni ne le rappelle à l’ordre. L’individu n’a pas l’air d’être une de ces personnes qui écoutent vraiment, quand on lui fait une remarque. Qiu n’a pas la force de le corriger encore une fois, alors il se contente d’hausser les épaules, calmement. What if it’s what I am?  Ce n’est pas la première fois qu’il a droit à ce genre de commentaires, sans doute pas la dernière non plus. Mais ça n’a jamais rien changé au fait que le vampire est perpétuellement désolé d’exister, qu’il a toujours ce sentiment de déranger, de n’être à sa place nulle part. Dans tous les cas, il ne voit pas ce qu’il y a de mal à être poli et à s’excuser, ça fait partie de lui, il n’a jamais été agressif, tous crocs dehors, prêt à se battre pour ses idéaux. Il n’en a pas vraiment, au fond. Look where he ended up. Dead. Léger froncement de sourcils, à nouveau, aux paroles pragmatiques à souhait. Ils n’ont sûrement pas le même rapport à la mort, comme à la religion. Après tout, la frontière entre vie et trépas pour un immortel est trouble, on en vient à se languir de la mort comme on se languit du bonheur lorsqu’on ne le trouve pas de son vivant. You have a really down-to-earth approach to religion, sir. Le ton est neutre, en rien moqueur, il trahit seulement sa perplexité face à de tels propos tenus dans une église. Mais Qiu n’a pas envie de s’embarquer dans cette conversation, la résurrection est un sujet bien trop vaste qu’il ne maîtrise pas tellement, et si l’homme considère que Jésus est simplement mort, il doute que cela l’intéresse.
Il observe un peu mieux l’homme à ses côtés, les deux creux entre ses sourcils qui semblent y être gravés plutôt que causés par un froncement. Il n’a pas l’air plus en paix que lui, ses peines sont sans doute bien plus grandes, puisqu’il a vécu davantage. Qiu se préserve en s’empêchant de vivre, il se complaît dans sa mélancolie, sans rien pour le faire avancer. Il imagine que la colère est moteur plus efficace, bien qu’elle doit laisser des pots cassés sur son passage. If you were where I've been... I don't have the luxury to choose. Soy un lobo. I will crawl like a rat and die like a human, just because some cabrón con colmillos decided that our lives meant less. Il bloque sur les mots en espagnol, pas très certain de comprendre les détails. Il n’a eu que du latin et du français, à l’école, à des niveaux pas très élevés étant donné ses séjours prolongés à l’hôpital, et ne connait que des bribes d’espagnol. Pourtant, il saisit l’ensemble, l’absence de choix, le fait que quelqu’un ait décidé à sa place ce qu’il devait être. Qiu n’a pas choisi, et a laissé Gage dicter sa vie pendant longtemps, alors qu’il n’en voulait même pas. I didn’t choose either, but… Is it a good way to live? To let someone decide what you should be and act as they want you to act? Il pince les lèvres, un instant, préoccupé. I’m sorry I don’t speak Spanish. Lobo, lupus, il réfléchit tout haut, You mean you’re a werewolf? Il n’y a pas de crainte ou de jugement, dans sa voix, peu importe ce que son sire pouvait penser des autres créatures ici-bas, Qiu n’a rien gardé de ses enseignements.

Rien ne l'apaisera, Raquel constate tristement que même dans la mort, il se voit esprit tapageur, il soupçonne que contrairement à ses souhaits, il ne se calmera pas. Il est condamné aux flammes, celles là même qui brûlent dans ses poitrine. La notion de paix lui semble distante, elle n'existe pas, mais il sait qu'elle l'a bercé fût un temps et son souvenir est suffisant. Il n'attend pas qu'on le comprenne, il n'a pas l'hypocrisie de demander à quelqu'un de se mettre dans ses chaussures quand il n'est pas capable de rendre la pareille. Il se songe déjà partir et laisser le garçon avec ses réflexions. Malgré son regard triste, il trouve dans ses paroles un optimisme ironique. Le chiot triste qui pourtant lui donnerait de bons arguments pour ne pas baisser les yeux et donner une autre chance à son petit jésus. Il s'accroche à quelque chose pour ne pas partir à la dérive, sinon il se serait noyé lentement. Wes ne sait pas comment il doit prendre sa remarque concernant sa vision de la religion, il décide de la considérer comme un compliment, car c'est vrai et ce n'est pas quelque chose qu'il trouve honteux. Il a les pieds sur terre, ceux qui  ont la tête en l'air ne peuvent pas voir ce qui se trame sous leurs pieds, il est facile de tomber dans un piège, une crevasse ou pire. Dans un même temps, il n'est pas sans savoir que garder les yeux rivés au sol lui fera manquer la beauté de certaines choses. Il a fait son choix. Les rêves ne lui apportent aucun réconfort, ils sont hantés la plupart du temps. Fantasmer des scénarios qui ne vont pas se réaliser, c'était bien quand il avait vingt-ans, l'âge que semble avoir son compagnon d'infortune. Maintenant, il n'y a plus à rien attendre du ciel. Il sait que sa bonne étoile n'est pas avec lui, il est né sous un mauvais astre, c'est la lune qui le possède.
Il se révolte silencieusement de sa soumission tant elle lui est impensable. Il est animal, sauvage. Il aurait pu se donner entièrement à sa famille mais elle ne fait plus partie de l'équation. Sa liberté est si précieuse qu'il mourrait pour elle sans hésiter. Les récits des loups avant lui le terrifient. Et après, on ose lui demande pourquoi il est en colère contre le monde, on essaye de lui faire avaler que les gens ne sont pas tous méprisants, racistes avant les siens. Il a du mal à y croire, ce qu'il voit, c'est encore une majorité des siens qui s'entassent dans des squats, fuyant la maltraitance ailleurs. « Yes. » Acquiesce t-il dans un souffle, épuisé par la conversation. Avoir posé des mots sur ses ressentis l'a vidé. C'est trop d'un coup, trop de réflexions alors qu'il n'est venu que pour allumer son cierge hebdomadaire et contribuer à un rituel personnel. Il espère ne pas avoir le droit à ce genre de débat les prochaines fois. « A sad puppy but a smart one. » Qu'il se moque, gentiment. Les gens intelligents ont un peu plus de grâce à ses yeux. « You don't smell like a wolf. » Il n'ose pas miser à voix haute sur ce qu'il croit déceler dans son parfum, c'est lointain. Et puis, qu'est-ce que ça change ? Peu importe sa race. Il s'est déjà fait un avis sur lui. « Speak what then ? » Un peu brusque. Il lui rappelle Sushi Boy, au Dragon Den.

Il n’est pas si étonné de savoir qu’il s’adresse à un loup-garou, après tout, la chose est courante, à Savannah, de parler à un enfant de Crowley même sans s’en rendre compte. Il est peut-être plus surprenant que l’homme le lui dise ainsi, sans vraiment de détour autre que la langue employée, dans une église catholique. Qiu ne ferme pas les yeux sur l’intolérance qui règne souvent dans les milieux religieux, il sait que certains paroissiens n’approuveraient pas sa présence s’ils levaient les doutes qu’ils peuvent avoir quant à sa nature. Lui-même ne s’approuve pas tellement, toujours dans un entre-deux fragile entre le besoin de garder sa foi et l’impression de ne plus y avoir droit. L’homme semble l’avoir abandonnée, de son côté, peut-être par lassitude d’être sans cesse rejeté par ce qui devrait être une maison accueillante où l’on se sent à l’abri, et non un lieu où la légitimité de leur existence même est remise en question. Mais Qiu n’a pas envie de ne voir que cette image négative de sa religion, il préfère se rappeler ce qu’elle peut être à son meilleur, se souvenir du temps où il y allait avec sa famille. Un endroit où les gens se rassemblent pour s’entraider et s’offrir des messages d’espoir.
Il sourit, légèrement, un coin de ses lèvres à peine relevé, à la moquerie sans méchanceté de son interlocuteur. Qiu accepte les opinions des autres, peu importe s’il aime les entendre ou non. De toute façon, il lui est plus facile d’entendre une critique qu’un compliment. Il ne passerait pas son temps à fuir Yasmin si c’était le contraire. You don't smell like a wolf. Il se tourne un peu vers lui, l’observe un instant, sans trop savoir quoi répondre à cela. Il se demande s’il sent la mort, se dit que Savannah serait franchement insupportable pour les loups-garous si tous les vampires du coin avaient l’odeur de cadavres en décomposition pour leur odorat aiguisé. Peut-être est-ce une absence d’odeur, plutôt, les parfums de la sueur et du sang si humains. Les loups-garous sont-ils aussi sensibles au sang que ceux de son espèce ? Il ne s’est jamais posé la question. Il y a tellement de questions qu’il ne se pose jamais, au fond. Is lavender covering the smell, at least? Lavande synthétique de ses produits de douche bon marché, il doute qu’elle soit agréable pour un nez de loup. Speak what then ? La question le surprend, qu’elle soit là juste pour faire la conversation ou par curiosité, il y a quelque chose d’attachant dans la manière un peu rude de la poser. English’s my mother tongue. I speak Chinese, learned and forgot all about French. Il ne l’a jamais pratiqué, au final, le français n’était pas encore au programme lorsque ses parents l’avaient emmené à Paris. Il était même trop petit pour réaliser que les gens autour de lui parlaient dans une langue autre que la sienne. I guess it’s difficult to express thoughts in another language. I mean, it’s already a burden to express them in my own. Les mots manquent, invariablement, surtout quand certains mots sont inexistants à travers la traduction.

Parce qu'il ne sent rien d'autre que la lavande, au final, une lavande synthétique, un parfum reproduit par l'homme qui ne capte en rien toutes les saveurs des plantes. Pour leur nez, c'est suffisant, pour le sien, c'est une sensation étrange, une pâle copie qui n'égale pas l'original et qui pourtant lui fait ressentir la même paix intérieure. La lavande pour calmer, pour mieux dormir. Les hommes ont cette odeur particulière qui les rend vivant, pas seulement eux, les seuls qui n'ont pas ce parfum singulier, ce sont les suceurs de sangs. Les immortels. La race ennemie de la sienne, à cause d'une vielle dispute millénaire à laquelle il n'a pas participé et dont il se fiche éperdument. A vrai dire, il en veut autant à eux qu'à ceux qui n'ont pas levé le petit doigt, une majorité silencieuse. Il n'a pas connu la régence rouge de son vivant, seulement les histoires qui font froid dans le dos et les ruines des discriminations. Il fait ensuite ensuite sa petite tambouille. Wes essaye de rester neutre, certains diront que c'est de l'égoïsme, il n'ira pas les contredire. « Chinese eh ? » Etonné, quoique. Il suffit de regarder. On croise des gens de tous horizon dans cette ville, il est toujours surpris du nombre d'origines qui se croisent et se mélangent. On lui a vendu Savannah comme une terre d'accueil et mis à part quelques idiots, il se sent presque chez lui.  « They say french is pretty. To me nothing sounds more beautiful than spanish. » Rien ne lui fera changer d'avis, c'est la part mélancolique dans son coeur qui parle. Ce sera toujours un moyen pour lui de retourner sur ses traces, de se connecter à lui même. Il a eu mille fois l'occasion de rentrer depuis. Toutes les occasions lui ont paru vaine. Retourner pour quoi ? Plus personne ne l'attend. La vérité, c'est qu'ils sont parti sans lui et qu'il est persuadé qu'ils savaient qu'il ne rentrerait jamais à la maison. Malgré tout, il s'acharne à chérir ce souvenir et rester dans une illusion, une réalité déformée qui lui cause moins de peine. « I never learned english, i'm just listening and trying to make sense of it. » Après une vingtaine d'année, il est devenu plutôt bon, à l'aise. Incapable d'écrire en revanche. « I don't express. The thoughts and feelings shit belong to the ladies. » Il fait rouler des yeux quand il exprime son opinion sur la chose, c'est plus fort que lui. C'était comme ça dans son éducation alors c'est resté comme ça, puis avec le temps il a réalisé que parler de ses émotions c'est se donner à l'autre. Les autres ne font pas attention, ils sont aussi brusque que lui et détruisent tout ce qu'ils touchent. C'est peut-être le seul point commun entre toutes les races, il n'a pas de mal à admettre cette vérité au moins. Qu'il s'agisse d'un loup, d'un vampire, d'une sorcière ou tout simplement d'un homme, l'empathie n'est pas quelque chose qu'il fait bon vent d'avoir. Il est si facile de faire semblant de n'en avoir rien à faire, mais ce n'est pas suffisant pour faire taire ses pensées. « It's a burden to speak. » Qu'il exprime. Raquel aime grogner pour se faire comprendre, faire de grands gestes ou croiser les bras quand il n'est pas d'accord. Parler pour dire quoi ? Brasser de l'air pour un oui ou un non l'épuise. Entretenir du relationnel une plaie profonde. Il a de la voix pour gueuler et réprimander, pas besoin d'aller plus d'autres. Pas besoins de dire aux autres qu'il tient à eux, lui même ne le réalise pas la plupart du temps, seulement quand ils sont partis le vide le prend dans ses bras. Il est devenu proche de ses ténèbres, elles ne lui ont jamais causé de tort. Le silence n'a jamais heurté ses sentiments.

L’étonnement de l’homme est presque surprenant, la plupart des gens associant souvent ses yeux bridés au fait d’être Chinois au premier regard, peu importe qu’il soit Britannique et qu’il y ait des dizaines d’autres pays en Asie d’où il pourrait provenir. Qiu imagine qu’il a juste de la chance que le pays d’origine de ses grands-parents soit le premier qui vienne à l’esprit des occidentaux, sans quoi il devrait les corriger sans cesse et cela le fatiguerait, comme avec la prononciation approximative de son prénom quand il le disait encore correctement. Il ne sait pas vraiment si le français est une belle langue, le cliché veut que ce soit celle de l’amour, mais il n’a jamais eu de telles considérations en tête. Idem pour l’espagnol, ou même pour les accents. Il a été décontenancé, une fois, au restaurant, quand une cliente lui a déclaré que le sien était sexy. Ou était-ce Yasmin ? Il préfère ne pas y penser. Mais il comprend l’attachement de l’homme pour sa langue natale. Qiu ressent sans doute la même chose pour le mandarin, simplement parce que c’est la langue qu’il parlait avec sa grand-mère et qu’elle est liée à de bons souvenirs, davantage que l’anglais, dans lequel il a reçu toutes les mauvaises nouvelles de son existence.
Un éclair de surprise, dans son regard, impressionné que son interlocuteur n’ait jamais appris l’anglais formellement. Malgré les maladresses grammaticales, il se débrouille plutôt bien. Mais la surprise laisse vite place à un léger sourire, bienveillant devant cette franchise un peu brute, au commentaire suivant. You’re old-fashioned, les mots sont prononcés délicatement, sans moquerie ou méchanceté, peut-être même avec un brin d’affection, dans la voix. Son père était pareil. Il ne disait pas les choses comme cela, certes, mais cela se voyait. Il ne laissait jamais ses émotions déborder, ses paroles étaient toujours mesurées, calmes, il refusait toujours de perdre la face. Qiu est à peu près sûr que cela lui venait d’une vision un peu traditionnelle de son rôle en tant que père de famille. Il lui ressemble, à bien des égards, il a souvent étouffé ses sentiments pour paraître fort, ne pas inquiéter son entourage. Mais il ne croit pas que ce soit une bonne chose, pour qui que ce soit, de tout garder à l’intérieur. It's a burden to speak. Il acquiesce en silence, reportant son attention sur les flammes qui oscillent dans l’air, devant eux, quelques secondes. I could help you with English…, il offre soudain, un rien d’hésitation, I mean, if you need. Or anything else. Les épaules se soulèvent, doucement, et il regarde ailleurs, embarrassé par sa propre proposition qui sera sûrement refusée.

Old fashionned. Impossible de le nier. Cette maladresse est symptomatique des garçons qu'on a bercé aux morales toxiques, voulant bien faire. Fût un temps où on avait besoin de muscles et de guerriers, les temps ont changé et les guerres sont médiatiques. Les conflits sont d'influence, il n'y a plus d'armées qui s'affrontent dans des échos sanglants. Pas ici. Personne n'est forcé d'y prendre part. Ce sont des cerveaux qu'il faut, des esprits vifs pour les nouvelles technologies. Lui a raté la marche. Pour lui, être homme c'est ne jamais montrer, c'est la femme qui être dans la démonstration constante de ses émotions, la femme qui doit être un océan de passion dans lequel lui se noie. Sauf qu'il n'est que ça, un homme, balancé dans des flots qui le ballottent et le rejettent, parce qu'il ne sait pas nager, ne sait pas naviguer à travers les sentiments des autres. Se braque et brusque ceux qui lui adressent la parole. Submergé. Dans son for intérieur, c'est sa mère et son père qui s'affrontent, lui qui veut faire de son fils un loup et celle qui veut l'éduquer, qui lui offre la possibilité d'écouter son coeur. Au milieu du fracas, il se demande encore à quarante cinq ans, qui il est vraiment. Si il est ce lycan émotif qui se cache derrière ses grimaces ou si il est réellement ce monstre que des âmes perdues ont réussi à adoucir. Est-ce important de savoir ? Il est fatiguant de chercher, épuisant de vouloir comprendre quand on peut simplement se laisser vivre. A prendre ou à laisser. Laissé de coté, systématiquement, les grincheux au placard. Les gens veulent du positif.

Il est étonné que le jeune vampire ne prenne pas les choses si mal, qu'il tolère au moins. Et là encore, il ne saurait exprimer l'émotion que cela lui provoque, il sait seulement qu'elle est positive. Inconsciemment, ne pas être rejeté par un vampire est quelque chose qui le flatte. Même si le vampire à l'air si triste, même s'il est loin d'être une menace. Un vampire et un loup qui s'échangent des services ? C'est presque ridicule... « How old are you ? I guess you're young, or pretty woke. Adults are old fashionned. » Il ricane, se laissant aller à une pointe de sarcasme dirigée contre lui. Ne sont t-ils tous pas comme ça, dans le fond ? Et ce monde qui va si vite maintenant... Il doit s'adapter chaque jour à la nouvelle pensée de siècle, ceux qui veulent que les choses se passent différemment. Briser les cases, les frontières, mettre tout le monde sur le même pied d'égalité qu'importe leur sexe, la race, la couleur de la peau. Une lueur d'espoir. Si le vampire pense ainsi alors... il ne sera pas de ceux qui vont reproduire l'histoire. Il n'est pas de ceux qui l'ont écrit dans le sang. « Do I look like I need help ? » Mais ça y est, la graine est plantée. La possibilité. Il faut bien qu'il apprenne à écrire, qu'il soit un pè... Un mentor apte. A la hauteur. La flamme danse devant ses yeux, elle vacille tout comme lui hésite. Il propose ça parce qu'il ne sait pas qui il est... « Your kind... has done many harm to my kind by the past. Do you even know ? » Ses tentatives de le repousser sont en réalité une manière de le tester. « What's your name ? » Enfin, un sourire, malicieux, et plein de promesses.

Le mot est peut-être mal choisi, old-fashioned, après tout, ceux qui le connaissent un peu le décriraient ainsi. Pour ses manières désuètes et sa politesse coincée, pour son respect de la religion, sa pudeur et sa discrétion malgré le bleu éclatant de ses cheveux. La plupart des jeunes gens ne vont pas à la messe trois fois par semaine, ils n’enlèvent pas leur couvre-chef dès qu’ils entrent quelque part et ne s’en excusent pas s’ils l’ont oublié sur leur tête, ils ne pensent pas qu’ils doivent se marier pour avoir des enfants et ne sont pas gênés lorsque leurs poignets sont dénudés. How old are you ? I guess you're young, or pretty woke. Adults are old fashionned. Il hausse les épaules, sans répondre, perdu dans ses pensées. Il est seulement assez ouvert d’esprit pour accepter que tout le monde n’est pas comme lui, et que c’est sans doute pour un mieux. Les valeurs de ses parents ne l’ont jamais quitté, il ne peut imposer un carcan unique à ce qui l’entoure, même si Gage a essayé de l’y mener. Il aurait été facile d’y céder, de se dire que le monde n’était qu’un immense terrain de chasse, s’imaginer tout-puissant parmi les mortels, pour un garçon de dix-huit ans à qui la vie n’avait pas souri. Sans doute qu’un autre que lui aurait remercié son sire pour l’existence offerte, qu’il devrait au moins être reconnaissant d’avoir été sauvé. Mais il n’est pas encore prêt. Au fond, la seule personne à qui il impose un carcan, c’est lui-même, collant l’étiquette du monstre sur son front, il est son propre ennemi, incapable de voir ce qu’il y a de bon en lui, à toujours vouloir se racheter pour des fautes qu’il n’a pas commises. Do I look like I need help ? Le rire l’arrache de sa torpeur, et un sourire passe sur ses lèvres, un instant. Il n’a pas besoin de regarder l’homme pour répondre à cette question : not at all, direct et sincère.
Les mots qui suivent le troublent un peu, il a entendu des bribes d’histoires autour de lui, mais n’y a jamais vraiment prêté attention, toujours absorbé dans d’autres choses. Il n’avait jamais rencontré de loups-garous avant d’arriver à Savannah, à Londres les enfants de Crowley restaient dans l’ombre. Gage mentionnait quelquefois d’autres créatures, mais elles restaient des chimères, aux contours vagues, sans substance, il préférait parler de l’humanité, qu’il méprisait. Sorry, I don’t. It’s difficult for me to feel like I belong to a certain kind, but I apologise for what my kind has done to yours. Being this is not the best part of my life, Doux euphémisme, pour une transformation qu’il considère encore comme le pire moment de sa courte vie. Il regrette la maladie, il mourait, mais il avait sa famille, il avait Violet, il avait Corey. Ne plus les voir, le trou béant laissé par leur absence dans son cœur à l’arrêt, était bien pire que de simplement mourir. Qiu Baxter. May I ask yours, sir?