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 where goes the night. (mean#2)

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Quinn Farrow
Quinn Farrow
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Âge : trente-trois
Allégeance : farrow
Métier : armurier, reprise du flambeau paternel depuis l'incarcération de ce dernier.
Adresse : same old shithole. west savannah, fief des farrow depuis des générations. thunderbolt, dans les sous-sols de l'armurerie la plupart du temps.
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flesh and bones
MessageSujet: where goes the night. (mean#2)   where goes the night. (mean#2) EmptyJeu 12 Nov - 19:50

Our summers play on repeat. In stone stands a kiss from an ancient time, the kindness gone unseen, now in sight, sleep tight, they're doing fine where goes the night  - -

— lun. 22 juin / guns’r’us, thunderbolt
Vingt heures. Un calme salvateur régnait sur l’arrière boutique. Il avait éteint la radio, rassemblé les monticules de paperasse s’amoncelant sous le comptoir, tourné l’écriteau de la porte d’entrée et s’était cloîtré dans le bureau. Il aurait pu rentrer. Fermer et rentrer — mais où ? River était “occupé” (comprendre : se tapait une de ses pouffes), et à West Savannah, l’hypothétique présence de son père le rebutait. Putain qu’il regrettait le sous-sol.
Ses doigts étaient maculés de suie. Elle s’incrustait jusque sous ses ongles et au niveau de son pouce et de son index, elle prenait une teinte cuivrée, presque dorée dans la lueur ladre du plafonnier. Un fond de dissolvant à carbone nauséabond dormait dans une coupelle en verre. Il y trempa le bout d’un chiffon, se saisit du Taurus, dont la glissière tirée en arrière révélait le canon ouvert, le fit tourner dans un sens puis dans l’autre sous la lumière, retira la glissière, le canon, et entreprit de frotter énergiquement les rails de l’arme. À chacun ses rituels pour étouffer le tapage de ses préoccupations. Certains se tuaient au boulot, d’autres allaient courir. Lui nettoyait les armes.
You can keep the guns. I don’t need your fake ass charity.
Un bref instant, ses gestes se suspendirent, et il revit les chevilles de Maura disparaître à l’étage. Retiens-la, retiens-la pauvre con, mais il ne l’avait pas retenue, il l’avait simplement regardée partir, le goût des atrocités et des aveux déliquescents encore sur sa langue, et après, le silence. Il avait louché sur le flingue sans se défaire de l’impression que l’arme démantelée se foutait de sa gueule ; une belle illustration de ce à quoi ils étaient réduits. Des petits morceaux épars d’un tout autrefois efficace et qui aujourd’hui gisait sur un plan de table en pièces détachées, inutilisable. Il les avait balayé d’un revers de main et les fragments étaient partis cogner le sol dans un bruit métallique. Les regrets avaient cette particularité de chancir comme un mauvais vin lorsqu’on les laissait macérer trop longtemps, à l’instar des souvenirs auxquels on s’accrochait désespérément sans trouver les couilles de composer avec le présent, jusqu’à ce qu’il soit trop tard pour en tirer quoi que ce soit. Mais se plier au seul remède possible — s’excuser, s’expliquer — était plus pénible que de les supporter, faut croire. Une secousse mentale, et Quinn se pencha de nouveau sur le Taurus, les vapeurs chimiques du dissolvant s’échappant du chiffon à chacun de ses mouvements, âcres à en décaper les bronches.

*


Il trouvait toujours des instants de grâce dans la violence. Une sensation d’achèvement, un profond et inégalable silence gagnant jusqu’aux soubassements de son être, avant que la douleur ne se rappelle à lui, au moment où la réalité surgissait de nouveau, cette salope de vie réelle où les actes avaient toujours des conséquences. Il ne savait plus sur qui ou sur quoi il frappait, s’il s’agissait là d’un acte de vengeance ou d’une manoeuvre désespérée visant à éponger la frustration de l’année passée, ou à drainer la déception cuisante qui l’avait gagné au constat que Maura s’était barrée sans un mot. La violence avait toujours été la solution de facilité. S’il avait eu une once de courage, il n’aurait pas attendu qu’elle soit partie pour chercher à lui prouver il ne savait quoi. Défoncer ce fils de pute ne faisait du bien qu’à lui — un soulagement éphémère. Mais il n’avait jamais été très doué pour autre chose, alors merde. Autant se contenter de ce que l’on avait. « Fuck, » Quinn se redressa et des pulsations douloureuses jaillirent à l’extrémité de ses phalanges, se propagèrent jusqu’au coude — il s’était probablement explosé la main. Allen crachait ses poumons et postillonnait un flot d’insultes inaudibles au milieu de la salive rougeâtre ruisselant sur son menton imberbe. D’une main, il prit appui sur la chaise de laquelle il était tombé dans une vaine tentative pour se relever, vacilla lorsque son genou blessé céda sous son poids. Sa béquille était toujours en appui contre la table, et un bandage moucheté de sang ornait son articulation délabrée. Quelle qu’ait été l’intention de Maura lorsqu’elle lui avait tiré dessus, ce con garderait les séquelles pour encore longtemps et en dehors d’Allen, il n’y aurait personne pour le regretter. Il botta son genou d’un coup de pied et un hurlement de douleur jaillit dans la cuisine lorsqu’il retomba au sol en se tenant la jambe. « You fucking son of a bitch, » il haleta, sans cesser de grogner et de pester, des larmes de douleur perlant au coin de ses paupières tuméfiées, « you knew she was a fucking werewolf, you fucking knew it, right ?Forget about her.You fucking knew it and you did fucking nothing, whose side are you on you motherfucker, huh? Fuck- » Quel abruti. Quel putain d’abruti, incapable de s’arrêter de jacter — il conclut pour lui, abattant une dernière fois son poing sur le faciès en charpie d’Allen, déplorant sa propension abjecte à sous-estimer la valeur du silence. Un revolver était posé en évidence sur le comptoir de l’évier. « I said, forget about her. And you better keep this episode for yourself or I’ll come down on you. Hard.Fuck you, fuck that bitch, fuck you, Farrow! » Il enjamba Allen et récupéra le revolver de Maura, repartit en sens inverse et claqua la porte, les pognes tremblantes.

*


Le carillon de l’entrée résonna dans la boutique et plusieurs personnes s’infiltrèrent à l’intérieur, l’écho de leurs voix graves se répercutant jusqu’à lui. Au milieu de cet ensemble dissonant de rires et de paroles dont il ne saisissait pas le propos, les intonations puissantes de Callum dominaient les autres. Une contraction douloureuse. La porte du bureau grinça sur ses gonds lorsque son père surgit dans son champ de vision, projetant son ombre dans l’enceinte restreinte de la pièce, où les étagères et la table centrale occupaient presque tout l’espace. Une chaise était coincée entre le plan de travail et le mur du fond, là où une unique fenêtre donnait sur le parking, désert à cette heure. Quelque chose se ratatina à l’intérieur de lui lorsque son père baissa les yeux, posant sur Quinn un regard sans aménité. « The fuck you still doing here? It ain’t a fucking club house here, your shift is over, get outta here.Why ? » L’impression d’avoir dix ans de nouveau, le reflet du marmot apeuré flottant dans les prunelles algides du paternel. Sous la table, Quinn frotta ses paumes moites sur son jean. Le ventilateur du plafonnier tournait au-dessus de leurs têtes dans un froissement léger qu’il n’avait pas perçu jusqu’alors, mais qui, soudain, occupa toute son attention. Son père ne répondit rien, extirpa un paquet de clopes de sa poche arrière et lui assena une pichenette pour en extraire une cigarette. Il l’alluma sans cesser de le dévisager, l’air de se demander s’il allait se donner la peine de se mettre à gueuler — comme si faire rentrer quoi que ce soit dans le crâne dur de son cadet n’était pas perdu d’avance. « God knows what I did to have such bloody dumb kids. » qu’il lâcha. Dans la boutique, deux personnes conversaient bruyamment et le bruit caractéristique d’une vitrine que l’on faisait coulisser sur ses rails se fit entendre. Il crut reconnaître la voix de Martin, le père de River, mais il n’en était pas certain. « Who are you going with on friday ?… what?To Jacksonville you idiot. Who are you going with ?Just myself, that’ll do.Oh no, you’re not going there on your own. We saw how it went last time. » Ces foutus clebs et leurs foutues grandes gueules et leur foutu milkshake de merde. Putain, son père lui reprochait-il vraiment l’esclandre qu’il avait initié l’autre jour ? Devait-il en être surpris ? Le regard vacilla un instant, avant d’échouer sur le flingue posé devant lui ; il ravala une répartie cuisante. Bascula contre le dossier de sa chaise et s’alluma une clope à son tour, des palpitations nerveuses jusque dans l’occiput. « Anyway. You could take your brother with you. » Le refus jaillit spontanément. « No way. I’m not going with Sid. (un rire étouffé) Yeah you’re right. God knows what this fucker could do.that’s not what I meant qu’il grommela, mais le borborygme se perdit en cours de route. — Take Harold then (ce vieux pourri bedonnant ? Fuck no), or Randy, I don’t fucking care. But you’re not going alone.I’ll ask River. » Callum parut hésiter, le jaugea longuement, puis brailla par dessus son épaule : « Hey Marty ! Come here. » Un bruit mat, des pas se dirigeant vers le bureau. Marty se détacha dans l’embrasure de la porte, armé d’une Red Seal dans chaque main ; il le salua d’un « sup’ » rendu pâteux par la bière auquel Quinn répondit d’un vague hochement de tête, conscient que le projet d’embarquer Maura sans alerter personne (quelle idée à la con) venait de prendre feu avec l’intervention de Martin. « What’s wrong?Quinn’s going to Jacksonville for some delivery shit, you think River could go with him? (Merde.) Yeah why not. (Merde.) Fine, sounds like a plan. » Et Quinn de penser, t’as fait une connerie. T’as fait une énorme connerie, maintenant t’as plus qu’à faire avec. « Alright I need to show Marty something before I go home. Don’t be late, you’re not upsetting your mother tonight, am I clear ? » Son existence entière s’était retournée sur elle-même, un tour à trois cent soixante d’une brutalité à en donner la gerbe — car, trentaine passée, il n’était pas plus foutu de tenir tête à son père qu’il ne l’avait été autrefois. C’était à pleurer.
to river - today, 8:46pm -
need a favor
call me back
— ven. 26 juin / 393, west savannah
« How long will you be gone ? » Dans un sac en toile à imprimé militaire ayant appartenu à Earl —ou bien était-ce à Ray, il ne se savait plus, Quinn entassait ses affaires pêle mêle sans se soucier vraiment de ce qu’il y mettait, de l’usage qu’il ferait d’un couteau-suisse ou d’une putain de chemise, tournait en rond dans la piaule encombrée de toutes les merdes qu’il avait déblayées du sous-sol de l’armurerie quelques semaines plus tôt, rampait sous le lit pour récupérer ici une lampe torche laissée à l’abandon, là son chargeur de téléphone, scrutait les fonds de tiroir sans parvenir à remettre la main sur ce qu’il cherchait. Dee se tenait là sans avoir l’air de trouver sa place dans cette effervescence inhabituelle, les bras serrés sur son torse, les sourcils arqués en pointes de flèches tandis qu’elle suivait ses préparatifs du regard. « Dunno. » Un soir, deux peut-être, pas plus — le trajet jusqu’à Jacksonville n’était pas long, mais River avait insisté pour avancer le voyage d’un jour et passer la nuit il ne savait où. And take a fucking swim short bro’. « Is it just you and River ? » Il ravala un soupir. Songea à River, à son père, à ce connard de Marty, aux messages flegmatiques envoyés la veille à Maura. Change of plan. River’s coming with us. Didn’t have a say. « Yup. » Dans un tiroir encombré de son bureau, qui n’avait jamais servi à rien d’autre qu’à y empiler toutes les saloperies qu’il trouvait dans le fond de ses poches, il mit enfin la main sur la pipe à beuh de Nickie.

— ven. 26 juin / landmark district
Le 4Runner de River n’était pas de la dernière jeunesse, mais ils avaient jugé préférable de laisser la Bronco déglinguée de Quinn là où elle était plutôt que de prendre le risque de tomber en rade passé les premiers vingt kilomètres. Cinq flycases prudemment scellées étaient parquées dans le coffre, dissimulées sous une couverture maculée de sable et de poils de chien, et ils avaient jeté leurs sacs à l’arrière, sur l’amas de flyers et de magazines publicitaires jonchant le sol, certains datant de l’année dernière. « There, il désigna une allée du doigt, là où la tête blonde de Maura flamboyait au milieu des rangées de capots alignés sur le parking du Walmart, is that Maura ? » et River tourna à gauche sans ralentir, manquant d’emboutir le pare-choc de la caisse en bout de file. Il gara l’engin deux places plus loin et coupa le moteur. La climatisation s’éteignit dans un ronflement et l’air lourd du dehors les happa furieusement lorsqu’ils ouvrirent les portières et s’extirpèrent du SUV, leurs casquettes vissées sur le crâne, leurs clopes fumantes entre les lèvres. Le macadam et la tôle des bagnoles surchauffés irradiaient comme des fours et il faisait plus chaud que dans la gueule de l’enfer, sur ce putain de parking. Ils s’avancèrent vers elle, et une légère nausée s’empara de lui. Il n’avait encore rien dit à River. Sûrement aurait-il dû en éprouver plus qu’une vague culpabilité. « Hey Pace. Not the best spot to turn tricks you know, » il ricanait comme un con, « The trunk is full to the brim so you better keep your stuff at your feet. » jusqu’à ce qu’un rire ahuri se bloque à mi-chemin vers ses cordes vocales aux propos de Quinn, dont le regard fuyant scrutait tour à tour le visage de Maura et les contours imposants du Walmart, où Kitty devait encore être en train de bosser. « Huh ? » River s’était tourné, dardait sur lui un regard brûlant, halluciné. Ils se toisèrent en silence, le sourire de River glissant de son visage comme une traînée de boue à mesure qu'il assemblait les pièces du puzzle. « Yeah, well. Comme si ça se passait de commentaire. Le ton se durcit. This is a joke. » L’autre jeta son mégot à ses pieds. « You can't be serious. You’re taking her to Jacksonville ? - il baissa d’un ton- You’re doing a fucking delivery with a werewolf on your backseat, really ? What the fuck is wrong with you man ? » Devant la gueule hermétique du comparse, River secoua la tête et tourna les talons, égrenant ses protestations en une litanie incessante -sweet jesus, you’re out of your fucking mind, I’m telling you, this is a fucking mistake-. Quinn grilla son mégot jusqu’au filtre, l’écrasa sous sa pompe et capta prudemment le regard de Maura. « What ? He didn’t need to know. He would’ve been a fucking pain in the ass if he’d heard of it earlier.C’mon you morons, get off your asses ! »
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Maura Pace
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MessageSujet: Re: where goes the night. (mean#2)   where goes the night. (mean#2) EmptyDim 20 Déc - 18:43



“in the town of broken dreams, the streets are filled with regret
maybe down in lonesome town i can learn to forget


– jeudi 25 juin / #1305 west savannah
Aaron ressemble à une loque. Affalé sur sa chaise en plastique, la tignasse hirsute, la barbe poussant au petit bonheur la chance, il nage en pleine régression vers les années les plus coriaces de son adolescence, celles où les sautes d’humeur sont conviées à toutes les heures et les responsabilités reléguées au fond du placard. Le chômage lui va mal, un chagrin amoureux l’a précipité au fond du trou et, cerise sur le gâteau, ses tout schuss dans la poudreuse se sont récemment révélés encombrants. Ses yeux vitreux balayent le quartier qui part timidement se coucher tandis qu’il tente de consoler son douloureux mois d’abstinence avec une bière dans la main et un énième monologue au vitriol, crachant son venin aux oreilles de la seule personne ayant encore la foi de l’accompagner dans sa désintoxication forcée – Maura, qui d’autre. Unique touche féminine à la coloc du numéro 1305 et dernier parasite arrivé, celle-ci a surtout reçu l’ordre non-discutable de « faire son boulot » par la femme de l’Alpha, Merrill, et bien que la discussion ait déjà eu trois semaines pour être digérée – trois longues semaines pour conduire Aaron sur la route de la Sobriété et de la Dignité – le morceau est toujours coincé au fond de sa gorge. (« My job? Should I take him to the post office, then?No, smartass, you take care of him. You make sure he gets off the drugs so he can find a job soon. I don’t care how.Er- that’s not really my field of expertise, I’m sure we can find him a counselor or- » Si les yeux de Merrill avaient été équipés de lance-flammes, nul doute que Maura aurait instantanément cramé sur place. « Hey, listen. That’s your job, and your role, and it should be your top priority. You’re still new to this pack and what have you done so far, huh? In case you haven’t noticed, we help each other out. We don’t need an outsider on this and we definitely don’t need some fucking counselor with a stupid diploma. Aaron’s not a junkie, he’s just a lost kid, is that too much for you? Good. End of discussion. » La cuisine avait rétréci d’un seul coup sous le poids des non-dits. Et Maura aurait dû la fermer. Vraiment. « Should I make his bed? And bake cookies? Is that also my job? »)
Ses paupières se ferment pendant qu’Aaron poursuit son discours et que des beuglements étouffés leur parviennent depuis l’intérieur de la maison, où cinq autres loups dégénérés braillent devant l’écran. Ce soir les Braves d’Atlanta affrontent les Phillies en 4K, Aaron a une nouvelle crise existentielle, et la promesse de partager sa pénitence en renonçant à la clope ne cesse de lui sauter aux yeux comme l’idée la plus pourrie du siècle. Elle se ronge les ongles, étalée de tout son long sur le vieux canapé du porche. Le plus elle l’écoute, le plus l’envie de l’étrangler et de filer s’en griller une devient un projet envisageable.
« … because Tia never understood, you know? I’m sure that bitch told my manager, I’m sure that’s how they knew, fuck, it’s so obvious, these cunts are always so fucking unbelievable. » Fuck, fucking, cinq noms d’oiseaux et autres douceurs habituellement conjuguées pour Trish et ses copines sont ensuite balancées dans une tirade inspirée, traînant dans leur sillage la griffe d’Allen puis rebondissant par une malencontreuse association sur Quinn, dont l’incohérence stagne toujours dans un coin de son cerveau, dormante et intacte. Les plans du week-end ont beau avoir été confirmés, elle n’a prévenu personne, ni son boss qu’elle sera absente le samedi, ni Madison qu’elle se retrouvera sans babysitter, ni même Aaron qu’il devra se débrouiller un jour entier sans chaperon, infirmière, domestique, béquille, quel que soit le statut qu’elle a désormais acquis à ses yeux, comme si elle anticipait le naufrage inéluctable de ce… road trip accidentel.
« … as if everyone dreamt about working in a fucking 7-Eleven. For fuck’s sake. » Maura ne répond plus. Maura disparaît dans la caisse de résonnance savamment bâtie depuis trois semaines pour porter assistance à Aaron et annihiler toute autre distraction susceptible de venir corrompre son temps de sauvetage.
Or just company.
L’invitation s’insinue encore sous son crâne par vagues. Sa volonté de faire table rase depuis leur échange à l’armurerie ressemble à des sables mouvants : lisse et parfaitement solide à première vue, au bord de l’effondrement dès qu’on s’y attarde un peu trop. Craquelée. Une pichenette de réflexion et elle serait prête à trouver n’importe quelle excuse pour se débiner, ramer dans l’autre sens et s’accrocher à cette désillusion âcre qu’elle traîne depuis quinze ans. Pourquoi a-t-elle accepté ?
« … acting like my wellbeing is so important, but you know Merrill, she’s acting like a fucking saint but she’s all about the money. You don’t have a paycheck? You’re useless to her. All these wolfpack bullshit stories. »
If you want.
Ça sonnait comme un semblant d’excuse. Pour les conneries qu’il lui avait jetées à la gueule dans ce sous-sol poussiéreux dont l’odeur s’était cimentée dans sa mémoire, pour l’anniversaire où elle avait été assez conne pour le convier et où sans surprise il n’avait pas daigné se pointer, sans une seule raison de lui laisser croire que cette soirée mi-mai devait son existence à davantage qu’un pauvre hasard, une perte de clés et trois souvenirs en bulles remontés à la surface par un dosage purement mathématique d’alcool. C’était les mêmes ingrédients qu’il y a quinze ans, la même nonchalance à la va-comme-je-te-pousse. Depuis le temps, son instinct aurait dû apprendre à courir dans la direction opposée et il avait d’ailleurs failli le faire, lorsqu’elle l’avait aidé à porter ce foutu carton à l’intérieur d’un stand de tir désert et s’était apprêtée à riposter, qu’est-ce qu’ils foutaient là au juste, mais la mention de la sortie de Callum avait éteint toutes les lumières puis baissé le rideau sur son exaspération. A moins que ce ne soit cette odeur métallique, toujours la même, qui déclenchait à chaque fois une volonté de trêve tel un conditionnement particulièrement tordu. Elle n’avait pas aligné deux pensées que la capitulation se précipitait déjà entre ses lèvres. Sure. Ça sonnait presque comme une excuse.
« … better off without humans, that’s for sure. We should park them in the same neighbourhood, like they used to do for werewolves, you know – or just force them to leave – or shoot them all for all I care. Do you have a gun, Maura?… what? » Le cuir bousillé du canapé couine lorsqu’elle se redresse en se massant les tempes. Qu’est-ce qu’elle a hâte de disparaître des radars, même pour une journée. « I said, do you have a gun? » Le Taurus, dans sa boîte à gants. Dans le sous-sol de l’armurerie. Et la vibration irritée de sa voix qui s’est répercutée aux quatre coins la Buick. Where’s the holster, Maura ? When was the last time you took care of it ? « Not anymore. » Sa tête rebondit contre le dossier tandis qu’elle se renverse sur la banquette, brusquement excédée sans raison – juste parce que le look de plouc de son colocataire lui grille la rétine ou parce qu’elle donnerait n’importe quoi pour rompre sa promesse et piquer une cigarette au premier venu, ou bien à cause de sa propension à s’écraser devant les sollicitations de son entourage… ? La maison est soudain aussi étouffante qu’une cage. Elle s’est levée pour aller recharger leurs munitions lorsque son portable émet une notification. « We should go and buy one.Sure, excellent idea. Because that would solve everything, right? (Change of plan. River’s coming with us. Didn’t have a say.) Fucking amazing. (La tonalité suivante la prévient aussi qu’ils partent un jour plus tôt.) That’s just… great. Absolutely great. » Elle éteint son écran en maugréant un let’s go back inside now au bord de l’incompréhensible tandis qu’Aaron, imperméable au changement de température qui vient de s’opérer, reste vissé sur sa chaise. « I bet Quintin would sell me one.Who ? » Elle se fige comme un lapin pris dans les phares d’une voiture. « Quintin. The new temp at the Warrior Wolf? I told you about him, we go to the same meetings and… » Maura n’écoute pas la suite, soulagée pour rien, confusément honteuse du tambour qui cogne sous sa poitrine à la simple idée qu’Aaron ait pu mettre les pieds au Guns’r’Us.
En rejoignant les autres loups hypnotisés devant le baseball, elle profite d’un homerun inespéré pour piocher dans le paquet de cigarettes de Gary, autorisant du même coup son cerveau à effectuer un double salto vrillé sponsorisé par la rechute : what a load of bullshit. Le Wylde. Le trajet en centre-ville pour déposer Dee. Le trajet retour à l’armurerie. La quasi normalité de cet échange jusqu’à ce qu’il tombe sur le revolver à l’abandon dans sa boîte à gants et que ce simple accessoire fasse se resserrer l’univers autour d’eux, toutes les particules de la soirée condensées autour de cette table minuscule avant de s’enfoncer dans un cercueil de souvenirs. Allen. Charleston. Luke. Elle passe le reste de la soirée à faire taire le son de la déception.


– vendredi 26 juin
La Buick broute au freinage lorsqu’elle la stoppe sur le parking, plus ou moins dans les lignes, à deux doigts d’emboutir la voiture sagement garée en face. Maura récupère son vieux sac de voyage en forme de polochon et attend, les fesses callées contre le coffre, le short à peine plus long que celui de Trish quand elle attendait dans la même position que ça morde à l’hameçon. Le bitume brûlant forme des bulles qu’elle se met à écraser du bout de ses sandales comme une gosse à défaut de pouvoir trouver un coin d’ombre dans cette fournaise qu’est le parking du Walmart. « If I see you on Monday with a hangover, or worse, a tan, I swear you’re gonna be stuck on weekends ‘til Christmas, » » lui a dit Landry-le-manager avant de la laisser filer avec un jour de congé supplémentaire, incapable de voir le sourire canaille qu’elle a décoché dans son dos. Elle a invoqué une urgence. Sans plus de précisions. Madison a fait la gueule quand elle a compris que son samedi après-midi sans gamins tombait à l’eau et Aaron a encaissé sans broncher derrière ses lunettes fumées, tous deux libérant malgré eux le parfum enivrant du mensonge sans conséquence.
Parfum qui développe un arrière-goût de brûlé lorsque River et Quinn débarquent. « You’re doing a fucking delivery with a werewolf on your backseat, really ? What the fuck is wrong with you man ?Wait, you haven’t even told him?What ? He didn’t need to know. He would’ve been a fucking pain in the ass if he’d heard of it earlier.C’mon you morons, get off your asses !Un-fucking believable. » Ça soupire et ça fait mine de faire demi-tour mais au final, le colis piégé n’attend pas longtemps avant de grimper à l’arrière, les pieds négligemment posés sur les sacs qui occupent tout le plancher. Reniflant la même odeur ferreuse – poussiéreuse ? – qu’au stand de tir, elle se retourne vers le coffre pour confirmer ce que son odorat a déjà détecté, puis hume par réflexe ce qui s’invite sous son nez lorsque les portières se referment et qu’elle se cale au milieu de la banquette : la familiarité l’assaille de toute part comme si elle avait reniflé du poivre et avec un dernier éclair – putain, c’est l’odeur du Ballistol dans la cuisine d’Allen – elle laisse échapper un éternuement aigu, un jappement de chiot. « You’re okay back there? » Coup d’oeil indéchiffrable dans le rétroviseur où les sourcils de River se froncent. « Yeah, it’s probably just the a/c. » Si seulement. Pour se donner bonne contenance, elle fait retomber les manches de sa chemise sur ses poignets.

Parce que c’est River, qu’elle n’a pas revu depuis des siècles et qui ne ressemble pas à toutes les sangsues qui paraissent graviter autour de Quinn (pensée fugace pour Shane. Et pour Luke, ce petit con), elle consent à adoucir les angles avec sa méthode préférée : le mitrailler de questions jusqu’à ce qu’il oublie sa présence indésirable. Quelques minutes plus tard, Maura a donc les coudes posés sur les dossiers des sièges avant, sa ceinture est tirée au maximum et la musique n’est couverte que par la voix de River qui s’attèle à la laborieuse tâche de résumer quinze ans dans les grandes lignes. Et les plus petites. Et d’infinies digressions qui leur font bizarrement oublier le paradoxe de ce voyage et ce qu’il y a dans le coffre. Ils évoquent même Devin, le record de Trish depuis plusieurs années et un connard fini qui refuse que Maura mette un pied dans la maison, et c’est presque un soulagement de savoir qu’il est aussi abruti dans sa fonction d’agent de sécurité sur les docks de Savannah. Aaron s’invite également dans la conversation, son "problème récurrent" et l’ordre qu’elle a reçu pour l’aider à s’en défaire, comment ils ont détruit les habitudes et profité du désordre pour réduire leur consommation de nicotine – toujours par phrases détournées, afin que le mot meute ne soit jamais mentionné, ni le mot loup d’ailleurs, on tourne autour du pot pour associer sa colocation à un choix de vie et non à une quasi obligation sociale pour survivre à Savannah. Leur adolescence passe sous le tapis, par égard pour tout ce qui flotte dans l’air, mal recyclé par la climatisation, ou peut-être simplement parce que River avait beau être systématiquement là, la mémoire de Maura a tranché en sa défaveur. De ses souvenirs marquants ne restent que Nickie et Quinn, piliers de sa baraque sur pilotis avant que la tempête n’engloutisse tout. Même Dee est un fantôme en comparaison, et d’ailleurs elle n’a même plus repensé à cet échange foireux depuis qu’elle l’a balayé de la main — Forget it, I was wasted, you know how it is — à peine consciente que l’excuse était minable, car quoi de pire qu’une vieille jalousie si bien enfouie que seuls des mètres de shots peuvent la tracter à la surface ?

Aux abords de Brunswick, un peu moins d’une heure après leur départ, elle les force déjà à trouver une station essence pour soulager sa vessie.
Rentrant sa chemise dans les pans de son short effiloché, les manches retroussées, les cheveux au vent et une paire de solaires posées en équilibre sur son crâne, elle s’engouffre entre les portes coulissantes du BP comme si c’était son royaume. Dans sa tête tourne en boucle le même scénario, un inspecteur imaginaire qui viendrait questionner la caissière après leur départ, après que quelqu’un ait tiré la sonnette d’alarme – Have you seen someone suspicious today? Something out of the ordinary? Someone looking like they were hiding something? Fangs, fur, magic wands? Et que pourrait répondre cette pauvre gamine aux cheveux filasses ? Une petite blonde avec un sourire immense m’a acheté des bonbons à la menthe, des chips goût poulet-barbecue, un pack de six puis réclamé poliment la clé des toilettes ? Elle n’a rien de douteux. Elle est même probablement plus civilisée que la plupart des bouseux qui viennent pomper dans cette station agonisante. Le vieux grognon qui lorgne les magazines depuis dix bonnes minutes sans bouger est largement plus inquiétant qu’elle.

Maura récupère ses provisions au moment où River pousse la porte de la supérette miniature, finalement déterminé à profiter de l’arrêt pour faire un plein d’essence.  « Thanks for the ride. I know you didn’t have much choice but… you know. Thanks anyway. » Le regard est globalement vide mais au moins, toute trace d’hostilité a disparu. « No problem. » Dehors, Quinn a dégainé son paquet de clopes malgré les interdictions fleurissant un peu partout et elle se traîne jusqu’à lui, déposant ses achats à ses pieds, la main en visière au-dessus des yeux. « Like I said… I’m trying to stop smoking. You’re not helping. » Son faux reproche est couvert d’un sourire mal contenu. Le vent de liberté qui souffle dans leurs cheveux a quelque chose d’euphorique, d’irréel, comme un bras d’honneur à toutes les règles et les non-dits en place à Savannah et mon dieu si la meute savait où elle se trouvait et en quelle compagnie, ils la crucifieraient sur le champ. « It’s a combination of willpower and circumstances, apparently. » La même volonté à rester loin des emmerdes, loin des anti-crawlers, loin des types qui magouillent avec des armes à feu ? Bien parti. « Oh come on don’t be a dick, give me the last puff at least, » elle ajoute précipitamment, prouvant une fois de plus que ses résolutions ne tiennent toujours qu’à un fil.
« For a second yesterday I thought you were gonna cancel. » Un frôlement de mains plus tard, ses doigts ont récupéré le bout de clope entamé, le filtre humide – elle n’a plus partagé de cigarette depuis quoi ? 2010 ? – pendant que River se débat de l’autre côté de la voiture avec la pompe défaillante. « I’m glad you didn’t. » Le regard en biais, elle avale une dernière bouffée salvatrice pour dissiper cette sincérité inhabituelle tout en prenant soin d’écraser le mégot du bout de sa spartiate. « And you know what, it’s even better that River’s here because, quite frankly, and don’t take this the wrong way but… (Elle se surprend à sourire, tout comme cet instant dans la voiture il y a quelques mois où elle lui a trouvé la même dégaine que quand ils étaient ados, avec son t-shirt trempé, sa touffe de cheveux désordonnée, son regard blasé, et dans ces moments l’asphalte pourrait bien s’effondrer autour d’eux, elle serait toujours là à sourire connement en guettant sa réaction, les pattes de mouche qui se formeront au coin de ses yeux et l’éclat vif traversant ses prunelles rieuses) you still drive like a maniac. »
Ils remontent dans l’habitacle climatisé du 4x4 avec un nouvel éternuement, et Maura dépose son maigre ravitaillement entre les deux sièges avant. « Fire away. » Et elle est contente de sa blague débile. « What time’s the delivery by the way? I’ll find something to do in the meantime. » Elle coopère, putain. Davantage d’insouciance de sa part reviendrait à se porter volontaire pour décharger la cargaison du lendemain : elle ne peut littéralement pas être plus nonchalante. Si elle était installée à la place du mort, elle étendrait ses jambes sur le tableau de bord. Elle est à deux doigts de se mettre à chantonner avec la chanson suivante. Plus rien n’a d’importance. A mesure que la destination se rapproche, Savannah disparaît de ses pensées, ne laissant qu’une traînée de poudre derrière elle et cette vague interrogation émerveillée : pourquoi n’ont-ils pas fait ça plus tôt ?


Dernière édition par Maura Pace le Dim 14 Mar - 23:23, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: where goes the night. (mean#2)   where goes the night. (mean#2) EmptyMer 27 Jan - 13:41

I love all the little things, and the beauty that they're gonna bring, I dig your little laugh and I'm loving your quick wit, I even love it when you're faking it  - -

River parlait beaucoup. Son regard accrochait celui de leur passagère dans le rétroviseur, maintenant le flux de la conversation avec un enthousiasme à peine voilé. Quelqu’un pour qui ses emmerdes ne disaient encore rien en 2020, tu parles d’une aubaine. Les docks, Martin, Cece, le dernier match des Braves, Cece encore. « This bitch disappeared without a word, y’know. Didn’t see it coming. I leave to work one day and the next one she’s gone, with the kid and the dog and the fucking TV and all. » Quel con, quand il y repensait. Il n’aurait jamais dû croire qu’une nana comme elle resterait indéfiniment dans les parages et, après coup, il semblait même improbable que leur relation ait duré si longtemps. Une gosse de riche comme Cece, faire sa vie avec un type comme lui ? Les passions du début avaient balayé leurs différences pendant un temps, mais comme toute imposture, la leur avait fini par éclater après la naissance de Mack.
Ils avaient acheté cette baraque minable en banlieue de la ville, avaient effondré les murs trop minces pour ouvrir des espaces destinés à être retapés plus tard, parlaient ingénument de mariage, de gosses, et quand Cece avait brandi son test orné de deux petites bandelettes roses, sa joie n’avait rien eu d’affecté. Et puis la petite était née, et il était tombé amoureux une deuxième fois. Mackenzie. Un bambin minuscule tout en peau douce et bourrelets de chair tendre. Putain ce qu’il avait été fier de tenir cette petite chose toute neuve, de respirer l’odeur capiteuse de sa peau. Il se souvenait avoir tripoté le bracelet de naissance à son poignet, surpris d’y lire le nom de sa fille inscrit au stylo bille, incapable de croire qu’il ait pu engendrer une chose pareille. Le bracelet devait encore se trouver dans un fond de tiroir encombré — au moins une chose avec laquelle Cece n’était pas partie, une dernière preuve de l’existence de sa fille pour les jours où il venait à en douter. Il n’avait vu Mack qu’une dizaine de fois en trois ans. Quant à Cece, il aimait croire que rien ne l’avait préparé à son départ, refusant d’admettre son dédain blessant à son égard, mettant leurs esclandres à répétition sur le compte des prises de têtes auxquelles tous les couples faisaient face, certains plus que d’autres, et peut-être que les désirs récurrents de Cece de repartir en Floride auraient dû lui mettre la puce à l’oreille, mais comme Quinn, River n’avait jamais été foutu de déceler les signes d’alertes que semaient les gonzesses derrière elles en attendant d’eux qu’ils les comprennent. À force, leurs relations foireuses étaient devenues des running gags dont on finissait par se gausser, à défaut d’en pleurer, parce que c’était pathétique.
Sur sa banquette arrière, un de ces spécimens tout en sourires et mimiques involontairement enjôleuses bavardait avec allant, contant quinze ans de galères au travers d’anecdotes d’apparence légère mais qui, il le savait, en cachaient d’autres, moins reluisantes. Des non-dits plus lourds que ce que l’on voulait bien laisser entendre.
Elle racontait la fac, les passages plus ou moins longs dans telle ou telle ville — Nashville, Atlanta, Charlotte, Charleston — et un nombre incalculable d’emmerdes avec des types qui auraient aussi bien pu être eux. À sa droite, Quinn demeurait stoïque. On n’aurait pu déceler chez lui autre chose qu’un vague intérêt pour ces échanges de nouvelles, remarquablement prudents, du reste. Les jambes tendues devant lui, l’arrière de son crâne roulant sur l’appuie-tête à chaque chaos du véhicule, il regardait se dérouler l’horizon sans leur faire la grâce de sa participation que, d’ailleurs, personne ne sollicitait. À l’évocation de Charleston, cependant, il le vit glisser un regard oblique en direction de Maura sans pour autant déserrer les lèvres. Il connaissait ce crétin comme s’il l’avait fait. Ce coup de fil deux jours plus tôt lui demandant (suppliant) de l’accompagner à Jacksonville (man it’s you or Harold so please, just say yes, I’ll owe you ten), la tronche de Pace se découpant dans son rétroviseur, le silence faussement désinvolte de Quinn à son sujet. C’était un calcul de niveau de maternelle, et personne dans cette foutue bagnole ne le pensait con au point d’ignorer à quoi ça tenait. Quant à Maura, il n’en savait rien, mais peut-être que sa présence en disait-elle suffisamment long.
Ils taillaient la route et la bavette en trimballant des armes et un loug-garou sur le siège arrière, et tout ce cirque avait l’air foutrement normal. Quinn sentait son humeur s’alléger, se teinter de ce sentiment particulier qu’ont toujours les escapades improvisées. La voix de Maura retentissait sous son crâne comme l’aurait fait celles de ses sœurs, faite d’inflexions connues sur le bout des doigts, et il l’écoutait, avides de ces anecdotes qu’il n’aurait pas eu le cran de demander — pas aujourd’hui, pas comme ça. Combien de fois avaient-ils revisité leur minable avenir, enfants, au travers de projets aussi fumeux qu’ils les laissaient rêveurs ? Ils parlaient toujours de quitter West Savannah, d’investir leurs existences dérisoires comme personne d’autre avant eux. À l’époque, la superfluité de ces fantasmes ne lui sautait pas encore aux yeux, bien qu’il ait toujours su, au fond, que ces rêves n’étaient que ça : des rêves. Des espoirs de gamins qui se racontaient des histoires pour tuer le temps et l’ennui, comme ces jours où Kitty et Sid les emmenaient faire du vélo dans les forêts de feuillus bordant la ville. Ces escapades avaient pris fin après qu’ils aient passé la nuit dehors, deux mômes paumés dans une nature en jachère, hostile, baignée de nuit.

Ils avaient quoi, huit ans ? Un dimanche après-midi entier passé à arpenter les abords de la réserve en dépit de l’interdiction expresse des parents, perchés sur des bécanes aux joints rouillés. Les branches des arbres pendaient mollement sans qu’aucune brise ne vienne les perturber, et on les aurait dit aussi assommés de chaleur que les mômes hyperactifs venus se réfugier sous leur couvert. Il faisait si chaud qu’on entendait à peine les insectes dans cette nature suffoquée. Le jour tombant n’apporta qu’un soulagement relatif, éloignant la morsure du soleil tout en dégorgeant du sol la chaleur engrangée au cours des dernières heures. Devant eux, Sid et Kitty pédalaient sans s’arrêter et les exhortaient parfois à accélérer la cadence, car la nuit tombait et que personne n’avait envie de goûter à la mandale qu’ils se ramasseraient s’ils osaient rentrer après l’heure, sans prêter attention au retard pris par les deux morveux cinquante mètres derrière.
Dieu sait comment ils perdirent les frangins de vue. Absorbés par une de ces conversations métaphysiques que tiennent parfois les gosses avec cette profondeur absurde dont ils n’ont pas conscience, peut-être avaient-ils fini par emprunter le mauvais virage. Plantés au milieu d’une piste poussiéreuse tavelée d’ornières, entourés d’arbres identiques au point qu’il était illusoire d’espérer se repérer dans ce bordel, ils avaient regardé autour d’eux et n’avaient vu personne. Pas un rat. Tout le monde a déjà entendu cette ritournelle vieille comme le monde : si tu te perds, tu ne bouges pas jusqu’à ce qu’on vienne te chercher. Alors ils n’avaient pas bougé, et ils avaient attendu, et personne ne s’était pointé avant le lendemain.
Ils avaient eu de la chance. Ce n’était pas la pleine lune, il ne faisait pas un froid de chien, et en dehors des fourrés d’épineux racornis qui leur avaient laissé des griffures plein les jambes et des trous dans leurs t-shirts, ils s’en étaient sortis indemnes. Quinn ne se souvenait pas d’avoir eu peur. Il se souvenait des craquements des branches sèches sous leur pas, il se souvenait du contact de la poignée de son vélo dans sa paume moite, du poids de son sac sur son dos, du goût des Twinky qu’ils s’échangèrent lorsque la faim commença à leur tordre les tripes. La veille, ils avaient regardé les Goonies pour la dixième fois de la semaine sur le nouveau téléviseur couleur que Jean avait récupéré chez une amie, dont le mari en avait gagné un tout neuf à une loterie de Walmart. Dans leurs caboches de mouflets, tout ça n’était qu’une péripétie de plus, un accroc inespéré dans la monotonie de leur quotidien, la suite logique des aventures de Mikey et sa bande de têtes brûlées.
On les avait retrouvés emmêlés comme des lianes, en train de pioncer au pied d’un arbre, entourés d’emballages de Twinky. Ils n’étaient pas si loin de la route et, en plein jour, leur piste n’avait pas été difficile à suivre. Sid et Kitty avaient payé le prix fort pour ce bref moment d’inattention, Jean avait passé la nuit à se lamenter, la moitié de l’effectif de la police avait été mise sur le pied de guerre et Nickie avait fait la gueule pendant trois jours tant elle était dégoûtée de ne pas avoir été avec eux, mais Quinn avait du mal à se souvenir de cette partie de l’histoire, alors même que cette nuit resterait gravée en lui avec une précision lumineuse. Il s’étonnerait toujours de la vivacité de ces souvenirs d’enfance, qui se paraient d’un goût d’absolu que n’auraient jamais la plupart de ses expériences d’adulte.
Et il avait continué d’emprunter les mauvais virages, car il n’aurait jamais dû la perdre de vue.
Maura avait toujours été là, jusqu’à ce qu’elle ne le soit plus, et Quinn avait arrêté de se demander où elle était pour finir par douter de sa présence en premier lieu.

« You’re lucky I was free to come with you. Not sure Harold would’ve appreciated having her around. » Ils s’étaient arrêtés à un BP. Un bâtiment sans âme, rien qu’un cube de béton planté sur le bord d’une route déserte, le vert de son auvent projetant son ombre sur les dalles piquetées de mauvaises herbes. Une Volvo brillante comme les élytres d’un scarabée s’était immobilisée à côté d’eux et un homme replet la contourna d’un pas lourd, un cigarillo pendant mollement entre ses lèvres épaisses, au-dessus desquelles s’étirait une impressionnante moustache de morse. Il leur jeta un regard absent avant de s’avancer pour faire le plein — deux-cent dollars gonfleraient bientôt le compteur analogique de la pompe. River fouillait le vide-poche de la portière afin de mettre la main sur son portefeuille, une de ses menthols dégueulasses calée sur l’hélix, et Quinn, les yeux rivés sur la porte vitrée derrière laquelle Maura avait disparu, s’accrochait à la vision de sa silhouette menue se fondant dans l’ombre de la boutique. Il haussa une épaule, se colla une tige entre les dents et l’alluma, sous le nez d’une caméra de sécurité, comme l’abruti qu’il était. « You’re not fooling me for a second man. All your dirty secrets, I can guess ‘em all in less than two seconds just by staring at your ugly face. You’re like an open book to me. » Il ricana, « you know jack shit, » et River sifflait un air vaguement familier lorsqu’il s’éloigna, une main palpant ses poches arrière, l’autre tapotant sa tempe d’un air entendu : je suis pas con, je sais ce que t’es en train de faire. Maura ressortit en sens inverse. Il la regarda approcher, nimbé d’un nuage de fumée. « Like I said… I’m trying to stop smoking. You’re not helping. It’s a combination of willpower and circumstances, apparently. » Ses commissures frémirent. « Why the fuck are you doin’ this. Ain’t gonna last more than five hours. » railla-t-il. Chez lui, les bambins naissaient quasiment avec la clope aux lèvres à défaut d’une cuillère en argent, la nicotine perfusée dans le système depuis le ventre de leurs mères, avant même qu’ils aient appris à respirer. Cloper était entré dans la constitution intrinsèque de la famille, au point qu’un non-fumeur se ferait inévitablement regarder de travers sous le toit d’un Farrow. On attendait le cancer comme on guettait la pluie, avec la certitude qu’on n’y couperait pas, quand bien même certains, par un miracle inommé, arriveraient toujours à passer entre les gouttes. La vie, cette salope, avait cette propension étrange à épargner les imbéciles et s’acharner sur les innocents. « Oh come on don’t be a dick, give me the last puff at least, » qu’elle fit, joignant le geste à la parole. Ses mains vides plongèrent dans les poches de son short, se serrèrent autour d’un paquet de chewing-gum. « For a second yesterday I thought you were gonna cancel. » River revenait vers eux, ses boucles brunes adhérant à son front moite sous le rebord de sa casquette. Il leur jeta un regard en biais avant de décrocher la pompe de son socle. « I would’ve if Doc couldn't make it. » (L'intéressé haussa un sourcil entendu.) « I’m glad you didn’t. » S’il avait eu sa franchise et son aisance, il lui aurait dit que lui aussi et que, putain, c’était peut-être l’idée la plus con qu’il ait eue cette année, mais il n’était pas près de la regretter. Il se contenta de la dévisager, ses cheveux, la courbure de ses lèvres, leur léger pincement autour du filtre de la cigarette. « And you know what, it’s even better that River’s here because, quite frankly, and don’t take this the wrong way but… you still drive like a maniac.I didn’t remember you being so perceptive back in the days but you’re damn right, Quinn, listen to the lady. »

La climatisation les cueillit comme un rêve et le live des White Stripes jaillit des enceintes, reprenant sur I’m slowly turning into you avec une ironie cinglante. « Fire away. » La bagnole rechigna à démarrer. River grommela un juron indistinct en tripotant les boutons du tableau de bord et le système se mit en branle après un hoquet douloureux. « What time’s the delivery by the way? I’ll find something to do in the meantime. » River enclencha la marche avant en secouant la tête. « Unbelievable.Ten AM. We’ll drop you in the city center. Won’t take long.There’s the riverside arts market on Saturdays if you want, somewhere under some bridge, can’t remember, but it’s nice. »

— jacksonville fl.
Little Talbot était une plage comme une autre. Rien que l’océan et le sable parsemé de copeaux de bois flotté, de débris de verre poli et de tout ce que les touristes laissaient derrière eux. Un nom posé sur une carte parce qu’il fallait bien délimiter cette bande de sable longeant la côte et déclarer son appartenance à quelque chose — une ville, un état, whatever.
Ils avaient laissé le 4Runner sur un parking et étaient descendus à temps pour voir le ciel flamber au-dessus de la mer, couleur rouille, à peine secouée par la marée. Ils n’avaient pas croisé un rat depuis leur arrivée, et ils étaient toujours seuls maintenant que la nuit était franchement tombée. Seuls avec les puces de sable, qu’attiraient les lampes et les vestiges de bouffe disséminés entre les packs bien entamés. Elles sautaient dans un ensemble désorganisé et retombaient systématiquement sur le dos — il s’était toujours demandé comment des organismes aussi mal fichus arrivaient à survivre, et proliférer autant. Lorsque l’une d’elles atterrissait sur un emballage de Taco Bell, il la regardait se débattre dans les plis graisseux du papier et sauter de nouveau hors de sa vue, avec cette gaucherie si familière qu’elle en était presque embarrassante. Il avait rejoint Maura sur une souche d’arbre blanchie par le vent et le sel, dont les racines pointaient comme des doigts vers le ciel dégagé. Le bois était tellement sec sous sa main que le moindre frottement semblait susceptible de l’embraser comme une allumette.
River était étalé à leurs pieds, au milieu des puces et des cadavres de repas, tétant assidûment le goulot d’une bouteille de Jack depuis qu’il avait décrété qu’il ne reprendrait pas le volant jusqu’à l'hôtel, que l’un ou l’autre prenne le relais, il n’en avait rien à carrer. Après quoi il s’était remis à jacasser, contant avec une aisance d’habitué leur dernier périple foireux à Jacksonville, un an plus tôt. Deux jours et deux nuits à aligner les conneries, les neurones baignant dans la piquette et la came de mauvaise qualité, comment ils avaient fini par s’endormir sur un banc et se faire réveiller au petit matin par un duo de flics levés du pied gauche. La veille, ils avaient atterri au Metro, un bar gay proche de Roosevelt Boulevard, et à ce moment du récit, River se mit à hoqueter comme un abruti. « Took him ages to figure out where we were. You should’ve seen his face, fuckin’ priceless, you would’ve payed for this. I totally would.Shut up. » L’étroitesse d’esprit de son clan n’avait rien de cocasse. Moins arriérés que la génération précédente, les gosses de Jean et Callum n’en gardaient pas moins les marques de leur éducation lorsqu’on touchait à ce qui n’unissait pas deux individus de sexes opposés. Même River, dont le père n’était pas moins réac et buté, se riait de cet héritage toxique et, qu’on se le dise, pitoyable. Quinn lui avait dit, tu comprends pas, ton père est un con, mais t’as pas idée de ce que le mien ferait si je débarquais à un repas de famille au bras d’un mec. Jean se mettrait certainement à pleurer, puis à prier, et on entendrait parler du scandale jusqu’à la fin de ses jours — le genre d’anecdote susceptible de survivre à plusieurs générations de Farrow, mais si, tu sais, la tantouze de Callum. « You’re right, ain’t funny, it’s sad. Fuck. Oh fuck. » L’autre s’était redressé sur un coude sans lâcher la bouteille, lorgnait l’écran de son téléphone où s’affichait le numéro de Cece. Son pouce se suspendit au-dessus de l’icône verte, qu’il finit par presser avec la tête d’un puceau à qui l’on proposerait de toucher des seins pour la première fois. « Shit. Hey, Cece, ‘sup ? » Il bondit, chancela un instant, lui colla le whisky entre les mains et descendit vers l’eau. À chaque foulée qui l’éloignait d’eux, ses intonations traînantes paraissaient se délayer dans l’obscurité.
Sans le rayonnement bruyant de River, le tête à tête soudain le troubla. Il grattait la surface de la souche, détachant des échardes palottes qui lui rentraient sous les ongles. « I said shitload of crap the other night. » Coinçant la bouteille entre ses genoux, il tira une clope de son paquet et le déposa comme une invite à côté d’elle, un automatisme autant qu’une bravade sournoise. « I fucked up. » -and I know that. Il embrasa la cigarette, le regard résolument baissé sur le whisky entre ses genoux, le goulot brillant comme l’anneau de Frodon à la lueur des lampes de camping posées en contrebas. « Irrelevant wasn’t what I meant. What I meant was, er, y’know- » Ce fardeau qu’était leur incapacité à communiquer simplement, quand les mots se précipitaient sous son crâne et se heurtaient à ses lèvres sans jamais les franchir. Il n’y avait rien de compliqué. Qu’il le dise, putain, qu’elle lui manquait, que depuis la dernière fois, les souvenirs n’arrêtaient pas de refluer de sa mémoire, leur enfance empestant les regrets comme un cadavre vieux de cinq jours refoulait la chair putride. « I can’t do —or say whatever I want in Savannah. » Mais il retrouvait ici le vent de liberté qu’il avait connu à Charleston ; une vaste étendue de possibles où ne planait pas l’ombre de sa famille, où surveiller ses propos et ses fréquentations n’était plus une affaire de crainte ou d’obligation, mais de choix. Il n’avait plus été si libre depuis la Caroline du Sud, s’il l’avait jamais été de sa vie. « And ain’t gonna get better now Callum’s home. I don’t trust him. » Ou qui que ce soit dans sa famille, hormis Nickie, naturellement. « Anyway. It’s nice you’re here. » Le whisky lui brûla l'œsophage et il fit passer à sa voisine, qu’il sonda un instant du regard, comme s’il cherchait encore à comprendre ce qu’elle fichait avec ces deux losers récupérés du passé à l’instar de vieilles reliques tirées avec nostalgie des cartons de son enfance.
« So you went to college. » Plus tôt, sur le trajet vers Brunswick, le constat l’avait frappé. Maura avait fini par tracer sa route comme ils en rêvaient autrefois, exploré les villes dont ils pointaient les noms sur une carte en dévorant les derniers Bit-O-Honey que Nickie n’avait pas mangés. Il tira sur sa clope et laissa tomber la cendre sans arriver à se souvenir de la dernière fois où ils s’étaient réellement parlé.
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Maura Pace
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MessageSujet: Re: where goes the night. (mean#2)   where goes the night. (mean#2) EmptyDim 14 Mar - 23:50

« I said shitload of crap the other night. » Maura a l’esprit ailleurs, encore pollué par l’histoire de River. Elle était à deux doigts de pleurer de rire en s’imaginant Quinn débarquer dans ce bar, écarquiller des yeux ronds comme des soucoupes et courir vers la sortie, s’apprêtait même à mentionner la brochure-mystère rangée dans le fouillis de sa boîte à gants pour le seul plaisir de voir sa gueule s’allonger, mais la sonnerie du téléphone a coupé court aux rires moqueurs – rire qui s’est éteint sur une note presque attendrie, comme une piqûre du passé et de toutes les fois où il les a fait hurler avec ses conneries, des années plus tôt. Et désormais il remet cette maudite soirée sur le tapis. Alors qu’elle l’a oubliée dès la deuxième ou troisième bière, en même temps que ses résolutions. Tous les obstacles partis en fumée avec les énièmes cigarettes qu’il lui a filées ou celles qu’elle a pris dans son paquet (elle a perdu le compte à force). « I fucked up.Which part? » A l’odeur de la mer qui la propulse à des années lumières du quotidien s’est ajouté un léger buzz qui grille tout sur place, y compris l’ironie qui flotte et se disperse. « Irrelevant wasn’t what I meant. What I meant was, er, y’know- » Elle attend, et la cendre s’envole plus près de ses pieds que prévu. « I can’t do —or say whatever I want in Savannah. » Son soupir se confond avec une expiration de fumée et elle tente de chasser l’irritation qui la gagne, ce rappel navrant de l’indifférence qu’elle se paye à chaque rencontre et son excuse bidon, comme toujours, qu’elle réalise à l’instant ne pas avoir la moindre envie d’entendre. « And ain’t gonna get better now Callum’s home. I don’t trust him. » Les pieds calés sous les grains de sable encore chauds, Maura se borne à fixer l’horizon et ce mouvement invisible des vagues dont ils perçoivent seulement le lent déferlement. Une seule mention de Savannah et tout se crispe. « Anyway. It’s nice you’re here. » Un regard en biais et elle attrape la bouteille qu’il lui tend, avale une petite gorgée, laisse le liquide tout brûler sur son passage sans parvenir à réprimer une grimace. Tout à coup, l’étiquette lui paraît fascinante.
« So you went to college. » Il déclare ça comme si c’était un exploit, sans même réaliser à quel point elle est aussi pommée qu’eux. L’imposture de Maura est à peine plus élaborée, s’il savait, seulement plus longue à épingler sur une carte. « You mean I tried to. » Et elle s’arrête presque là, lui laissant le soin de reconstituer le puzzle de connards comme il en connaît tant responsables de cette opportunité manquée. Mais un nouveau coup d’œil dans sa direction fait ramollir sa grogne. Quelque chose dans son air piteux. Ou bien la cigarette qu’il tient nonchalamment entre les doigts. L’insaisissable flopée de souvenirs qui nagent à contre-courant. Elle s’ébouriffe comme pour rejeter la fatigue qui commence à lui plomber les paupières. « They warned me that going anywhere else than East Georgia was completely dumb but... (c’était Tim. Leur brave et jeune professeur d’anglais. Elle hausse une épaule.) I just wanted to get out, you know. » You know. Au loin, River longe la plage, baragouinant sans discontinuer dans son cellulaire. Elle reprend une nouvelle gorgée, plus téméraire maintenant que le chemin est pavé, puis s’essuie les lèvres d’un revers de la main. « I got kicked out before graduation. Nickie never told you? » Quelque part dans un sac, un portable vibre, la ramenant à une réalité plus tangible, moins glauque, alors elle rattrape la douce ivresse qui lui enveloppe la tête. Jette son mégot dans un cadavre de bouteille. Se laisse entraîner. « But hey, the good news is when you’re in Social Studies, they teach you what an apology sounds like –and the difference between that and a shitty excuse. So it’s not too late to apply, if you want. » Elle lui effleure le bras, « I’m just kidding, forget it, » et lui rend le whisky avec un sourire furtif. Cette familiarité, ce confort absurde, les ondes qui commencent à danser lentement sous son crâne au rythme universel de l’enivrement sont autant de signaux qui lui font oublier pourquoi elle redoutait de venir en premier lieu. « You’re the one driving by the way, so go easy on that, » elle ajoute en désignant la bouteille du menton. « You owe me, remember? » Et elle se détourne avant de croiser son regard, perd le fil, se lève si soudainement de sa branche en bois flotté que le monde vacille pendant quelques secondes. « I’m not drinking anymore of that shit. Seriously. Good thing I always have tequila lying around in my beach bag, huh? »

*

En se levant, ses chevilles manquèrent de se tordre dans le sable. Elle rétablit son équilibre tant bien que mal, épousseta les poches arrières de son short pour en faire tomber les grains récalcitrants, ramena des paillettes dorées jusque dans ses cheveux en voulant les dégager de ses yeux puis se mit à trotter jusqu’au reste du groupe qui gravissait déjà le talus. Le parking était plongé dans le noir depuis des heures. Ils s’éclairaient seulement avec des torches de camping et un lampion en lambeaux découpé comme une citrouille que Sara avait déniché dans le grenier de ses parents au milieu d’un carton de décoration d’Halloween. Quasi tout le monde avait répondu à l’appel pour une fois : Nickie, Charleen qui chialait encore, Amber, Dee, les potes d’Ann avec leurs gueules de surfeurs et leurs embrouilles permanentes, Bennie, River, Quinn, un type au crâne rasé rameuté par elle-ne-savait-qui, en tout une quinzaine d’adolescents qui vadrouillaient de nuit comme de jour à Tybee Island en cumulant autant de gueules de bois que de boulots d’été ingrats. Leur routine pour deux mois de liberté.
La grappe d’ados commença à s’entasser dans les voitures et sur les plateaux des pick-ups, attendant une dernière silhouette à la traîne et Maura qui la suivait à l’aveuglette. Les deux neurones grillés qui lui restaient lui ordonnèrent soudain de se lancer à l’assaut du dos de Quinn, ce qu’elle fit dans un rire étouffé, l’entraînant à moitié dans sa chute. Elle lâcha la bouteille de Jose Cuervo et s’échoua dans le sable en hurlant de rire. « I wish we could sleep here in the sand. That would be so great. Because you’re not working tomorrow and no one would care– and… the stars! » Ses pensées défilaient plus vite que le son et se volatilisaient aussitôt qu’elle mettait le doigt dessus. Elle bascula la tête en arrière, se perdit dans la contemplation d’un ciel bardé de constellations dansantes tandis que Quinn lui tendait la main pour l’aider à se relever. « So beautiful. So far. Ugh. » Elle grimpa à nouveau sur son dos tout en continuant de jacasser, ignorant totalement ses ronchonnements quant à ce poids mouche qu’il devait désormais porter jusqu’au parking – « Why do we have to go back, it sucks. I wanna stay here– it feels like riding a camel or something, it’s so comfy. And you smell nice – what is that, perfume? Eau de the ocean? Wait, wait, wait… Seaweed, the fragrance by Farrow. Elle gloussa dans son cou, ferma les yeux. You should open a business. I’d buy the shit out of that. »
Ils prirent tout leur temps pour rejoindre la voiture de Stephen, la tête de Maura abandonnée sur l’épaule de Quinn, un bras enroulé autour de son cou tandis que l’autre s’agrippait à la tequila, pouffant de toutes les absurdités dont ils se souviendraient à peine le lendemain.

*

– 3 am.
Bien sûr qu’ils ne sont pas en état de conduire, surtout dans une ville qu’ils ne connaissent pas, guidés seulement par une version canard canadien de Siri sur le GPS. Pour rester éveillée, Maura martèle le volant de ses paumes tout en chantonnant au son des bouses démodées qui passent à la radio en pleine nuit, façon yaourt quand elle ne connaît pas les paroles, bousillant l’instrumental de ses tum-tum-tulum à contretemps. Elle a pris les clés des mains de Quinn sans lui avoir laissé le choix, arguant qu’elle décuve beaucoup plus vite, c’est dans sa nature, qu’il conduit comme un pied de toute façon, and since I drive for a fucking living and you’re wasted, well… sans parvenir à se départir de son sourire, collé là depuis des heures, amplifié par la tequila, les bières, les crabes qu’ils avaient découvert près du rivage et qu’ils avaient essayé d’attraper comme des couillons, leurs jambes dans l’eau jusqu’aux cuisses jusqu’à ce que la température de l’océan soit parfaite et qu’ils finissent par se fondre dans les vagues.
Le trajet depuis la plage de Little Talbot leur prend une bonne demi-heure, lui laissant tout le loisir de massacrer un large répertoire de tubes et, notamment, de se livrer à un véritable carnage de Despacito lorsque la chanson débarque sur les ondes. « Ok, I might know the lyrics by heart for this one. Don’t judge. I hate it as much as everyone, but– come! on! » la ramenant tout droit à l’été 2017, à Nashville, dans le bar qui la diffusait dix fois par soirée, lorsqu’un groupe d’étudiants bourrés comme des coings lui avaient appris le refrain et expliqué la subtilité extrême des paroles. Elle ne sait toujours pas rouler les r mais c’est le dernier de ses soucis. Un miracle, d’ailleurs, qu’elle ne les plante pas dans le décor pendant cet exercice extrême où se coordonnent tant bien que mal la radio à fond, les indications du GPS, un fond de tequila encore bourdonnant, un œil sur la route et l’autre sur ses comparses qui pleurent de honte.
Elle fredonne encore en garant la voiture devant le SureStay Hotel – un nom bien prétentieux pour un motel milieu de gamme – tout en balançant les clés à Quinn, ou est-ce River, elle confond, la fatigue l’a frappée comme un coup de massue en débarquant sur ce nouveau parking et la seule chose dont elle est certaine est que sa carence en sommeil est en train de la rattraper, de se venger, de l’attirer brusquement dans ses bras. Elle marmonne qu’elle a dormi trois heures la nuit précédente, merci aux colocs tapageurs, s’est levée à l’aube pour trier et livrer des putains de factures et que ces deux lits queen-size paraissent si confortables ! – avant de plonger sur le premier et d’observer Quinn et River d’un œil vitreux tandis qu’ils déchargent les sacs du coffre. Elle avait presque oublié les armes. « I’m gonna give you a hand. In a minute. » Mais elle s’endort comme un sac, les sandales encore aux pieds, par-dessus la couette aussi cotonneuse qu’un nuage, au milieu d’une conversation qu’elle n’écoute plus.

*

Janice était une ado surbookée. C’était ce que n’arrêtait pas de lui répéter sa mère, son père, tous ses cousins et la plupart des membres de la meute qui en remettait une couche à chaque fois qu’ils la voyaient, avec son sac à dos plein à craquer sur une épaule et l’air concentré de quelqu’un qui organise méticuleusement chaque seconde de son existence. Lundi, tutorat chez sa cousine. Mardi, entraînement de soccer. Mercredi, rien de prévu mais à tous les coups son frère n’aurait pas fini son projet de sciences naturelles et elle finirait les doigts plein de colle à réorganiser tout ce qui ne tenait pas debout. Jeudi, Bible study. Vendredi, babysitting chez Trish. Elle n’adorait pas les jumeaux. Ils trouvaient toujours de nouvelles excuses pour tester sa patience et elle s’était résolue à utiliser le chantage pour qu’ils se glissent enfin dans les draps de leurs lits superposés – une barre chocolatée demain matin au petit-déjeuner si vous arrêtez de faire les guignols. Ok, Luke, deux barres si tu éteins la lumière maintenant et que je n’ai pas à revenir. Deal ? Deal – ce qu’elle abhorrait en temps normal mais les conneries avaient assez duré, il était minuit passé, elle ignorait l’emploi du temps prévu par Trish ce week-end (sans doute… rien) mais Janice, elle, avait une montagne de tâches à accomplir et aucune n’incluait l’interruption de son cycle de sommeil habituel.
Aussi, quand elle fut réveillée par des rires provenant de la rue, résonnant comme s’ils étaient tous proches de son oreille, elle eut du mal à croire qu’il faisait encore nuit noire. Janice repoussa le plaid à ses pieds, se mit à genoux sur le canapé afin d’être en meilleure position pour observer l’allée à travers la fenêtre située juste au-dessus et reconnut d’emblée l’une des quatre silhouettes qui s’agitait au milieu de la route. Petite, de longs cheveux blonds, abandonnant son sac à dos sur la chaussée lorsqu’elle se précipita dans les bras d’une autre fille – une brune dont les reflets cuivrés brillaient dans le halo des lampadaires – elle s’emmêla les pieds dans son lacet défait et manqua de renverser sa copine au passage. L’autre fille se défit de l’étreinte bancale et reprit sa marche en compagnie d’un autre type, bizarrement plus petit, avant de se retourner dans une flaque de lumière et de faire un geste que Janice devina sans difficulté alors qu’elle l’apercevait à peine, un poing desserré qui pompait près de sa bouche. De nouvelles explosions de rire accueillirent ce départ tandis que le couple désassorti disparaissait de son champ de vision et que deux silhouettes restaient là, en plein milieu de la route, comme si leur but était de se faire faucher par la prochaine voiture qui déboulerait dans la rue. Elle reconnaissait la fille de Trish mais pas le garçon qui la dépassait d’au moins une tête, avec sa tignasse hirsute initialement cachée sous une casquette que Maura parvint à lui enlever après avoir sautillé dans tous les sens dans ce qui était sans doute censé ressembler à un match de basket. Sans doute une racaille du quartier dont on avait toujours dit à Janice de se tenir éloignée.
Elle aurait voulu se blottir à nouveau sous son plaid, fermer les yeux et virer de ses pensées ces imbéciles qui se pensaient au-dessus de tout, y compris du sommeil de leurs voisins, mais elle n’arrivait plus à détacher ses yeux des deux ombres. Elles auraient dû se séparer, se dire bonne nuit, arrêter de rire, qu’est-ce qu’ils attendaient bordel ? A la place, ça traînaillait, on s’échangea un briquet, on alluma des cigarettes, encore des rires, plus contenus cette fois, un rapprochement imperceptible, puis un trousseau de clés tomba par terre et contre toute attente, ils se dirigèrent droit vers Janice qui se replia précipitamment sur le canapé.
« … fucking starving. » La porte claqua derrière eux, la lumière inonda la cuisine et les sacs firent un strike dans le tas de chaussures en pagaille dans l’entrée. Cachée dans l’ombre du salon, Janice redoutait de se lever, mais elle redoutait encore plus qu’ils ne réveillent les jumeaux avec leur boucan. Hésitante, encore dans le coaltar, elle ne comprenait rien à leur logique, entendait des tiroirs qu’on ouvrait puis qu’on refermait, la porte du frigo, plusieurs fois, percevait du mouvement dans la cuisine sans rien voir distinctement. Leurs voix étaient traînantes, leur discussion sans queue ni tête. Une chaise racla le sol dans un crissement aigu, un carton fut déchiré, du papier arraché, le claquement d’un briquet suivit dans la foulée et puis, cerise sur le gâteau, ces cons allumèrent le micro-ondes qui démarra comme un hélicoptère en faisant trembler le plan de travail.
Janice était déjà debout lorsqu’un grincement de porte résonna dans le couloir, arrêtant net les rires provenant de la cuisine. « Awesome. And now he’s awake, thank you very much. » Elle débarqua en même temps que Luke dans la pièce principale mais malgré les coups d’œil qu’on lui jeta, elle se sentit à nouveau parfaitement invisible au bout de trois secondes. Luke traîna ses pieds nus jusqu’à la table de la cuisine, se frottant les yeux autant pour décoller ses paupières que pour se protéger de la lumière brutale du plafonnier. Dans le micro-ondes, une pizza surgelée tournait sur le plateau en égrenant les minutes. « Hey buddy, why are you up?Where’s mom? » Maura posa sa cigarette en équilibre sur la boîte en fer qui leur servait de cendrier, tira Luke par le bras pour l’attirer sur ses genoux. « She’s still working, she’ll be back tomorrow. » Un coup d’œil au garçon à ses côtés l’empêcha de rire. (Un fils Farrow. Génial. Janice déglutit et croisa les bras sur sa poitrine, pressée d’en finir.) « You had a nice time with… er… Janice? You watched a cartoon? What did you watch?We saw… we put on Nemo.So freaking awesome. » L’enthousiasme était superficiel, mais ils avaient l’air tellement à côté de leurs pompes que Janice s’étonnait simplement qu’ils puissent encore faire des phrases cohérentes. Ils avaient le teint hâlé et de légers coups de soleil au front comme après une journée à la plage. « Why are you eating now?Because… we’re hungry? You can have a slice if you want.I don’t think that’s a good idea, come on Luke, time to go back to bed, » coupa sèchement Janice, et ils parurent se souvenir soudain de sa présence. « Yeah well, actually, she might be right this time. » Luke se frotta à nouveau les yeux avant de dévisager sa sœur, puis Quinn. « Your eyes look funny. » Ils ricanèrent bêtement. « Come on pumpkin pie, let’s go back to bed. » Maura le laissa descendre doucement de ses genoux avant de lui prendre la main et de le ramener jusqu’au fond du couloir. « You know what we saw near the beach? A snail race. So cool.Can we have a snail race tomorrow?Yeah, sure. We’ll use your Magic Markers to color their backs, we can even make two teams and…Can I color one in green?Of course, green it is.And Cole can get the red.Sure.You’ll have the pink one.You know what? We’ll have plenty of time to arrange that tomorrow. And you can give the pink one to Mom, I’m sure she’ll love it.Quinn can have the blue, maybe.Ha, maybe. »
La porte du fond se referma et Maura revint sur la pointe des pieds, la main sur la bouche, exagérant largement le « oups » qui lui soulevait les épaules – expression qui disparut entièrement lorsqu’elle porta les yeux sur la babysitter plantée dans l’encadrement de la porte du salon. « Did we wake you? Don’t tell Trish ok?Your pizza’s ready. » Janice tourna les talons sans cacher son mépris et retourna s’enrouler dans sa couverture. « I forgot about her. Fuck. » Cette désinvolture, nom d’un chien. Sans-gêne. Sa mère crachait toujours dans le dos de Trish et Janice commençait désormais à comprendre pourquoi. Et ces regards qu’elle avait interceptés… ? Elle n’était pas stupide. Ça n’aurait pas dû l’étonner que la fille de la traînée du quartier fricote avec ces vermines d’anti-crawlers. Telle mère, telle fille. Programmées pour tout faire à l’envers.
Plongée dans l’ombre, Janice continua de les observer sans parvenir à se rendormir malgré la conversation devenue à peine plus qu’un chuchotement. Maura avait changé de chaise et se trouvait désormais pile dans sa ligne de mire. Elle apercevait même le profil de Farrow, mangé par l’encadrement de la porte. Ils dévoraient leur pizza comme s’ils n’avaient rien avalé depuis dix jours, complètement dans leur bulle, enveloppés dans un nuage de fumée qui écœurait Janice presque autant que le regard insolent de la fille de Trish. Malgré elle, elle retint son souffle lorsque Maura se pencha au-dessus de la table, sa main prenant son envol et saisissant délicatement une mèche dans la crinière ébouriffée du garçon, la laissant glisser entre ses doigts jusqu’à ce que la pointe finisse par lui échapper et que son rire résonne en rafale, encore. Elle commençait à s’assoupir lorsque les chaises raclèrent à nouveau le carrelage et qu’ils disparurent de son champ de vision. La porte du frigo s’ouvrit, on décapsula une bouteille, puis la capsule tomba par terre avec un nouveau rire étouffé. Un pschitt semblable à une canette, le froissement d’une boite de céréales, ou d’un sachet de chips, et très vite les pas se précipitèrent vers une autre porte, les voix s’étouffèrent derrière les murs de la chambre.

*

– samedi 27 juin, 9 am / surestay hotel, jacksonville, fl
Calée dans la chaise en plastique accolée à leur porte, Maura sirote son demi-litre de café tout en observant d’un œil distrait le ballet des voitures sur le parking, les bagages qui sont bringuebalés depuis le lobby, les familles en vacances qui réorganisent leurs coffres comme un tétris et les hommes d’affaires qui crèvent déjà de chaud sous leur costard et s’engouffrent dans leur SUV de location avec un soupir de satisfaction. L’établissement vient tout juste d’ouvrir, carbure aux offres promotionnelles alléchantes et peut se vanter d’attirer pour l’instant une clientèle relativement normale, loin de tous les autres repères-à-junkies qui bordent l’interstate. Du moins si on les exclut, eux : un loup-garou insomniaque et son horloge interne complètement détraquée, réveillée dès sept heures du matin comme une vieille pendule de grand-mère, et deux types louches trimballant une cargaison d’armes de façon approximativement légale, pionçant encore sur un matelas couvert de sable. Maura a observé le ciel passer du rose au violet puis au bleu clair sans que la pierre au fond de son estomac ne disparaisse, et il a fallu qu’elle se faufile dans la salle de bain aussi silencieusement que possible, efface ses yeux de pandas, attache ses cheveux rendus poisseux par l’iode tout en rêvant d’une douche, qu’elle se traîne jusqu’au café le plus proche – Dunkin’,  quelques mètres plus loin, juste en face d’un armurerie sobrement baptisée les Shooters de Jacksonville – et commande trois cafés pour commencer à retrouver un semblant de vivacité. Il n’y avait rien à ressasser de la nuit précédente. Juste beaucoup trop d’éclats de rire saupoudrés d’une paradoxale, inexplicable sensation d’échec, aggravée par la découverte de plusieurs appels en absence et de messages laconiques enregistrés la veille par ses colocataires – Hey, where are you, Aaron’s baked, he’s asking for a ride. Nicely, he says. He asks nicely for a ride. Call me ok? – Well, just to let you know he’s asleep now but… yeah, thought you should know, he puked in my car. Call back tomorrow. He said you left town or something? Le constat est irrévocable alors qu’elle enclenche le mode avion sur son téléphone : elle n’a aucune envie de rentrer à Savannah.
Le soleil déjà haut annonce une nouvelle journée étouffante mais la coursive est encore à l’ombre, offrant encore une heure ou deux de répit. Le dernier ongle rongé et les cafés brûlants posés à ses pieds, elle finit par se glisser à l’intérieur de la chambre en catimini, écarte d’un centimètre le rideau opaque qui couvre la fenêtre et profite de ce maigre rayon de lumière pour se rapprocher de la table de nuit. Le plastique du paquet de cigarettes crisse entre ses doigts et, juste à côté, une paupière s’ouvre paresseusement. « Shhhh sorry… »

La scène paraît presque normale : Quinn et Maura assis côte à côte dans ces éternelles chaises de motel, faisant face au parking et aux arbres nains encore encadrés de leurs structures en ferraille. Malgré le flot de voitures que dégueulent l’US 1 d’un côté et l’interstate 95 de l’autre, l’endroit est étonnement paisible. Des oiseaux piaillent sur les toits comme s’ils ignoraient qu’une chape de plomb allait bientôt s’abattre sur la ville. Et alors que Maura s’arrachait les cuticules cinq minutes plus tôt, les nerfs en pelote depuis l’aube et l’estomac en vrac, elle laisse désormais échapper un léger soupir, quelque chose qui ressemble presque à du contentement. Café, clope, gueule de bois, un trio qu’ils ne connaissent que trop bien. « I’ll buy you a new pack on the way back, » dit-elle en recrachant la fumée par-dessus son gobelet. Elle sait qu’elle galèrera à nouveau à espacer sa consommation en rentrant, qu’il faudra deux voire trois fois plus de temps pour qu’elle puisse retrouver la liberté d’un sevrage réussi mais l’escapade, à l’instant t, lui paraît en valoir la peine. Comme si elle avait le choix. Comme si sa présence n’agissait pas comme un aimant sur toutes les mauvaises habitudes qu’ils avaient développées ensemble et visiblement gardées. C’était couru d’avance, il l’avait dit.
Lorsque les rayons du soleil viennent lui chatouiller le bout des orteils, elle ramène un pied sous ses fesses et, à peine tournée vers Quinn, fait courir son index et son majeur telle une araignée nonchalante le long de son avant-bras, celui qui pend sur l’accoudoir. Comme si ce geste lui permettait de rassembler ses pensées, de choisir ses mots avec une précaution rare. « You could pick any city on the map you know, you would have a job anywhere. That second amendment is not going away anytime soon, elle ajoute en retirant sa main, avant de triturer le couvercle en plastique de son café en le lorgnant du coin de l’œil, jaugeant à quel point il est réveillé et jusqu’où elle peut marcher sans casser tous les œufs d’un coup. « I mean, what’s stopping you, I remember when… » Elle s’interrompt sans même s’en rendre compte, plongée à la fois dans le souvenir confus des road trips qu’ils évoquaient tout le temps et dans la réalisation amère qu’elle ne sait plus grand-chose de sa vie, de son quotidien, des espèces de rêves qu’ils confondaient avec de l’ambition quand ils n’étaient pas plus haut que trois pommes. Il y a sûrement bien plus de choses qui le retiennent à Savannah que ce qu’elle imagine. Dee, pour commencer. Le reste de la famille Farrow maintenant qu’ils sont tous réunis. River. L’ambiance morose du quartier ? Les relents familiers de haine à chaque coin de rue ? L’argent, ou plutôt son manque ? Ou est-ce qu’il attend seulement que le temps passe, résigné à hériter de la boutique de son père quand son vieux finira enfin par crever – ou par se faire tuer, selon ce qui viendra en premier ? Peut-être qu’il n’a même plus envie de partir. Il avait toujours été si foutrement incompréhensible.
S’agitant sur sa chaise, Maura change de position en même temps que de conversation, paraît se souvenir brusquement d’un détail qui lui fait retourner le poignet de Quinn sur le plastique de la chaise sans avertissement. Elle inspecte l’intérieur du bras, croise ses pupilles interrogatrices. « River told me something weird. I think it was when you went to get the room keys? Yeah, just when we got here. He became really serious, came way too close to my face, kind of freaked me out for a second I have to admit, and he said… Elle écarquille les yeux, prend une voix plus grave, pointe l’index sur le torse de Quinn sans considération pour le gobelet de café qui manque de se renverser dans son autre main. “Maura, have you seen his tattoo?” » et pouffe de rire comme une gamine tandis que le souvenir revient lui éclater à la figure et qu’elle repose sa tête contre la fraîcheur du mur. Peut-être qu’il est trop tôt pour ce genre de conneries mais, pour sa défense, elle n’a rien dormi depuis deux jours, se sent encore vaseuse des excès de la nuit et pourrait se précipiter la tête la première dans la cuvette des toilettes à l’idée de retourner dans leur ville natale et devoir affronter le monde réel – celui où Jacksonville ressemble à une illusion. « Not sure if it was an inside joke or something but… must be a really fucked up one if you’ve never mentioned it before. » Yeah, before. Dans les sms dont on ne mentionnera pas l’existence, sous peine de devoir admettre qu’un lien, même microscopique, a été gardé pendant toutes ces années. « So when did you get it? » Elle lâche presque son gobelet de surprise lorsque la porte s’ouvre, révélant un River baillant comme un chat, s’étirant à se faire craquer tous les os, le visage barré du pli de l’oreiller. Est-ce qu’on a bien dormi, est-ce que c’est pas le pied ces trucs en plume, cette climatisation parfaite, ces matelas aussi moelleux que des nuages ? Maura distribue le dernier café et profite de l’occasion pour s’éclipser, « Go on, take my seat, I need a shower anyway, » persuadée qu’en noyant sa gueule de bois sous le shampoing, tout finirait par reprendre sa place.
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