immortals, but not for long — brett

SKID ROW / YOUTH GONE WILD — Ils ont la main mise sur le quartier, les trois merdeux aux genoux écorchés. Ils font ce qu'ils veulent, de toute façon ils n'ont plus de père depuis quelques mois — tombé pour un pays qui l'aura pourtant toujours traité comme un étranger — et la mère enchaîne les petits boulots pour continuer à pouvoir les nourrir et les habiller. Parfois, elle les fout dans une vieille El Camino qui a vu de meilleurs jours et elle les emmène prendre l'air, plus loin, histoire que la rue puisse souffler, loin des cris, des rebellions, des engueulades. Ils sont intenables, trop d'énergie, trop de vie, trop de colère en eux pour pouvoir canaliser ça. Eric, Robert et John ont besoin d'un père mais à la place ils ont une femme solide, qui fait de son mieux pour ne pas baisser la tête, même si parfois elle s'égare dans une bouteille de schnapps. Ils grandissent, un pied dans la rigueur des années soixante, l'autre dans le laissez-aller flagrant des seventies. Le sous-sol sent la marie-jeanne, ils aiment star wars et les western, ils détestent cette ville de merde, cette banlieue crasseuse, ils rêvent d'ailleurs, de mieux. Sur les trois, un seul quittera vraiment le canapé miteux du basement.

GUNS N ROSES / WELCOME TO THE JUNGLE — Ça commence en faisant les cons dans le sous-sol, évidemment. Robert et ses potes s'amusent, jouent de la musique pour s'occuper quand ils sont défoncés. En plus, ça plait aux filles alors forcément, ils ne crachent pas dessus. Sa mère trouve ça ridicule, pire elle pense qu'ils jouent la musique du diable et s'offusque quand son middle child décrète ne plus vouloir aller à l'église le dimanche. Ce n'est rien comparé à sa réaction lorsqu'elle apprend qu'il a arrêté les cours et qu'il s'est barré avec les autres membres du groupe. Il a Eric au téléphone, pas longtemps parce que les appels longue distance coûtent une fortune mais son aîné lui raconte la crise de nerf, les menaces... L'espace d'un instant, il hésite à faire demi-tour mais change d'avis bien vite parce que ce soir, ils vont faire la fête au Whisky a Go Go, sur le Sunset Strip. Ils continuent la musique, même s'ils s'engueulent tout le temps parce qu'ils vivent dans un appartement miteux de West Hollywood et peinent à payer le loyer. Ils enchaînent les boulots de merde, claquent tout dans des soirées. Et puis ils fricotent avec de vraies rockstars en se disant qu'un jour, un jour ça va être leur tour.

TWISTED SISTER / I WANNA ROCK Et puis un jour c'est la consécration, le rêve, le miracle, le putain de conte de fée. Ça leur prend quatre ans et un nouveau batteur mais ils se font repérés, parce qu'ils ont du talent, parce qu'un manager décide de croire en eux. Hell Bright devient quelque chose. Robert devient Brett et son charisme naturel ouvre toutes les portes, soulève toutes les jupes alors que les planètes semblent enfin alignées. Après des années de galère, le succès est là et ils en savourent chaque seconde. Brett fête ses 21 ans ans sur scène, entre deux chansons et un rail de coke, quelques groupies l'attendent dans sa loge. C'est la vie qu'il voulait, le merdeux de Cincinnati, une vie excitante et intense, une vie de facilité et de privilèges. Bien vite, ils deviennent ingérables. Ils enchaînent les succès, les tournées, les albums mais c'est un groupe de petits cons issus de banlieues douteuses qui ont, d'un coup, un accès illimité à tout ce dont ils peuvent rêver. Le manager s'arrache les cheveux, ils s'engueulent constamment mais ce n'est pas si grave parce que l'argent continuent de rentrer et les fans ne cessent de s'agglutiner, remplissant des stades entiers.

MÖTLEY CRÜE / KICKSTART MY HEART — Il fête ses 27 ans en grande pompe. Enorme soirée dans une villa sur les hauteurs de Los Angeles, une vue imprenable, une ambiance impossible à décrire. Malheureusement, les choses ne vont pas bien dans le groupe et Brett est de plus en plus irritable, agacé pour un rien, prêt à sauter à la gorge du premier qui lui tient tête. Les autres ne vont pas forcément mieux, ça jalouse le statut du front man qui en profite un peu trop. Pourtant quand ça pète, ce n'est pas à cause de ça. Ce n'est pas parce qu'ils viennent d'apprendre qu'ils toucheront moins que lui sur le prochain album. Non, ça pète parce que Brett voit que le bassiste a encore ramené une gamine chez lui. Elle doit avoir 16 ans à tout péter et elle est si ivre qu'elle tient à peine debout. Ce n'est pas la première fois qu'il fait ça, il les aime trop jeunes ses groupies, c'est un problème et Brett le lui a dit. Il a mentionné ça sous couvert de réputation du groupe — ça passait pour Elvis mais déjà, il l'a épousé sa Priscilla et puis c'était les 60's, un autre monde donc — mais en réalité, ça ne lui plait pas trop moralement. Il se découvre une conscience et ça lui revient dans les dents. Alors qu'il va s'interposer dans cette histoire, une rixe éclate et le bassiste, perdu dans sa coke, s'emporte violemment. Brett se fait pousser, tombe dans les escaliers et se brise la nuque immédiatement, entrain dans le club des 27 avec un timing des plus intéressant.

ALICE COOPER / NO MORE MISTER NICE GUY — Il se réveille avec la pire gueule de bois de sa vie. Normal. Il est mort. A côté de lui, il y a une jolie petite brune qui le regarde, inquiète. Groupie ou simple amie, Nova veille sur lui, elle le sauve, le ramène à la vie. Presque. Nova, c'est une vampire et elle a mordu Brett avant de lui donner de son sang, lorsqu'elle l'a trouvé au pied des escaliers. Elle a tout réglé, elle s'est même occupée des flics, déjà appelés par un convive affolé. Officiellement, Brett est mort d'une overdose mais il n'y a pas de corps. Elle les envoute avec ses dons, on enterre un cercueil vide et lui se cache dans la pénombre. Il faut se nourrir, qu'elle lui dit. Il hésite, lorsqu'elle lui explique l'alternative. Sans hémoglobine, il va mourir, pour de vrai et ça va faire mal. Mais Brett, il veut vivre, il a soif d'exister, il aime son train de vie et l'idée d'être increvable, ça lui plait pas mal. Alors dans les vingt-quatre heures il plante ses dents dans le bassiste, qu'il laissera exsangue dans une chambre d'hotel, histoire de se venger, histoire de protéger au moins une ou deux gamines un peu trop facilement séduites. Deuxième fausse overdose que Nova offre à la presse. Le groupe est considéré comme maudit, l'aventure est terminée, et ils entrent avec fracas dans le rock'n'roll hall of fame.

HEAVEN'S ON FIRE / KISS — S'il était imbus de sa petite personne de son vivant, Brett explose dans l'arrogance et son égo dépasse sa notoriété. Il vit la nuit, Los Angeles est son terrain de jeu, il apprivoise ses pulsions, continue ses conneries. Il rencontre d'autres vampires, ils sont nombreux dans la cité des anges, ironiquement. Démons qui hantent les rues, ils trainent sur les hauteurs de la ville, perdus dans le luxe et l'indécence. Les années 90 passent à une allure folle. Il ne prend pas une ride, figé dans sa jeunesse, tombé au bon moment. Il ne se cache même pas, utilise juste ses pouvoirs lorsque quelqu'un pose trop de question. — hey tu ressembles vachement au chanteur de ce groupe has been là... — hey tu veux pas plutôt aller sauter du balcon, au lieu de me parler ? L'enfant terrible s'amuse, un peu trop sans doute mais l'époque est bénite, une insouciance glauque y règne. C'est les années 80 mais sans sa coupe mullet. Il vire grunge, pleure la mort de Kurt Cobain, regrette de ne pas avoir été là pour le sauver comme Nova l'a fait. C'est peut-être la seule et unique fois qu'il se dit qu'il transformerait bien quelqu'un. Tant pis.

RATT / TELL THE WORLD — Il s'aventure à Savannah par dépit ou par ennui. La nouvelle est tombée il y a quelques semaines, internet oblige il est difficile de se cacher mais Nova lui a parlé d'un endroit où les créatures — comment ça, il y a en a d'autres que les vampires ? — peuvent vivre en paix. Alors il tente sa chance, de toute façon il a tout vu à Los Angeles. L'hospitalité du sud le surprend, d'abord. Il a l'impression que tout est faux, que les gens se foutent de lui avec leur accent et leurs effusions. Faut dire, il déboule d'une ville en plastique et ça fait des années qu'il ne fait rien d'autre que s'abrutir avec de la musique et du sang. La vie ici est différente, retour à la société, à la vie en collectivité, il a perdu l'habitude mais il s'y fait petit à petit. L'ennui ne meurt pas mais se dissipe un peu. Il achète une baraque hors de prix dans le plus quartier puis une seconde plus près du centre ville parce qu'il aime entendre les gens, il aime se sentir vivant. Son train de vie ne change pas, il vit encore la nuit mais on lui refile une bague pour que le soleil ne le dérange plus. Il ajuste, difficilement, ça lui presque quelques années, probablement un peu trop longtemps. Faut dire, il approve du demi-siècle, il a le droit d'être borné et d'aimer ses habitudes, pas vrai ?

CHERRY PIE / WARRANT — Il plante trois voitures par mois, en moyenne, mais personne ne lui dit rien. Les flics ont grandi avec sa musique, Hell Bright c'est la soudtrack de leurs pires conneries, alors ils laissent passer. Et puis, quand ils font les difficiles, Brett sait toujours s'en sortir. Depuis quelques temps il a repris la musique. Il dit que c'est pour les filles mais en vrai ça lui fait un bien fou d'être créatif, de faire quelque chose plutôt que de laisser le temps passer. Merci internet, merci soundcloud, il est auteur, compositeur, interprète, producteur, manageur. Jamais mieux servi que par lui-même. Quoi que. Il tolère les deux autres qu'il a recruté, vampires aussi paumés que lui avec qui il habite, pour tromper la solitude, l'ennui, le spleen, pour ne pas sombrer dans une noirceur indélébile. Les fêtes continuent, évidemment, il aime beaucoup trop ça pour arrêter. Le boom boom de la musique, les gens qui se pressent dans tous les sens, ça lui plait. Et puis c'est le théâtre de défis à la con, ces soirées. Ils les enchaînent, paris toujours plus, laissent les choses débordés à chaque fois. Pas cap d'entrer par effraction dans la propriété du conseil, pas cap d'aller choquer les petites bourgeoises du Golden Winds Resort, pas cap d'aller emmerder les sorcières juste pour le fun, pas cap d'aller courir comme un idiot dans le Wildlife Refuge, pas cap de séduire une jolie petite humaine issue d'une famille bien radicale et de lui briser le coeur... Brett ne refuse jamais les défis, mama didn't raise a little bitch. Pourtant, à la seconde où il s'approche de celle qu'on lui a pointé du doigt comme étant sa proie, sa cible, il s'en mord les doigts. Il la voit sourire et le monde s'efface. Plus lumineuse que le soleil, elle le laisse sur le cul et il se demande s'il a vécu jusqu'à ce moment. Trop tard, impossible de reculer, la petite activiste dont le coeur bat trop fort quand un vampire approche devra être un dommage collatéral de son ennui, peu importe à quel point elle brille, peu importe à quel point il veut à nouveau l'entendre rire.