Bourdonnement à ses oreilles... Vacarme incessant et plus encore insupportable que ce silence qui, depuis son retour, s'est trop bien érigé entre eux. Celui que, du coin de l'oeil et bien à l'abri derrière le voile de ses cheveux sombres, elle observe à la dérobée. Il passe devant elle et chacun de ses pas est un carreau acéré qu'il envoie se ficher au cœur déjà à l'envers de celle qui en serre les poings, en contracte les mâchoires pour ne pas en hurler. Pour ne pas s'en effondrer. Ces doigts qu'elle force à marteler le bois éraflé et écorché de cette chaise sur laquelle elle s'est perchée, comme réfugiée. Ces doigts avec lesquels elle griffe doucement ce bois encore plus usé qu'elle qui l'est pourtant tellement aussi. Des grattements. Agaçants. Des grattements. Comme autant d'appels à celui qui la tue en lui refusant le moindre regard, la moindre once de cette attention qu'Aya réalise lui manquer. Ne dit-on pas que la valeur d'une chose ne s'admet généralement que trop tard ? Quand elle s'est délitée, délavée et s'en allée... Ou, plus cruel encore, quand comme ici et maintenant elle n'apparaît devant vous que pour mieux vous renier sa chaleur, son affection.
Le froid à un cœur qui se sent se fissurer, saigner les plus givrées de ses larmes quand, sans même un grognement ou un soupir, Caleb s'en retourne, disparaît de ce paysage où la louve aurait tant aimée le voir demeurer. Mais sans être seulement capable de le lui dire. De le lui hurler. De l'en implorer. Et alors qu'elle entend la porte de la chambre du louveteau se refermer sur lui, la femme brisée se relève lentement. Elle qui virevolte sur les toits et les rebords de fenêtres... Elle qui n'aime rien de plus que cabrioler pour mieux cambrioler... Elle qui n'a jamais été qu'agilité et souplesse sent soudainement peser sur son corps trop las le poids de la solitude. De l'abandon, presque. Ce port presque royal que la danse lui a donné n'est plus que vestige. Ses épaules se sont creusées pour mieux s'effondrer. Et son pas, qui hier était de plume, se fait là et maintenant de plomb. Et quand, alors qu'elle ouvre le frigidaire pour mieux se saisir de l'une de ces bières que pourtant elle n'a que faire elle qui ne boit si peu que pas... Alors elle tremble, ferme les paupières devant ce spectacle qui fait remonter à sa gorge la plus acide des biles. Ces doigts qui tremblent et qui sont siens. Ces doigts qu'elle aimerait pouvoir s'arracher tant elle les déteste pour ce qu'ils ont du faire.
Survivre !
Encore...
Toujours...
Mais à quel prix !
Survivre !
Pourquoi ?
Pour quoi ?
Pour qui ?
Ses paupières qui se relèvent alors, lui dévoilant la porte devant laquelle la louve ne se souvient pas même avoir avancé. Comme si, bien incapable de réfléchir, son cerveau avait préféré s'effacer pour mieux laisser l'instinct s'éveiller de ses gangues de torpeur où, inconsciemment, Aya ne l'avait que trop longuement et trop fermement maintenu ces derniers jours. Que, pour quelques instants au moins, la femme qui ne sait plus comment vivre s'efface et laisse la louve, branlante mais encore si bien debout elle, se dresse ! Et ses doigts qui ne se recroquevillent que pour mieux, avec une timidité qui leur est nouvelle, toquer à cette porte qu'Aya craint si fort de voir demeurer fermée. Une seconde, celle qui lui pourfend l'âme. Une autre, celle qui terrasse son cœur incomplet. Une troisième, celle que la louve refuse de laisser venir la terrasser et qu'elle écrase de ces peu de volonté qui lui reste lorsque, dans un souffle retenu et comme coupé, elle ouvre la porte.
Fous le camps ! Dégage de mon lit ! Arrête de fouiner !
Des grognements ponctués de foudres luminescentes au fond des yeux du louveteau.
Viens là ! Reste encore un peu ! On peut parler?
Des rires étouffés entre deux de ces secrets qu'ils se sont confiés à tant de reprises qu'elles sont innombrables.
« Frappe moi ! » lance-t-elle sans autre préambule à celui à qui
, avant même de lui laisser le temps de répliquer ne serait-ce que d'un souffle, elle lance des bandes pour mieux en protéger ses poings. « Frappe moi si c'est le prix à payer pour que tu me vois et me parles enfin !
Et son corps qu'elle jette sur celui allongé à son lit. Des coups qu'elle donne de ses poings nus et sans la moindre intention de faire mal. Des coups qu'elle projette mais arrête toujours avant qu'il n'effleure même le derme de celui sur qui elle est maintenant à califourchon. Des coups pour beugler sa douleur. Des coups pour pleurer sa peur. Des coups pour murmurer qu'il lui manque.
B.A.M.
Le rouge, celui du sang. Le sien. Celui qu'elle regarde sans même en ciller alors qu'elle le voit ruisseler le long de son poing blessé, dégouliner sur le mur et mourir à l'oreiller de Caleb. Celui qu'elle regarde maintenant avec les yeux luisant de toutes ces larmes qu'elle retient encore, ne sachant plus si elles sont nées de sa colère ou se sont forgées de son désespoir. Caleb.. . Celui sur le torse duquel elle appose sa main libre. Caresse d'une plume ensanglantée mais qui s'apaise aux palpitations de ce cœur. Celui du louveteau. Celui de Caleb. Celui de son jumeau. Non... De cette autre moitié d'elle-même. Celle dont Aya ne soupçonnait pas même l'existence avant qu'il ne la lui retire.
« Il m'a fait si mal Caleb... Plus mal que je n'aurais même jamais cru cela possible... »
Leurs regards qui se fondent une seconde. Avant que, tourbillon de vie ravagée, elle ne lui échappe en un bond agile. Et Aya qui, comme toujours quand le passé se fait trop tangible qu'il en ravive ses plaies les plus profondes, elle court se réfugier. Au seul endroit où elle sait pouvoir trouver la paix. Ce placard. Celui qui fait tant peur à Caleb. Celui qui, pour elle et plus encore là et maintenant, est son ultime refuge. Puisque Caleb la rejette...
« Pardon... Me déteste pas... Par pitié Caleb... Me lâche pas... Pas toi... Pas maintenant... Pardon... »
Un sanglot.
Le sien.
Le premier.
Le dernier ?
A Caleb de répondre...