Seen for the wonder I am ◇ Diane & Lola

L'heure de sa fin de journée n'est plus très loin : aujourd'hui elle n'est pas du service du soir, celui où les néons changent l'ambiance du restaurant et lui donnent un côté funky qui amuse toujours Lola. Ce soir elle est libre, pourtant elle ne sait pas encore ce qu'elle va faire une fois son hanfu plié et rangé dans son casier. Elle hésite à aller voir Jade pour s'assurer qu'elle va bien, un peu inquiète depuis l'incident du bal du Conseil, ou à envoyer un message à Aya pour savoir si la louve a des gemmes à lui proposer. Peut-être fera-t-elle les deux, ou aucun – pour l'instant elle ne saurait dire, plus occupée à se demander si l'impression de flotter qu'elle ressent est due au manque de sommeil ou au joint qu'elle a fumé à sa pause. Elle a eu la brillante idée de compenser la fatigue liée à son insomnie par un peu trop d'herbe qui parfume à présent sa tenue – à moins que l'odeur colle simplement à sa peau, si bien qu'elle n'a pas de mal à embaumer son uniforme. Rien qui ne saurait cependant perturber l'air impassible qu'elle arbore lorsqu'elle quitte la salle des employés après y avoir bu un peu. Ce qu'il reste de sa bouteille de thé glacé au jasmin a été mis dans le petit frigo, puis elle a poussé la porte et a parcouru les cuisines afin de rejoindre la pièce où se trouve les clients.

Elle se rapproche de la table d'un habitué qui dîne toujours très tôt, lui offre les salutations traditionnelles que lui a enseignées Pansy à son arrivée au Dragon Den puis part en cuisine commander au chef les mets que ce client prend à chaque fois. Elle lui apporte une boisson pour le faire patienter, la même que d'habitude, encore. C'est amusant de voir que certaines personnes ont une vie réglée comme une pendule bien à l'heure, bien opposée à sa vie à elle qui ne semble être qu'improvisation et adaptation. Le plateau de sushis bien à plat sur la paume de sa main, elle retourne à la table du monsieur et y dépose gracieusement son repas avant de répéter les gestes dont elle a l'habitude depuis qu'elle travaille ici. Elle le salue puis s'écarte pour le laisser déguster en toute tranquillité, relevant la tête pour regarder le reste de la salle. Alors que son regard vérifie qu'aucun client n'ait besoin d'elle, il s'accroche à un visage qu'elle connaît bien mais qu'elle n'aurait jamais pensé voir ici.

Madame Parker-Wright se trouve juste là, assise seule à une table, avec son habituelle élégance et son port droit qu'il est difficile d'ignorer. Lorsqu'elle s'approche de celle qui a longtemps été sa patronne, les traits de Lola ne montrent rien de son étonnement ou de son incompréhension. Les mains liées au niveau de sa ceinture, elle se penche en avant en guise de salutation, l'air absolument imperturbable alors que, dans son cerveau, ça cogite. « Bienvenue au Dragon Den, madame. Désirez-vous commander quelque chose ? » demande-t-elle poliment, d'une voix totalement neutre, tout en se demandant ce qu'elle fait ici. Est-ce qu'elle n'a pas oublié de répondre au dernier message qu'elle lui a envoyé ? Si, sûrement. Le pire c'est qu'elle n'en est pas certaine, parce qu'elle plane encore beaucoup à cause du joint pris à sa pause. Cela ne change rien à l'attitude impassible de l'asiatique, cela dit il y a fort à parier que sa tension soit loin d'être aussi élevée que ce qu'elle devrait être à son âge.

Elle est tête en l'air, Lola, personne ne s'étonne vraiment de ça dans son entourage. Il n'y a que lorsque cela concerne son frère qu'elle est d'une assiduité extrême, le reste du temps elle a tendance à laisser entraîner, à oublier, à passer à autre chose. Le fait qu'elle fume presque quotidiennement de l'herbe aux vertus discutés n'aide sans doute pas à sa concentration, mais ce n'est pas comme si la jeune femme accordait de l'importance à ce qu'on dit à ce sujet – ça lui fait du bien, pourquoi devrait-elle se soucier du reste ? L'odeur qui lui colle à la peau et que certains reconnaissent sans mal, expliquant certains regards de travers, le mépris qu'on lui offre parfois en se disant qu'elle n'est qu'une droguée, elle s'en moque. Elle ne vit pas pour les autres, Lola. Elle vit pour pour elle, elle vit pour Lucas – le reste du monde ce n'est pas son problème, alors elle l'oublie bien facilement. Et lorsque dans les dernières minutes de service, son regard quelque peu trouble croise celui de son ancienne employeuse, elle se demande si elle n'a pas oublié quelque chose justement. Elle s'approche tout de même, évidemment, et respecte à la lettre tout ce qu'on lui à enseigner : le salut formel, l'accueil, la prise de commande, le tout avec une politesse qu'elle refuse de voir affectée par les questions qu'elle se pose à voir madame Parker-Wright en ces lieux.

La jeune asiatique a beau ne pas s'intéresser outre mesure à la politique et se ficher de la guéguerre que peuvent se mener les candidats pour les sièges du Conseil, elle a suffisamment travaillé pour Diane pour savoir qu'elle ne mettrait jamais les pieds ici sans une bonne raison. Or, la seule qui lui vient à l'esprit, c'est elle-même. Ce serait sûrement narcissique si elle ne venait pas de se souvenir, au milieu des loopings que fait son cerveau embaumé par la beuh, qu'elle avait peut-être oublié de la recontacter. Oui, c'est peut-être ça, pourtant en réponse à l'air neutre de circonstance de Lola, la politicienne ne lui offre qu'un sourire aimable qu'elle est incapable de dire naturel ou feint. Voilà qui leur fait un point commun. « Une théière de thé au jasmin, merci. » La jeune femme hoche la tête, pourtant il lui faut quelques secondes pour vraiment enregistrer l'information et amorcer un demi-tour afin d'aller chercher la boisson demandée. « Mais si vous le voulez bien apportez deux tasses et venez en boire une quand vous pourrez prendre une pause. » « Très bien, » répond-elle par automatisme, n'analysant la requête qu'ensuite. C'est là que la proposition la prend un peu au dépourvu, même si elle plane un peu trop pour se dire que, malgré le ton délicat adopté par Diane – et qui en réalité n'est qu'une habitude politique, rien de fiable assurément –, un reproche pourrait se trouver dans la proposition. Le doute s'évapore dès la phrase suivante, cependant. « A défaut de trouver le temps de répondre au téléphone j’espère que vous aurez cinq minutes pour parler de vive voix. » Plus de doute possible, en effet. Lola devrait sans doute se sentir stupide – ou intimidée, car madame Parker-Wright n'était pas une femme que l'on fait poireauter sans craindre de possibles représailles –, mais elle est assurément trop embaumée pour en avoir conscience. Alors elle hoche simplement la tête, fait demi-tour et, tandis qu'elle rejoint la cuisine d'un pas qui semble infiniment trop lent pour une gamine de son âge, son regard balaie la salle pour constater qu'il n'y a vraiment pas grand monde à cette heure. Donc qu'elle n'a pas d'excuse valable pour refuser cette invitation. Il faut aussi admettre qu'elle plane trop pour être en état d'imaginer la moindre excuse.

Quelques instants plus tard, elle est de retour face à madame Parker-Wright, avec dans les mains un plateau sur lequel reposent une théière drôlement décoré – dans le style du Dragon Den, disons – fumante ainsi que deux tasses. Si toute personne un tant soit peu censée aurait forcément cherché une façon de s'excuser de ce silence de quatre – cinq, peut-être, elle ne sait plus trop – jours, Lola n'a simplement pas eu la présence d'esprit d'y réfléchir. A vrai dire, tout ce qui a occupé ses pensées c'est la coïncidence entre la boisson commandée par la cliente et celle qu'elle buvait dans la salle des employés – elle a ricané, sa réflexion s'est arrêtée là. A nouveau, la jeune femme se penche en avant respectueusement, avant de déposer devant la politicienne le plateau. « Voilà votre thé. » Jetant un regard autour d'elle, elle constate encore une fois qu'il n'y a pas l'ombre d'un client qui pourrait justifier qu'elle n'ait pas le temps de prendre une pause aux côtés de madame Parker-Wright. Qui plus est, la fin de son service est toute proche alors d'ici quelques minutes aucun de ses collègues ne viendra lui reprocher de ne plus s'activer entre la cuisine et la salle. Alors la voilà qui s'installe en face de Diane, dos droit et mine impassible, regard un peu vague à cause de ce qu'elle a fumé tout à l'heure. L'effet monte, elle le sent, tente cependant de garder un visage parfaitement inatteignable – et pour l'instant, c'est une réussite. « Vous permettez ? » demande-t-elle en attrapant la anse de la théière, ayant pour intention de les servir toutes les deux – la cliente en premier, évidemment. Ce qu'elle fait dès qu'elle en a la permission, préférant ne pas prononcer un mot de plus car il serait sûrement stupide. Elle n'aurait peut-être pas dû s'accorder un joint à sa pause, mais pour sa défense elle ne s'attendait pas à devoir affronter telle entrevue en cette fin d'après-midi.