La recette d'une tendre amitié feat. Sonny

Les mains enfoncées dans les poches de son manteau, sa sempiternelle sucette coincée entre ses lèvres elle avançait dans ce dédale de rues dont elle avait fait son territoire. Son singulier royaume. Un instant son regard perçant avait accroché les silhouettes si tendrement enlacées d'un couple d'amoureux qui se pressaient. Le rire à leurs bouches, le désir à leurs doigts joints et l'impatience au bord de ces yeux avec lesquels ils n'en finissaient plus de se dévorer l'un l'autre. Elle avait soupiré dans un sourire tandis que, dans un geste presque machinal, ses propres doigts venaient se perdre dans la masse de ses cheveux. L'amour ? A quoi bon. Elle le savait, si elle le voulait Gabriel était là. Unique rescapé de cette histoire qu'elle aurait voulu oublier. Entre eux les choses avaient toujours été aussi intenses que complexes. Mais la vie prenait parfois de bien étranges tournants. Et aujourd'hui Aya ne savait plus trop où elle en était. Un appel de Gabriel qui tombait comme un signe du destin. Et deux autres textos qui tombaient pour ainsi dire presque au même moment. L'un de Mo’, le loup qui l’écharperait vive pour avoir seulement osé le nommer ainsi. Et un autre d'un longues quenottes qu'elle se surprenaità avoir quelques difficultés à se sortir de la tête depuis leur rencontre au bord de la rivière.

-  « Ah mon pauvre Sonny ! J'ai bien peur d'être ce soir encore plus pénible que d'ordinaire…   »

Avait-elle murmuré tout bas et en pouffant presque de rire alors que, conformément à leurs habitudes, elle délaissait l'entrée principale du Dragon Den pour mieux se diriger vers l'entrée donnant sur cette arrière-cour qu'elle ne connaissait que trop bien. Le bruit des talons de ses bottes qui résonnait sur les pavés encore gorgés des pluies de l'après-midi. Les affiches, évidemment toujours si déchirées, sur les murs de briques avaient changé. La benne à ordures dans laquelle il l'avait pour la toute première fois aperçue avait elle aussi été changée. Mais le néon au-dessus de la porte de service grésillait toujours autant. Des fenêtres à barreaux s'élevaient toujours les voix fortes des employés et dans les airs flottait ce délicieux fumer qui, des années plus tôt, l'avait faire sortir de sa tanière. Des pas, qui eurent sans doute été aussi légers que les siens si les années et le poids d'une vie ne les avait rendus plus lents, plus audibles.

-  « Tu m'as entendue arriver ou tu as deviné ?   » un regard toujours si vif qu'elle laissait passer par-dessus son épaule avant qu'un sourire tendre ne vienne étirer ses lèvres  « Et si tu te demandes pourquoi je suis déguisée en fille… bah en fait je sais pas alors te demande pas et me demande pas ?   elle s'était enfin retournée et avait couru se jeter au cou du cuistot. Son préféré ! Celui à qui elle devait aussi tellement  «En plus je crève la dalle ! J'arrive trop tôt pour avoir une gamelle à déguster mes yeux dans tes yeux ? »

Elle avait ri, laissant enfin respirer celui qui devait étouffer,  elle avait reculé . Tournoyant sur elle-même et faisant virevolter les pans de sa robe rouge. Celle qu'elle avait volé avec Eoghan. Ses cheveux étaient libres descendant en une cascade de boucles souples sur ses épaules. A ses lèvres comme à ses joues un soupçon de ce rouge en poudre qu'il ne lui avait sans doute jamais vu porter. Et un sourire. Radieux. Celui d'une femme qui semblait enfin avoir trouvé sa place. Bien loin de l'enfant que Sonny avait jadis si bien su prendre sous son aile. Elle n'avait jamais oublié. Elle n'oublierait jamais. Aya était de ces êtres qui aiment conjuguer la loyauté et la fidélité à l'infini  Elle donnait rarement mais elle donnait tout et ne reprenait dès lors jamais.

-  « Et tu dois me raconter ! Tu sais toutes ces choses que tu évites soigneusement de me raconter ? Tous ces secrets ? Et puis faut qu'on cause… J'ai besoin de conseils… J'ai un … disons un questionnement… et je ne peux pas parler de ça à Papi il m’en ferait une attaque ! Voir il m'enfermerait sous cloche jusqu'à ce que ça me passe… Sauf que, tu vois, je pense que ça passera pas.   » elle était revenue virevolter vers lui et avait demandé en affichant sa mine la plus facétieuse  « Et de ton côté ? Quelqu'un dont tu voudrais me parler ? » sifflotant  « Je ne savais pas que tu connaissais Ryan, d'ailleurs…   »

Aya avait ri. Elle était heureuse.