(fb) don't get lost in the woods (lola)

Ses doigts s'agitant nerveusement autour de sa tasse, Lola peine à garder son calme tandis que son regard reste fixé sur l'heure qu'affiche son téléphone. Neuf minutes. Il aurait dû rentrer il y a neuf minutes. Nouvelle gorgée de thé, profonde inspiration, nouveau regard aux chiffres. Elle voudrait ne pas être aussi angoissée, mais aujourd'hui c'est la première fois que son frère rentre seul à la maison et elle s'inquiète de ne pas le voir arriver. Elle lui a promis de ne pas partir à sa recherche tout de suite, argumentant que s'il restait discuter avec des copains, elle allait se faire du souci pour rien. Il lui a dit quinze minutes. Mais neuf-cents secondes c'est terriblement long quand on pense à la personne à qui on tient le plus au monde et qu'on a peur qu'il lui soit arrivé quelque chose. Elle essaie de se rassurer, pourtant, imaginant Lucas raconter auprès de ses copains ses progrès en rollers et leur promettre de leur montrer à quel point il est fort ce week-end. Elle a les mains qui tremblent malgré tout, et ça s'accentue à mesure que le compteur tourne. Treize minutes. Elle va devenir folle, ce n'est pas possible de paniquer autant alors que son frère doit simplement être en train de bavarder avec ses camarades de classe. Peut-être qu'ils parlent de leurs cours de la journée, ou de sport, ou... Elle ne sait plus, ça l'angoisse encore plus, elle porte la tasse de thé à ses lèvres pour se calmer mais au lieu de ça elle avale une gorgée de travers et se met à tousser.

Quinze minutes. La jeune femme vide sa tasse d'une traite, la repose un peu trop brutalement et se lève comme une furie pour se jeter sur la porte. Elle manque de trébucher en cognant la table basse, sort en trombe de l'appartement et referme à clef précipitamment. Elle a respecté sa part du marché, maintenant elle est autorisée à s'inquiéter et à fouiller toute la ville à la recherche de son petit frère.

Après avoir toqué à absolument toutes les portes de l'immeuble dans lequel ils se sont installés le mois dernier sans le moindre résultat concluant, Lola sort dans la rue, mordillant sa lèvre en regardant tout autour d'elle. A présent, elle doit choisir entre aller toquer aux immeubles voisins ou aller directement au collège de son frère pour demander des informations à ses professeurs ou à ses camarades. Son habituel visage impassible commence à grandement s'effriter – s'il y a une chose qui peut lui faire perdre son calme, c'est l'angoisse qui la foudroie lorsqu'il est question de son petit frère.

Après un troisième demi-tour sur elle-même purement nerveux, son regard accroche deux silhouettes sur le devant de l'immeuble voisin du sien. Deux silhouettes qui n'étaient pas là tout à l'heure. Deux silhouettes dont une toute petite, celle d'un enfant, celle d'un petit garçon qui la pointe du doigt elle. Et à cet instant, le cœur de Lola rate un battement. « Lucas ! » s'écrie-t-elle en se précipitant vers eux, toute la mesure dont elle fait preuve habituellement devenant de l'histoire ancienne dès l'instant où leurs regards se croisent. S'accroupissant pour être à sa hauteur, elle le prend dans ses bras et le serre contre elle de toutes ses forces. Un soupir de soulagement lui échappe dès l'instant où elle sent les bras de son petit frère s'accrocher à elle comme à une bouée de sauvetage. « Lucas, tranquilo. Tout va bien, ya pasó, ya pasó, » murmure-t-elle en glissant une main dans ses cheveux pour le calmer. Pendant un instant, l'homme à leurs côtés n'existe même plus à leurs yeux. « Lo siento, Lola, lo siento. Me equivocó, je croyais que c'était la maison, » explique le gamin d'une voix tremblante. « C'est ma faute, je suis désolée. Fue una mala idea, » assure-t-elle en le serrant un peu plus contre elle, déposant un baiser sur sa tempe comme elle le fait après un cauchemar. Avant de réaliser qu'en réalité ils ne sont pas seuls ici, même si leur attitude à tous les deux le laissait jusque là penser. Alors la jeune femme se redresse, gardant contre elle son petit frère qui n'a de toute façon pas l'air décidé à la lâcher de si tôt. « Pardon je... Je me suis fait un sang d'encre et je... Il va bien, grâce à vous, merci infiniment. » Son regard luit d'une profonde gratitude lorsqu'elle le pose sur l'homme qui a récupéré son petit frère. La plus grande de ses peurs aurait été qu'il rencontre quelqu'un de malintentionné, alors sa reconnaissance n'a pas de prix à cet instant précis. Qu'importe si cet emménagement lui a déjà coûté beaucoup et qu'elle aurait sûrement dû manger des pâtes pendant un mois ou deux si Nur n'avait pas été là. « Il est rentré chez vous ? Je suis vraiment désolé, nous venons d'emménager et il s'est trompé d'immeuble. J'espère qu'il n'a pas fait de bêtise, dites-moi si je dois réparer quelque chose. » Plus elle parle, plus son regard détaille attentivement le quarantenaire qui lui fait face. Et elle ne peut pas s'empêcher de penser qu'elle l'a déjà vu quelque part. Pourtant, elle ne pose aucune question pour l'instant, essayant de réfléchir à l'endroit où elle a pu le croiser. Son visage lui est assez familier pour qu'elle pense l'avoir vu plus d'une fois, peut-être à un de ces anciens boulots. Elle ne sait pas vraiment, cherche encore tout en continuant de caresser doucement la tignasse en pagaille de son petit frère qui ne s'est pas encore totalement détachée d'elle.